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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 22 SEPTEMBRE 2022
N° RG 19/05038 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LHOO
SA LA BANQUE POSTALE ASSURANCES IARD
c/
[U] [D]
[A] [D]
[G] [D]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le : 22 septembre 2022
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 19 août 2019 par le Tribunal de Grande Instance de LIBOURNE (RG : 18/00674) suivant déclaration d’appel du 20 septembre 2019
APPELANTE :
SA LA BANQUE POSTALE ASSURANCES IARD agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège socialTSA [Localité 2]
Représentée par Me Charlotte DE LAGAUSIE de l’AARPI GRAVELLIER – LIEF – DE LAGAUSIE – RODRIGUES, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
[U] [D] majeur placé sous tutelle de M. [A] [D] suivant décision rendue le 17.06.2016 par le juge des tutelles près le tribunal d’Instance de LIBOURNE, décédé le 28 décembre 2019 à LIBOURNE (33)
né le 07 Janvier 1960 à [Localité 7]
de nationalité Française
[A] [D] agissant en qualité d’ayant droit de [U] [D] décédé
né le 02 Juillet 1985 à [Localité 6] (33)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 4]
Représentés par Me Stéphane CHUDZIAK de la SELARL CHUDZIAK & ASSOCIÉS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTERVENANT :
[G] [D] agissant en qualité d’ayant droit de [U] [D] décédé
né le 15 Décembre 1988 à [Localité 6] (33)
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 5]
Représenté par Me Stéphane CHUDZIAK de la SELARL CHUDZIAK & ASSOCIÉS, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 juin 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Bérengère VALLEE, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Sylvie HERAS DE PEDRO, conseiller,
Greffier lors des débats : Séléna BONNET
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
[U] [D] était propriétaire d’un immeuble d’habitation situé [Adresse 1]. Cet immeuble était occupé, depuis décembre 2011, par [S] [J], assuré par la SA Banque Postale Assurances Iard (ci-après dénommée la SA Banque Postale).
Dans la nuit du 31 décembre 2013 au 1er janvier 2014, un incendie a détruit la maison sise [Adresse 1]) ainsi que la grange attenante à cette habitation.
Par acte d’huissier du 30 juin 2015, [U] [D] a fait assigner la SA Banque Postale, assureur de [S] [J], devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Libourne aux fins de mandater un expert judiciaire.
Par ordonnance en référé du 17 septembre 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance de Libourne a fait droit à cette demande et commis [Z] [R] aux fins d’expertiserle bien.
Le 26 mars 2018, l’expert judiciaire a remis son rapport définitif.
Par acte d’huissier du 13 juin 2018, [A] [D], en sa qualité de tuteur de [U] [D], a fait assigner la SA Banque Postale devant le tribunal de grande instance de Libourne aux fins notamment de la voir condamner au paiement de la somme de 490 775,81 euros TTC au titre des travaux de reconstruction de l’habitation incendiée, outre le versement d’une somme de 26 300 euros au titre du préjudice de jouissance subi par [U] [D] et d’une somme de 6 000 euros au titre des frais d’architecte réglés par [U] [D].
Par jugement contradictoire du 19 août 2019, le tribunal de grande instance de Libourne a :
– déclaré son incompétence pour statuer sur la demande en nullité de l’assignation formée par la SA Banque Postale,
– déclaré [U] [D], représenté par [A] [D] en sa qualité de tuteur, recevable en son action,
– déclaré la SA Banque Postale irrecevable en sa demande de nullité du rapport d’expertise,
– dit que [U] [D] a droit à la réparation intégrale de son préjudice,
– condamné la SA Banque Postale à verser à [U] [D] représenté par [A]
[D] en sa qualité de tuteur les sommes de quatre cent quatre-vingt-dix mille sept cent soixante-quinze euros et quatre-vingt-un cents (490 775,81 euros TTC) au titre des travaux de reconstruction de la maison et de la grange incendiees sises [Adresse 1],
– condamné la SA Banque Postale à verser à [U] [D] représenté par [A]
[D] en sa qualité de tuteur la somme de vingt-trois mille deux cents euros (23 200 euros) au titre du préjudice de jouissance,
– dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
– rejeté la demande de [U] [D] représenté par [A] [D] en sa qualité de tuteur au titre de la prise en charge des frais d’architecte,
– condamné la SA Banque Postale à verser à [U] [D] représenté par [A] [D] en sa qualité de tuteur la somme de trois rnille euro (3 000 euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SA Banque Postale aux dépens en ce compris les frais d’expertise et de réferé,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.
La SA Banque Postale a relevé appel de ce jugement par déclaration du 20 septembre 2019.
Le 28 décembre 2019, [U] [D] est décédé.
[A] [D] et [G] [D] ont poursuivi l’instance ès qualité d’ayants-droit de [U] [D].
Par conclusions déposées le 16 juin 2020, la SA Banque Postale demande à la cour de:
– réformer le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau :
– juger l’assignation de M. [D] irrecevable en raison de la renonciation à tout recours à l’encontre de la SA Banque Postale résultant de la signature d’une renonciation à recours le 7 mars 2015,
– à titre infiniment subsidiaire, juger que faute de justification de l’existence d’un bail, le litige ne ressort pas des dispositions de l’article 1733 du code civil,
– débouter M. [D] de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la SA Banque Postale faute de démonstration d’une faute de M. [J] à l’origine de l’incendie,
– à titre très infiniment subsidiaire, si le tribunal devait faire application de l’article 1733 du code civil, juger que M. [J] ne répond pas de l’incendie lequel est survenu par cas fortuit,
– juger en conséquence que la SA Banque Postale n’est pas tenue à indemnisation de M. [D],
– en tout état de cause, juger qu’en application de l’article 1734 du code civil, le droit à indemnisation de M. [D] est limité à 50 % des frais de reconstruction de l’immeuble,
– juger que la faute commise par M. [D] qui n’avait pas assuré la fermeture de la partie de l’immeuble dont il s’était réservé la jouissance a concouru à la production de son préjudice et limite son droit à indemnisation,
– juger que cette limitation doit être équivalente à la moitié des préjudices subis,
– à titre infiniment subsidiaire, et en application de l’article 1734 du code civil, juger que M. [J] et son assureur la SA Banque Postale ne doivent participer à la réparation du sinistre qu’à hauteur de la proportion de valeur locative de la partie occupée par M. [J], soit 64,40 % de l’ensemble des indemnisations,
– dire que les préjudices doivent s’arbitrer pour le coût de reconstruction à la somme résultant du chiffrage des travaux réparatoires établis après dossier de consultation des entreprises, soit :
– 203 840,24 euros TTC pour la maison,
– 109 036,31 euros TTC pour la grange,
– 5 % de ces montants au titre des frais de maîtrise d’oeuvre d’exécution,
– 4 000 euros pour l’étude de sol,
– rejeter les demandes au titre des préjudices annexes,
– débouter M. [D] de l’ensemble de ses demandes plus amples et contraires en ce compris les demandes au titre de l’article 700 et des dépens,
– condamner M. [D] à verser à la SA Banque Postale la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens comprenant les frais d’expertise pris en charge pour partie par la SA Banque Postale.
Par conclusions déposées le 8 juillet 2020 comportant appel incident, [A] [D] et [G] [D], ès qualité d’ayants-droit de [U] [D], demandent à la cour de :
– déclarer recevables en leur intervention volontaire [A] [D] et [G] [D], ès qualité d’ayants-droit de [U] [D], décédé le 28 décembre 2019 à [Localité 6],
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 19 août 2019 par le tribunal de grande instance de Libourne, en ce qu’il a :
– déclaré son incompétence pour statuer sur la demande en nullité de l’assignation formée par la SA Banque Postale,
– déclaré [U] [D], représenté par [A] [D] en sa qualité de tuteur, recevable en son action,
– déclaré la SA Banque Postale irrecevable en sa demande de nullité du rapport d’expertise,
– dit que [U] [D] a droit à la réparation intégrale de son préjudice,
– condamné la SA Banque Postale à verser à [U] [D] représenté par [A] [D] en sa qualité de tuteur les sommes de quatre cent quatre-vingt-dix mille sept cent soixante-quinze euros et quatre-vingt-un cents (490 775,81 euros TTC) au titre des travaux de reconstruction de la maison et de la grange íncendiees síses [Adresse 1],
– condamné la SA Banque Postale à verser à [U] [D] représenté par [A] [D] en sa qualité de tuteur la somme de vingt-trois mille deux cents euros (23 200 euros) au titre du préjudice de jouissance,
– dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
– condamné la SA Banque Postale à verser à [U] [D] représenté par [A] [D] en sa qualité de tuteur la somme de trois mille euro (3 000 euros) au titre de l’artícle 700 du code de procédure civile,
– condamné la SA Banque Postale aux dépens en ce compris les frais d’expertise et de réferé,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision,
Y ajoutant,
– condamner la SA Banque Postale au règlement de la somme complémentaire de quatorze mille six cent euros (14 600 euros) au titre du préjudice de jouissance subi, lequel court toujours à la date des présentes – somme à parfaire au jour de l’audience,
– condamner la SA Banque Postale au remboursement de la somme de six mille euros (6 000 euros) au titre des frais d’architecte réglés par [U] [D],
– dire que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du jour où elles auraient dû être versées pour les loyers,
– dire que les sommes allouées au titre de l’indemnisation porteront intérêts depuis la décision de première instance,
– dire qu’il sera fait application de l’article 1343-2 du code civil,
Statuant à nouveau,
– condamner la SA Banque Postale au versement de la somme de cinq mille euros (5 000euros) en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 9 juin 2022 et l’affaire fixée à l’audience du 23 juin 2022.
Le 23 juin 2022, [A] [D] et [G] [D] ont déposé des conclusions d’intimés n°3 par lesquelles ils demandent à la cour de :
– déclarer recevables en leur intervention volontaire [A] [D] et [G] [D], ès qualité d’ayant-droits de [U] [D], décédé le 28 décembre 2019 à [Localité 6],
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 19 août 2019 par le tribunal de grande instance de Libourne, en ce qu’il a :
– déclaré son incompétence pour statuer sur la demande en nullité de l’assignation formée par la SA Banque Postale,
– déclaré [U] [D], représenté par [A] [D] en sa qualité de tuteur, recevable en son action,
– déclaré la SA Banque Postale irrecevable en sa demande de nullité du rapport d’expertise,
– dit que [U] [D] a droit à la réparation intégrale de son préjudice,
– condamné la SA Banque Postale à verser à [U] [D] représenté par [A] [D] en sa qualité de tuteur les sommes de quatre cent quatre-vingt-dix mille sept cent soixante-quinze euros et quatre-vingt-un cents (490 775,81 euros TTC) au titre des travaux de reconstruction de la maison et de la grange íncendiees síses [Adresse 1],
– condamné la SA Banque Postale à verser à [U] [D] représenté par [A] [D] en sa qualité de tuteur la somme de vingt-trois mille deux cents euros (23 200 euros) au titre du préjudice de jouissance,
– dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
– condamné la SA Banque Postale à verser à [U] [D] représenté par [A] [D] en sa qualité de tuteur la somme de trois mille euro (3 000 euros) au titre de l’artícle 700 du code de procédure civile,
– condamné la SA Banque Postale aux dépens en ce compris les frais d’expertise et de réferé,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision,
Y ajoutant,
– condamner la SA Banque Postale au règlement de la somme complémentaire de quatorze mille six cent euros (14 600 euros) au titre du préjudice de jouissance subi, lequel court toujours à la date des présentes – somme à parfaire au jour de l’audience,
– condamner la SA Banque Postale au remboursement de la somme de six mille euros (6 000 euros) au titre des frais d’architecte réglés par [U] [D],
– dire que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du jour où elles auraient dû être versées pour les loyers,
– dire que les sommes allouées au titre de l’indemnisation porteront intérêts depuis la décision de première instance,
– dire qu’il sera fait application de l’article 1343-2 du code civil,
Statuant à nouveau,
– condamner la SA Banque Postale au versement de la somme de cinq mille euros (5 000 euros) en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité des conclusions déposées par [A] et [G] [D] le 23 juin 2022
Aux termes de l’article 802 du code de procédure civile, après l’ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office.
L’article 803 du même code précise que cette ordonnance ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue.
En l’espèce, faute pour les intimés de démontrer la survenance d’une telle cause, il convient de rejeter leurs conclusions déposées le 23 juin 2022, après la clôture ordonnée, et ne retenir pour les débats que celles du 8 juillet 2020.
Sur la renonciation à recours à l’encontre de la SA Banque postale
La SA Banque Postale fait valoir que par un acte signé le 7 mars 2015, M. [D] a unilatéralement renoncé à tout recours à son encontre.
A ce titre, il se fonde sur un document manuscrit intitulé ‘ Protocole d’accord entre Banque Postale Assurance (…) et M. [D] [U]’, aux termes duquel :
– la banque s’engage à indemniser M. [D] du sinistre en lui versant une indemnité pour la reconstruction d’une maison neuve et la démolition de la maison sinistrée, une indemnité forfaitaire de 12.000 euros TTC pour l’ensemble du contenu, une indemnité pour la construction d’un hangar en structure métallique, le remboursement des honoraires d’avocat à hauteur de 3.000 euros TTC,
– M. [D] s’engage ‘à donner exclusivité à M. [M], expert mandaté par la banque postale, pour le chiffrage des dommages bâtiment (reconstruction maison neuve, démolition bâtiment existant, construction hangar métallique), à ne pas faire de recours contre la Banque Postale Assurance, à cesser toute action en justice et mettre un terme à la mission du cabinet Chudziak et Associés, à mettre un terme à la mission de l’expert d’assuré EXPERTISE 33 et faire son affaire personnelle de cet expert d’assuré’.
Ce document, non daté et signé par le seul M. [D], ne saurait être qualifié d’acte unilatéral de renonciation à recours alors qu’il s’intitule ‘Protocole d’accord entre la Banque postale et M. [D]’, qu’il fait état de concessions réciproques entre les parties et qu’il ne spécifie aucun chiffrage des indemnités portant sur les travaux de démolition et de réparation.
Comme le relèvent justement les intimés, la SA Banque Postale ne saurait valablement exciper d’un projet de protocole non daté et non signé par l’ensemble des parties une seule clause à son bénéfice contenant un renoncement à tout recours de M. [D] à son égard.
Dès lors, c’est à bon droit que le tribunal a retenu que cet acte ne pouvait être considéré comme revêtant la nature d’une transaction ou d’un acte contractuel qui aurait définitivement lié les intéressés en ce qui concerne l’exercice de leurs droits à recours en réparation du préjudice causé par le sinistre.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette fin de non-recevoir et déclaré M. [D] recevable en son action.
Sur la garantie de la Banque Postale
Aux termes de l’article L. 121-13 du code des assurances, ‘les indemnités dues par suite d’assurance contre l’incendie, contre la grêle, contre la mortalité du bétail, ou les autres risques, sont attribuées sans qu’il y ait besoin de délégation expresse, aux créanciers privilégiés ou hypothécaires, suivant leur rang.
Néanmoins, les paiements faits de bonne foi avant opposition sont valables.
Il en est de même des indemnités dues en cas de sinistre par le locataire ou par le voisin, par application des articles 1733 et 1240 du code civil.
En cas d’assurance du risque locatif ou du recours du voisin, l’assureur ne peut payer à un autre que le propriétaire de l’objet loué, le voisin ou le tiers subrogé à leurs droits, tout ou partie de la somme due, tant que lesdits propriétaire, voisin ou tiers subrogé n’ont pas été désintéressés des conséquences du sinistre, jusqu’à concurrence de ladite somme.’
Selon l’article 1733 du code civil, le locataire répond de l’incendie, à moins qu’il ne prouve que l’incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction ou que le feu a été communiqué par une maison voisine.
En vertu de ces dispositions, le propriétaire du fonds incendié dispose donc d’une action directe contre l’assureur sous condition de justifier d’un bail et du contrat d’assurance souscrit par le locataire.
Sur l’existence d’un bail et d’un contrat d’assurance
En l’espèce, la SA Banque Postale, qui ne discute plus en appel de la qualité de propriétaire de M. [D], soutient que la preuve de l’existence d’un bail entre les parties n’est pas rapportée et que la présomption de responsabilité édictée à l’article 1733 ne trouve donc pas à s’appliquer.
Il appartient à [A] [D] et [G] [D], ès qualité d’ayants-droit de [U] [D], qui concluent à l’existence d’un bail verbal conclu avec [S] [J], de rapporter la preuve dudit bail, laquelle peut être faite par tout moyen.
Au soutien de leurs allégations, ils versent aux débats l’audition de [S] [J] devant les gendarmes le 2 janvier 2014 qui évoque ‘l’incendie de mon habitation’, ‘mon domicile’, ‘pour l’instant nous sommes chez notre propriétaire M. [D]’, ainsi que l’audition de [U] [D] devant les gendarmes le 17 janvier 2014 qui indique ‘j’ai décidé de louer cette maison en décembre 2011 à M. [J] [S] (…) Depuis ces deux ans, je n’ai jamais eu un problème avec eux. Sauf certains loyens que des fois il oubliait car ils n’ont jamais un centime (…)’.
Surtout, ils produisent deux quittances de loyers ‘pour la location de la maison située [Adresse 9]’ datées des 5 mars 2012 et 5 décembre 2013 sur lesquelles figurent non seulement la signature de [U] [D] mais aussi celle de M. [J].
Au vu de ces éléments, la qualité de locataire de M. [J] est établie.
Enfin, la SA Banque Postale ne conteste pas l’existence d’un contrat d’assurance habitation souscrit par M. [J] avec prise d’effet au 17 janvier 2012, lequel prévoit la garantie du logement à usage d’habitation servant de résidence principale et notamment les cas de dommages aux biens assurés par un incendie.
Sur les circonstances du sinistre et la présomption de responsabilité du locataire
Si l’article 1733 du code civil édicte une présomption de responsabilité du locataire à raison de l’incendie, cette présomption est renversée en cas de preuve d’un cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction ou que le feu a été communiqué par une maison voisine.
En l’espèce, la SA Banque Postale fait valoir le caractère volontaire de l’incendie constitutif d’un cas de force majeure excluant l’application de l’article 1733 du code civil et s’appuie à ce titre sur les conclusions de l’expert [P] qui, dans son rapport du 16 janvier 2014, indique que:
‘La seule hypothèse possible est celle d’un incendie d’origine volontaire dont les principales caractéristiques sont les suivantes :
* possibilité d’intrusion sans effraction dans le logement en traversant la grange puis l’atelier libres d’accès puis ouverture de la porte entre l’atelier et la circulation du logement puisque sa serrure est retrouvée en position non verrouillée,
* l’incendie survient en pleine nuit alors que les occupants sont partis réveillonner à l’extérieur en compagnie de M. [D], propriétaire du logement sinistré et propriétaire occupant de la maison d’habitation la plus proche,
* l’incendie est issu d’au moins 3 foyers localisés dans la cuisine, la salle à manger et la chambre,
* la destruction ponctuelle du parquet de la chambre indique vraisemblablement l’épandage d’un liquide inflammable au sol,
* les résultats d’anlayse ne mettent en évidence aucune trace d’accélérant mais l’ampleur des destructions est telle qu’une combustion complète de l’éventuel accélérateur utilisé est tout à fait envisageable.
En conclusion, l’incendie qui détruisit dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier 2014 la maison sise [Adresse 3] est d’origine volontaire’
Cependant, il est constant que le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire, même réalisée en présence de l’ensemble des parties.
Or, en l’espèce, les conclusions de l’expert mandaté par la SA Banque Postale ne sont corroborées par aucun autre élément du dossier.
En effet, comme le souligne justement le premier juge, si dans son audition, M. [J] a clairement porté des soupçons sur M. [K] avec qui il avait un différend, l’enquête diligentée par la gendarmerie n’a pas permis d’incriminer ce tiers, dont l’analyse des déclenchements de relais de son téléphone portable n’a pas permis d’établir qu’il se situait à proximité des lieux au moment de l’incendie, le procureur de la République ayant par décision du 14 mars 2014 classé sans suite la procédure au motif ‘auteur inconnu’.
Il ressort en outre du compte-rendu du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de la Gironde en date du 29 janvier 2014 que l’origine de l’incendie est ‘inconnue’, étant précisé qu’aucune trace d’accélérant n’a été trouvée sur place.
Par ailleurs, l’hypothèse d’un départ de feu depuis 3 foyers localisés n’est étayée par aucun autre élément alors qu’il ressort de l’enquête que M. [J] a déclaré avoir allumé la cheminée dès 6h du matin et l’avoir régulièrement alimentée jusqu’à son départ vers 19h, que plusieurs témoins ont affirmé que M. [J] avait continué de ‘charger le feu’ jusqu’à avant son départ lequel avait continué de se consumer, alors que la cheminée était dépourvue de tout dispositif de protection (absence de pare-feu) et que l’expert amiable n’a pas totalement exclu l’hypothèse d’un éventuel brandon incandescent projeté sur un objet environnant.
Au regard de l’ensemble des éléments, c’est à bon droit que faute de preuve d’un cas fortuit ou d’une force majeure, le tribunal a retenu que le locataire était tenu de répondre des conséquences dommageables de l’incendie en application de l’article 1733 précité.
Sur la limitation du droit à indemnisation en application de l’article 1734 du code civil
Aux termes de l’article 1734 du code civil, s’il y a plusieurs locataires, tous sont responsables de l’incendie, proportionnellement à la valeur locative de la partie de l’immeuble qu’ils occupent ; à moins qu’ils ne prouvent que l’incendie a commencé dans l’habitation de l’un d’eux, auquel cas celui-là seul en est tenu ; ou que quelques-uns ne prouvent que l’incendie n’a pu commencer chez eux, auquel cas ceux-là n’en sont pas tenus.
Il est constant que pour que les dispositions de l’ article 1734 soient, en cas d’incendie, applicables au bailleur, il faut que celui-ci ait sur une partie de l’immeuble une jouissance assimilable à celle d’un locataire.
Or, en l’espèce, s’il n’est pas contesté que M. [D] s’était réservé une pièce pour stocker des meubles, il n’est pas établi ni même allégué qu’il vivait dans cette partie de l’immeuble, laquelle, située au coeur de l’habitation occupée par M. [J], n’était au demeurant accessible que si ce dernier lui permettait d’entrer.
Faute de démontrer que M. [D] avait sur une partie de l’immeuble incendié une jouissance assimilable à celle d’un locataire, les dispositions de l’article 1734 ne s’appliquent pas.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il retient qu’aucune limitation d’indemnisation ne peut être opposée à ce titre à M. [D].
Sur le droit à indemnisation du dommage subi dans la grange
En application des dispositions de l’article 1242 alinéa 2 du code civil, celui qui détient à un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable.
Il est constant que pour l’application de l’article précité, doit être établie l’existence d’une faute et d’un lien de causalité entre la faute imputée au détenteur du bien et l’incendie.
En l’espèce, il est acquis que M. [D] était propriétaire d’une grange attenante au logement occupé par M. [J] et que cette grange ne faisait pas partie du bail d’habitation.
Il n’est pas contesté que cette grange a subi des dégâts matériels du fait de l’incendie survenu dans la nuit du 31 décembre 2013 au 1er janvier 2014 et qui a pris naissance dans le logement occupé par M. [J].
Si les intimés reprochent à M. [J] de n’avoir pas verrouillé la porte séparant l’atelier et le couloir de l’habitation et de n’avoir pas pris la précaution d’éteindre le feu de cheminée alors qu’il quittait le logement, il n’est pas démontré que ces fautes sont à l’origine de l’incendie, laquelle est demeurée inconnue.
En conséquence, c’est à tort que le premier juge a retenu que la responsabilité délictuelle de M. [J] était engagée à ce titre et il convient de dire que ce dernier n’est pas tenu à indemniser les dommages matériels survenus dans la grange appartenant à M. [D]. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur l’évaluation du préjudice de M. [D]
Selon le rapport d’expertise judiciaire établi le 16 avril 2018, M. [R], expert, constate, s’agissant de la maison, que le mur en pierre de taille a été partiellement détruit ainsi que les murs périphériques, que les cloisons et pans de bois sont dangereux et présentent des risques d’effondrement, qu’il n’existe plus de charpente ni de toiture, que les parements, revêtements et menuiseries ont été incendiés et que les sols sont inutilisables. Concernant la grange, il relève que la charpente et la couverture présentent des risques d’effondrement et que les murs périphériques en maçonnerie semblent être dans leur état originel. Il conclut que le bâtiment existant présente des désordres structurels trop importants pour être conservés et qu’une démolition est inévitable. Proposant une reconstruction à l’identique et se basant sur l’étude de faisabilité et le chiffrage de Mme [T] [X], architecte du patrimoine mandatée par M. [D], il retient une base d’évaluation d’un montant de 490.775,81 euros TTC comprenant :
– la démolition de la maison et de la grange : 12.600 euros TTC
– la reconstruction à l’identique de la maison : 290.729,28 euros TTC
– la reconstruction à l’identique de la grange : 127.644,93 euros TTC
– la maîtrise d’oeuvre et le suivi des travaux : 55.491,85 euros TTC
– l’assurance dommage ouvrage : 4.309,75 euros TTC.
Si, en appel, la SA Banque Postale ne soulève plus la nullité du rapport d’expertise de M. [R], elle maintient ses critiques à l’égard de l’expert à qui elle reproche d’avoir manqué à son devoir d’impartialité, de n’avoir pas rempli personnellement la mission qui lui a été confiée en s’adjoignant implicitement les services d’un sapiteur sans soumettre cette demande au principe du contradictoire et d’avoir, alors qu’il disposait de l’ensemble des éléments nécessaires pour mener à bien sa mission, retardé le dépôt de son rapport uniquement pour permettre à M. [D] de chiffrer a maxima ses prétendus préjudices.
Outre le fait qu’il n’est pas allégué que la SA Banque Postale ait saisi le juge chargé du contrôle des expertises d’une quelconque difficulté relative à l’attitude de l’expert et au non respect de sa mission, il convient de relever que l’expertise judiciaire a répondu à l’ensemble des questions qui lui avait été posées et a mis en mesure les parties de s’expliquer sur les points litigieux.
Contrairement à ce qu’affirme l’appelante, l’expert a personnellement rempli la mission qui lui a été confiée et n’a pas fait appel à un sapiteur.
En réalité, le grief émis à l’encontre de l’expert est d’avoir retenu l’évaluation faite par Mme [T] [X], architecte mandatée par M. [D], au lieu et place de l’évaluation proposée par les entreprises sollicitées par la SA Banque Postale. Celle-ci conteste en effet le chiffrage retenu par l’expert, considérant que cette estimation ne repose sur aucune consultation technique de devis fournis par des entreprises locales et que l’expert n’explique pas pourquoi il n’a pas retenu les devis fournis par elle.
Or, dans un dire du 23 février 2018, la SA Banque Postale avait fait part de ses remarques à l’expert lequel y a répondu comme suit : ‘A ce jour, nous sommes toujours dans l’attente d’un engagement ferme d’un maître d’oeuvre sur le montant des travaux de reconstruction qui permettrait de valider en partie cette proposition mais qui resterait à ce jour incomplète (assurance, engagement d’un maître d’oeuvre etc…). La proposition du cabinet EC1 situé au [Localité 8] d’Or hors région Aquitaine en réponse à l’appel d’offre ne peut être acceptée étant considéré comme largement sous-estimée par certaines entreprises locales non retenues pour le lot en question.
Les propositions du demandeur, réalisées par un architecte du patrimoine de [Localité 6] (Mme [T] [X]) est tout à fait recevable et réaliste étant complète, prenant en compte dans la reconstruction à l’identique les spécificités des éléments et modénatures architecturaux des immeubles (maison et grange) détruits par l’incendie, ainsi que les différents diagnostics obligatoires, les études préalables, assurances, maitrise d’oeuvre etc…, éléments absents dans les propositions du défendeur ce qui explique en grande partie la plue-value entre les deux propositions.’
En outre, c’est par de justes motifs qu’il convient d’adopter que le premier juge a relevé que s’il était exact que l’étude de faisabilité de Mme [T] [X] ne reposait sur aucun devis, l’expert rappelait qu’exerçant dans le ressort libournais depuis 1986, elle disposait de l’expérience et de la compétence lui permettant d’estimer le montant réel des travaux sur des projets ayant des particularités de mise en oeuvre comme celui-ci.
Enfin, il est faux d’affirmer que l’expert judiciaire n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles il écartait les devis fournis par la SA Banque Postale alors qu’il relève que certaines entreprises n’étaient pas inscrites dans le domaine d’activité correspondant au lot pour lequel elles ont répondu, que des postes sont manquants sur certains lots, que plusieurs entreprises n’ont jamais adressé leurs attestations d’assurance permettant de garantir les travaux, que le montant des honoraires de maîtrise d’oeuvre de l’architecte Mme [L] ne pouvait être pris en compte dans la mesure où cette dernière n’avait pas chiffré des postes obligatoires (étude des sols, l’étude thermique…)
Au regard de l’ensemble de ces éléments, c’est à juste titre que le tribunal a validé le chiffrage proposé par l’expert sur la base de l’estimation fournie par Mme [T] [X] qui, bien que ne reposant effectivement pas sur des devis, apparaît plus complet que les devis communiqués par le cabinet EC1.
Déduction faite des travaux de démolition et de reconstruction de la grange dont il a été vu ci-avant que M. [J] n’était pas responsable, le préjudice matériel de M. [D] sera fixé à la somme de 357.530,88 euros.
L’existence du préjudice de jouissance de M. [D], qui n’a pas pu louer la maison incendiée pendant plusieurs mois, n’est pas contestable, étant ajouté que contrairement à ce que prétend la SA Banque Postale, la longueur des opérations d’expertise ne peut lui être imputée. C’est par une juste appréciation que le premier juge a évalué ledit préjudice à la somme de 20.300 euros.
S’agissant en revanche du préjudice de jouissance au titre de la grange, il convient de débouter M. [D] de sa demande en ce sens, compte tenu des motifs ci-avant développés.
Conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil, les indemnités précitées porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement de première instance.
Enfin, compte tenu du fait que l’expert judiciaire a invité les parties à proposer des chiffrages et retenu celui de Mme [T] [X], il convient de condamner la Banque Postale à prendre en charge les frais d’architecte de cette dernière à hauteur de 6.000 euros.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
Les parties obtenant partiellement gain de cause en l’espèce, chacune conservera la charge des dépens par elle exposés.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
En l’espèce, il n’y a pas lieu à condamnation sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Déclare irrecevables les conclusions déposées le 23 juin 2022 par [A] et [G] [D],
Infirme partiellement le jugement en ce qu’il a
– condamné la SA Banque Postale à verser à [U] [D] représenté par [A] [D] en sa qualité de tuteur les sommes de 490.775,81 euros TTC au titre des travaux de reconstruction de la maison et de la grange incendiées sises [Adresse 1] et 23.200 euros au titre du préjudice de jouissance,
– rejeté la demande de [U] [D] représenté par [A] [D] en sa qualité de tuteur au titre de la prise en charge des frais d’architecte,
Statuant de nouveau dans cette limite,
Condamne la SA Banque Postale à payer à [A] et [G] [D], ès qualité d’ayants-droit de [U] [D], les sommes de :
– 357.530,88 euros au titre des travaux de démolition et de reconstruction de la maison sise [Adresse 1],
– 20.300 euros au titre du préjudice de jouissance,
– 6.000 euros au titre des frais d’architecte,
Déboute [A] et [G] [D], ès qualité d’ayants-droit de [U] [D] de leurs demandes d’indemnisation au titre de la grange,
Confirme le jugement pour le surplus,
Y ajoutant,
Dit n’y avoir lieu à condamnation au titre des frais irrépétibles d’appel,
Laisse à la charge de chaque partie les dépens d’appel par elle exposés,
Déboute les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Séléna BONNET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier,Le Président,