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La Commission d’examen des pratiques commerciales,
Vu la lettre enregistrée le 28 avril 2016, sous le numéro 16-29, par laquelle un professionnel saisit la Commission afin de recueillir son avis sur la conformité d’une pratique afférente aux délais de paiement à la législation française applicable en la matière. Plus précisément, il s’agit de se voir préciser si et dans quelle mesure un délai de paiement de 60 jours à compter de la date de réception de la facture peut être licitement pratiqué avec des fournisseurs de marchandises situés hors de France.
Vu les articles L440-1 et D440-1 à D440-13 du code de commerce ;
Les rapporteurs entendus lors de ses séances plénières des 10 novembre 2016 et 2 mars 2017 ;
Réponse :
Résumé
Au regard des dispositions légales applicables aux délais de paiement, il n’est pas licite de retenir la date de réception de la facture comme point de départ d’un délai de paiement.
En cas de délais de paiements conventionnels, l’émission de la facture constitue en principe le point de départ du décompte des délais de paiement.
En application des dispositions fiscales, la facture doit être émise dès le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire (c’est-à-dire généralement au moment de l’échange des consentements) ; il est cependant admis qu’elle ne soit établie qu’au moment de la remise de ce bien lorsque celle-ci intervient moins d’un mois après la date à laquelle l’acheteur peut disposer de celui-ci comme un propriétaire.
En application des dispositions du code de commerce, le non-respect des plafonds légaux de paiement expose l’entreprise cliente à l’amende administrative prévue à l’article L. 441-6-VI. En cas de retard de règlement, les pénalités de retard et l’indemnité forfaitaire de recouvrement seront exigibles de plein droit, en application de l’article L. 441-6 du code de commerce, le jour suivant la date de paiement indiquée sur la facture.
L’entreprise cliente qui obtiendrait ou tenterait d’obtenir le bénéfice d’un délai de paiement supérieur à celui résultant des dispositions légales, pourrait, le cas échéant, être susceptible de contrevenir à l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce.
Pour rappel, la question de savoir dans quelle mesure la législation française relative au paiement résultant du Titre IV du Livre IV du code de commerce est applicable aux relations entre un acheteur établi en France et des fournisseurs établis hors de France a déjà été examinée par la Commission dans ses avis 16-1 et 16-12.
Si on considère que la loi française s’applique à ce type de transaction, la question soulevée par la saisine porte sur la conformité du mode de computation retenu, à partir de la « date de réception de la facture », à la législation française en matière de délais de paiement.
En pratique, il peut arriver que la facture soit émise et adressée par le fournisseur non domicilié en France puis réceptionnée par l’acheteur en France avant la livraison de la marchandise.
Si on se trouve dans cette hypothèse, la question d’une computation des délais à compter d’une réception de facture (qui serait non – concomitante à la livraison) poserait la question du caractère certain de la date de réception de la facture.
Pour prouver le respect du délai, il serait nécessaire de rapporter la preuve de chaque date de réception de facture. Il faudrait donc une date certaine (résultant de l’accusé de réception d’une lettre recommandée avec accusé de réception notamment). Or, dans la pratique, les outils permettant de donner date certaine n’apparaissent pas adaptés (coûts, lourdeur), s’agissant de factures.
La « date de réception de la facture » pose donc une première difficulté en termes de caractère probant.
Aux termes de l’article L. 441-6 I, alinéa 9 du code de commerce, « le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d’émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d’émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu’il ne constitue pas un abus manifeste à l’égard du créancier. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l’article 289 du code général des impôts, le délai convenu entre les parties ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d’émission de la facture ». Que les factures soient simples ou périodiques, le législateur a, par principe, retenu la date d’émission de la facture comme point de départ des délais de paiement convenus.
Les dispositions de l’article L. 441-6 I du code de commerce étant d’application stricte, les dérogations ne sont possibles que si celles-ci ont été prévues expressément par d’autres dispositions législatives.
Or, aucune disposition dérogatoire ne prévoit le choix d’une date de réception de la facture comme point de départ du délai de paiement convenu : la seule date de réception visée par le législateur est la réception de la marchandise.
Le législateur a prévu à l’article L. 441-6 I alinéa 10 du code de commerce que « Les professionnels d’un secteur, clients et fournisseurs, peuvent décider conjointement de réduire le délai maximum de paiement fixé à l’alinéa précédent. Ils peuvent également proposer de retenir la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation de services demandée comme point de départ de ce délai. Des accords peuvent être conclus à cet effet par leurs organisations professionnelles. Un décret peut étendre le nouveau délai maximum de paiement à tous les opérateurs du secteur ou, le cas échéant, valider le nouveau mode de computation et l’étendre à ces mêmes opérateurs ».
La date de réception de la facture ne peut donc constituer le point de départ d’un délai de paiement.
Il s’agit de l’hypothèse où la facture est émise dès le transfert de propriété, lequel intervient en principe dès la conclusion du contrat de vente (sauf clause de réserve de propriété) ;
L’émission de la facture constituant le point de départ des délais de paiement convenus, le délai de 60 jours commencera à courir dès cette date et avant la réception des marchandises.
Dans cette hypothèse, il est possible pour les parties de retenir la date de réception des marchandises à titre dérogatoire (article L. 441-6 I alinéa 10).
Ainsi, le délai de 60 jours commencera à courir dès la livraison des marchandises, la facture étant émise postérieurement en application d’une dérogation fiscale portant sur le différé de facturation. En effet, pour les ventes dont le prix n’est pas fixé au moment de la vente mais est néanmoins déterminé par des éléments ne dépendant plus de la volonté des parties (par exemple les contrats de vente se référant à une cotation ultérieure pour la détermination du prix de vente), la facture doit être émise dès que le prix est connu (cf. BOI-TVA-DECLA-30-20-10-20140013 du 13 janvier 2014 § 610).
En dehors de cette dérogation aux modes de computation (prévu à l’alinéa 9), la date d’émission de la facture constituera le point de départ du décompte du délai conventionnel de 60 jours.
Dans cette hypothèse, l’émission de la facture est concomitante à la livraison de la marchandise car le fait générateur de l’émission de la facture est celui de la remise matérielle des marchandises. Il s’agit d’un cas de tolérance fiscale limitée à l’hypothèse où le client reçoit la marchandise, ou la prend en charge, dans le délai d’un mois suivant la date du transfert de propriété.
L’émission de la facture constitue le point de départ du décompte des délais de paiement conventionnels (article L. 441-6 I, alinéa 9). Ainsi, le délai de 60 jours commencera à courir dès l’émission de la facture, qui se trouve être concomitante à la livraison des marchandises.
Si aucun délai n’est convenu entre les parties pour régler les sommes dues (le délai convenu pouvant être fixé par contrat ou mentionné sur les conditions générales de vente acceptées ou, de manière supplétive, sur les factures non contestées), le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation demandée (article L. 441-6 alinéa 8 du code de commerce).
Le délai convenu entre les parties ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d’émission de la facture (article L. 441-6 alinéa 9 du code de commerce).
Si le contrat le prévoit, le délai de paiement peut être de 45 jours fin de mois à compter de la date d’émission de la facture, s’il ne constitue pas un abus manifeste à l’égard du créancier (article L. 441-6 alinéa 9 du code de commerce).
En cas de facture périodique (au sens du 3 du I de l’article 289 du code général des impôts), le délai prévu dans le contrat ne peut dépasser 45 jours à compter de la date d’émission de la facture (article L441-6 alinéa 9 du code de commerce).
Les parties peuvent prévoir au contrat de fixer le début du délai à la date de réception des marchandises mais à la condition que ce mode de computation ne conduise pas à un délai de paiement effectif supérieur aux plafonds légaux prévus à l’alinéa 9. Cette limite est justifiée par l’objectif de réduction des délais de paiement dans lequel s’inscrit l’alinéa 10.
Comme le précise la Note d’Information DGCCRF n°2014-185 relative à l’application des dispositions de la loi relative à la consommation modifiant le livre IV du code de commerce sur les pratiques commerciales restrictives de concurrence, la réduction contractuelle des délais de paiement à un délai inférieur aux maxima légaux a été rendue possible par l’article L441-6 I, alinéa 10 du code de commerce. En effet, celui-ci permet aux acteurs économiques de décider de fixer un délai de paiement inférieur à ceux prévus à l’alinéa 9 de ce même article (60 jours ou par dérogation contractuelle et sous réserve d’un abus manifeste à l’égard du créancier, 45 jours fin de mois, à compter de la date d’émission de la facture).
Dans ce cadre, les parties peuvent prévoir contractuellement de retenir, comme point de départ du décompte des délais de paiement, la date de réception de la marchandise ou de l’exécution de la prestation de service demandée, mas uniquement pour les cas où réception de marchandise / exécution de prestations sont antérieures à la date d’émission de la facture, qui est de principe, émise dès la réalisation de la vente (ou de l’exécution de la prestation de service).
Si la réception de la marchandise est postérieure à la date d’émission de la facture, la dérogation n’est pas possible car le délai effectif de paiement serait supérieur au délai légal de principe prévu à l’alinéa 9.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2014-344 relative à la consommation, la dérogation du point de départ du délai de paiement convenu n’est plus soumise obligatoirement à un accord interprofessionnel et pouvant être étendu par décret : le contrat entre les parties peut suffire, pour retenir que le délai court à compter de la réception des marchandises, dès lors que ladite réception est antérieure à la date d’émission de la facture.
Le deuxième alinéa de l’article L. 441-3 du code de commerce précise que « le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou la prestation du service ».
En l’absence d’interprétation de la notion de « réalisation de la vente » par la jurisprudence, il est admis de considérer que celle-ci peut coïncider avec le transfert de propriété. Ainsi, l’émission d’une facture dès la date de transfert de propriété des marchandises apparait légale. Toutefois, la facture est souvent émise par le vendeur à la livraison des marchandises, sans que cette pratique n’ait été sanctionnée par les tribunaux.
La jurisprudence constante en matière commerciale retient que la livraison consiste en la remise matérielle de la marchandise à l’acheteur (ou son commissionnaire ou mandataire) qui l’accepte ou qui est mis en demeure d’en vérifier l’état (quitte à assortir son acceptation de réserves), puis d’en prendre effectivement possession[1].
Ainsi, en application des dispositions du code de commerce et sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, le fournisseur apparait pouvoir émettre sa facture dès la date de transfert de propriété des marchandises vendues ou dès la date de leur remise matérielle à son acheteur.
Le premier alinéa de l’article 289-I-3° du code général des impôts dispose que « la facture est, en principe, émise dès la réalisation de la livraison ou de la prestation de services ». Le 1° du II de l’article 256 du même code précise que : « est considéré comme livraison d’un bien, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire ».
Le 3° du II de l’article 256 de ce code prévoit par ailleurs que sont également considérés comme livraisons de bien « la remise matérielle d’un bien meuble corporel en vertu d’un contrat qui prévoit la location de ce bien pendant une certaine période ou sa vente à tempérament et qui est assorti d’une clause selon laquelle la propriété de ce bien est normalement acquise au détenteur ou à ses ayants droits au plus tard lors du paiement de la dernière échéance » ou « la remise d’un bien meuble corporel en vertu d’un contrat de vente qui comporte une clause de réserve de propriété ».
La direction générale des finances publiques précise également : « Pour les livraisons de biens meubles corporels, dont le fait générateur intervient lors du transfert de propriété, il est admis que la facture ne soit établie qu’au moment de la remise du bien au client, lorsque celle-ci intervient dans un court délai après la réalisation du fait générateur. Ce délai doit être en tout état de cause inférieur à un mois. A défaut, la facture doit être établie sans attendre la remise matérielle, c’est-à-dire au plus tard dans le mois suivant la date de l’échange des consentements (dans le mois suivant la conclusion du contrat). Sous le bénéfice de cette précision, la facture doit être émise au plus tard lors de la remise du bien au client, c’est-à-dire :
Ainsi, en application des dispositions fiscales, la facture doit être émise dès le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire ; il est cependant admis qu’elle ne soit établie qu’au moment de la remise de ce bien lorsque celle-ci intervient moins d’un mois après la date à laquelle l’acheteur peut disposer de celui-ci comme un propriétaire.
En toute hypothèse, le non-respect des plafonds légaux de paiement expose l’entreprise cliente à l’amende administrative prévue à l’article L. 441-6-VI. En cas de retard de règlement, les pénalités de retard et l’indemnité forfaitaire de recouvrement seront exigibles de plein droit, en application de l’article L. 441-6 du code de commerce, le jour suivant la date de paiement indiquée sur la facture.
Enfin, l’entreprise cliente qui obtiendrait ou tenterait d’obtenir le bénéfice d’un délai de paiement supérieur à celui résultant des dispositions légales pourrait, le cas échéant, être susceptible de contrevenir à l’article L. 442-6-I, 2° du code de commerce. Cela supposerait que son fournisseur soit un partenaire commercial au sens de ce texte et que le comportement du client puisse être considéré comme le fait « de soumettre ou de tenter de soumettre (son) partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». Il est en outre rappelé que la recherche d’un éventuel déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties requiert un examen concret des stipulations en cause, en prenant en compte le contrat dans sa globalité et qu’une fois caractérisé un déséquilibre significatif à partir de l’analyse d’une ou plusieurs stipulations, il appartient à l’autre partie d’établir l’absence de déséquilibre significatif à l’échelle du contrat, soit que la clause est pourvue de justification objective (Paris Pôle 5, Chambre 4, 1er octobre 2014, 13/16336), soit en apportant la preuve que le déséquilibre se trouve compensé par d’autres dispositions contractuelles ou des avantages (Cass. Com. 3 mars 2015, n°14-10.907, Provera France ; Cass. Com. 27 mai 2015, n°14-11387, Galec ; en dernier lieu, Cass. Com. 29 septembre 2015, n°13-25043, EMC).
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 2 mars 2017, présidée par Madame Annick LE LOCH
Fait à Paris, le 2 mars 2017,
La présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales
[1] Cf. Cour de Cassation, chambre commerciale, 17 novembre 1992 – n° de pourvoi n°90-22147.
[2] Cf. Bulletin Officiel des Finances Publiques-impôts – Identifiant juridique : BOI-TVA-DECLA-30-20-10-20140113 – date de publication : 13/01/2014 – TVA-Régimes d’imposition et obligations déclaratives et comptables – Règles relatives à l’établissement des factures – Délivrance de factures.