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Vu la lettre enregistrée le 16 novembre 2011 sous le numéro 11-017, par laquelle une fédération professionnelle demande s’il est légal pour une entreprise d’exclure, sous prétexte d’avoir conclu avec un distributeur, un marché d’approvisionnement annuel de lampes fluorescentes, à un prix ferme et définitif, toutes révisions de prix justifiées par l’évolution du cours des marchés;
Vu les articles L 440-1 et D 440-1 à 440-13 du code de commerce ;
Le rapporteur entendu lors des séances plénières des 2 février, 11 avril et 16 mai 2012;
Une organisation professionnelle appartenant au secteur du matériel électrique a posé à la CEPC la question suivante :
« Est-il légal pour une entreprise ou collectivité publique d’exclure, sous prétexte d’avoir conclu avec un distributeur, un marché d’approvisionnement annuel de lampes fluorescentes, à un prix ferme et définitif, toutes révisions de prix justifiées par l’évolution du cours des marchés internationaux (Londres et New York) des terres rares alors même qu’il est impossible de rédiger dans les contrats, une clause d’indexation sur ce type de marchandise en raison de la complexité des intrans (jusqu’à 17 types de terres rares) et la proportion de ceux-ci (selon les différents modèles et brevets) dans les coûts de fabrication de lampes fluorescentes ? ».
Un article de presse diffusé par le Syndicat de l’éclairage en septembre 2011, joint à la saisine, rappelle que de nombreuses terres rares entrent dans la composition des poudres luminophores des lampes fluorescentes, qu’elles ne peuvent être remplacées à ce jour et qu’il s’agit d’un marché stratégique en fort développement. La Chine en est le principal acteur, avec 48% des réserves mondiales connues. Après avoir fourni 97% de l’approvisionnement du marché, elle a réduit son offre depuis quelques années. Cette limitation de l’approvisionnement couplée à une demande toujours croissante et associée à un phénomène de spéculation a entraîné ces derniers mois des hausses de prix spectaculaires.
D’après les informations communiquées, les évolutions tarifaires constatées depuis janvier 2011 chez les quatre principaux fabricants du secteur ont en effet atteint, en septembre 2011, pour les tubes fluorescents standards, des hausses allant jusqu’à 44 %, les hausses constatées pendant la même période pour d’autres tubes fluorescents allant de 10,6 % à 19,9 % et à 11,1 % pour des lampes fluo compactes avec alimentation incorporée.
La prise en compte de ces évolutions tarifaires entre, d’une part, les fabricants et les distributeurs, d’autre part, entre ces derniers et leurs acheteurs, accuse cependant de forts contrastes.
Il a été précisé au rédacteur de ce rapport que, les contrats conclus entre fabricants et grossistes peuvent prévoir des clauses de révision de prix, ou de délai de prévenance.
Ainsi, les parties peuvent convenir qu’elles sont susceptibles de devoir répercuter (à la hausse comme à la baisse) sur le prix de base d’un produit, l’évolution des cours de certains de ses éléments constitutifs et cotés sur les marchés internationaux de référence. Dès lors qu’il est établi l’incidence de cette évolution sur le coût de production du produit concerné, et qu’il est démontré par la partie demanderesse de modification de prix, que l’absence d’une telle répercussion contribuerait à un déséquilibre économique du contrat, l’évolution sera intégrée au prix de base fournisseur dans les 60 jours de la demande”.
D’autres contrats mettent à la charge du fournisseur / fabricant, en cas de révision des tarifs, une obligation d’information préalable de deux semaines au minimum, à laquelle s’ajoute une obligation de transmission des éléments relatifs aux révisions pour information et validation de l’acheteur, au moins six semaines avant leur date d’application.
De tels aménagements seraient au contraire exclus des contrats conclus entre les grossistes et acheteurs finaux, ou inapplicables en pratique, s’agissant spécialement des collectivités publiques :
Est enfin joint à la saisine un courrier dans lequel une collectivité locale, acheteur final, prend acte des hausses tarifaires subies par le fabricant sur certaines fournitures électriques ainsi que des substitutions de certains produits par d’autres équivalents, mais rejette toute modification du bordereau de prix qui ne refléterait pas les clauses et conditions du marché, conclu à prix ferme assorti d’une révision à date anniversaire basée sur l’indice des prix à la production des composants électriques et électroniques. Il est enfin rappelé dans ce courrier que l’article 27 du cahier des clauses administratives générales prévoit pour le titulaire de demander la résiliation du marché, et qu’il lui appartiendra alors de démontrer l’existence “d’un événement ne provenant pas du fait du titulaire qui rend absolument impossible l’exécution du marché”.
La question posée à la Commission, qui concerne les collectivités publiques autant que les entreprises privées, pris en tant qu’intermédiaires mais aussi comme acheteurs finaux, conduit à s’interroger, au préalable, sur l’applicabilité des dispositions inscrites au livre IV du code de commerce aux pratiques en cause (I), avant d’analyser les dispositions de fond qui leur sont applicables (II).
L’article L 410-1 du code de commerce, qui introduit le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et à la concurrence, dispose que “les règles définies au présent livre s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public”.
Pour les autorités française de concurrence, une activité économique est caractérisée dès lors que le produit ou le service qui en est l’objet est offert sur le marché (Louis Vogel, Traité de droit économique, préc., 2012, n° 691). Il en résulte que tous les actes intermédiaires échappent aux règles de concurrence. Par analogie, l’opérateur public qui achète de l’électricité non pour l’incorporer à sa propre activité, mais pour la revendre aux utilisateurs finals, en tant qu’intermédiaire obligé, participe à une activité de production (Conseil de la concurrence, déc. n° 96-D-80 du 10 décembre 1996; sur recours, CA Paris, 27 janvier 1998, commenté revue Contrats concurrence consommation, 1998, 59, obs. Maignre). L’Autorité de la concurrence a récemment réaffirmé que “l’appartenance d’une entreprise au secteur public ne la met pas en dehors du champ d’application du droit commun de la concurrence” (Aut. conc. Déc. n° 12-D-04 du 23 janvier 2012).
Le titre IV du livre IV du code de commerce, relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et à d’autres pratiques prohibées, ne contient pas de définition liminaire de son champ d’application ratione materiae.
Toutefois, l’article L 442-6 de ce code, qui énumère certaines de ces pratiques, et incrimine notamment le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, précise que ces dernières sont, d’un côté, “tout producteur, commerçant, industriel (…)”, de l’autre, le partenaire commercial des premiers nommés.
Dans la sphère publique, les pouvoirs adjudicateurs achètent des biens ou des prestations de service dans le cadre d’activité échappant à la définition d’activité économique, et donc au champ d’application du livre IV du code de commerce. Tel est le cas lorsque l’achat est effectué pour assurer une activité administrative, une activité de santé ou une activité sociale. Le code de commerce n’est pas alors applicable. Cette position est toutefois à nuancer. En effet, dès lors que l’activité «de production, de distribution ou de service » est du même ordre que celle des entreprises et opérateurs du secteur privé (c’est à dire : prestation pouvant également être offerte sur le marché par des personnes privées), elle entre dans la définition de l’article L 410-1 du code de commerce.
A contrario, dans la mesure où la prestation relève par nature de son activité de service public (ex. achat de matériel médical par un hôpital), elle échapperait au code du commerce.
Lorsqu’un acheteur public agit en tant qu’offreur, cet achat effectué par une collectivité publique territoriale, pour offrir des biens ou des services sur un marché correspond à une activité économique.
Mais il ne sera soumis à l’article L442-6 du code de commerce qu’à deux conditions :
La même remarque peut être faite, lorsque l’acheteur est une personne privée.
2.1. Le code des marchés publics et les clauses de révision de prix
*la licéité de principe des clauses exorbitantes du droit commun contenues dans les marchés publics
Il convient de rappeler, tout d’abord, que des motifs d’intérêt général peuvent conduire l’administration à insérer dans ses marchés publics des clauses exorbitantes du droit commun, clauses que la jurisprudence administrative définit comme celles ayant pour effet “de conférer aux parties des droits ou de mettre à leur charge des obligations étrangères par leur nature à ceux qui sont susceptibles d’être librement consentis par quiconque dans les lois civiles et commerciales” (CE, Sect. 20 octobre 1950, Stein, Lebon p. 505).
Le fait qu’une clause soit exorbitante du droit commun n’en fait pas automatiquement une clause abusive.
“Le caractère abusif d’une clause s’apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même, mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service (CE Sect. 11 juillet 2001, Sté des eaux du nord, n° 221458, Lebon p. 348, concl. Bergeal).
Ainsi, la clause exorbitante du droit commun contenue dans un marché public ne devrait pas être considérée comme une clause abusive, alors même qu’elle créerait un déséquilibre significatif entre les parties, dès lors qu’elle est justifiée par l’intérêt du service, ou, en d’autres termes, qu’elle est “utile pour le bon fonctionnement du service” (R. Demogue, Traité des obligations en général, Paris, 1923, n° 618).
*les clauses de révision de prix (article 18 III, V du code des marchés publics)
L’article 18 III du code des marchés publics prévoit qu’un marché est conclu à prix ferme dans le cas où cette forme de prix n’est pas de nature à exposer à des aléas majeurs les parties au marché du fait de l’évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d’exécution des prestations.
L’alinéa V de cet article dispose que les marchés d’une durée d’exécution supérieure à trois mois qui nécessitent, pour leur réalisation, le recours à une part importante de fournitures notamment de matières premières dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux, comportent une clause de révision de prix incluant au moins une référence aux indices officiels de fixation de ces cours, conformément au IV du même article.
Il appartient à l’acheteur public d’apprécier l’opportunité d’insérer une clause de révision de prix obligatoire précisément lorsque le prix d’une partie importante des matières premières nécessaires à la réalisation du marché est affecté par la fluctuation des cours mondiaux.
Est-ce le cas en l’espèce, alors que la part de terres rares dans la fabrication des lampes fluo-compactes s’avère marginale en quantité (3% du poids des lampes), mais considérable en valeur, eu égard à la volatilité du prix de ces matières premières et à son impact financier sur le prix de revient des produits en cause ?
On notera que le fait que le marché soit passé par un grossiste et non directement avec un fabricant de lampes est sans incidence sur l’application des règles du code des marchés publics, et que les règles du code des marchés publics s’appliquent au contrat, que le cocontractant de l’administration soit un fabricant ou un distributeur grossiste.
2.2. Le droit général des contrats
On sait que le droit français des contrats est dominé par trois principes essentiels:
– le contrat doit être exécuté conformément aux engagements pris par les parties, car il est “la loi des parties”,
– cette intangibilité n’empêche pas les parties, si elles en sont d’accord, de le modifier librement et de l’adapter à des circonstance nouvelles,
– il n’appartient pas au juge de se substituer aux parties, ni pour procéder à cette adaptation lorsque celle-ci ne peut résulter d’un accord entre les parties, ni à défaut pour prononcer la résiliation du contrat.
Les exceptions traditionnelles à ces principes et à la force obligatoire du contrat qu’ils consacrent sont la force majeure et l’imprévision, auxquelles sont venus s’ajouter, plus récemment, des tempéraments jurisprudentiels fondés sur la notion de bonne foi ou sur celle de contrepartie, au cours de l’exécution du contrat, ces infléchissements et ces réformes visant à corriger des inégalités de puissance entre cocontractants, même lorsqu’il s’agit de professionnels.
*la force majeure
L’article 1148 du code civil, relatif à la force majeure, décide qu’il n’y a pas lieu à dommages-intérêts lorsque par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé.
Trois conditions cumulatives sont requises : un événement ne constitue un cas de force majeure que s’il présente le triple caractère d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité.
En particulier, il n’y a pas de force majeure dès lors que l’exécution du contrat demeure matériellement possible, même si cette exécution devient extrêmement onéreuse, fût-ce au point d’entraîner la ruine du débiteur (Soc 20 février 1996, D. 1996.633).
Lorsque l’événement mis en avant par le débiteur pour se soustraire à son obligation ne constitue pas un cas de force majeure, son créancier est en droit de lui réclamer la réparation du préjudice résultant de l’inexécution partielle ou totale du contrat ou du retard dans son exécution, conformément à l’article 1147 du code civil.
*la théorie de l’imprévision
La théorie de l’imprévision concerne le cas d’un contrat successif dont l’exécution s’étale dans le temps alors que les obligations des parties ont été fixées à sa signature, il peut arriver que les circonstances économiques changent substantiellement par suite d’événements imprévus tels qu’une guerre, ou une crise économique et financière, de telle sorte que l’équilibre du contrat se trouve bouleversé et que son exécution devient extrêmement onéreuse pour l’un des cocontractants : est-il permis à ce dernier d’imposer à l’autre partie la révision judiciaire du contrat afin qu’en soit rétabli l’équilibre, ou à défaut d’accord sa résiliation sans pénalité ?
La Cour de cassation a traditionnellement apporté une réponse négative à cette question, depuis la célèbre affaire du canal de Craponne (Civ. 6 mars 1876, D 6, 1, 193). Elle a décidé qu’en l’absence du consentement des parties, ou d’une loi autorisant la révision, celle-ci était interdite au juge sauf à violer l’article 1134 du code civil.
Le Conseil d’Etat a retenu, à l’inverse, que dans les contrats administratifs bouleversés par des circonstances imprévues, une indemnité peut être accordée à un cocontractant afin de rétablir l’équilibre financier du contrat et empêcher l’interruption du service public (CE 30 mars 1916, S. 16, 3, 17, Gaz de Bordeaux).
On relèvera que la reconnaissance de l’imprévision par les juridictions administratives est cependant soumise à de strictes conditions qui ne sont pas sans évoquer les traits de la force majeure :
“Considérant que l’indemnisation d’une entreprise sur le fondement de l’imprévision ou des sujétions imprévues n’est possible que si les difficultés rencontrées dans l’exécution du contrat présentent un caractère à la fois exceptionnel et imprévisible et dont la cause est extérieure aux parties … ; que ces conditions sont cumulatives… (CAA Lyon, 25 novembre 2010, société Baticentre c/ CCI de Clermont-Ferrand).
Ces principes, reflet des dispositions de l’article 1134 du code civil, et leur application par les juges, répondent aux impératifs de sécurité et de prévisibilité juridiques, considérés comme essentiels dans les relations économiques et plus généralement entre cocontractants.
*la jurisprudence
Des évolutions plus récentes se sont fait jour, au travers de deux constructions jurisprudentielles.
La première est fondée sur la notion de bonne foi et donc “en creux”, sur celle d’exploitation abusive, par l’un des cocontractants, des droits qu’il détient du contrat, à l’égard d’un débiteur en difficulté,
La seconde fait appel à la notion de cause -et de contrepartie “réelle”- et sur sa disparition, non plus lors de la formation du contrat, mais au cours de son exécution.
La bonne foi dans l’exécution du contrat
La Cour de cassation a eu recours à l’obligation de bonne foi dans l’exécution du contrat, dans le cas d’un contrat de distribution exclusive (Com. 3 novembre 1992, Bull. 338, Huard), puis dans celui d’un contrat de représentation exclusive (Com. 24 novembre 1998, Bull. 277, Chevassus-Marche). Elle a considéré que dans l’exécution de ces contrats assortis de clauses d’exclusivité, le fournisseur, comme le mandant, avaient une obligation de bonne foi, entendue comme une obligation de loyauté, leur imposant de renégocier le contrat, ou de prendre des mesures concrètes pour permettre à leur cocontractant de bénéficier d’une mise en œuvre utile de ce contrat (cf JCP G n° 46, II, 22164, note Virassamy).
Dans un arrêt du 26 septembre 2007 (Dalloz 2008, p. 1120, note Boutonnet), la cour d’appel de Nancy est venue s’inscrire dans cette évolution, en imposant la renégociation d’un contrat en raison du déséquilibre contractuel apparu au cours de son exécution. Il s’agissait cette fois d’une forme d’imprévision inédite, résultant du changement climatique et de l’instauration des quotas d’émission de gaz à effet de serre générant des coûts supplémentaires mis à la charge de l’un des cocontractants, sans contrepartie.
La cause du contrat
Aux termes de l’article 1108 du code civil, quatre conditions sont essentielles pour la validité d’une convention:
– le consentement de la partie qui s’oblige,
– sa capacité de contracter,
– un objet certain qui forme la matière de l’engagement,
– une cause licite dans l’obligation.
Il en résulte que l’absence d’un de ces éléments empêche la formation du contrat, entaché de nullité pour n’avoir pas été légalement formé, au sens de l’article 1134 du code civil (“Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites …)..
Le recours à la notion de cause, entendue non plus comme l’une des conditions de formation du contrat, mais comme l’exigence d’une contrepartie réelle tout au long de l’exécution de ce contrat, de sorte que sa disparition justifierait la caducité du contrat, a suscité des controverses doctrinales extrêmement vives.
Par un arrêt non publié (Com. 29 juin 2010, pourvoi n° 09 67369, société Soffimat contre Société d’exploitation de chauffage), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a en effet décidé dans un litige portant, comme dans celui du canal de Craponne, sur le paiement, pour des prestations de maintenance, d’une redevance forfaitaire devenue dérisoire par suite de l’évolution des circonstances économiques, que la cour d’appel aurait dû rechercher si l’évolution de ces circonstances et notamment l’augmentation du coût des matières premières et des métaux, postérieurement à la signature du contrat, n’avait pas eu pour effet, compte tenu de la redevance payée par l’un des cocontractants, de déséquilibrer l’économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa signature et de priver de toute contrepartie réelle l’engagement souscrit par le prestataire, ce qui était de nature à rendre sérieusement contestable l’obligation dont la société cliente sollicitait l’exécution.
Certains auteurs ont approuvé sans réserve cette décision, observant qu’en exploitant la notion de cause comme support conceptuel de l’imprévision, plutôt que celle de bonne foi, la Cour de cassation réduisait sensiblement les risques inhérents à la mise en œuvre de cette théorie (D. Mazeaud, Dalloz 2010, p. 2481).
D’autres ont exprimé de vigoureuses critiques, fondées sur la nécessaire intangibilité contractuelle (Genicon, Dalloz 2010, p. 2485), et sur les risques attachés à la théorie de l’imprévision qui, selon cet auteur, ne corrigerait que les déséquilibres les plus considérables, laissant intacts les déséquilibres simplement graves.
A cet égard ont été mentionnées (Genicon, ibid.) les pratiques de certains fournisseurs puissants “qui, se disant dans une situation intenable, usent -ou abusent- de la clause de hardship qu’ils n’ont pas manqué d’insérer comme d’une justification un peu facile pour arracher des révisions à la baisse de leurs partenaires faibles, tout en se gardant bien d’agir de même avec leurs partenaires forts”.
L’édification d’un droit des pratiques restrictives de concurrence, et particulièrement l’encadrement des conventions conclues entre professionnels, témoignent de l’intérêt porté par le législateur à ces problématiques – et des difficultés rencontrées pour les résoudre.
2.3.La notion de déséquilibre significatif
L’article L 442-6-I, 2°, du code de commerce prohibe le fait de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Dans sa rédaction antérieure (article L 442-6-I, 1°), le même article visait les notions distinctes, d’abus de la relation de dépendance et de puissance d’achat donnant lieu à des conditions commerciales injustifiées.
M. Vogel (Traité de droit économique, 2012, n° 632 s.) relève que le nouveau texte met en place un véritable contrôle des relations abusives entre professionnels, en abandonnant la référence à la notion de dépendance, difficile à établir en pratique car interprétée par la Cour de cassation de la même manière que l’état de dépendance économique (Com. 23 octobre 2007). L’auteur note encore (ibid.) que le critère du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties est proche de celui d’avantages excessifs et peut concerner tant l’équilibre économique que les clauses du contrat, l’expression plurielle employée dans l’article L 442-6-I 2° paraissant faire référence à un déséquilibre global de la relation devant être analysé à l’aune de l’ensemble des obligations respectives des parties.
La première décision rendue sous l’empire des nouvelles dispositions par le tribunal de commerce de Lille, le 6 janvier 2010 (JCP E, n° 5, 4 février 2010, act. 84), a conduit à la condamnation d’une grande enseigne de la distribution, pour déséquilibre manifeste des droits et obligations des parties au détriment des fournisseurs.
A cet égard, doit être relevée la condamnation, par les juges consulaires lillois, de l’absence de clause de modification des acomptes, en cours de contrat, ce qu’approuvent les commentateurs -au nom de la rationalité économique (J-C. Grall, note sous JCP E 4 février 2010, préc.).
Le jugement relève que le distributeur n’a pas prévu, dans les contrats commerciaux avec ses fournisseurs, de clause de modification, en cours de contrat, au cas où le volume d’affaires avec le fournisseur viendrait à baisser de manière significative, qu’il le reconnaît et convient que le contrat pourrait être utilement complété sur ce point; qu’en effet cette absence peut se traduire par une surestimation anormale des montants des acomptes réclamés par le distributeur qui pour sa part ne prend aucun engagement en termes de volumes d’achats.
Il relève, aussi, qu’en cas d’évolution négative d’activité, la charge de la réclamation incombe au fournisseur, qu’elle le met ainsi en situation de dépendance vis-à-vis du distributeur, et conclut que cette absence de clause de révision contribue à accroître le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
On relèvera enfin que, dans une affaire mettant en cause la notion voisine d’avantage manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, s’agissant des services de coopération commerciale rendus par un distributeur et leur rémunération par les fournisseurs, attaquée par le ministère de l’économie comme manifestement disproportionnée à la valeur de ces services, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé (Com. 27 avril 2011, Bull. 61), au visa de l’article L 442-6-I, 2°, que “si la faiblesse du chiffre d’affaires réalisé par le distributeur sur le ou les produits concernés par une action de coopération commerciale pendant la période de référence au regard de l’avantage qui lui a été consenti ou l’absence de progression significative des ventes pendant cette période peuvent constituer des éléments d’appréciation de l’éventuelle disproportion manifeste entre ces deux éléments, elles ne peuvent à elles seules constituer la preuve de cette disproportion manifeste, les distributeurs qui concluent des accords de coopération commerciale n’étant pas tenus à une obligation de résultat.
Il en résulte que la seule comparaison entre le prix payé par un fournisseur à un distributeur pour une prestation de promotion d’un produit par mise en tête de gondole et le chiffre d’affaires réalisé pour ce produit pendant la même période est insuffisant pour caractériser une disproportion manifeste entre les avantages obtenus par le distributeur et la valeur de ces services”.
Commentant cet arrêt, Mme Malaurie-Vignal (Contrats concurrence consommation n° 7, juillet 2011, comm. 160) note que la disproportion manifeste est extrêmement difficile à établir, et aussi délicate à mettre en œuvre que celle de déséquilibre significatif, ajoutant que “l’on risque de tomber dans les mêmes subtilités qu’en matière de cause de l’obligation …”.
Conclusion
Dans la mesure où les dispositions analysées sont applicables, en tout ou en partie, aux pratiques en cause, et sous réserve de l’évolution d’une jurisprudence aujourd’hui rare et contrastée, mais amenée à se développer, la question posée à la Commission pourrait être appréciée au regard tant du code des marchés publics que des dispositions de l’article L. 442-6-I, 2°, du code de commerce et que, le cas échéant, de l’obligation de bonne foi – ou de loyauté – dans l’exécution du contrat.
Ainsi, la notion de “recours à une part importante de fournitures notamment de matières premières” pour la réalisation du marché, figurant dans le code des marchés publics, lequel entraîne l’obligation d’insertion d’une clause de révision de prix, devrait être interprétée non seulement au regard de la quantité de matière première en cause, mais aussi, de sa valeur au regard du prix global des fournitures objet du marché.
De même, pourrait constituer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, au sens de l’article L 442-6 du code de commerce, l’absence de clause de révision d’un contrat successif de fournitures de matériels conclu entre un grossiste et un partenaire commercial, alors que par suite de l’évolution des circonstances économiques -l’augmentation du prix des matières premières entrant dans la fabrication de ces matériels et la hausse corrélative des prix payés par le grossiste au fabricant/fournisseur-, est constatée une aggravation significative, sans contrepartie, de l’obligation du grossiste envers le partenaire commercial.
Dans tous les cas, devrait être prise en compte la notion de clause de révision “utile”, comme le refus d’en insérer dans la convention, lors de sa conclusion.
Enfin, dans la mesure où des liens contractuels exclusifs auraient été conclus entre les opérateurs économiques en cause pourraient être analysées au regard de la notion de bonne foi, ou de loyauté dans l’exécution du contrat, lesquelles imposeraient au premier de prendre des mesures concrètes permettant au second de bénéficier d’une mise en œuvre “utile” d’un contrat pour lui essentiel, même si ces mesures conduisent à une révision de la loi contractuelle initiale.
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en ses séances plénières des 2 février, 11 avril et 16 mai 2012, présidée par Mme Catherine VAUTRIN.
Fait à Paris, le 16 mai 2012
La Présidente de la Commission
d’examen des pratiques commerciales
Catherine VAUTRIN