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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 3
ARRET DU 10 NOVEMBRE 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/06578 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBYXM
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Février 2020 -Juge des contentieux de la protection de PARIS – RG n° 1119011961
APPELANTE
S.A. RÉGIE IMMOBILIERE DE LA VILLE DE PARIS
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée et assistée par Me Catherine HENNEQUIN de la SELAS LHUMEAU GIORGETTI HENNEQUIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0483 substituée à l’audience par Me Monica OSORIO, même cabinet, même toque
INTIMES
Monsieur [G] [T] majeur vulnérable sous protection assisté de son curateur l’association ARIANE FALRET
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Arnault GROGNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : E1281
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/019916 du 20/08/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)
Madame [Z] [O] épouse [T]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Arnault GROGNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : E1281
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/019879 du 20/08/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)
Association ARIANE FALRET prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, agissant ès qualité de curateur de Monsieur [G] [T] désignée à cette fonction par jugement du 12 octobre 2018
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Arnault GROGNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : E1281
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Aurore DOCQUINCOURT, Conseillère chambre 4-3, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
François LEPLAT, président de chambre
Anne-Laure MEANO, président assesseur
Aurore DOCQUINCOURT, conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Joëlle COULMANCE
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par François LEPLAT, Président de chambre et par Joëlle COULMANCE, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*****
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 17 juin 2012, la Régie Immobilière de la Ville de [Localité 4] (ci-après RIVP) a conclu avec M. [G] [T] un bail portant sur un local à usage d’habitation principale situé [Adresse 1].
M. [G] [T] est marié à Mme [Z] [T], et a été placé sous curatelle renforcée par décision du juge des tutelles de [Localité 4] en date du 12 octobre 2018, mesure confiée à l’association Ariane Falret.
Se prévalant d’un défaut de jouissance paisible dénoncé par les autres locataires du fait des agissements de M. [G] [T], la RIVP a fait assigner l’intéressé, Mme [Z] [T] ainsi que l’association Ariane Falret en qualité de curatrice devant le tribunal d’instance de Paris par acte d’huissier du 17 septembre 2019, aux fins de voir sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
– prononcer la résiliation du contrat de bail pour manquement par les locataires à leur obligation
de jouissance paisible ;
– ordonner l’expulsion des époux [T] et de tous occupants de leur chef, au besoin
avec l’assistance de la force publique et d’un serrurier, avec dispense du délai de deux mois et du bénéfice du sursis de la trêve hivernale ;
– condamner in solidum les défendeurs au paiement d’une indemnité d’occupation mensuelle au moins égale au montant du loyer en cours, charges en sus, ainsi que de la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Par jugement contradictoire entrepris du 28 février 2020, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris a ainsi statué :
Admet M. [G] [T] et Mme [Z] [T] au bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire ;
Déboute la RIVP de ses demandes en résiliation du bail conclu le 17 juin 2012 et subséquentes ;
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la RIVP aux dépens de l’instance.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Vu l’appel interjeté le 26 mai 2020 par la SA RIVP,
Vu les dernières écritures remises au greffe le 22 juin 2022 par lesquelles la SA RIVP, appelante, demande à la cour de :
Vu les articles 1719 et 1728 du code civil,
Vu L 4121-1 du code du travail,
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile,
Vu les termes du bail,
Recevoir la RIVP en son appel, l’en disant bien fondée ;
Débouter les intimés de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
Infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau,
Prononcer la résiliation du bail d’habitation consenti aux époux [T] pour manquement à leur obligation de jouissance paisible ;
Ordonner l’expulsion des époux [T] ainsi que celle de tous occupants de leur chef du logement sis [Adresse 1], avec l’assistance de la force publique et d’un serrurier si besoin est ;
Condamner in solidum les époux [T] à payer à la RIVP une indemnité mensuelle d’occupation au moins égale au montant du loyer en cours y compris les charges et taxes afférentes à compter de la date de la résiliation et jusqu’à la libération complète et effective des lieux litigieux, en ce compris la remise des clés ;
Dire et juger que compte tenu de l’urgence pour la RIVP de récupérer son bien et au regard des manquements graves commis par les locataires, le délai de deux mois prévu par l’article L.412-1 du code des procédures civiles d’exécution ainsi que le bénéfice des articles L.412-3, L.412-4, L 412-6 à L.412-8 du code précité n’ont pas vocation à s’appliquer en l’espèce ;
Condamner in solidum les époux [T] à verser à la RIVP la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner in solidum les époux [T] aux entiers dépens.
Vu les dernières écritures remises au greffe le 15 septembre 2020 au terme desquelles M. [G] [T], Mme [Z] [T] et l’association Ariane Falret ès qualité de curateur de M. [T], intimés, demandent à la cour de :
A titre principal :
Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Débouter la RIVP de toutes ses autres demandes ;
Condamner la RIVP aux entiers dépens d’appel ;
A titre subsidiaire et si par extraordinaire la Cour devait réformer le jugement:
Fixer l’indemnité d’occupation due par les époux [T] à la RIVP au seul montant égal au loyer contractuel outre les taxes, charges et accessoires jusqu’à la libération effective des lieux ;
Débouter la RIVP de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuer sur ce que de droit quant aux dépens.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions remises au greffe et au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la résiliation du bail pour manquements à l’obligation de jouissance paisible
Selon l’article 7 b) de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, ‘le locataire est obligé d’user paisiblement des locaux loués suivant la destination qui leur a été donnée par le contrat de location’.
En vertu de l’article 1729 du code civil, ‘si le preneur n’use pas de la chose louée raisonnablement ou emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail’.
L’article 1224 dispose que ‘la résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice’.
En l’espèce, il résulte des pièces produites et des écritures susvisées que M. [G] [T], bénéficiant d’une mesure de curatelle renforcée depuis le 12 octobre 2018, souffre d’une pathologie psychiatrique ayant donné lieu à plusieurs hospitalisations, notamment sous contrainte, suite à une admission en hospitalisation complète du 10 avril 2019, prolongée par le juge des libertés et de la détention le 14 octobre 2019. Il produit une attestation des hôpitaux de St [A] en date du 2 juillet 2020 faisant état d’hospitalisations très régulières depuis deux ans, dont la dernière date du 12 mai 2020, en soins sans consentement ; le médecin conclut que ‘les éléments cliniques actuels ne permettent pas d’exclure la possibilité d’un retour au domicile, qui devra être soutenu par des soins psychiatriques ambulatoires sur notre secteur’.
Pour rejeter la demande de résiliation du bail, le premier juge a considéré que les six attestations produites par le bailleur pour dénoncer le comportement agressif, menaçant et insultant du locataire, dont une n’était accompagnée d’aucune pièce d’identité et deux provenaient de la même personne, ne comportaient que peu d’éléments quant aux dates, heures et à la fréquence des troubles incombant à l’intéressé, lequel ne les niait pas, ajoutant que les troubles avaient cessé depuis plusieurs mois suite à l’hospitalisation sous contrainte de M. [T] et qu’aucun grief n’était dirigé à l’encontre de son épouse, concluant que la RIVP ne démontrait pas le caractère suffisamment grave et répété des manquements des locataires à leur obligation d’usage paisible des lieux loués.
Devant la cour, la SA RIVP produit de nouvelles pièces :
– une nouvelle attestation en date du 23 juin 2020 de Mme [J] [N], gardienne de l’immeuble ayant déjà déposé plainte pour injures, faisant état de la réitération d’insultes de la part de M. [T], ajoutant qu’il lui faisait peur et qu’elle craignait pour son intégrité physique ;
– une nouvelle attestation de M. [A] [E], voisin de l’immeuble, relatant que ce dernier pousse depuis des années des cris et tient des propos incohérents, concluant qu’il lui semble ‘urgent d’intervenir compte tenu de l’agressivité dont il témoigne régulièrement et d’un possible passage à l’acte’ ;
– une nouvelle attestation en date du 24 juin 2020 de Mme [S] [L], voisine ayant déjà déposé plainte pour injures, faisant état d’une ‘période de répit de deux mois et demi pendant laquelle il a été interné’, ajoutant que ‘depuis son retour cela a empiré : injures, menaces et surtout tapage nocturne en délirant à tue-tête avec sa radio au maximum de puissance jour et nuit’, indiquant qu’elle est sous anxiolytiques face à cette situation ;
– une attestation de Mme [R] [X], postière, en date du 25 juin 2020, rédigée dans les termes suivants : ‘M. [T] est un client qui me fait de plus en plus peur, je le croise très souvent à proximité de son lieu de résidence et il s’arrête pour m’insulter, me menacer (…) Il se stationne devant les boîtes aux lettres en me faisant peur, son comportement est terrifiant, c’est assez souvent que je demande à une personne de m’accompagner pour distribuer mon courrier de peur de sa réaction’;
– une attestation de Mme [V] [I], voisine, en date du 26 juin 2020, faisant état des troubles causés par M. [T] consistant en des ‘délires injurieux, allées et venues intempestives nuit et jour, tapage nocturne qui m’empêche souvent de dormir car la pièce où il écoute sa radio à pleine puissance nuit et jour est juste en dessous de ma chambre’, ce qui nuirait à son état de santé ;
– une attestation de Mme [P] [U], voisine, en date du 13 juillet 2020, faisant état d’injures de la part de M. [T] à plusieur reprises, ajoutant qu’il fait ‘semblant de tirer avec une mitraillette imaginaire’, et qu’elle est angoissée au quotidien ;
– une nouvelle main courante déposée le 10 août 2021 par Mme [L], dans laquelle elle relate que la situation empire et qu’elle est réveillée par ses hurlements de minuit à 4 heures du matin ;
– une main courante déposée le 14 mai 2021 par M. [W] [B], voisin, faisant état des bruits incessants sur les murs de M. [T], ainsi qu’une nouvelle attestation de M. [B] en date du 18 mai 2021 relatant des faits similaires, outre une attitude menaçante.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les troubles occasionnés par M. [T], s’ils ont cessé temporairement du fait de ses hospitalisations sous contrainte, ont repris depuis lors, et en tous cas, selon les pièces produites, jusqu’au cours de l’année 2021. Par ailleurs, deux nouveaux voisins se sont plaints de son comportement, ainsi que la factrice en charge de la distribution du courrier, s’ajoutant aux attestations produites devant le premier juge émanant de quatre voisins et de la gardienne de l’immeuble.
Ces nuisances, si elles sont causées par l’état de santé psychiatrique de M. [T], manifestement insuffisamment jugulé par les soins qui lui sont prodigués, sont suffisamment graves et récurrentes pour justifier la résiliation du bail, en ce que l’ensemble du voisinage, ainsi que la factrice distribuant le courrier dans l’immeuble, subissent du fait des agissements de ce locataire un climat de tension et de peur qui ne saurait perdurer.
Il convient dès lors d’infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de prononcer la résiliation du bail et d’ordonner l’expulsion de M. [T], de son épouse et de tous occupants de leur chef.
Selon l’article L.412-1 du code des procédures civiles d’exécution, ‘si l’expulsion porte sur un lieu habité par la personne expulsée ou par tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu’à l’expiration d’un délai de deux mois qui suit le commandement, sans préjudice des dispositions des articles L. 412-3 à L. 412-7. Toutefois, le juge peut, notamment lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l’article L. 442-4-1 du code de la construction et de l’habitation n’a pas été suivie d’effet du fait du locataire, réduire ou supprimer ce délai.
Le délai prévu au premier alinéa du présent article ne s’applique pas lorsque le juge qui ordonne l’expulsion constate que les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait’.
L’article L.412-8 dispose que, ‘nonobstant toute décision d’expulsion passée en force de chose jugée et malgré l’expiration des délais accordés en vertu de l’article L. 412-3, il est sursis à toute mesure d’expulsion non exécutée à la date du 1er novembre de chaque année jusqu’au 31 mars de l’année suivante, à moins que le relogement des intéressés soit assuré dans des conditions suffisantes respectant l’unité et les besoins de la famille.
Par dérogation au premier alinéa du présent article, ce sursis ne s’applique pas lorsque la mesure d’expulsion a été prononcée en raison d’une introduction sans droit ni titre dans le domicile d’autrui par voies de fait.
Le juge peut supprimer ou réduire le bénéfice du sursis mentionné au même premier alinéa lorsque les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans tout autre lieu que le domicile à l’aide des procédés mentionnés au deuxième alinéa.’.
En l’espèce, il convient de faire application du délai de deux mois à l’issue du commandement de quitter, dès lors que M. [T] n’est pas rentré dans les lieux par voie de fait, et qu’il n’est pas justifié qu’il ait fait obstacle à une éventuelle procédure de relogement. Pour les mêmes motifs, la trêve hivernale prévue à l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution demeure applicable.
Il y a lieu de condamner in solidum M. [T] assisté de son curateur et son épouse au paiement d’une indemnité d’occupation mensuelle égale au montant du loyer courant et des charges que le bailleur aurait perçus si le bail s’était poursuivi.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
L’équité commande de ne pas allouer d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [T], assisté de son curateur, et Mme [T], parties perdantes, seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d’appel, qui seront recouvrés conformément aux règles de l’aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme, en ses dispositions frappées d’appel, le jugement entrepris,
Et statuant à nouveau,
Prononce la résiliation du bail liant les parties à la date du prononcé de la présente décision,
Autorise la SA RIVP, à défaut de libération spontanée des lieux situés [Adresse 1], à faire procéder à l’expulsion de M. [G] [T] et Mme [Z] [T] et à celle de tous occupants de leur chef par toutes voies et moyens de droit et au besoin avec l’assistance de la force publique, à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la délivrance d’un commandement de quitter les lieux, conformément à l’article L.412-1 du Code des procédures civiles d’exécution, le sort des meubles se trouvant sur les lieux étant alors régi par les articles R.433-1 et suivant du Code des procédures civiles d’exécution, la trêve hivernale prévue à l’article L.412-6 demeurant applicable,
Condamne in solidum M. [G] [T], assisté de son curateur, l’association Ariane Falret, et Mme [Z] [T] à payer à la SA RIVP une indemnité d’occupation mensuelle égale au montant du loyer courant et des charges qu’elle aurait perçus si le bail s’était poursuivi, et ce à compter de la résiliation du bail et jusqu’à la complète libération des lieux caractérisée par la remise des clefs au bailleur ou à son mandataire ou par son expulsion,
Dit n’y avoir lieu à condamnation au titre de l’article 700 du Code de Procédure civile,
Condamne in solidum M. [G] [T], assisté de son curateur, l’association Ariane Falret, et Mme [Z] [T] aux dépens de première instance et d’appel, qui seront recouvrés conformément aux règles de l’aide juridictionnelle,
Rejette toutes demandes plus amples ou contraires.
La Greffière Le Président