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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 6
ARRET DU 10 MAI 2023
(n° ,12 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/15478 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEIXD
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Juin 2021 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d’EVRY – RG n°
APPELANTE
Madame [E] [D]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Martial JEAN de la SELARL NABONNE-BEMMER-JEAN, avocat au barreau d’ESSONNE
INTIMEE
S.A. LCL – LE CREDIT LYONNAIS
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant MME Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère,et M.Marc BAILLY, Président de chambre.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
M.Marc BAILLY, Président de chambre,
M.Vincent BRAUD, Président,
MME Pascale SAPPEY-GUESDON, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Anaïs DECEBAL
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par M.Marc BAILLY, Président de chambre, et par Anaïs DECEBAL,Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*
* *
Par contrat du 2 octobre 2009, [E] [D] a confié à la société Pro World Company (PWC) la construction d’une maison d’habitation sur le terrain lui appartenant situé [Adresse 3], dans l’Essonne, sous la maîtrise d”uvre de [I] [M] suivant contrat du 5 juin 2007.
Aux termes d’une offre de crédit émise le 20 juillet 2009 et acceptée le 3 août 2009, [E] [D] a souscrit auprès de la société Crédit lyonnais un prêt immobilier à taux zéro no 4008945FXNDN12AZ d’un montant de 52 650 euros pour une durée de 112 mois, ainsi qu’un prêt immobilier no 4008945FXNDN11AH d’un montant de 123 350 euros au taux de 4,25 % hors assurance pour une durée de 324 mois.
[E] [D] a sollicité notamment le déblocage de sommes les 30 septembre, 13 novembre et 23 décembre 2009, ainsi que les 17 février et 31 mars, pour un montant respectif de 45 878,90 euros, 45 878,90 euros, 27 527,34 euros, 36 703,12 euros et
20 011,74 euros.
En raison de l’abandon du chantier par la société Pro World Company au cours du mois de juillet 2010, [E] [D] a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance d’Évry, lequel a, par ordonnance rendue le 30 novembre 2010 au contradictoire de la sociéte Pro World Company, de [R] [H] en qualité de gérant de la société Pro World Company, et de [I] [M], ordonné une expertise judiciaire et a désigné [V] [U] aux fins d’y procéder.
Une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l’encontre de [I] [M] par le tribunal de grande instance d’Évry le 12 juillet 2011, au passif de laquelle [E] [D] a déclaré sa créance à hauteur de 315 000 euros.
Par exploits en date des 15 et 16 novembre 2012, [E] [D] a respectivement assigné en extension de mission maître [B] en qualité de liquidateur de [I] [M], et la société Le Crédit lyonnais devant le juge des référés du tribunal judiciaire d’Évry. Suivant ordonnance rendue le 26 mars 2013, le juge des référés a fait droit à cette demande.
L’expert judiciaire a déposé son rapport le 30 juillet 2014.
Par acte d’huissier du 30 septembre 2014, [E] [D] a cité la société Pro World Company et [R] [H] à comparaître devant le tribunal correctionnel d’Évry des chefs de non-conclusion d’un contrat de construction de maison individuelle conforme à l’article L. 232-1 du code de la construction, abus de confiance et défaut d’assurance décennale.
Suivant jugement du 16 décembre 2014, le tribunal correctionnel a relaxé [R] [H] et a debouté [E] [D] de ses demandes. Suivant arrêt infirmatif du 24 mai 2017, la cour d’appel de Paris a notamment condamné [R] [H] à payer à [E] [D] la somme de 201 337,20 euros au titre de l’achèvement de l’ouvrage.
C’est dans ces circonstances que [E] [D] a, par exploit en date du 26 mars 2018, assigné la société Crédit lyonnais devant le tribunal de grande instance d’Évry aux fins d’obtenir réparation de ses préjudices.
Suivant arrêt rendu le 26 juin 2018, la Cour de cassation a cassé l’arrêt du 24 mai 2017 en toutes ses dispositions. Par arrêt daté du 21 février 2020, la cour d’appel de renvoi a derechef infirmé le jugement précité et condamné [R] [H] à payer à [E] [D] les sommes suivantes :
‘ 187 638,76 euros au titre du surcoût nécessaire à l’achèvement de la maison,
‘ 112 476,78 euros au titre du paiement anticipé indu,
‘ 62 715 euros au titre du trouble de jouissance (relogement),
‘ 3 000 euros au titre du préjudice moral,
‘ 10 000 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale. [R] [H] s’est pourvu en cassation une seconde fois. Par arrêt daté du 19 janvier 2021, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de [R] [H].
Par jugement contradictoire en date du 18 juin 2021, le tribunal judiciaire d’Évry a :
‘ Rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société Crédit lyonnais ;
‘ Débouté [E] [D] de l’ensemble de ses demandes formées contre la société Crédit lyonnais ;
‘ Dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ Condamné [E] [D] aux entiers dépens, dont distraction au profit de la société d’exercice libéral à responsabilité limitée 2H Avocats, en la personne de maître Charlotte Mochkovitch, avocat, conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;
‘ Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 10 août 2021, [E] [D] a interjeté appel du jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 2 juin 2022, [E] [D] demande à la cour de :
Déclarer Mme [E] [D] recevable et fondée en son appel.
Y faisant droit,
Réformer le jugement entrepris, et statuant à nouveau,
Vu l’ancien article 1147 du code civil,
Requalifier le marché du 2 octobre 2009 en contrat de construction de maison individuelle sans fourniture du plan ;
Condamner la SA LCL à payer à Mme [D] une somme de 187 638,76 € TTC, au titre de l’achèvement des travaux ;
Indexer le coût des travaux d’achèvement sur l’indice BT 01 à compter du 30 juillet 2014, date du rapport d’expertise de M. [V] [U], Expert judiciaire, chiffrant lesdits travaux d’achèvement ;
Condamner la SA LCL à payer à Mme [D] une somme de 112 476,78 € TTC, au titre du trop-perçu versé à la société PWC ;
Condamner la SA LCL à payer à Mme [D] une somme de 63 896 €, au titre de son préjudice immatériel financier ;
Condamner la SA LCL à payer à Mme [D] une somme de 15 000 €, au titre de son trouble de jouissance ;
Condamner la SA LCL à payer à Mme [D] une somme de 15 000 €, au titre de son préjudice moral ;
Assortir l’ensemble des condamnations prononcées à l’encontre de la SA LCL des intérêts au taux légal à compter du 16 novembre 2012, date de l’assignation en référé ;
Ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l’article 1154 ancien du code civil ;
Débouter la SA LCL de l’ensemble de ses demandes, singulièrement de son appel incident.
Condamner la SA LCL à payer à Mme [D] une somme de 10 000 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner la SA LCL aux entiers dépens de référé et de fond, y compris les frais d’expertise judiciaire, qui seront recouvrés directement par la SELARL NABONNE BEMMER JEAN.
[E] [D] fait valoir en substance que :
A titre liminaire, aucune action n’a été possible contre la société Pro World Company, cette société étant insolvable et ayant été radiée du RCS ; aucune action n’a été possible contre l’assureur de la société Pro World Company, faute de réception de l’ouvrage ; les poursuites contre le gérant de la société Pro World Company en application de l’arrêt de la cour d’appel de céans du 21 février 2020 statuant sur intérêts civils ont permis, à ce jour, après 10 ans de procédure, de saisir une somme de 1 423,15 € ; aucune action n’a été possible contre l’architecte, celui-ci ayant été l’objet d’une liquidation judiciaire impécunieuse ; aucune action n’a été possible contre l’assureur de l’architecte car celui-ci ayant omis de déclarer le chantier de [E] [D], la MAF pouvait à juste titre décliner sa garantie
[E] [D] a subi des préjudices matériels en raison des manquements à ses obligations du LCL car :
– Du fait de l’absence de garantie de livraison, [E] [D] va devoir supporter le surcoût de l’achèvement des travaux. Elle a ainsi déjà payé la somme de 200 524,38 € TTC et l’expert a indiqué que le prix de l’achèvement des travaux serait de 201 337,20 € TTC et le prix de la maîtrise d”uvre de 15 177,18 € TTC. Or le coût initial de la construction était de 229 400 € TTC ce qui fait que le dépassement du prix convenu s’élève à 187 638,76 € TTC.
– Du fait de l’absence de garantie de livraison, [E] [D] continue de supporter, via les traites de son emprunt, la charge des règlements excédentaires dont le montant s’élève à 112 476,78 € TTC. Ce préjudice est directement imputable à l’absence de garantie de livraison, puisqu’il s’agit d’une conséquence du fait du constructeur ayant abouti à un paiement anticipé, conformément à l’article L. 231-6 I du code de la construction et de l’habitation.
En application de l’ancien article 1147 du code civil et de la jurisprudence, il y a une obligation de conseil du banquier fondée sur l’ancien article 1147 du code civil relativement à la garantie de livraison, indépendamment de l’article L.231-10 du code de la construction et de l’habitation. Cette obligation de conseil consiste à informer l’emprunteur des risques encourus en l’absence de garantie de livraison, tandis que l’article L.231-10 du CCH impose au prêteur de vérifier les énonciations de l’article L. 231-2 du CCH au stade de l’émission des offres, d’une part, et de réclamer l’attestation de garantie de livraison avant de débloquer les fonds, d’autre part, ce que confirme la jurisprudence de la Cour de cassation et la doctrine. Ces jurisprudences retiennent la responsabilité du banquier en cas de manquement à cette obligation d’information et de conseil sans aucunement distinguer entre CCMI avec ou sans fourniture de plans.
Selon la jurisprudence, l’obligation d’information et de conseil de l’ancien article 1147 du code civil impose également au banquier de se faire remettre l’attestation de garantie de livraison avant de débloquer les fonds.
Si le banquier n’a pas à s’immiscer dans les relations contractuelles entre le maître d’ouvrage et le constructeur, le juge, qui n’est pas lié par la qualification retenue par les parties, doit qualifier exactement le contrat, surtout lorsque l’éviction du CCMI est de nature frauduleuse
Le marché conclu entre [E] [D] et la société Pro World Company constitue un CCMI sans fourniture du plan ce qui fait que le marché conclu entre les parties relevait de l’article L. 232-1 du CCH, de sorte que le constructeur devait bien fournir au maître d’ouvrage une garantie de livraison.
Or la société Pro World Company a omis d’obtenir pour le compte de [E] [D] la garantie de livraison prévue à l’article L. 231-6 du CCH, en violation des dispositions des articles L. 232-1 et L. 241-8 du même code.
La SA LCL a eu entre ses mains les documents contractuels lui permettant de comprendre sans ambiguïté que le projet de [E] [D] portait sur la construction d’une maison individuelle.
La SA LCL a procédé au déblocage de nombreux appels de fonds au profit de la société Pro World Company sans émettre la moindre mise en garde, alors qu’elle ne pouvait ignorer qu’elle versait les fonds à la même entreprise, chargée d’édifier une maison individuelle, mais sans avoir justifié de la souscription d’une garantie de livraison.
La SA LCL a donc manqué à son obligation d’information et de conseil, tant au stade de l’émission des offres, en s’abstenant d’informer l’emprunteur des risques encourus, qu’au stade du déblocage des fonds, en s’abstenant de demander la garantie de livraison.
La question de l’applicabilité de l’article L.231-10 du CCH est donc dépourvue de tout intérêt en l’espèce car les demandes de [E] [D] ne sont pas fondées sur l’article L.231-10 du CCH, mais sur l’ancien article 1147 du code civil.
Concernant de l’étendue de la garantie de livraison manquante, elle couvre le dépassement de prix nécessaire à l’achèvement des travaux mais aussi les conséquences d’un paiement anticipé du prix.
La jurisprudence écarte la qualification de perte de chance.
Les demandes de [E] [D] ne sont pas prescrites car:
– Par actes d’huissier datés des 15 et 16 novembre 2012, [E] [D] a fait assigner en extension de mission Me [B], liquidateur judiciaire de M. [M], et la SA LCL, devant le juge des référés du tribunal de grande instance d’Évry. Par ordonnance datée du 26 mars 2013, le juge des référés a fait droit à cette demande. Ainsi à l’égard de la société LCL, le délai quinquennal de prescription a donc été valablement interrompu le 16 novembre 2012, et ce jusqu’au 26 mars 2013.
– Ce délai de prescription a de nouveau été interrompu le 26 mars 2018 par l’assignation au fond ayant introduit la présente instance.
– Aucune prescription n’est donc encourue, le délai de prescription quinquennale ayant été interrompu à deux reprises.
– [E] [D] a subi des préjudices immatériels en raison des manquements à ses obligations de la LCL
Du fait de la défaillance de la société Pro World Company, [E] [D] a été contrainte de louer un F2 à compter du 25 août 2010, pour un loyer mensuel de 565 € charges comprises, tout en continuant de payer les traites des deux emprunts relatifs aux travaux de construction, outre les traites relatives à l’emprunt relatif à l’achat du terrain. Ce loyer n’étant pas excessif, [E] [D] est bien fondée à demander le remboursement des loyers payés pour cet appartement.
A ce jour, le montant de ces loyers s’élève à 565 € x 112 mois (septembre 2010 – décembre 2019) = 62 715 €, à parfaire en fonction de la durée de l’achèvement des travaux
Il existe un péril très sérieux quant au recouvrement de la créance de Mme [D] car faute de garantie de livraison, Mme [D] ne peut se tourner vers un garant susceptible de financer l’achèvement des travaux.
La société Pro World Company, qui a cessé toute activité à compter du 25 juin 2010, a été radiée du RCS d’EVRY le 5 août 2010. Elle ne fait même pas l’objet d’une procédure collective, et semble n’être qu’une coquille vide.
Afin de garantir ses droits, [E] [D] a pris une hypothèque judiciaire provisoire sur un bien immobilier appartenant à M. [H]. Ces frais d’hypothèque s’élèvent à la somme de 1 181 €.
L’achèvement des travaux du pavillon étant prévu pour le mois de janvier 2010 [E] [D] avait résilié son bail d’habitation relatif à son précédent logement. Du fait de la défaillance de la société Pro World Company, Mme [D] a donc été contrainte de rechercher en urgence un nouvel appartement en location.
Toutefois, compte tenu des importantes traites mensuelles payées pour rembourser le crédit ayant servi à financer les travaux (pièces 20 et 36), Mme [D] n’était plus en mesure de louer un appartement suffisamment grand pour accueillir ses cinq enfants qu’elle élève seule. Cette situation entraina une division de la famille [D] et [E] [D] dut effectuer un véritable « marathon » tous les matins, pour conduire ses enfants, qui chez la nourrice, qui à l’école, qui à l’université, avant de pouvoir se rendre à son lieu de travail à [Localité 5]. Le trouble de jouissance qui en résulte peut-être estimé au moins à 15 000 €.
Du fait de l’échec de son projet immobilier, [E] [D] subit un grave préjudice moral en étant contrainte d’effectuer de multiples démarches d’où une perte considérable de temps, en subissant un stress et des contrariétés certains, compte tenu de la défaillance de la société Pro World Company et des man’uvres frauduleuses auxquelles son dirigeant s’est livré et en ayant le pénible sentiment d’avoir été abusée par la société Pro World Company et M. [H]. En conséquence, ce chef de préjudice peut être évalué à 15 000€.
La SA LCL a manqué à son obligation d’information et de conseil et la responsabilité du banquier s’étend donc également aux dommages immatériels subis par [E] [D]
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 12 décembre 2022, la société anonyme Crédit lyonnais demande à la cour de :
Statuant sur l’appel interjeté par Madame [D] d’un jugement rendu le 18 juin 2021 par le Tribunal Judiciaire d’EVRY,
L’y déclarer recevable mais mal fondée,
Vu l’article 2224 du Code civil,
Vu les articles L. 232-1 et L. 232-2 du Code de la construction et de l’habitation,
A titre principal,
‘ Infirmer le jugement en ce qu’il a déclarée l’action en responsabilité de Madame [D] recevable,
Et statuant à nouveau,
‘ Juger que les demandes présentées par Madame [D] sont prescrites,
‘ Déclarer, en conséquence, irrecevable l’action introduite par Madame [D],
A titre subsidiaire,
‘ Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Madame [D] de l’ensemble de ses demandes dirigées à l’encontre du CREDIT LYONNAIS,
‘ Juger, en conséquence, que Madame [D] ne peut reprocher aucun manquement à la banque LCL,
‘ Débouter, en conséquence, Madame [D] de l’ensemble de ses demandes,
À titre encore plus subsidiaire,
– Juger que Madame [D] ne peut se prévaloir d’aucun préjudice indemnisable,
– La débouter, en conséquence, de l’ensemble de ses demandes,
À titre infiniment subsidiaire :
-Dire et juger que les préjudices dont Madame [D] se prévaut ne peuvent s’analyser que comme la perte d’une chance de ne pas avoir pu bénéficier d’une garantie de livraison,
– La débouter, en conséquence, de l’ensemble de ses demandes,
En tout état de cause :
– Infirmer le jugement en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
– Condamner Madame [D] à verser au CREDIT LYONNAIS une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– La condamner aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de la SELARL 2H AVOCATS, en la personne de Maître Patricia HARDOUIN avocat au Barreau de Paris, conformément à l’article 699 du même Code.
Le Crédit lyonnais fait valoir en substance que :
Les demandes de [E] [D] sont irrecevables car elles sont prescrites car :
– Elles reposent sur le seul grief envers le Crédit lyonnais qui consiste à lui reprocher d’avoir omis de vérifier l’existence d’une attestation de garantie de livraison, conformément à l’article L. 231-10 du code de la construction et de l’habitation, à l’occasion des mises à disposition des fonds successives intervenues sur ses instructions.
– En vertu de l’article 2224 du code civil résultant de la réforme du 17 juin 2008, applicable à l’espèce, [E] [D] avait cinq ans pour agir à compter de chacune des mises à disposition.
– Si aucune cause suspensive de prescription n’était intervenue, la prescription aurait été acquise aux dates suivantes : le 30 septembre 2014 pour le versement de 45 878,90 euros, le 13 novembre 2014 pour le versement de 45 878,90 euros, le 23 décembre 2014 pour le versement de 27 527,34 euros, le 17 février 2015 pour le versement de 36 703,12 euros, le 31 mars 2015 pour le versement de 20 011,74 euros.
L’assignation a été délivrée le 26 mars 2018.
[E] [D] prétend que son assignation du 16 novembre 2012 aurait interrompu le délai de prescription jusqu’au prononcé de l’ordonnance du 26 mars 2013, lequel aurait une nouvelle fois été interrompu, in extremis, le 26 mars 2018 par l’assignation au fond.
Or, en matière de référé expertise introduit sur le fondement des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, les dispositions spécifiques du premier alinéa de l’article 2239 du code civil prévoient, non pas une interruption du délai de prescription mais une suspension du délai à compter du prononcé de la mesure d’instruction et donc du prononcé de l’ordonnance.
Le délai de prescription a été suspendu par l’ordonnance du 26 mars 2013. Le délai de prescription était donc déjà amputé d’environ trois ans, de sorte qu’il restait deux ans à [E] [D] pour agir.
Le point de départ de ce délai de deux ans a toutefois été reporté, conformément au deuxième alinéa de l’article 2239 du code civil, jusqu’au dépôt du rapport d’expertise, intervenu le 30 juillet 2014.
[E] [D] avait donc au maximum deux ans pour agir à compter de cette date et donc jusqu’au 30 juillet 2016.
L’assignation ayant été délivrée le 26 mars 2018, les demandes introduites par [E] [D] s’en trouvent ainsi prescrites.
A titre subsidiaire, le Crédit lyonnais n’a commis aucune faute car :
Conformément à l’article L. 232-2 du code de la construction et de l’habitation, les dispositions de l’article L. 231-10 du même code sont donc expressément exclues du champ d’application du contrat de construction d’une maison individuelle sans fourniture de plan. En la matière, la banque n’a donc pas à s’assurer de l’existence d’une garantie de livraison lors du déblocage des fonds.
Le contrat conclu entre elle et la société Pro World Company était un contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plan, étant précisé que la banque n’avait pas nécessairement eu connaissance des détails de ce cadre contractuel au moment de la souscription des crédits.
L’article L. 231-10 du code de la construction et de l’habitation, prévoyant notamment l’obligation, pour la banque, de procéder à la vérification de l’existence d’une attestation de garantie de livraison ne s’applique pas aux contrats de construction de maison individuelle sans fourniture de plan.
[E] [D] ne peut donc utilement se prévaloir de ces dispositions qui constituent d’ailleurs l’intégralité du fondement de ses demandes dirigées à l’égard de la banque LCL.
Selon la jurisprudence, il existe bien deux régimes distincts correspondant à deux contrats bien différents que sont les contrats de construction de maison individuelle sans fourniture de plan et les contrats de construction de maison individuelle avec fourniture de plan.
[E] [D] ne fait que procéder par voie d’affirmation en se bornant à indiquer que le contrat litigieux relève bien de l’article L. 231-1 du code de la construction et de l’habitation et se contente de viser les devis descriptifs pour prétendre que le contrat qui a été ensuite conclu était par conséquent un contrat de construction de maison individuelle or le contrat en tant que tel ne présente pas les caractéristiques d’un contrat de construction de maison individuelle. [E] [D] ne pourra qu’être déboutée de sa demande de requalification.
Comme l’ont parfaitement relevé des juges en première Instance, les prêts ont été émis en amont des documents en cause sur lesquels se fonde [E] [D]. Au moment de l’émission des offres, ce n’est précisément qu’un contrat de maîtrise d”uvre qui a été signé. Aussi, la banque n’a commis aucun manquement au stade de l’émission des offres au regard des informations fournies par [E] [D].
Concernant un éventuel manquement de la banque au stade du déblocage des fonds, il convient de rappeler que l’appréciation d’un manquement à l’obligation d’information et de mise en garde de la banque s’apprécie lors de l’octroi du crédit et non au stade de l’exécution puisqu’il s’agit de sanctionner le cas échéant une perte de chance de ne pas contracter.
Comme l’a parfaitement retenu le tribunal, rien ne pouvait laisser supposer à la banque que sa cliente conclurait un contrat de construction de maison individuelle. Cet élément étant postérieur à la conclusion des prêts, aucun manquement ne saurait être reproché à la banque.
À titre encore plus subsidiaire, il n’y a pas de préjudice indemnisable car :
[E] [D] est déjà susceptible d’obtenir doublement la réparation des préjudices revendiqués puisqu’elle dispose d’un titre exécutoire définitif suivant un arrêt en date du 21 février 2020 condamnant Monsieur [H]. Par ailleurs, [E] [D] a pu être relevée de la forclusion de sa créance et déclarer ladite créance à la liquidation judiciaire de la société Pro World Company, pour un montant total de 315 000 euros qui n’est pas achevée.
Elle ne précise aucunement si elle a reçu une quelconque somme au titre des sommes auxquelles Monsieur [H] a été condamné.
Les préjudices revendiqués par la demanderesse sont donc loin de revêtir un caractère certain, composante pourtant essentielle à leur réparation, même lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, d’une perte de chance.
– Il est loin d’être acquis que [E] [D] aurait été indemnisée au titre de la garantie de livraison
[E] [D] doit prouver qu’en l’espèce, la société Pro World Company n’avait bel et bien pas souscrit de garantie de livraison et qu’elle en avait l’obligation, ce qui n’est nullement acquis en l’état des pièces versées aux débats.
[E] [D] devrait surtout démontrer qu’elle était éligible aux conditions de la garantie de livraison, lesquelles sont strictement définies par la loi, ce qu’elle ne fait pas.
À titre infiniment subsidiaire, les préjudices subis ne peuvent s’analyser que comme la perte de chance de ne pas avoir pu bénéficier d’une garantie de livraison car :
Il est de jurisprudence constante que le montant des dommages-intérêts alloués par le juge doit couvrir l’intégralité du préjudice réparable, mais ne doit pas le dépasser. L’indemnité doit représenter aussi exactement que possible le dommage réel subi par le demandeur, mais ne doit rien comprendre de plus. Tout ce qui serait accordé au-delà constituerait un bénéfice illégal pour le demandeur.
En l’espèce, la perte de chance se mesure à la seule probabilité pour [E] [D] d’avoir bénéficié d’une garantie de livraison. En tout état de cause, le préjudice subi par [E] [D] ne saurait être équivalent au coût d’achèvement des travaux.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 février 2023 et l’audience fixée au 13 mars 2023.
CELA EXPOSÉ,
Sur la prescription :
[E] [D] a agi le 26 mars 2018 en responsabilité contractuelle contre le Crédit lyonnais pour manquement à son devoir d’information et de conseil tant lors de l’octroi des crédits qu’à l’occasion de la libération des fonds. Le Crédit lyonnais lui oppose la prescription quinquennale.
Le jugement déféré n’est pas critiqué en ce qu’il retient pour points de départ du délai de prescription les dates successives de déblocage des fonds prêtés, entre le 30 septembre 2009 et le 31 mars 2010.
Par application des articles 2239 à 2242 du code civil, le délai de prescription fut interrompu le 16 novembre 2012 par l’assignation du Crédit lyonnais en extension d’expertise, jusqu’à l’ordonnance du 26 mars 2013 lui rendant communes les opérations d’expertise (Com., 30 juin 2004, no 03-10.751). Faisant suite à cette interruption, la suspension de la prescription joua jusqu’au jour où l’homme de l’art rendit son rapport, le 30 juillet 2014 (1re Civ., 3 fév. 2021, no 19-12.255). À partir de cette date courut un nouveau délai de cinq ans, dans lequel fut intentée la présente action. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription.
Sur la responsabilité de la banque :
Devant la cour, l’appelante ne fonde son action en responsabilité que sur les dispositions de l’article 1147 ancien du code civil, dans sa rédaction applicable à l’espèce, aux termes duquel le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.
Sur ce fondement, [E] [D] reproche au Crédit lyonnais d’avoir manqué à son obligation d’information et de conseil, d’une part, en ne l’informant pas du risque couru en l’absence de garantie de livraison, d’autre part, en ne réclamant pas l’attestation de garantie de livraison avant de débloquer les fonds.
Sur ce point, il n’est pas produit en appel de nouvel argument ou de nouvelles pièces de nature à remettre en cause l’exacte analyse des premiers juges qui, après avoir rappelé que si le prêteur de deniers n’a pas l’obligation de requalifier en contrat de construction de maison individuelle le document qui lui est soumis, et s’il ne peut s’immiscer dans la convention passée entre le constructeur et le maître de l’ouvrage, il n’en a pas moins un devoir d’information et de conseil, a apprécié cette obligation au regard des pièces dont disposait la banque lors de l’octroi des crédits.
Or, ces pièces ne pouvaient comprendre ni le contrat conclu le 2 octobre 2009 entre le maître de l’ouvrage et le constructeur, ni même les devis établis par celui-ci à partir du mois de septembre 2009, puisque l’offre de prêt, expressément destinée à financer un projet de construction d’une maison individuelle à usage de résidence principale, avait été émise le 20 juillet 2009. Il n’est ainsi pas contesté que le Crédit lyonnais n’avait connaissance à cette date que du contrat de maîtrise d”uvre du 5 juin 2007, du dossier de demande de permis de construire du 26 octobre 2007, de l’acte notarié d’achat du terrain à bâtir daté du 24 mai 2008, et de la notice descriptive sommaire des travaux corps d’état par corps d’état du 15 juin 2009 portant le cachet de l’architecte.
Le tribunal en a justement déduit que le Crédit lyonnais pouvait légitimement penser que l’opération devait être réalisée par un contrat de maîtrise d”uvre et des marchés de travaux distincts, encore que les parties s’accordent pour reconnaître que le contrat finalement passé par le maître d’ouvrage fut un contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plan. Dans ces circonstances, le Crédit lyonnais n’avait pas à avertir l’emprunteur du risque pouvant résulter de l’absence d’une garantie de livraison que la loi n’imposait pas (3e Civ., 9 oct. 2013, no 12-24.900 ; 29 juin 2017, no 15-29.132 ; 11 juil. 2019, no 18-10.368 ; 25 juin 2020, no 19-17.531).
Le prêt ayant été consenti sur la base de pièces faisant ressortir qu’elles se rapportaient à un contrat de maîtrise d”uvre et à des marchés de travaux, et le contrat de construction de maison individuelle , invoqué par le maître de l’ouvrage, n’ayant été conclu que postérieurement à l’octroi du prêt, il s’en déduit pareillement que la banque n’était pas tenue, pour la mise en ‘uvre d’un prêt consenti pour une opération de construction soumise au droit commun, d’exiger la communication d’une attestation de garantie de livraison applicable au contrat de construction de maison individuelle (3e Civ., 26 nov. 2020, no 19-21.848).
En l’absence de faute de l’établissement de crédit, le jugement critiqué sera confirmé en ce qu’il déboute [E] [D] de ses demandes.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. L’appelante en supportera donc la charge.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :
1o À l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2o Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 .
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent.
La somme allouée au titre du secundo ne peut être inférieure à la part contributive de l’État majorée de 50 %.
Il n’y a pas lieu en équité à condamnation sur ce fondement.
LA COUR,
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement ;
Y ajoutant,
DIT n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE [E] [D] aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de la société d’exercice libéral à responsabilité limitée 2H Avocats, en la personne de maître Patricia Hardouin, avocat au barreau de Paris, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
LE PRÉSIDENT LE GREFFIER