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N° RG 21/06789
N° Portalis DBVX-V-B7F-N2I5
Décision du
Tribunal d’Instance de MONTBRISON
Au fond
du 21 mai 2021
RG : 1120000312
[P]
[P]
C/
[W]
[W]
[W]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRÊT DU 21 SEPTEMBRE 2022
APPELANTS :
[C] [P]
[Adresse 1]
[Localité 9]
M. [K] [P]
[Adresse 1]
[Localité 9]
(bénéficient d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/023218 du 19/08/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de LYON)
Représentés par Me Catherine BOUCHET de la SELARL BASSET-BOUCHET-HANGEL, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
INTIMÉS :
Mme [J] [W] épouse née [Z]
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES – LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938
Assistée par Me Vérane BOIVIN de la SELARL RUDENT-BOIVIN, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE, toque : 57
M. [O] [W]
[Adresse 2]
[Localité 8]
M. [Y] [W]
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentés par Me Sophie PECCHINI, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
******
Date de clôture de l’instruction : 09 Mai 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 13 Juin 2022
Date de mise à disposition : 21 Septembre 2022
Audience présidée par Christine SAUNIER-RUELLAN, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de William BOUKADIA, greffier.
Composition de la Cour lors du délibéré :
– Christine SAUNIER-RUELLAN, président
– Karen STELLA, conseiller
– Véronique MASSON-BESSOU, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Karen STELLA, conseiller, en application de l’article 456 du code de procédure civile, le président étant empêché, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
*****
Madame [J] [W] née [Z] est usufruitière du bien immobilier situé [Adresse 3], tandis que messieurs [O] et [Y] [W] sont nus-propriétaires de ce bien mis à la location par madame [W] depuis le 21 novembre 2017 au profit de madame [C] [P] pour un loyer mensuel de 470 euros.
Courant juin 2019 de violents orages auraient endommagé la façade et l’intérieur de ce logement.
Tenant le péril imminent qu’entretenaient ces désordres pour les habitants de la commune, une mesure d’expertise était ordonnée par le tribunal administratif de Lyon.
Un rapport d’expertise a été rendu le 21 avril 2020 qui indique les travaux nécessaires à la remise en état du bien immobilier.
Par exploit d’huissier de justice en date du 27 octobre 2020, madame [C] [P] et monsieur [K] [P], occupants des lieux mais non locataires, engageaient une procédure judiciaire aux fins de solliciter des dommages et intérêts au titre des préjudices suivants :
un préjudice de jouissance,
un préjudice moral,
un préjudice matériel,
un préjudice professionnel.
Les nus-propriétaires [O] et [Y] [W] étaient appelés dans la cause.
Suivant jugement du 21 mai 2021, le tribunal de Proximité de MONTBRISON a :
Dit que monsieur [K] [P] avait qualité pour agir en qualité d’époux de madame [C] [P],
Déclaré irrecevables les demandes formées à l’encontre de monsieur [O] [W] et monsieur [Y] [W], tiers au contrat de location,
Dit que le logement loué par madame [C] [P] est déclaré insalubre à compter du 31 décembre 2019 et que la responsabilité des dégradations constatées est partagée entre le bailleur et le preneur,
Dit que le montant du loyer à régler pour le logement loué à madame [C] [P], compte tenu des dégâts provoqués par les orages depuis juin 2019, devait être fixé au montant restant à la charge des locataires après conservation de l’aide de la caisse d’allocations familiales par cet organisme et ce, jusqu’au 31 décembre 2020,
Condamné ainsi solidairement madame [C] [P] et monsieur [K] [P] à payer à madame [J] [W] la somme de 2.095 euros au titre des arriérés de loyer concernant les années 2018, 2019 et 2020,
Débouté ainsi madame [C] [P] de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice de jouissance,
Débouté madame [C] [P] de sa demande au titre de son préjudice matériel relatif à l’achat d’un ordinateur portable,
Débouté madame [C] [P] et monsieur [K] [P] de leur demande au titre du préjudice moral,
Débouté monsieur [K] [P] de sa demande au titre du préjudice moral lié à la dégradation de son véhicule,
Débouté monsieur [K] [P] de sa demande au titre du préjudice professionnel,
Débouté madame [J] [W] de sa demande de dommages et intérêts pour défaut d’assurance ayant engendré le défaut d’entretien du bien loué et l’absence de prise en charge du sinistre dégâts des eaux,
Débouté madame [C] [W] de sa demande au titre de la perte de chance de vendre son bien immobilier mitoyen aux locaux loués,
Rejeté toutes les autres demandes des parties,
Condamné solidairement madame [C] [P], monsieur [K] [P] et madame [J] [W] à payer à monsieur [O] [W] et monsieur [Y] [W] la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Les époux [P] ont relevé appel de ce jugement en ce qu’il a :
déclaré irrecevables les demandes formées à l’encontre de monsieur [O] [W] et monsieur [Y] [W], tiers au contrat de location,
dit que le logement loué par madame [C] [P] est déclaré insalubre à compter du 31 décembre 2019 et que la responsabilité des dégradations constatées est partagée entre le bailleur et le preneur,
dit que le montant du loyer à régler pour le logement loué à madame [C] [P], compte tenu des dégâts provoqués par les orages depuis juin 2019, devait être fixé au montant restant à la charge des locataires après conservation de l’aide de la caisse d’allocations familiales par cet organisme et ce jusqu’au 31 décembre 2020,
débouté ainsi les époux [P] de leurs demandes de dommages et intérêts.
Par voie de conséquence il y aurait lieu de dire et juger :
que le bien immobilier situé [Adresse 3], bien donné en location à madame [C] [P], constitue un logement indécent au sens des dispositions légales ;
que madame [J] [W], monsieur [O] [W] et monsieur [Y] [W] n’ont pas respecté leurs obligations légales et contractuelles en tant que propriétaires ;
que madame [J] [W], monsieur [O] [W] et monsieur [Y] [W] sont entièrement responsables des dommages subis par madame [C] [P] et monsieur [K] [P] ;
en conséquence,
condamner in solidum madame [J] [W], monsieur [O] [W] et monsieur [Y] [W] à verser les sommes suivantes :
10.000 euros à leur locataire, madame [C] [P] à titre de dommages et intérêts pour le préjudice de jouissance,
5.000 euros à madame [C] [P] et monsieur [K] [P] au titre de leur préjudice moral,
428,66 euros à madame [C] [P] au titre de son préjudice matériel consécutif à la dégradation de l’ordinateur portable,
1.955 euros à monsieur [K] [P] au titre de son préjudice moral lié à la dégradation de son véhicule automobile,
8.000 euros à monsieur [K] [P] au titre de son préjudice professionnel,
2.500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et les dépens.
A l’opposé madame [J] [Z] veuve [W] demande à la Cour de confirmer le jugement du 21 mai 2021 en ce qu’il a :
Rejeté les demandes de madame [P] au titre de ses préjudices moral, matériel, et de jouissance,
Rejeté les demandes de monsieur [P] au titre de ses préjudices moral, matériel et professionnel,
Condamné madame [P] et monsieur [P] au paiement des entiers dépens d’instance.
Il y aurait lieu par contre de réformer le jugement du 21 mai 2021 en ce qu’il a :
Dit que monsieur [P] avait qualité pour agir en qualité d’époux de madame [P],
Déclaré irrecevables les demandes formées à l’encontre de messieurs [O] et [Y] [W],
Débouté madame [W] de sa demande en dommages et intérêts pour perte de chance de vendre son bien,
Condamné madame [P] et monsieur [P] à régler la somme de 2.095 euros au titre des arriérés de loyers sur les années 2018, 2019 et 2020,
Condamné madame [W] au paiement de la somme de 1.000 euros solidairement avec madame [P] et monsieur [P] au profit de messieurs [O] et [P] [W] au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il est donc demandé après réformation partielle de :
Déclarer irrecevable les demandes de monsieur [K] [P] pour défaut de qualité,
Rejeter la demande de mise hors de cause de Messieurs [O] et [Y] [W],
Condamner madame [P] et monsieur [P] solidairement au paiement de la somme de 8.889 euros au titre des loyers impayés de 2018 à 2020 et sur l’absence de restitution des clefs des locaux loués,
Condamner madame [P] et monsieur [P] solidairement au paiement de la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance selon l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner madame [P] et monsieur [P] solidairement au paiement de la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel selon l’article 700 du code de procédure civile,
Rejeter les demandes de messieurs [O] et [Y] [W] et madame [P] et monsieur [P] formées à l’encontre de madame [W] au titre des frais irrépétibles et des dépens d’instance en première instance et en appel.
Pour ce qui les concerne, messieurs [O] et [Y] [W] concluent à la confirmation du jugement déféré qui déclare irrecevables les demandes formées à leur encontre, tiers qu’ils sont au contrat de location.
En tout état de cause il conviendrait pour la Cour de :
Débouter madame [C] [P] de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice de jouissance,
Débouter madame [C] [P] et de Monsieur [K] [P] de leur demande de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral,
Débouter madame [C] [P] de sa demande au titre de son préjudice matériel relatif à l’achat d’un ordinateur portable,
Débouter monsieur [K] [P] de sa demande au titre du préjudice moral et de celui lié à la dégradation de son véhicule,
Débouter monsieur [K] [P] de sa demande au titre de son préjudice professionnel.
En tout état de cause, il y aurait lieu :
de condamner solidairement madame [C] [P], monsieur [K] [P] et madame [J] [W] à régler à monsieur [Y] [W] et monsieur [O] [W] à la somme de 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile outre la somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en première instance,
de condamner solidairement madame [C] [P], monsieur [K] [P] et madame [J] [W] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
SUR QUOI LA COUR
Il est constant en droit sur le fondement des dispositions de l’article 605 du code civil que si ordinairement l’usufruitier n’est tenu qu’aux réparations d’entretien alors que les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire, la charge s’inverse lorsque le bien est mis en location par l’usufruitier.
Dans ce cas, c’est l’usufruitier qui assume le rôle et les obligations d’un propriétaire classique disposant de l’usus, fructus et de l’abusus, car le nu-propriétaire est un tiers dans cette relation bailleur/locataire. Ainsi l’usufruitier-bailleur endosse les mêmes responsabilités qu’une personne en pleine propriété. Il est tenu non seulement les dépenses d’entretien du bail mais également des grosses réparations qui ne sont plus à la charge du nu-propriétaire, celles-ci devant être supportées par l’usufruitier-bailleur.
Dans ces conditions, l’usufruitier qui consent un bail est tenu de toutes les obligations du bailleur à l’égard de son locataire.
En l’espèce, les frères [Y] et [O] [W] qui sont totalement étrangers à cette mise en location du bien au profit de madame [P] ne peuvent avoir aucune part de responsabilité dans la survenance de désordres liés à cette mise en location. Seule madame [W] doit répondre des conséquences dommageables des désordres causés à la locataire du fait d’un défaut d’entretien de l’immeuble par manque de grosses réparations.
Le jugement déféré qui met hors de cause les frères [Y] et [O] [W] est confirmé.
S’agissant des demandes en indemnisation formulées par monsieur [K] [P] concernant ses propres dommages, il est avéré que madame [P], seule signataire du bail, ne justifie d’aucune union maritale avec monsieur [P], permettant l’application de la présomption de communauté de vie prévue à l’article 215 du code civil ou d’une cotitularité du bail d’habitation. Il n’a aucune qualité de locataire à faire reconnaître et, de plus, s’agissant d’un bail à usage exclusif d’habitation, il est mal fondé à se plaindre de n’avoir pu y exercer son activité professionnelle de lavage de voiture du fait des désordres affectant l’immeuble.
S’agissant des demandes d’indemnisation formulées par madame [P] au titre de l’indécence du logement, il est constant en droit que selon les dispositions de l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989, le bailleur est tenu de remettre aux locataires un logement décent, ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, répondant à un critère de performance énergétique minimal et doté des éléments rendant conformes à l’usage d’habitation.
Sur cette base, l’article 2 du décret du 30 janvier 2002 dit bien que le logement loué doit assurer le clos et le couvert à ses preneurs avec un gros oeuvre protégeant les locaux des eaux de ruissellement.
En l’espèce, le rapport de l’expert judiciaire a permis de mettre en évidence l’indécence de ce logement du fait des lézardes affectant les murs en façade et permettant la pénétration des eaux de ruissellement à l’intérieur du logement. L’expert a encore constaté une porte d’entrée bloquée par l’humidité, des parquets moisis et affaissés, des infiltrations d’eau de pluie à proximité du tableau électrique et des descentes d’eau pluviale inexistantes.
L’expert a conclu que l’origine des infiltrations résulte d’une mauvaise rénovation du bien immobilier, que le logement doit être déclaré impropre à sa destination et en état de péril grave et imminent. Il était alors préconisé des mesures immédiates et des travaux permettant de garantir la sécurité des occupants.
Dans le même temps, si le sinistre par dégâts des eaux est apparu en juin 2019 madame [P] n’a réalisé sa déclaration de sinistre qu’en septembre 2019, soit 3 mois après l’apparition du dégât des eaux.
Il se déduit de ce constat, en l’absence de la production d’un contrat, que madame [P] n’avait pas souscrit d’assurance pour sa situation de locataire du logement à la date du sinistre, soit en juin 2019 alors qu’elle a l’obligation légale et contractuelle de le faire dès son entrée dans les lieux par application des dispositions de l’article 7g de la loi du 6 juillet 1989.
Un tel laps de temps entre le moment du sinistre et sa déclaration à l’assurance n’a pu qu’entraîner une aggravation de la situation, ce d’autant que la locataire a refusé l’entrée dans ce logement par l’expert de l’assurance des nus-propriétaires.
Incontestablement, les atermoiements de la locataire qui relèvent d’un défaut d’entretien lui incombant ès qualité ont participé à la dégradation des lieux.
A bon droit, le premier juge a pu en déduire que ce manque d’entretien est au moins pour une large part à imputer au locataire qui n’a jamais tenu informé madame [W] des infiltrations d’eau notamment à compter du mois de juin 2019 et n’a produit aucun justificatif relatif à la prise en charge des dégâts par son assurance qui pourtant comprend, sur les avis d’échéance joints expressément, le dégât des eaux.
Suivant un raisonnement que la Cour adopte, le tribunal a considéré que tenant l’état d’indécence de ce logement, seules les sommes reconnues comme dues par la locataire au titre des loyers devaient être mises à la charge de madame [P] laquelle du fait du partage de responsabilité dans la survenance de ce sinistre ne pouvait prétendre à une indemnisation au titre d’un préjudice de jouissance.
A bon droit encore, le premier juge a refusé toute indemnisation au profit de monsieur [P] pour ce qui concerne la perte d’un ordinateur, des dommages causés à son véhicule et un préjudice professionnel.
Il en est de même en ce qui concerne un prétendu préjudice par perte de chance pour madame [W] de vendre un bien jouxtant l’appartement anciennement loué à madame [P] et le préjudice allégué lié à un défaut d’assurance de ce logement.
Il y a lieu en définitive de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf à substituer des condamnations in solidum aux condamnations solidaires prononcées sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance, la solidarité ne se présument point et devant être prévue de manière expresse. Ainsi, l’équité commande de condamner in solidum madame [C] [P], monsieur [K] [P] et madame [J] [W] à régler à monsieur [Y] [W] et monsieur [O] [W] la somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel en sus de la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile prononcée en première instance et de condamner in solidum madame [C] [P], Monsieur [K] [P] et madame [J] [W] aux entiers dépens d’appel en sus de ceux de première instance.
PAR CES MOTIFS
Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré sauf à préciser que les condamnations aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance sont in solidum et non solidaires,
Y ajoutant,
Condamne in solidum madame [C] [P], monsieur [K] [P] et madame [J] [W] à régler à monsieur [Y] [W] et monsieur [O] [W] à la somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel,
Condamne in solidum madame [C] [P], monsieur [K] [P] et madame [J] [W] aux entiers dépens d’appel.
Rappelle que pour les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, les frais et dépens seront recouvrés comme en matière d’aide juridictionnelle.
LE GREFFIER KAREN STELLA, CONSEILLER, POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ