Le statut du client (consommateur ou professionnel) joue un rôle clef concernant le recouvrement des honoraires de l’avocat. En effet, l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans (L.218-2 du code de la consommation).
Prescription biennale
La prescription biennale n’est applicable à la demande d’un avocat en fixation de ses honoraires dirigée contre une personne physique que si cette dernière a eu recours à ses services à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole.
Toutefois, en sa qualité de trustee et de bénéficiaire d’un trust, une cliente qui exerce les actions qu’elle estime nécessaire à la préservation du droit patrimonial et moral de son ex époux, artiste défunt, dans les mêmes conditions que ce dernier aurait pu le faire de son vivant, n’est pas un consommateur mais agit à titre professionnel vis-à-vis de son avocat.
En conséquence, la prescription quinquennale de droit commun de l’article 2224 du code civil, lui est applicable.
Reconnaissance par le débiteur de l’existence de sa dette
A noter que la reconnaissance par le débiteur de l’existence de sa dette interrompt le délai de prescription (2240 du code civil). L’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance, ou si sa demande est définitivement rejetée, cette disposition ne comportant aucune distinction selon que la demande est définitivement rejetée par un moyen de fond ou qu’elle est repoussée, soit par un moyen de forme, soit par une fin de non-recevoir laissant subsister le droit d’action (2243 du code civil).
Le départ du délai de la prescription biennale de l’action en fixation des honoraires d’avocats se situe au jour de la fin du mandat et non à celui, indifférent, de l’établissement de la facture.
Modalités de calcul des honoraires
L’article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 tel qu’il résulte de la modification de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 prévoit que : ‘Les honoraires de postulation, de consultation, d’assistance, de conseil, de rédaction d’actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client.
Sauf en cas d’urgence ou de force majeure ou lorsqu’il intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, l’avocat conclut par écrit avec son client une convention d’honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés.
Les honoraires tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci.
A titre d’exemple, un taux horaire de 400 € HT n’est pas excessif au regard de la notoriété de l’avocat, de la spécialisation du cabinet auquel il appartient, de la complexité, de la diversité des nombreuses affaires qui lui ont été confiées et de la situation de fortune du client, l’épouse ayant hérité d’un patrimoine très conséquent.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE ROUEN
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
ORDONNANCE DU 01 JUIN 2021
N° RG 20/03672 –��N° Portalis DBV2-V-B7E-ITHP
DEMANDERESSE :
Madame A Y veuve X
[…]
[…]
représentée par Me Céline BART de la Selarl EMMANUELLE BOURDON CELINE BART, avocat au barreau de ROUEN et assistée de Me Véronique VINCENT, avocat au barreau de PARIS,
DÉFENDEUR :
Monsieur B Z
[…]
[…]
comparant en personne, représenté par Me Valérie GRAY de la Selarl GRAY SCOLAN, avocat au barreau de ROUEN
DEBATS :
A l’audience publique du 09 mars 2021, devant Mme Marie-Christine LEPRINCE, première présidente de la cour d’appel de Rouen, assistée de Mme Catherine CHEVALIER, greffier ; après avoir entendu les observations des parties présentes, la première présidente a mis l’affaire en délibéré au 01 juin 2021.
DECISION :
CONTRADICTOIRE
Prononcée publiquement le 01 juin 2021, par mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Signée par Mme Marie-Christine LEPRINCE, première présidente et par Mme Catherine CHEVALIER, greffier.
Exposé du litige,
Par requête reçue le 20 octobre 2014 à l’ordre des avocats de Paris, Me B Z a saisi le bâtonnier aux fins de voir fixer à la somme de 171 500 € le montant des honoraires qui lui sont dus par Mme A Y veuve X, outre le remboursement des frais et débours pour un montant de 2 283,20 €, la somme de 30 000 € ayant déjà été acquittée, ainsi qu’une somme de 30 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par décision du 29 juin 2015, le délégataire du bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris a fixé à la somme de 114 916,39 € HT le montant total des honoraires dus par Mme A Y veuve X à Me B Z, déduction faite des provisions versées à hauteur de 30 000 € TTC, outre les intérêts légaux, la TVA au taux de 19,60 % ainsi que les débours pour un montant de 614,20 € et dit que Mme A Y veuve X devra verser ces sommes.
Par ordonnance du 14 juin 2016, le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Paris a déclaré nulle la signification par acte d’huissier de justice du 6 janvier 2015 par laquelle Mme A Y veuve X a été convoquée devant le délégué du bâtonnier et invité les parties à faire valoir leurs observations sur les conséquences de cette annulation quant à la décision déférée.
Par ordonnance du 13 décembre 2016, le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Paris a annulé la décision du bâtonnier en date du 29 juin 2015 au motif que la convocation devant le bâtonnier ayant été annulée, la décision rendue par celui-ci était également nulle.
Statuant sur le pourvoi formé par Me Z, la 2e chambre civile de la Cour de cassation, par arrêt rendu le 8 février 2018, a cassé et annulé, en toutes leurs dispositions, les ordonnances rendues les 14 juin et 13 décembre 2016, a remis en conséquence la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant lesdites ordonnances et, pour y être fait droit, les a renvoyées devant le premier président de la cour d’appel de Versailles.
Par ordonnance du 20 mars 2019, le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Versailles a réformé la décision du bâtonnier en date du 29 juin 2015, rejeté l’exception de procédure tirée de la nullité de la convocation de Mme Y veuve X devant le délégataire du bâtonnier et déclaré prescrite l’action en paiement d’honoraires diligentée par Me Z à l’encontre de Mme Y veuve X.
Statuant sur le pourvoi formé par Me Z, la 1re chambre civile de la Cour de cassation, par arrêt rendu le 21 octobre 2020, a cassé et annulé l’ordonnance précitée mais seulement en ce qu’elle a déclaré prescrite l’action en paiement d’honoraires formée par Me Z à l’encontre de Mme Y veuve X, a remis en conséquence la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et les a renvoyées devant le premier président de la cour d’appel de Rouen.
La Cour de cassation a estimé qu’en retenant que, même si Mme Y veuve X a fait partie d’un trust qui n’a pas de personnalité juridique et même si les interventions de l’avocat pouvaient avoir un caractère commercial, dans ses relations avec celui-ci, Mme Y veuve X est un consommateur, le premier président de la cour d’appel de Versailles avait privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l’article L.218-2 du code de la consommation.
La juridiction du premier président a été saisie le 13 novembre 2020 par déclaration de Mme Y veuve X puis le 16 novembre 2020 par déclaration de Me Z.
L’affaire fixée à l’audience du 2 février 2021 a été renvoyée au 9 mars 2021.
Dans ses conclusions et ses explications à l’audience, Mme Y veuve X soutient qu’ayant confié la défense de ses intérêts à Me Z dans le cadre de dossiers personnels, sans caractère commercial, les dispositions du code de la consommation sont applicables au présent litige.
Elle soulève l’irrecevabilité de l’action en paiement d’honoraires formée par Me Z qu’elle estime prescrite en application du délai biennal prévu par l’article L.137-2 du code de la consommation, dès lors que la saisine du bâtonnier par Me Z, le 16 novembre 2011, n’a pas interrompu la prescription.
Elle ajoute à toutes fins utiles qu’à supposer que les reconnaissances de dettes aient interrompu le délai de prescription, la provision de 30 000 euros a été versée le 10 juillet 2012. L’action en paiement serait tout de même prescrite puisque Me Z pouvait saisir le bâtonnier jusqu’au 10 juillet 2014 alors que ce dernier a été saisi le 20 octobre 2014.
Elle sollicite également sa mise hors de cause au motif que les factures ont été libellées à l’endroit de ‘The X P.X Trust’ et non pas en son nom personnel.
Sur le fond, elle fait essentiellement valoir que :
— les factures n’ayant pas fait l’objet d’une traduction jurée et les correspondances n’ayant pas été traduites en français, ces pièces doivent être écartées des débats,
— Me Z ne justifie pas des diligences facturées,
— les factures sont imprécises, ce qui empêche toute vérification des modalités de facturation,
— le nombre d’heures facturées est excessif compte tenu des diligences réellement accomplies,
— Me Z a dépassé le cadre de la mission qui lui avait été confiée en engageant des procédures sans en informer sa cliente,
— le montant des honoraires réclamés ne correspond pas aux montants figurant sur les factures versées aux débats,
— les prestations immatérielles accomplies dans l’intérêt de sa cliente, ayant son domicile aux Etats-Unis, ne sont pas assujetties au paiement de la TVA,
— elle n’a pas été informée des tarifs et des modalités de facturation.
Enfin, elle sollicite la somme de 30 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions et ses explications à l’audience, Me Z invoque la mauvaise foi de sa cliente quant à la prescription. Il fait valoir que la nature de l’activité de Mme Y épouse X, en sa qualité de trustee, exclut l’application des dispositions du code de la consommation et que la saisine du bâtonnier le 16 novembre 2011 ainsi que les reconnaissances de dettes ont interrompu le délai de prescription qui n’a jamais commencé à courir.
Sur le fond, il demande que la décision du bâtonnier soit réformée et sollicite la fixation des honoraires dus par Mme Y veuve X à la somme de 173 783,20 € HT, déduction faite des provisions versées à hauteur de 30 000 € TTC, outre les intérêts légaux à compter de la reconnaissance de dette du 1er septembre 2011, la capitalisation de ces intérêts, la TVA au taux de 20 % ainsi que les débours pour un montant de 2 166,20 €.
Il soutient que le montant de ses honoraires est justifié au regard de la notoriété du cabinet, des multiples procédures et de la complexité des dossiers qui lui ont été confiés.
Il ajoute que toutes les procédures de saisies ont été engagée avec l’accord de sa cliente.
Enfin, il sollicite la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et la somme de 50 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre la distraction des dépens avancés par son conseil.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La juridiction du premier président ayant été consécutivement saisie par les deux parties, il convient d’ordonner la jonction des dossiers objets d’un enrôlement distinct.
Il résulte des débats et des pièces qui y ont été versées que :
Mme A Y, veuve du sculpteur C D E dit ‘X’, décédé en 2005, a été désignée, par testament, légataire universelle et exécutrice testamentaire, ainsi que trustee du trust crée par le défunt afin de gérer ses oeuvres.
Courant 2010, elle a confié la défense de ses intérêts à Me B Z dans le cadre du règlement de la succession de son mari.
Invoquant un dissentiment avec sa cliente, Me Z s’est dessaisi des intérêts de Mme Y le 30 août 2011 et a saisi le bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris afin d’obtenir la taxation de ses honoraires.
Sur la prescription
Il résulte de l’article L.137-2 du code de la consommation, recodifié L.218-2, que ‘L’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans’.
Aux termes de l’article 2240 du code civil, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.
L’article 2243 du code civil prévoit que l’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance, ou si sa demande est définitivement rejetée, cette disposition ne comportant aucune distinction selon que la demande est définitivement rejetée par un moyen de fond ou qu’elle est repoussée, soit par un moyen de forme, soit par une fin de non-recevoir laissant subsister le droit d’action.
La prescription biennale n’est applicable à la demande d’un avocat en fixation de ses honoraires dirigée contre une personne physique que si cette dernière a eu recours à ses services à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole.
Si la qualité de trustee n’exclut pas nécessairement celle de consommateur, il importe de déterminer à quelles fins le trustee a eu recours aux services de l’avocat.
En l’espèce, il est établi par les pièces versées aux débats que Mme Y a d’abord confié la défense de ses intérêts à Me Z dans le cadre d’un litige l’opposant à la société
des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) et aux autres héritiers du sculpteur, notamment les enfants nés d’une première union.
Ces derniers, contestant les dispositions testamentaires prises par le défunt, avaient obtenu la séquestration de tous les fonds appartenant à la succession du sculpteur, en particulier les fonds détenus par l’ADAGP, entre les mains du bâtonnier de Paris.
Me Z a ainsi été mandaté par Mme Y afin de diligenter toute procédure visant à contester ce séquestre et, in fine, à faire reconnaître le droit de sa cliente à bénéficier des droits d’exploitation de l’oeuvre de son défunt mari alors que ces droits de succession étaient contestés par les autres héritiers.
Il s’ensuit que Mme Y, pour cette procédure, a eu recours aux services de Me Z à des fins personnelles visant à faire reconnaître ses droits dans la succession de son mari, ce qui n’entre pas dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que Mme Y doit être considérée comme une consommatrice pour le litige l’opposant à l’ADAGP et aux autres héritiers concernant les droits d’exploitation de l’oeuvre du sculpteur ‘X’ par sa veuve.
Par conséquent, la prescription biennale prévue par l’article L.137-2 du code de la consommation, recodifié L.218-2, est applicable pour les diligences facturées par Me Z dans le cadre de cette procédure.
Mme Y fait valoir qu’est prescrite, en application du délai biennal, l’action en paiement des honoraires introduite par Me Z, le 20 octobre 2014, devant le bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris.
Il convient de relever, préalablement, que Me Z auquel il incombe d’établir la mauvaise foi de Mme Y pour s’opposer à la prescription de son action en paiement d’honoraires, n’apporte aucun élément en ce sens, étant rappelé que les fins de non-recevoir peuvent être soulevées en tout état de cause.
Il doit être ajouté que le point de départ du délai de la prescription biennale de l’action en fixation des honoraires d’avocats se situe au jour de la fin du mandat et non à celui, indifférent, de l’établissement de la facture.
En l’espèce, il résulte des pièces versées aux débats que :
Me Z s’est dessaisi des intérêts de Mme Y le 30 août 2011 et que le bâtonnier de Paris a été saisi le 20 octobre 2014.
Mme Y a reconnu devoir des honoraires à Me Z dans les courriels des 31 janvier, 4 août et 1er septembre 2011 que ce dernier verse aux débats.
Me Z a saisi une première fois le bâtonnier de Paris, le 16 novembre 2011, en taxation de ses honoraires, ce qui a abouti à une première décision du 10 juillet 2012.
Dans cette décision, le bâtonnier a donné acte à Mme Y de son engagement de verser à Me Z la somme de 30 000 € sous la forme de trois versements. Il a ensuite prononcé son dessaisissement au motif que le litige n’était pas en état de recevoir une solution, ajoutant que l’instance pourrait être réintroduite par la partie la plus diligente.
Me Z ayant de nouveau saisi le bâtonnier en 2013, celui-ci a déclaré sa demande irrecevable, par décision du 9 avril 2013, ce qui a été confirmé par le premier président de la cour d’appel de Paris dans une décision du 7 octobre 2014, qui n’a fait l’objet d’aucun recours.
Au regard de ces éléments, l’action introduite par Me Z devant le bâtonnier en 2013 ne peut être considérée comme ayant interrompu la prescription dès lors que cette action a été déclarée irrecevable par décision définitive et irrévocable du 7 octobre 2014.
Si Me Z fait justement valoir que la reconnaissance de dette, même partielle, interrompt le délai de prescription de l’action en paiement d’honoraires, il sera néanmoins relevé qu’un délai de plus de deux ans s’est écoulé entre le 10 juillet 2012, date à laquelle le bâtonnier a constaté l’engagement de Mme Y de régler la somme de 30 000 €, et le 20 octobre 2014, date de la dernière saisine du bâtonnier.
Par conséquent, il y a lieu de déclarer irrecevable car prescrite l’action en paiement d’honoraires diligentée par Me Z s’agissant des prestations accomplies dans le cadre du litige opposant Mme Y à l’ADAGP et aux autres héritiers du défunt relatif aux droits d’exploitation de l’oeuvre du sculpteur ‘X’.
Cependant, il est établi par les pièces versées aux débats que par ailleurs, courant 2010-2011, Mme Y a mandaté Me Z afin de procéder à plusieurs saisies contrefaçons à Paris et en province, une procédure en validité de saisie ayant été diligentée parallèlement devant le tribunal de grande instance de Paris à l’encontre de la société ARTS ET ANTIQUITES afin d’obtenir la confiscation de plusieurs oeuvres que Mme Y désignait comme étant des contrefaçons.
Me Z a également déposé, le 18 janvier 2011, dans l’intérêt de Mme Y, une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris, à l’encontre de la société ARTS ET ANTIQUITES, du chef de contrefaçons.
L’avocat fait valoir à cet égard que sa cliente faisait surveiller le marché et désignait les objets devant être saisis, ces procédures ayant pour objet de mettre fin à un important trafic qui portait atteinte à la réputation de l’artiste décédé, ce que ne conteste pas Mme Y.
Bien que cette dernière n’ait pas elle-même la qualité de commerçant, ni même la qualité de professionnel, il apparaît néanmoins qu’en sa qualité de trustee et de bénéficiaire du trust, elle a exercé les actions qu’elle estimait nécessaires à la préservation du droit patrimonial et moral de l’artiste défunt, dans les mêmes conditions que ce dernier aurait pu le faire de son vivant.
Contrairement à ce qu’affirme Mme Y, la préservation des droits patrimoniaux et du droit moral de l’artiste décédé doit donc être considérée comme sortant du champ de la protection du consommateur.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que Mme Y ayant eu recours aux services de Me Z dans le cadre de son activité commerciale, elle ne peut se voir reconnaître la qualité de consommatrice pour le litige l’opposant à la société ARTS ET ANTIQUITES et s’agissant des saisies contrefaçons diligentées par Me Z.
Par conséquent, la prescription prévue par l’article L.137-2 du code de la consommation, recodifié L.218-2, n’est pas applicable pour les diligences facturées par Me Z dans le cadre des procédures susvisées.
Il doit être ajouté qu’en cette hypothèse, la prescription de l’action en paiement des honoraires
de l’avocat n’est pas la prescription biennale prévue par le texte précité, mais la prescription quinquennale de droit commun de l’article 2224 du code civil, l’action en paiement des honoraires introduite par Me Z, le 20 octobre 2014, devant le bâtonnier de Paris n’étant manifestement pas prescrite en application du délai quinquennal susvisé.
Sur la mise hors de cause de Mme Y
Mme Y explique que les factures dont Me Z sollicite le règlement sont toutes libellées à l’ordre de ‘The X P. X Trust’.
Me Z fait valoir en défense que Mme Y, en sa qualité de trustee, est seule propriétaire des biens du trust lequel n’est pas distinct de sa propre personne.
Il n’est cependant pas nécessaire d’évoquer les distinctions entre trustee et bénéficiaire pour savoir qui est le débiteur des honoraires, ainsi que le souligne à juste titre le bâtonnier, dès lors qu’il ressort des nombreux échanges entre les parties, versés aux débats, que Mme Y a confié la défense de ses intérêts à Me Z, en son nom personnel.
En outre, cette dernière n’est jamais intervenue explicitement en qualité de trustee ou de bénéficiaire du trust, l’ensemble des actes de procédure relatifs aux saisies contrefaçons, produits par Me Z, ayant été accomplis au seul nom de Mme Y.
Par ailleurs, au regard des développements précédents, Mme Y a reconnu devoir des honoraires à Me Z dans les courriels des 31 janvier, 4 août et 1er septembre 2011, sans que sa qualité de trustee ou de bénéficiaire du trust ne soit évoquée.
Il résulte de tous ces éléments que Mme Y, unique cliente de Me Z, doit être considérée comme la seule débitrice des honoraires facturés par son avocat au titre des diligences accomplies dans son intérêt, nonobstant l’absence de facture libellée à son endroit.
Le bâtonnier ayant manifestement rejeté la demande de mise hors de cause de Mme Y mais n’ayant pas statué dans le dispositif de sa décision sur cette demande, la décision du bâtonnier sera complétée sur ce point.
Sur le rejet des correspondances et des factures pour défaut de traduction jurée
Mme Y sollicite, sur le fondement du principe du contradictoire et des droits de la défense, que soient écartées des débats les factures dont Me Z réclame le paiement au motif que ces factures, qui ont été traduites par Me Z lui-même, n’ont pas fait l’objet d’une traduction assermentée par un expert.
Elle sollicite également le rejet des correspondances produites par Me Z dès lors que le conseil de Mme Y, qui ne maîtrise pas la langue anglaise, ne peut en prendre connaissance et assurer sa défense dans le cadre de la présente instance.
Me Z fait valoir que Mme Y ne sollicite la traduction des pièces que dans l’intérêt de son conseil et qu’il n’existe aucune obligation légale de faire traduire les pièces par un traducteur assermenté.
L’article 111 de l’ordonnance de Villers Cotterêts du 25 août 1539 qui fonde la primauté et l’exclusivité de la langue française devant les juridictions nationales, ne concerne que les actes de procédure. Il appartient en conséquence aux juges du fond, dans l’exercice de leur pouvoir souverain, d’apprécier la force probante des éléments qui leur sont soumis.
En conséquence, aucun texte ni aucune règle générale de procédure n’interdit au juge de tenir compte, alors même qu’elles sont rédigées en langue anglaise, des factures et des correspondances produites par Me Z.
S’agissant des factures, il convient, préalablement, de rappeler qu’aucun texte n’impose que les pièces rédigées dans une langue étrangère fassent l’objet d’une traduction assermentée.
Au surplus, les documents produits, bien qu’écrits en partie en langue étrangère, présentent une partie de leurs mentions en français, des sommes en chiffres et en euros ainsi que des mentions en anglais compréhensibles par la juridiction du premier président.
Ces pièces seront donc retenues.
S’agissant de la pièce 30, il s’agit d’échanges de courriels dont une partie seulement est rédigée en anglais de sorte qu’il n’y a pas lieu de les écarter des débats.
Par ailleurs, Mme Y, qui maîtrise parfaitement la langue anglaise puisqu’il s’agit de sa langue maternelle, a pu être en mesure de comprendre le contenu des factures et des correspondances produites par Me Z et ne subit de ce fait aucun grief.
Comme le fait justement remarquer l’intimé, elle ne peut se prévaloir de l’ignorance de la langue anglaise par son conseil dès lors que les règles de la procédure, notamment le principe du contradictoire, ont pour objet de protéger les parties et non de suppléer la carence de leurs conseils.
Par conséquent, il n’y a pas lieu d’écarter des débats les factures et les correspondances produites par Me Z.
Le bâtonnier ayant manifestement admis l’ensemble de ces pièces mais n’ayant pas statué dans le dispositif de sa décision sur la demande formée par Mme Y aux fins de les voir déclarées irrecevables, la décision du bâtonnier sera complétée sur ce point.
Sur le montant des honoraires
Il convient, au préalable, de rappeler que seules seront examinées les diligences accomplies par Me Z dans le cadre des procédures relatives aux saisies contrefaçons et à la préservation du droit moral de l’artiste, qui ne sont pas prescrites.
L’article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 tel qu’il résulte de la modification de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 prévoit que :
‘Les honoraires de postulation, de consultation, d’assistance, de conseil, de rédaction d’actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client…
Sauf en cas d’urgence ou de force majeure ou lorsqu’il intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, l’avocat conclut par écrit avec son client une convention d’honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés.
Les honoraires tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci’.
Il n’est pas contesté qu’aucune convention d’honoraires n’a été signée entre Mme Y et Me B Z. Néanmoins, ceci ne prive pas l’avocat de la juste indemnisation de ses diligences, laquelle est alors fixée en tenant compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci.
Mme Y est mal fondée à soutenir que Me Z aurait dépassé le mandat qui lui a été confié alors qu’il ressort des nombreux échanges entre les parties, versés aux débats, que l’avocat tenait informée sa cliente, très régulièrement, de l’avancée des différentes procédures et prenait en considération les instructions de cette dernière quant à la conduite des procédures et les saisies à effectuer.
Mme Y conteste également le taux horaire de 400 € HT pratiqué par Me Z dont elle avait pourtant connaissance.
Ce taux horaire n’est pas excessif au regard de la notoriété de Me Z, de la spécialisation du cabinet auquel il appartient, de la complexité, de la diversité des nombreuses affaires qui lui ont été confiées et de la situation de fortune du client, Mme Y ayant hérité d’un patrimoine très conséquent.
Me Z verse aux débats 17 factures s’échelonnant du 1er mars 2010 au 29 juillet 2011 pour un montant d’honoraires facturés de plus de 170 000 € dont il y a lieu de déduire les diligences accomplies dans le cadre du dossier ‘ADAGP’.
Il produit également une fiche de diligences du 17 octobre 2014 ainsi qu’un état récapitulatif pour un montant total de 173 783,20 € HT dont il sollicite le paiement en cause d’appel.
Mme Y fait valoir à juste titre que les factures ne sont pas suffisamment détaillées dès lors qu’il incombe à l’avocat de fournir des factures détaillées afin que le juge de l’honoraire soit en mesure d’apprécier le bien-fondé de sa demande.
Me Z produit au soutien de ses prétentions les pièces suivantes :
— une plainte avec constitution de partie civile contre la société ARTS ET ANTIQUITES,
— un jeu de conclusions sur incident,
— un jeu de conclusions au fond dans le cadre de la procédure en validité de saisie diligentée contre la société ARTS ET ANTIQUITES devant le tribunal de grande instance de Paris,
— un projet de contrat de mise à disposition d’oeuvres conclu entre Mme Y et la société HOTEL NEGRESCO,
— douze procès-verbaux de saisies contrefaçons.
Par ailleurs, si l’ensemble des assignations facturées n’ont pas été produites, il résulte des courriels échangés entre les parties que Me Z a diligenté de nombreuses saisies contrefaçons et rédigé plusieurs assignations en ce sens dans l’intérêt de Mme Y.
Afin de tenir compte de l’imprécision des factures et du temps passé au titre des diligences accomplies qui paraît excessif au regard des pièces versées aux débats, les diligences facturées par Me Z doivent être réduites à de plus justes proportions.
Les honoraires seront fixés à la somme totale de 90 000 € HT sous déduction des provisions versées à hauteur de 30 000 €.
Il convient d’assortir cette somme du montant des débours restant dus non contestés à hauteur de 614,20 € (2 166,20 € demandés – 1 152 € déjà réglés).
Mme Y fait valoir que les prestations immatérielles accomplies dans l’intérêt de sa cliente, ayant son domicile aux Etats-Unis, ne sont pas assujetties au paiement de la TVA.
Or, la juridiction du premier président connaît des recours formés contre les décisions du bâtonnier statuant sur les réclamations en matière d’honoraires des avocats comme il est prévu par l’article 176 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, ces contestations ne pouvant être réglées qu’en recourant à la procédure instituée par les articles 174 à 178 de ce texte.
S’agissant d’une procédure conférant des pouvoirs exceptionnels au premier président, celui-ci ne doit pas être conduit à statuer sur des litiges relevant normalement des juges de droit commun à l’occasion de la contestation dont il est saisi.
Le premier président n’a donc pas le pouvoir de se prononcer sur une contestation se rapportant à l’application de la TVA aux prestations fournies en exécution du mandat de représentation et d’assistance confié par le client à l’avocat.
Mme Y doit donc être déboutée du chef de la contestation de l’application de la taxe sur la valeur ajoutée qui relève de la compétence du juge administratif.
Il résulte de tout ce qui précède que la décision du bâtonnier doit être réformée et que le montant total des honoraires dus à Me Z par Mme Y est fixé à la somme de 90 000 € HT, sous déduction de la provision versée de 30 000 €, soit un solde de 60 000 € HT, outre la TVA au taux de 19,6 % applicable aux prestations accomplies avant le 1er janvier 2014, les intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente ordonnance, la capitalisation des intérêts à compter du 25 janvier 2021, date du dépôt des conclusions de Me Z, et les débours justifiés pour la somme de 614,20 € HT.
Sur la demande de dommages et intérêts pour appel abusif
Conformément à l’article 32-1 du code de procédure civile, en cas d’appel dilatoire ou abusif, l’appelant peut être condamné à une amende civile d’un montant maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages et intérêts qui lui seraient réclamés.
Me Z considère que Mme Y a interjeté appel contre la décision du bâtonnier dans un but dilatoire.
En l’espèce, aucun élément du dossier ne permet d’établir que le droit pour Mme Y d’interjeter appel de la décision l’ayant condamnée à régler des honoraires à Me Z serait abusif et l’existence d’un préjudice en lien avec la faute alléguée n’est pas davantage établie.
Me Z sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif.
Sur l’article 700 et les dépens
Les dépens seront laissés à la charge de chaque partie.
L’équité ne commande pas qu’il soit fait droit aux demandes des parties sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Ordonnons la jonction des procédures inscrites au rôle sous les n°de RG 20/03699 et 20/03672,
Vu l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 21 octobre 2020,
Déclarons l’action de Me B Z en fixation de ses honoraires prescrite mais seulement en ce qui concerne le litige opposant Mme A Y veuve X à l’ADAGP et aux autres héritiers,
Infirmons en toutes ses dispositions l’ordonnance de taxe rendue le 29 juin 2015 par le bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Disons n’y avoir lieu à mettre hors de cause Mme A Y veuve X,
Disons n’y avoir lieu à écarter des débats les factures et les correspondances produites par Me B Z, rédigées en langue étrangère,
Fixons les honoraires dus par Mme A Y à Me B Z à la somme de 90 000 € HT, sous déduction de la provision versée de 30 000 €, soit un solde de 60 000 HT et à la somme de 614,20 € le montant des débours à lui rembourser,
Condamnons en conséquence Mme A Y veuve X à payer à Me B Z la somme de 60 000 € HT au titre de ses honoraires avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente ordonnance, outre la TVA au taux de 19,60 % et les débours justifiés à hauteur de 614,20 €,
Disons que les intérêts échus impayés produiront eux-mêmes intérêts au même taux dès lors qu’il sont échus depuis une années à compter des conclusions notifiées le 25 janvier 2021, soit la première fois le 25 janvier 2022,
Déboutons Me B Z de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif,
Déboutons les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Laissons à chaque partie la charge de ses dépens.
Accordons le bénéfice de distraction aux avocats qui en ont fait la demande et peuvent y prétendre.
La Greffière La Première Présidente