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La Commission d’examen des pratiques commerciales,
Vu la lettre enregistrée le 7 mars 2016, sous le numéro 16-21, par laquelle un avocat souhaite recueillir l’avis de la Commission sur l’application de l’article L441-6-I, alinéa 9 du code de commerce à un contrat international de vente de marchandise conclu entre un vendeur étranger (établi dans un autre Etat membre de l’Union européenne ou hors de l’Union européenne) et un acheteur établi en France, lorsque ce contrat est soumis à la compétence du juge français et de la loi française (dont la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandise fait partie intégrante).
Vu les articles L440-1 et D440-1 à D440-13 du code de commerce ;
Le rapporteur entendu lors de sa séance plénière du 16 juin 2016 ;
Les contrats de vente internationale de marchandises relevant de la convention de Vienne du 11 avril 1980 ne sont pas soumis au plafond des délais de paiement prévu par l’article L. 441-6 I alinéa 9 du code de commerce. Par l’application combinée de la convention, des principes généraux dont elle s’inspire et de la directive n°2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 concernant la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales, les délais de paiement convenus entre les parties ne devraient pas constituer un abus manifeste à l’égard du créancier, c’est-à-dire traduire un écart manifeste par rapport aux bonnes pratiques et usages commerciaux, contraire à la bonne foi et à un usage loyal, compte tenu de la nature du produit.
La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie par un avocat sur l’application du plafond légal des délais de paiement à un contrat international (vendeur établi à l’étranger, acheteur établi en France) relevant de la convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises.
La convention de Vienne prévoit en effet que « Si l’acheteur n’est pas tenu de payer le prix à un autre moment déterminé il doit le payer lorsque, conformément au contrat et à la présente Convention, le vendeur met à sa disposition soit les marchandises, soit les documents représentatifs des marchandises » (article 58) et que « L’acheteur doit payer le prix à la date fixée au contrat ou résultant du contrat et de la présente Convention, sans qu’il soit besoin d’aucune demande ou autre formalité du vendeur » (article 59).
Ratifiée par La France où elle est entrée en vigueur le 1er janvier 1988, la convention de Vienne constitue le droit substantiel français de la vente internationale de marchandises.
L’article L.441-6 I alinéa 9 du Code de commerce issu de la loi n°2008-776 du 4 août 2008 et modifié par la loi n°2015-990 du 6 août 2015 impose pour sa part, sous peine de sanctions administratives prononcées par la DGCCRF sous forme d’amende, que « Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d’émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d’émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu’il ne constitue pas un abus manifeste à l’égard du créancier ». Ces dispositions sont conformes à la directive n°2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 concernant la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales.
Là où la convention de Vienne laisse les parties libres dans la détermination du moment du paiement, le Code de commerce plafonne les délais de paiement. D’où la question de savoir si ce délai maximal d’ordre public économique interne et européen s’impose lorsque le contrat de vente relève de la convention.
En vertu de son article 1er §1er, « La présente Convention s’applique aux contrats de vente de marchandises entre des parties ayant leur établissement dans des Etats différents : a) Lorsque ces Etats sont des Etats contractants ; ou b) Lorsque les règles de droit international privé mènent à l’application de la loi d’un Etat contractant ». C’est cette seconde hypothèse que l’auteur de la saisine a en vue (choix de la loi française valant choix de la convention de Vienne puisque la France est partie à cette convention et n’a pas émis de réserve à l’application de l’article 1-1 b) comme l’y autorisait l’article 95).
Les parties au contrat conservent la possibilité d’en écarter l’application ou faculté d’« opt out » (Article 6 de la convention). Lorsqu’elles omettent de l’exercer, de façon expresse ou tacite, en s’abstenant de l’invoquer devant le juge français, ce dernier est tenu d’appliquer la convention d’office (Cass. civ. 1e 26 juin 2001, n°99-16118 ; Civ. 1e 25 octobre 2005, n°99-12879).
La question des délais de paiement consentis par le vendeur à l’acheteur n’est pas expressément écartée du champ d’application de la convention. Bien au contraire la convention prévoit que les parties peuvent stipuler le moment du paiement (Articles 58 et 59) sans imposer au vendeur d’accorder un délai minimal (plancher) à l’acheteur et sans imposer à l’acheteur de procéder au paiement dans un délai maximal (plafond). En pratique les clauses accordant des délais de paiement sont fréquentes (Précis de jurisprudence de la CNUDCI concernant la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, éd. 2012, NU 2014, Article 58, p.303). A défaut de clause, des délais peuvent également s’inférer des usages (Article 9 de la convention).
Cette liberté conventionnelle peut-elle se heurter au plafond énoncé par l’article L.441-6 I alinéa 9 du Code de commerce ?
Cette question n’a, à notre connaissance, été tranchée clairement ni par la jurisprudence française ni par des décisions étrangères ou arbitrales transmises au secrétariat de la CNUDCI (v. Précis de jurisprudence de la CNUDCI concernant la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises préc.).
Les auteurs qui se sont intéressés à cette question sont très divisés ainsi que cela a été mis en lumière par l’auteur de la saisine.
Pour les uns, l’applicabilité de la convention de Vienne exclut purement et simplement celle de l’article L. 441-6 I alinéa 9 du code de commerce (v. par exemple A. Garnier, C. Baudoin, « Réforme des délais de paiement – Mode d’emploi à l’usage des praticiens », JCP éd. E n°18, 30 avril 2009, 1445). C’est également la position du Ministre du commerce extérieur (Rep. Min. à QE n°22748, JO 30 juillet 2013, p.8237 ; Rep. Min. à QE n°22749, JO 1er juillet 2014, p.5509). Pour parvenir à cette conclusion, ces auteurs relèvent que le paiement fait partie des questions uniformisées par la convention de sorte que l’application d’une règle interne contraire s’analyse comme une violation de l’article 55 de la Constitution aux termes duquel « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».
Pour les autres, l’applicabilité de la convention de Vienne – qui n’uniformise que partiellement le droit de la vente internationale – n’exclut d’aucune façon l’application de l’article L.441-6 I alinéa 9 du Code de commerce (Cl. Witz, chronique de « Droit uniforme de la vente internationale de marchandises », Juillet 2013-Décembre 2014, Recueil Dalloz 2015 p.881). En effet « sauf disposition contraire expresse de la présente Convention, celle-ci ne concerne pas: a) La validité du contrat ni celle d’aucune de ses clauses non plus que celle des usages » (article 4 de la convention). Il en résulte que la validité des clauses exonératoires de responsabilité ou des clauses susceptibles d’être considérées comme abusives demeure sous l’empire des lois nationales (P. Schlechtriem, Cl. Witz, Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises, Dalloz 2008, n°n°53 p.54).
Dans le cas du plafond français des délais de paiement, le code de commerce en a assorti le dépassement de sanctions administratives sous forme d’amende. Si aucun texte spécial ne prévoit la nullité des clauses contraires, celle-ci pourrait cependant s’inférer de l’application du droit commun (v. notamment Article 6 du Code civil dans sa version actuelle et Articles 1102 alinéa 2, 1128 et 1162 du Code civil dans leur version issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations applicable à compter du 1er octobre 2016).
Alors qu’en est-il ?
A titre liminaire, on peut noter que ce débat n’est pas affecté par la qualification de loi de police de l’article L. 441-6 I alinéa 9 du Code de commerce que la CEPC a d’ailleurs eu l’occasion de reconnaître (Avis n°16-1 du 16 janvier 2016 relatif à une demande d’avis d’un avocat sur le caractère impératif des délais de paiement dans le cadre d’un contrat international).
A titre principal, il est permis de dépasser les termes du débat précédemment exposé pour privilégier une troisième voie de solution.
La question du moment du paiement entre bien dans le champ du droit uniforme qui l’a toutefois envisagée de façon incomplète. En l’absence de clause ou d’usage contraire, la convention prévoit en effet que le paiement interviendra au moment de la mise à disposition des marchandises. Ce faisant elle a refusé de rendre le paiement exigible dès la conclusion du contrat en le subordonnant, sauf clause contraire, à la mise en possession des marchandises (V. Heuzé, La vente internationale de marchandises. Droit uniforme, Traité des contrats, LGDJ 2000 n°365 et s. p.319 ; v. également F. Dessemontet, Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises. Commentaire, CEDIDAC 1993 p.379 et s. et 384 et s.). On peut penser en revanche que les rédacteurs de la convention n’ont pas envisagé la question des délais de paiement en tant que telle. La convention ne prévoit en effet aucun délai de paiement supplétif de volonté et n’assortit pas davantage les délais stipulés contractuellement d’une limite. Il est donc permis d’analyser la question des délais de paiement comme une « lacune interne » de la convention.
Le comblement de cette « lacune interne » devrait être effectué en application de l’article 7-2 aux termes duquel « Les questions concernant les matières régies par la présente Convention et qui ne sont pas expressément tranchées par elles seront réglées selon les principes généraux dont elle s’inspire ou, à défaut de ces principes, conformément à la loi applicable en vertu des règles du droit international privé ». Parmi les principes généraux dont la convention s’inspire, figurent le principe de l’autonomie des parties assorti du principe de bonne foi (Précis de jurisprudence de la CNUDCI concernant la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises préc. Article 7, p.45) qui implique notamment que les parties se comportent de manière raisonnable (P. Schlechtriem, Cl. Witz, ouvrage préc. n°83 p.83). Tel ne paraît pas être le cas lorsque l’acheteur bénéficie de délais de paiement excessifs au regard de l’objet du contrat, des pratiques habituelles et des circonstances de l’espèce.
A partir du moment où une question peut être tranchée en application de la convention, les normes nationales qui ont trait à la validité du contrat ou de ses clauses ne trouvent plus application, y compris lorsque la solution procède du comblement de ses lacunes « dès lors qu’un large consensus s’est dégagé en faveur d’un tel comblement » (P. Schlechtriem, Cl. Witz, ouvrage préc. n°55 p.55).
Dans le même temps, la convention de Vienne devrait faire l’objet – au sein de l’Union européenne – d’une interprétation et d’une application conformes à la directive n°2011/7/UE (préc.) qui traduit désormais un consensus au sein de l’UE et bénéficie du principe de primauté du droit de l’UE. Or, la directive n°2011/7/UE précitée prohibe les clauses et pratiques contractuelles constituant un abus manifeste à l’égard du créancier et prévoit que les Etats membres veillent à ce qu’il existe des moyens appropriés et efficaces pour mettre fin à l’utilisation de clauses contractuelles ou de pratiques qui sont manifestement abusives (article 7 et cons. 13 et 28 de la directive).
Au regard de ce qui précède il est permis de considérer que les contrats de vente internationale de marchandises relevant de la convention de Vienne du 11 avril 1980 ne sont pas soumis au plafond des délais de paiement prévu par l’article L. 441-6 I alinéa 9 du code de commerce. Par l’application combinée de la convention, des principes généraux dont elle s’inspire et de la directive n°2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 concernant la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales, les délais de paiement convenus entre les parties ne devraient pas constituer un abus manifeste à l’égard du créancier, c’est-à-dire traduire un écart manifeste par rapport aux bonnes pratiques et usages commerciaux, contraire à la bonne foi et à un usage loyal, compte tenu de la nature du produit.
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 16 juin 2016, présidée par Madame Annick LE LOCH
Fait à Paris, le 16 juin 2016
La présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales