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COUR D’APPEL
D’ANGERS
CHAMBRE A – CIVILE
CM/IM
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 21/00075 – N° Portalis DBVP-V-B7F-EYFQ
Jugement du 17 Décembre 2020
Tribunal de proximité de La Flèche
n° d’inscription au RG de première instance 11-20-129
ARRET DU 20 SEPTEMBRE 2022
APPELANTS :
Monsieur [A] [W]
né le 13 Novembre 1961 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Madame [O] [Z] épouse [W]
née le 22 Avril 1966 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentés par Me Etienne BONNIN, avocat au barreau du MANS
INTIMEE :
SCI [Adresse 2] agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié ès qualités audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Jean DENIS de la SELAFA CHAINTRIER AVOCATS, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 21.10569, et Me Karl Fredrik SKOG, avocat plaidant au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue publiquement à l’audience du 04 Avril 2022 à 14 H 00, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame MULLER, Conseiller faisant fonction de Président, qui a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame MULLER, Conseiller faisant fonction de Président
Monsieur BRISQUET, Conseiller
Mme ELYAHYIOUI, Vice-présidente placée
Greffière lors des débats : Madame LEVEUF
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 20 septembre 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MULLER, Conseiller faisant fonction de Président et par Christine LEVEUF, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Exposé du litige
Par acte sous seing privé en date du 14 août 2008, M. [A] [W] et Mme [O] [Z] ont reçu à bail d’habitation pour une durée de trois ans à compter du 1er septembre 2008 et moyennant un loyer mensuel de 600 euros indexé un logement situé [Adresse 3].
Par acte authentique en date du 7 juillet 2014, l’entière propriété de [Adresse 3] dont dépend ce logement a été vendue à la SCI [Adresse 2] initialement constituée entre M. [C] [I], sa fille Mme [H] [I], qui a reçu donation des parts de son père en juin 2014 et a été nommée gérante, et l’époux de celle-ci, M. [K] [L], lequel a cédé deux de ses parts à sa belle-mère Mme [F] [R] divorcée [I] selon acte sous seing privé daté du 19 février 2020.
Par lettres recommandées avec demandes d’avis de réception en date du 21 février 2020, complétées par l’envoi le 26 février 2020 sous la même forme des notices d’information, la SCI [Adresse 2] a, sur le fondement de I’article 15 I de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, délivré aux locataires un congé avec préavis de six mois expirant le 31 août 2020 à minuit, congé motivé par la reprise du logement pour y loger Mme [R], alors âgée de 78 ans et demeurant à Pavillons-sous-Bois (93).
Les locataires ayant contesté le congé par courrier en date du 17 avril 2020 et refusé de quitter les lieux, la bailleresse les a fait assigner le 29 septembre 2020 devant le tribunal de proximité de La Flèche afin d’obtenir la validation du congé pour reprise, l’expuIsion sans délai des locataires et de tous occupants de leur chef, au besoin avec le concours de la force publique et d’un serrurier requis, l’autorisation, si nécessaire, de transporter les meubles et objets mobiliers garnissant les locaux et le paiement solidaire d’une indemnité d’occupation égale au montant du loyer exigible en vertu du bail résilié, éventuellement révisé, soit actuellement 639,61 euros, jusqu’à libération effective des lieux, ainsi que de la somme de 3 000 euros sur le fondement de I’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par jugement en date du 17 décembre 2020, le tribunal a :
– validé le congé pour reprise délivré pour le 1er septembre 2020 par la SCI [Adresse 2] à l’encontre des époux [W] [Z] sur le logement situé [Adresse 3]
– ordonné que, dans les délais légaux, les époux [W] [Z] devront libérer les lieux loués de corps et biens et de tous occupants de leur chef
– ordonné, dès à présent, à défaut de départ volontaire, leur expulsion et celle de tous occupants de leur chef, dans les délais et selon les modalités prévus par la loi, notamment avec au besoin l’assistance de la force publique et d’un serrurier requis
– rappelé qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le sort des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux loués
– condamné solidairement les époux [W] [Z] à payer à la SCI [Adresse 2] une indemnité d’occupation mensuelle provisionnelle, compensant l’occupation du logement loué, égale au montant du loyer en cours de 639,61 euros, sans indexation, jusqu’à libération effective des lieux
– rappelé que l’exécution provisoire s’exerce de plein droit
– condamné in solidum les époux [W] [Z] à payer à la SCI [Adresse 2] une indemnité de 900 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de l’instance prévus par l’article 696 du même code.
Suivant déclaration en date du 12 janvier 2021, M. [W] et son épouse Mme [Z] ont relevé appel de ce jugement en ce qu’il a validé le congé pour reprise, a ordonné la libération des lieux et, à défaut, leur expulsion et les a condamnés solidairement au paiement d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, intimant la SCI [Adresse 2].
Ils ont conclu le 7 avril 2021 puis fait assigner l’intimée qui a conclu le 30 juin 2021, avant de recevoir du greffe le 13 janvier 2022 l’avis de fixation à bref délai en application de l’article 905 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 2 mars 2022.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application de l’article 455 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions, à savoir les conclusions récapitulatives en date du 25 février 2022 pour les appelants et les conclusions en date du 30 juin 2021 pour l’intimée, qui peuvent se résumer comme suit.
Les époux [W] [Z] demandent à la cour, infirmant le jugement entrepris en toutes ses dispositions, au visa de la loi du 6 juillet 1989, de dire que la qualité d’associé du bénéficiaire de la reprise du logement litigieux n’est pas opposable aux tiers à la date de la notification du congé litigieux, de prononcer en conséquence la nullité du congé pour reprise qui leur a été notifié les 21 et 26 février 2020 et de condamner la SCI [Adresse 2] au paiement d’une indemnité de 4 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Ils font valoir que, si l’article 15 I de la loi du 6 juillet 1989 peut bénéficier à un associé personne physique d’une SCI à caractère familial bailleresse, l’acte sous seing privé de cession de parts sociales n’était pas publié au registre du commerce et des sociétés au 21 février 2020, date de notification du congé pour reprise à laquelle s’apprécient ses conditions de validité, de sorte que la qualité d’associé du bénéficiaire de la reprise n’était pas opposable aux tiers à cette date, la mise à jour des statuts consécutive à la cession ne pouvant suppléer la publicité requise pour cette opposabilité, et que le congé est entaché d’irrégularité.
La SCI [Adresse 2] demande à la cour de débouter les époux [W] [Z] de l’ensemble de leurs demandes, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, y ajoutant, de condamner in solidum les époux [W] [Z] à lui payer la somme de 4 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL DMT, avocats au barreau d’Angers, en application de l’article 699 du même code.
Elle soutient que l’article 13 de la loi du 6 juillet 1989 qui autorise, lorsque le bailleur est une société civile de famille, la délivrance d’un congé pour reprise au profit d’un associé dans les conditions de l’article 15 de cette loi exige seulement que le bénéficiaire du congé soit, comme en l’espèce, associé au moment de la délivrance du congé et ne subordonne pas la validité du congé à la publication, à cette date, des statuts de la société, desquels ne résulte pas juridiquement la qualité d’associé, et qu’il importe peu que, dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire, l’acte de cession de parts sociales n’ait été publié que le 19 août 2020 car le litige ne porte pas sur l’opposabilité de cession.
Elle en déduit que, face à l’impérieuse nécessité de reloger Mme [R], veuve, âgée de 80 ans et de santé déficiente, près de sa fille, le jugement ne pourra qu’être confirmé.
Sur ce,
Comme l’a exactement relevé le premier juge, les dispositions de l’article 15 I de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, qui permettent au bailleur de donner à son locataire un congé justifié par sa décision de reprendre ou de vendre le logement avec un délai de préavis de six mois, congé qui, à peine de nullité, doit indiquer le motif allégué et, en cas de reprise, les nom et adresse du bénéficiaire de la reprise ainsi que la nature du lien existant entre le bailleur et le bénéficiaire, lequel ne peut être que le bailleur lui-même ou l’un de ses proches limitativement énumérés, peuvent être invoquées, lorsque le bailleur est une société civile constituée exclusivement entre parents et alliés jusqu’au quatrième degré, par la société au profit de l’un de ses associés en vertu de l’article 13 a) de cette loi.
Il n’est pas contesté que la SCI [Adresse 2], bailleresse, est une société civile de famille au sens de ce texte ni que le congé pour reprise qu’elle a délivré le 21 février 2020 aux locataires satisfait aux conditions de forme et de délai exigées.
Seule fait débat la qualité d’associée de la bénéficiaire Mme [R] à la date du congé, en l’état de la cession de deux parts sociales détenues par son gendre intervenue à son profit aux termes d’un acte sous seing privé daté du 19 février 2020.
L’article 1865 du code civil applicable aux sociétés civiles dispose, en son alinéa 1er, que la cession de parts sociales doit être constatée par écrit et qu’elle est rendue opposable à la société dans les formes prévues par l’article 1690, ou, si les statuts le stipulent, par transfert sur les registres de la société et, en son alinéa 2, qu’elle n’est opposable aux tiers qu’après accomplissement de ces formalités et après publication au registre du commerce et des sociétés et que ce dépôt peut être effectué par voie électronique.
Les statuts de la SCI [Adresse 2], qui ne dérogent pas à ce texte, stipulent, au titre des mutations entre vifs :
‘Les cessions de parts doivent être faites par acte authentique ou sous seings privés. Elles ne sont opposables à la société qu’après la signification ou l’acceptation prévue par l’article 1690 du code civil. Elles ne sont opposables aux tiers que lorsqu’elles ont de surcroît été publiées.’
Il résulte de l’article 52 du décret n°78-704 du 3 juillet 1978 que la publicité de la cession de parts prescrite par l’article 1865 du code civil est accomplie par le dépôt, en annexe au registre du commerce et des sociétés, de l’original de l’acte de cession s’il est sous seing privé ou d’une copie authentique s’il est notarié.
Il est également admis que, quand bien même l’acte n’aurait pas fait l’objet d’un dépôt selon ces modalités, la cession est opposable aux tiers si ont été publiés au registre du commerce et des sociétés les statuts de la société faisant apparaître le changement d’associés.
Or la publicité de la cession n’a été effectuée que le 19 août 2020 par dépôt au registre du commerce et des sociétés de l’acte sous seing privé de cession de parts et des statuts mis à jour faisant apparaître le changement d’associés, alors même que l’état d’urgence sanitaire pour faire face à l’épidémie de covid-19 a été déclaré seulement par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 et ne peut donc expliquer entièrement le délai mis pour opérer cette publicité.
La cession n’est ainsi devenue opposable que le 19 août 2020 aux époux [W] [Z] qui sont des tiers à l’acte et dont il n’est pas soutenu qu’ils en auraient eu antérieurement connaissance, le congé n’en disant mot.
Ceux-ci sont donc en droit de considérer que Mme [R] n’avait pas la qualité d’associée à la date de délivrance du congé.
Le congé pour reprise ne peut, dès lors, qu’être annulé, le jugement dont appel étant infirmé.
Partie perdante, la SCI [Adresse 2] supportera les entiers dépens de première instance et d’appel et, en considération de l’équité et de la situation respective des parties, versera aux époux [W] [Z] ensemble la somme de 2 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par ceux-ci en application de l’article 700 1° du code de procédure civile, sans pouvoir bénéficier du même texte.
Par ces motifs,
La cour,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Prononce la nullité du congé pour reprise délivré le 21 février 2020 par la SCI [Adresse 2] aux époux [W] [Z] pour le 1er septembre 2020 concernant le logement situé [Adresse 3].
Dit n’y avoir lieux d’ordonner la libération des lieux par les époux [W] [Z] ni, à défaut de départ volontaire, leur expulsion.
Condamne la SCI [Adresse 2] à payer aux époux [W] [Z] ensemble la somme de 2 500 (deux mille cinq cents) euros en application de l’article 700 1° du code de procédure civile et la déboute de sa demande au même titre.
La condamne aux entiers dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
C. LEVEUF C. MULLER