Bail d’habitation : 17 octobre 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/02837

·

·

Bail d’habitation : 17 octobre 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 20/02837
Ce point juridique est utile ?

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 17 OCTOBRE 2022

N° RG 20/02837 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LULE

Monsieur [D] [R]

c/

S.A. CHATEAU CITRAN MEDOC

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 juillet 2020 (R.G. 2017F00836) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 30 juillet 2020

APPELANT :

Monsieur [D] [R], de nationalité Française, demeurant [Adresse 2] / ITALIE

représenté par Maître Philippe OLHAGARAY de la SELARL DUCOS-ADER / OLHAGARAY & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

S.A. CHATEAU CITRAN MEDOC, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Localité 1]

représentée par Maître Jérôme DELAS de la SELARL ATELIER AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 12 septembre 2022 en audience publique en double rapporteur, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie PIGNON, Président, chargé du rapport et Madame Elisabeth FABRY, Conseiller, composée de :

Madame Nathalie PIGNON, Président,

Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,

Madame Anne Marie CHASSAGNE, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE :

La SA Château Citran-medoc assure l’exploitation d’un domaine viticole, situé à [Localité 1] et relevant de l’appellation Haut-Médoc.

Monsieur [S] [D] [R] en a exercé la présidence du conseil d’administration au cours de la période 1999 à 2014.

Figure sur ledit domaine un immeuble d’exception, classé à l’inventaire des monuments historiques, qualifié de « Château ». Suivant contrat du 1er septembre 1999, la société Château Citran a donné à bail à M. [D] [R] l’immeuble, et l’article ‘Destination des lieux’ du contrat prévoit : ‘Seuls les biens du premier étage du château sont destinés à l’habitation exclusive du preneur et de sa famille.

L’utilisation du rez-de-chaussée, dont la cuisine, doit servir en priorité pour les réceptions inhérentes à l’activité de Citran (un planning des réceptions sera remis au locataire chaque semaine).’

La location était consentie moyennant un loyer annuel indexé de 105.000 F, la clause ‘Loyer’ précisant : ‘ Le présent bail est consenti et accepté moyennant un loyer annuel de 105.000 F (soit 8750 F par mois). Soit 50% d’abattement du loyer de 210.000 F annuel préconisé par le rapport d’estimation effectué le 27 juillet 1999 en l’état actuel du château.

Et cela pour usage du rez-de-chaussée à des fins commerciales ou de relations publiques du Château Citran…’

Au cours de l’assemblée générale du 24 juin 2014, il a été refusé le renouvellement du mandat d’administrateur de M. [D] [R], qui venait à expiration le même jour.

M. [F] [R], frère de M. [D] [R], assure, depuis cette date, la présidence du conseil d’administration de la société.

Après de multiples demandes amiables puis un commandement de payer resté sans réponse, la SA Château Citran-medoc faisait délivrer à l’encontre de Monsieur [S] [D] [R] un acte extrajudiciaire, en date du 23 Juin 2017, aux fins de comparution devant le Tribunal de commerce de BORDEAUX et tendant à l’engagement de sa responsabilité sociale en qualité d’ancien dirigeant.

Par jugement du 6 juillet 2020, le tribunal de commerce de Bordeaux, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, a condamné M. [D] [R] à payer à la société Château Citran-medoc les sommes de :

– 85.544,23 euros au titre de factures impayées,

– 26.068,38 euros pour prêt d’un logement annexe,

– 273.806,76 euros pour insuffisance de paiement de son logement,

– 32.480,72 euros en remboursement des intérêts perçus sur son compte courant,

– 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le 30 juillet 2020, [D] [R] a interjeté appel limité de ce jugement en ce qu’il l’a condamné au paiement de ces sommes au bénéfice de Citran.

Le 26 août 2020, la société Citran a formé elle aussi appel limité du jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux :

– En ce qu’elle a été déboutée de sa demande en condamnation de [D] [R] au règlement des dommages et intérêts à hauteur de 100.981 euros auxquels la société est exposée dans le contentieux prud’homal initié par Monsieur [U] [E] au titre de rappels sur heures supplémentaires et de dommages et intérêts pour travail dissimulé et ce, sans compter les cotisations sociales qui viendraient à être supportées par l’entreprise en cas de condamnation ;

– En ce qu’elle a été déboutée de sa demande en condamnation de [D] [R] au paiement de la somme de 36.587,76 euros correspondant la valeur d’un tapis qui, ayant été détruit par la tempête en 1999, a été effacé du patrimoine de la société en 2012 ;

– En ce que le Tribunal a condamné [D] [R] à lui verser 273.804,76 euros en lieu et place des 696.659,67 euros sollicités au titre de l’insuffisance de [D] [R] du paiement du logement occupé ;

– En ce qu’elle a été déboutée de sa demande de dommages et intérêts d’un montant de 358.439,81 euros en réparation du préjudice consécutif aux fautes commises par [D] [R] dans sa gestion de la relation avec la société Compagnie libournaise de distribution de crus.

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 1er septembre 2022, auxquelles le présent arrêt renvoie expressément pour un plus ample exposé, M. [D] [R] demande à la cour de :

– Sur le paiement de loyers au titre du logement de fonction :

– constater qu’il n’a pas commis de faute de gestion s’agissant de l’occupation du Château,

En conséquence,

Débouter Château Citran-medoc SA de sa prétention,

– A titre subsidiaire,

constater la prescription de l’action initiée par Château Citran-medoc SA en responsabilité pour faute d'[D] [R], en sa qualité de dirigeant, à l’exception du dommage résultant du non-paiement du loyer de juin 2014,

En conséquence,

Débouter Château Citran-medoc SA de sa prétention,

– A titre infiniment subsidiaire,

constater la prescription des créances de loyer antérieures au 27 mars 2012 en application des dispositions de l’article 2224 du Code civil,

En conséquence,

Débouter Château Citran-medoc SA de sa prétention,

-Sur le non-recouvrement de créances :

– constater la prescription de l’action initiée par Château Citran-medoc SA en responsabilité pour faute d'[D] [R], en sa qualité de dirigeant,

En conséquence,

Débouter Château Citran-medoc SA de sa prétention,

– Sur le logement occupé par Madame [V] :

– constater l’absence de préjudice pour CITRAN,

En conséquence,

Débouter Château Citran-medoc SA de sa prétention,

– A titre subsidiaire,

– constater l’indemnisation de Château Citran-medoc SA à hauteur de 17.789,84 euros,

En conséquence,

– le condamner à payer 8.278,54 euros à Château Citran-medoc SA au titre des loyers non acquittés par Madame [V],

– Sur le compte courant de [D] [R] :

– constater la prescription de l’action en responsabilité initiée par Château Citran-medoc SA au titre des rémunérations de solde créditeur de compte courant d’associé entre 2007 et 2010 ;

En conséquence,

– Débouter Château Citran-medoc SA de sa prétention,

– En tout état de cause,

– confirmer la décision dont appel :

– En ce qu’elle a débouté Château Citran-medoc SA de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 100.981 euros au titre du risque financier résultant du contentieux prud’homal initié par Monsieur [U] [E] ;

– En ce qu’elle a débouté Château Citran Medoc SA de sa demande de dommages et intérêts de 36.587,76 euros au titre de la disparition d’un tapis en 2012 ;

– En ce qu’elle a débouté Château Citran-medoc SA de sa demande de dommages et intérêts d’un montant de 358.439,81 euros au titre de sa gestion de la relation avec la société Compagnie Libournaise de Distribution de Crus ;

– Condamner Château Citran-medoc SA à payer la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts au titre de sa procédure abusive ;

– Condamner Château Citran-medoc SA à payer la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– Condamner Château Citran-medoc SA aux entiers dépens.

M. [R] fait valoir :

– qu’en l’absence de toute preuve de gêne occasionnée pour l’organisation de manifestations de relations publiques, la demande d’augmentation de loyer doit être rejetée,

– que l’action en responsabilité diligentée à son encontre est prescrite, conformément aux dispositions de l’article L.225-254 du code de commerce,

– que CITRAN ne peut soutenir ne pas avoir eu connaissance de l’évolution de sa situation locative en 2006 alors même que ces éléments apparaissaient en comptabilité et explicitement sur les éléments fournis aux actionnaires lors de l’approbation des comptes,

– qu’ayant été évincé de la présidence de CITRAN en juin 2014 et l’assignation ayant été délivrée qu’en juin 2017, seul le dommage correspondant à l’absence de paiement du loyer

de juin 2014 n’est pas prescrit,

– A titre subsidiaire et à supposer que la Cour juge que l’action initiée sur le fondement de la faute d'[D] [R] constitue en réalité une action en paiement, alors le délai de cinq ans de l’article 2224 du Code civil trouverait à s’appliquer s’agissant de chacune des créances de loyer, et que seules les créances postérieures au 23 juin 2012 seraient exigibles,

– qu’il a quitté le château le 1er août 2006,

– que le dommage afférent au non-recouvrement de factures datant de plus de trois ans avant l’assignation délivrée le 23 juin 2017 par CITRAN, l’action en responsabilité au titre de ces facture est ainsi prescrite, alors qu’il n’y a eu aucune dissimulation,

– qu’il n’a pas pris de mesure en vue de l’expulsion de Mme [V] compte tenu de sa démission pour raisons de santé, mais que cette abstention n’a causé aucun préjudice à la société CITRAN, et que seul le dommage correspondant au loyer de juin 2014 non prélevé par [D] [R] échappe à la prescription de l’article L. 225-254 du Code de commerce,

– si son compte courant a été débiteur à la clôture des exercices 2001 à 2005, c’est en raison du décalage entre l’imputation des loyers qu’il devait et l’inscription de travaux et frais qu’il avançait à CITRAN, aucun préjudice n’ayant été subi par la société, et les rémunérations qu’il a perçues sur son compte courant entre 2007 et 2010, et ce en contravention avec les dispositions de l’article L. 225-43 du Code de commerce, n’ont donné lieu à aucune alerte ou mise en garde de la part du commissaire au compte,

– le préjudice allégué pour le litige prud’homal opposant M. [E] à la société n’est ni actuel ni certain,

– le tapis ‘Savonnerie 18ème siècle’, acquis pour une valeur de 36.587,76 euros le 31 décembre 1995, a été détruit par la tempête de 1999,

– pas un seul impayé de la Compagnie Libournaise de Distribution de Crus (ci-après ‘CLDC’ )ne résulte d’une facture ou livraison imputable à sa gestion.

Par conclusions transmises par RPVA le 29 août 2022, la société Château CITRAN demande à la cour de :

– confirmer la décision déférée en ce qu’elle a condamné Monsieur [S] [D] [R] au règlement des sommes suivantes :

– 85 544,23 euros au titre de factures impayées

– 26 068,38 euros pour prêt d’un logement annexe

– 32 480,72 euros en remboursement des intérêts perçus

– 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– confirmer la décision en ce qu’elle a sur le principe, condamné M. [S] [D] [R] au titre de l’insuffisance de paiement de son logement,

– confirmer la décision en ce qu’elle a débouté Monsieur [S] [D] [R] de sa demande reconventionnelle,

– la réformer de ce dernier chef et condamner Monsieur [S] [D] [R] au règlement d’une somme de 696 659,67 euros au titre de l’insuffisance du paiement de son logement,

Pour le surplus

– réformer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bordeaux le 6 juillet 2020

Statuant à nouveau

Vu les articles L.225-51 et suivants du code de commerce,

– Condamner M. [S] [D] [R] au règlement des sommes suivantes :

‘ 50.830,17 euros au titre des condamnations de la société Château Citran-medoc dans le contentieux prud’homal initié par M. [U] [E],

‘ 36.587,76 euros correspondant à l’appauvrissement subi par la SA Château Citran-medoc au titre de la sortie d’un tapis de même valeur des immobilisations en 2012,

‘ 696.659,67 euros au titre de l’insuffisance de M. [S] [D] [R] du paiement du logement occupé,

‘ 358.439,81euros en réparation du préjudice consécutif aux fautes commises par M. [S] [D] [R] dans sa gestion de la relation avec la société Compagnie Libournaise de Distribution de Crus ;

Y Ajoutant :

– rejeter les plus amples demandes adverses,

– Condamner M. [S]-[D] [R] au versement d’une somme de 6000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– le condamner aux entiers dépens d’instance.

La société Château Citran-medoc fait valoir que :

– M. [D] [R] n’a pas respecté les termes du bail qui justifiaient un montant de loyer réduit de moitié, en occupant, outre le premier étage qui lui était dévolu, les deux autres niveaux du bâtiment, la liste du mobilier revendiqué témoignant de l’ampleur de son occupation du rez-de-chaussée et de sa nature personnelle, et l’occupation du deuxième étage du Château n’ayant jamais été contractualisée,

– M. [D] [R] ne produit ni demande, ni acceptation de travaux,

– si l’occupation du Château se faisait de façon gracieuse, comme le soutient [D] [R] en compensation de fonctions non rémunérées, cette situation aurait dû faire l’objet d’une convention réglementée ce qui ne fut pas le cas, nonobstant les éventuelles régularisations sociales et fiscales de cet avantage en nature non déclaré,

– [D] [R] n’a jamais donné congé du logement et a continué à l’occuper jusqu’au changement de direction intervenu le 24 juin 2014,

– la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil ne peut s’appliquer en vertu de l’adage ‘nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude’

– la faute commise par l’ancien dirigeant qui s’est abstenu de recouvrer ses propres loyers n’est en toute hypothèse pas prescrite en vertu de l’article L225-254 du Code de commerce, le seul détail des écritures comptables, non communiqué aux actionnaires, ne permettant pas de connaître la nature du bail, son objet, ses conditions financières et réserves d’utilisation, et donc d’avoir connaissance d’un manquement de l’ancien dirigeant à ses obligations,

– tant que la convention poursuivait ses effets, elle aurait dû être déclarée au titre des conventions réglementées,

– les actionnaires n’ayant pas accès au détail des opérations agrégées dans les comptes qui leur sont soumis une fois par an, ils ignoraient l’existence de factures impayées, et même s’ils y avaient eu accès, ces éléments auraient été insuffisants pour avoir connaissance des fautes de gestion de l’ancien dirigeant, le seul montant des créances sans les factures associées ne permettant pas de vérifier les conditions de paiement, de livraison, la nature des vins vendus, etc.,

– M. [D] [R] a, de façon fautive, laissé perdurer l’occupation illégale du logement occupé par Mme [V], et le fait dommageable consistant pour l’ancien dirigeant à n’avoir engagé aucune action en vue d’obtenir l’indemnisation de la société pour cette occupation gratuite et le départ de cet occupant sans droit ni titre, alors qu’il aurait pu agir tant qu’il était encore le représentant légal de la société, l’action en responsabilité introduite moins de 3 ans après le changement de direction n’est pas prescrite (article L.225-254 du code de commerce),

– la régularisation a posteriori du compte courant débiteur, interdit aux termes de l’article L.25-43 du code de commerce n’efface pas le préjudice subi par la société, et aucune convention réglementée approuvant la rémunération de son compte courant n’étant produite, M. [D] [R] devra donc rembourser la somme de 32 480,72 euros indûment perçue au détriment de la société qu’il dirigeait,

– en ne faisant pas respecter les délais de paiement prévus par la société qu’il dirigeait,

– en accordant donc des délais de paiement illégaux, Monsieur [S] [D] [R] a causé un préjudice à la SA Château Citran-Médoc qui n’a pas pu recouvrer ses créances impayées par la société CLDC,

– M. [D] [R], qui a rédigé au profit de M [E], ancien salarié une lettre accréditant l’idée d’accomplissement d’heures supplémentaires, a exposé la SA Château Citran-Médoc à un contentieux prud’homal en partie fondé sur un rappel d’heures supplémentaires,

– les pièces produites ne démontrent pas que le tapis ‘Savonnerie’ a été détruit par la tempête de 1999, mais il aurait été simplement endommagé, et si tel est le cas, soit un refus de prise en charge assurantielle est injustifié, et alors l’ancien dirigeant est fautif de ne l’avoir pas contesté, soit un refus de prise en charge assurantielle est justifié, et alors l’ancien dirigeant est fautif d’avoir mal assuré les biens composant le patrimoine de la société.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 22 août 2022 et le dossier a été fixé à l’audience du 12 septembre 2022.

A l’audience, sur l’accord des parties, la cour a ordonné le rabat de l’ordonnance de clôture, l’admission des dernières écritures transmises par RPVA le 29 août 2022 pour la société Château Citran-medoc et le 1er septembre 2022 pour M. [S] [D] [R].

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

MOTIFS :

– Sur la prescription :

Aux termes de l’article L.225-250 alinéa 1er du code de commerce ‘Les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.’

L’article L.225-254 dispose : ‘L’action en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général, tant sociale qu’individuelle, se prescrit par trois ans, à compter du fait dommageable ou s’il a été dissimulé, de sa révélation. Toutefois, lorsque le fait est qualifié crime, l’action se prescrit par dix ans.’

Il résulte de ces textes que le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité civile dirigée à l’encontre d’un dirigeant d’une société anonyme commence à courir à compter du fait dommageable. Il n’en est autrement qu’en cas de dissimulation.

La dissimulation implique un comportement intentionnel, et ne saurait être déduite, notamment, du seul défaut d’information de l’organe social appelé à autoriser la convention.

Lorsque la volonté de dissimulation est établie, la révélation du fait, qui s’apprécie à l’égard de la personne qui exerce l’action, constitue le point de départ du délai de prescription.

– Sur le bail :

En l’espèce, la société intimée prétend que M. [S] [D] [R] a dissimulé l’existence d’un bail qu’il s’est bien gardé de communiquer, et dont il a même prétendu l’inexistence, afin d’occulter la violation de ses termes.

Cependant, c’est à juste titre que l’appelant fait valoir en premier lieu qu’il bénéficiait d’un bail signé le 1er septembre 1999, dont il n’est pas établi qu’il ait été conclu par M. [D] [R] en qualité de président de la société Château Citran, alors que M. [I] [R] en a été le président jusqu’en 1999.

Par ailleurs, il ressort des pièces produites aux débats que l’assemblée générale des actionnaires de la société Château Citran qui approuvait annuellement les comptes de la société disposait, contrairement à ce que soutient l’intimée, des écritures comptables lui permettant de connaître l’existence de ce bail au profit de M. [D] [R].

Ainsi, le bilan établi au 31 décembre 2008 versé aux débats, et dont la société Citran a nécessairement eu connaissance, mentionne au titre des ‘débiteurs et créditeurs divers’ les loyers dus par M. [D] [R].

Le procès verbal de délibération de l’assemblée générale ordinaire du 24 juin 2013 produit rappelle que sont mis à la disposition de l’assemblée, notamment, les comptes annuels au 31 décembre 2012, ce que ne conteste pas la société Citran.

La société intimée, seule partie à l’instance, et destinataire de l’ensemble des documents comptables ne peut dans ces conditions utilement soutenir qu’elle ignorait l’existence d’un bail au profit de M. [D] [R], et à cet égard, l’attestation de l’expert-comptable de la société qui affirme que les états financiers communiqués aux actionnaires ne comportent pas le détail des opérations comptables est indifférente à la solution du litige, la société étant destinataire de l’ensemble des informations, et chaque actionnaire disposant du droit de prendre connaissance des bilans, comptes de résultats, annexes, inventaires, rapports soumis aux assemblées et procès-verbaux de ces assemblées concernant les trois derniers exercices.

Faute de dissimulation, la prescription applicable à l’action en responsabilité intentée par la société Château Citran court à compter du fait dommageable, à savoir la conclusion du bail le 1er septembre 1999 et se trouve dès lors prescrite.

En outre, si le bail prévoit expressément 50% d’abattement du loyer en raison de l’usage du rez-de-chaussée à des fins commerciales ou de relations publiques du Château Citran, et s’il est constant que M. [R] a en réalité occupé à titre personnel le rez-de-chaussée et le deuxième étage du château tout au long de l’exécution du bail, la cour constate que le contrat de bail prévoyait qu’un planning des réceptions devait être remis au locataire chaque semaine, et qu’il n’est ni démontré ni allégué que la société Château Citran ait à un quelconque moment de l’occupation des lieux par M. [R] organisé ou tenté d’organiser des réceptions, et que le locataire n’a jamais été mis en demeure d’évacuer les pièces exclues du bail. De plus, la société Citran, et ses actionnaires, qui ne pouvaient ignorer cette situation dès lors que les bilans et comptes de résultat de la société faisaient apparaître les loyers dus par M. [D] [R] n’ont

jamais contesté le montant du dit loyer, et ne peuvent en conséquence revendiquer aujourd’hui une interprétation différente des clauses du bail et l’application du loyer correspondant au double de celui payé pendant des années par M. [R].

La société Citran invoque également le défaut de paiement des loyers dus par M. [R], prétendant que l’action en recouvrement des dits loyers est soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil.

Tout en soutenant que la demande en paiement de loyers est soumise à la prescription quinquennale, la société Citran fait valoir en effet que les agissements de Monsieur [S] [D] [R] sont de nature à engager sa responsabilité puisqu’en sa qualité de Président du Conseil d’Administration, il n’a rien fait pour tenter de la recouvrer au détriment de la Société Château Citran mais dans son intérêt personnel.

Si l’action en recouvrement des loyers impayées diligentés par la société à l’encontre de son ancien locataire est bien soumise à la prescription quinquennale, en revanche, pour les motifs que ceux exposés précédemment, à savoir l’absence de toute dissimulation, la société Citran n’est pas recevable à voir engager la responsabilité de M. [R] sur le fondement de l’article L.225.250 du code de commerce .

Il en résulte que, l’assignation ayant été délivrée le 23 juin 2017, l’action en recouvrement des loyers impayés est prescrite pour les loyers antérieurs au 23 juin 2012.

M. [D] [R] prétend sans en justifier avoir quitté les lieux loués en 2006, alors au contraire qu’il ressort des nombreuses pièces versées aux débats, et notamment des échanges de correspondance entre [F] et [D] [R], dont un courrier de ce dernier en date du 23 avril 2015 qu’il a conservé l’usage du château jusqu’en juin 2014.

Il n’est pas contesté qu’aucun loyer n’a été réglé à compter de 2006, M. [D] [R] faisant valoir vainement que le château ne servait plus qu’aux réceptions et réunions de famille, alors que les nombreux objets personnels découverts lors de l’inventaire de novembre et décembre 2018 démontrent au contraire qu’il a personnellement continué à occuper le château, peu important qu’il s’est agi alors d’une résidence secondaire, et non plus d’une résidence principale.

La société Citran est en conséquence fondée à solliciter le paiement des loyers dus du 23 juin 2012 au 23 juin 2014, soit la somme totale de 73.392 euros ( 1.529 euros x 48 mois).

M. [D] [R] sera condamné à lui verser cette somme, en infirmation de la décision déférée.

– Sur les factures impayées :

Les 41 factures citées par la société Château Citran figurent toutes dans la comptabilité de la société, sont pour la plupart antérieures à l’année 2009, seules deux factures ayant été émises en 2013, de sorte que la faute éventuelle qu’aurait commise M. [D] [R] en sa qualité de dirigeant de la société ne peut être recherchée sur le fondement de l’article L.225-250 du code de commerce, la prescription étant encourue, et la demande présentée étant de ce fait irrecevable.

– Sur le logement occupé par Mme [V] :

Il ressort des pièces versées aux débats que suivant contrat en date du 1er mars 2004, la société Château Citran représentée par [D] [R] a consenti à Mme [V] un bail d’habitation lié à son contrat de travail, moyennant un loyer mensuel de 228,67 euros.

A la suite de la démission de son emploi à effet au 31décembre 2004, Mme [V] s’est maintenue dans les lieux, et M. [R] lui a adressé le 4 février 2005 une mise en demeure de quitter les lieux.

Il n’est ni démontré ni même soutenu que l’existence de ce bail et la créance de loyer détenue par la société Château Citran aient été inscrits au compte de résultat de la société, de sorte que ni les actionnaires, ni les administrateurs de la société ne pouvaient détenir d’informations sur ce point.

M. [D] [R] reconnaît par ailleurs dans ses écritures ne pas avoir pris de mesure en vue de procéder à l’expulsion de Mme [V] au regard de sa situation de détresse.

Il n’en demeure pas moins que le logement, propriété de la société Château Citran, et donc à ce titre géré par M. [R] ès qualités, est demeuré de longues années occupé par Mme [V], devenue occupante sans droit ni titre, sans qu’il ne procède à aucune mesure destinée à préserver le patrimoine de la société qu’il dirigeait, et que son abstention fautive ne pouvait pas être connu des actionnaires, aucune écriture n’étant comptablement passée. C’est donc bien sciemment que M. [R] a dissimulé l’existence de cette occupation illicite, qui n’a pris fin qu’à l’issue de son mandat, lorsque son successeur à la tête de la société a entamé une procédure d’expulsion.

La prescription n’a donc en ce qui concerne l’occupation sans droit ni titre de Mme [V] qu’à la date de cessation des fonctions d'[D] [R], le juin 2014, et l’action ayant été intentée le 23 juin 2017 , elle n’est pas prescrite.

Des pièces versées aux débats par ailleurs, il ressort que M. [R], malgré la mise en demeure délivrée le 4 février 2005, n’a jamais au cours de l’exercice de son mandat exercé les recours qui auraient permis à la société d’obtenir la restitution du logement occupé par Mme [V], de sorte que la faute qu’il a commise doit entraîner sa condamnation à réparer le préjudice subi par la dite société.

C’est donc à juste titre que la société Citran sollicite la condamnation de M. [R] à lui régler à titre de dommages et intérêts le montant des loyers, ou indemnités d’occupation laissés impayés par Mme [V] jusqu’à son départ des lieux.

Les autres arguments invoqués par les parties sur ce point, que ce soit la prétendue insalubrité du logement, l’emploi salarié de Mme [V] au profit de M. [R] ou l’impossibilité pour d’autres salariés d’occuper le dit logement sont indifférents à la solution du k$litige, dès lors qu’il suffit de constater que M. [R], en ne procédant pas aux démarches nécessaires pour procéder à l’expulsion de l’occupante sans droit ni titre, a commis une faute engageant sa responsabilité, et que le préjudice pour la société, qui en découle, qui doit être intégralement indemnisé à hauteur du montant des impayés, peu important que la société ait obtenu, par la suite, la condamnation de Mme [V], dont l’insolvabilité est par ailleurs démontrée par la société Citran.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu’il a condamné M. [R] à payer à la société la somme de 26.068,38 euros.

– Sur le compte-courant d’associé 

Les écritures comptables faisant apparaître successivement le compte courant débiteur de M. [R] entre 2001 et 2005, et les intérêts perçus sur son compte courant créditeur en 2007, 2008, 2009 et 2010, les demandes à ce titre sont prescrites, aucune dissimulation ne pouvant être retenue à l’encontre de M. [R], et le jugement entrepris sera réformé en ce qu’il a fait droit pour partie à ces prétentions.

– Sur la compagnie libournaise de distribution de crus (CLDC)  :

La société Citran soutient qu’en laissant sa créance s’accroître jusqu’à plus de 800.000 euros au profit d’une société ne disposant pas de fonds propres, ne publiant pas ses comptes, sans assurance-crédit, ne respectant pas les dates de paiement, mais dirigée par un de ses amis, M. [R] a commis une faute.

Des pièces versées aux débats, il ressort que les retards récurrents de paiement de la société CLDC figuraient chaque année dans les comptes de résultat de la société, que l’usage de délais de paiement non contractuels constituait un mode de gestion habituel et non dissimulé de M. [R], gestion qui n’a soulevé aucune critique lors de l’approbation des comptes annuels, de sorte que la demande à ce titre, qui vise des faits certes datant de 2014 (factures de mars 2014 impayées), mais connus depuis de très nombreuses années, apparaît prescrite.

– Sur le litige prud’homal :

La société fait valoir que M. [R] aurait commis une faute en s’abstenant de régulariser le contrat de travail d’un salarié ayant fait l’objet d’un licenciement en 2016, et ayant saisi le conseil de prud’hommes en contestation de ce licenciement et de ses conditions de travail.

A la lecture de l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux ayant statué dans ce litige prud’homal, M. [E] a été débouté de sa demande en paiement des heures supplémentaires dont il sollicitait le paiement, de sorte que, à supposer même que cette demande ne soit pas prescrite, au regard de la date d’embauche du salarié, et de la parfaite connaissance que pouvait avoir la société des conditions de son emploi, aucune faute de gestion ne peut sur ce point être reproché à M. [R].

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

– Sur le tapis ‘Savonnerie’ :

M. [R] justifie avoir déclaré sa perte à la compagnie d’assurance à la suite de la tempête de 1999, ainsi que cela ressort des attestations de la société de courtage Filhet-Allard et Albingia.

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Citran de ce chef de demande.

– Sur la demande reconventionnelle de M. [D] [R] :

L’exercice d’une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l’octroi de dommages intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol.

La preuve d’un tel comportement n’étant pas rapportée en l’espèce, la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive sera rejetée.

– Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Compte tenu de la décision intervenue, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a condamné M. [R] aux dépens de première instance et à régler la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

En appel, chaque partie succombant pour partie, elle supportera les dépens qu’elle a pu exposer, et il n’y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du en ce qu’il a :

* condamné M. [S] [D] [R] à verser à la société Château Citran-medoc la somme de 26.06,38 euros pour prêt d’un logement annexe,

* débouté la société Château Citran-medoc de ses demandes en paiement des sommes de :

– 50.830,17 euros au titre du contentieux prud’homal initié par Monsieur [U] [E],

– 36.587,76 euros correspondant à l’appauvrissement subi par la société au titre de la sortie d’un tapis de même valeur des immobilisations en 2012,

* débouté M. [R] de sa demande reconventionnelle et l’a condamné à payer à la société Château Citran-medoc la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;

L’infirme pour le surplus, et, statuant à nouveau :

Déclare prescrites les demandes en paiement des sommes de :

– 696.659,67 euros au titre de l’insuffisance de M. [S] [D] [R] du paiement du logement occupé ;

– 85.544,23 euros au titre des factures impayées ;

– 358.439,81 euros en réparation du préjudice consécutif aux fautes commises par M. [S] [D] [R] dans sa gestion de la relation avec la société Compagnie Libournaise de Distribution de Crus ;

– 32.480,72 euros au titre des intérêts perçus sur le compte courant ;

Déclare recevable la demande en paiement de loyers, et :

Condamne M. [S] [D] [R] à payer à la SA Château Citran-medoc la somme de 73.392 euros au titre des loyers dus du 23 juin 2012 au 23 juin 2014 ; 

Dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Dit que chaque partie conservera à sa charge les dépens qu’elle a pu exposer.

Le présent arrêt a été signé par Mme Pignon, présidente, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x