Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n°04-02 relatif à la conformité de certaines pratiques à l’article L 442-6 du Code de commerce

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Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n°04-02 relatif à la conformité de certaines pratiques à l’article L 442-6 du Code de commerce

 

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 26 février 2003 sous le numéro 03-010, par laquelle la présidente du Conseil de la concurrence a transmis à la Commission d’examen des pratiques commerciales, en application de l’article L 440-1 du Code de commerce, un document relatant certaines pratiques commerciales ;

Vu l’article L 440-1 du Code de commerce ;

Vu le décret n°2001-1370 du 31 décembre 2001 portant organisation de la Commission d’examen des pratiques commerciales, modifié par le décret n°2002-1370 du 21 novembre 2002 ;

Vu l’article L 442-6 du Code de commerce ;

Vu les pièces du dossier ;

Le rapporteur entendu lors de sa séance plénière du 19 novembre 2003 ;

Adopte l’avis suivant :

Trois pratiques ont été examinées par la Commission :

  • Celles qui ont pour objet des demandes d’alignement rétroactives à l’occasion de rapprochements d’enseignes ;
  • Celles qui ont pour objet, au titre de la massification des achats, des demandes de participation financière des fournisseurs égale à un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé auprès d’eux-mêmes par les adhérents d’une centrale de référencement ;
  • Celles qui ont pour objet des déréférencements.

Ces pratiques ont été étudiées en elles-mêmes, sans référence à des situations particulières de telle ou telle entreprise, au seul regard des textes actuellement en vigueur, et dans le souci d’alimenter la réflexion des opérateurs économiques pour l’avenir.

1) Pratiques ayant pour objet des demandes d’alignement rétroactives :

A l’occasion de la création d’une centrale de référencement, il est parfois demandé à chaque fournisseur déjà référencé auprès d’un ou de plusieurs adhérents de la centrale de consentir rétroactivement à tous, les meilleures conditions que ledit fournisseur consent déjà à l’un d’entre eux.

Pour le présent avis, les expressions suivantes : avantages ou discriminations injustifiés ou abusifs s’entendent au sens de l’article L442-6-I-1° du Code de commerce.

En tout état de cause, il convient de rappeler les dispositions de l’article L 442-6-II-a) ;

« Sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour un producteur, un commerçant, un industriel ou un artisan, la possibilité :

a) de bénéficier rétroactivement de remises, de ristournes ou d’accords de coopération commerciale ».

– Conformité à l’article L 442-6-I-1° du Code de commerce relatif aux pratiques discriminatoires

L’article L442-6-I-1° du Code de commerce interdit le fait :

« De pratiquer, à l’égard d’un partenaire économique, ou d’obtenir de lui, des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d’achat discriminatoires et non justifiées par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence ».

Une demande d’alignement telle que celle précitée constitue a priori une demande de conditions discriminatoires puisqu’elle revient à conférer à son bénéficiaire un avantage auquel ne lui donnait pas droit les conditions de vente de son fournisseur avant le regroupement.

Elle tombe également sous le coup de l’article L442-6-II-a) du Code de commerce qui interdit de bénéficier rétroactivement, notamment, de remises et de ristournes.

Dans l’hypothèse où il s’avérerait que, à la suite du regroupement, l’une des entreprises de distribution considère qu’elle a fait l’objet d’un traitement discriminatoire en sa défaveur, il lui appartient alors de demander devant les tribunaux réparation du préjudice subi, dont elle devra démontrer l’existence et le montant, les dommages et intérêts pouvant aussi donner lieu à une transaction avec le fournisseur, laquelle ne devra pas procéder d’un abus de puissance d’achat.

Une telle transaction, comme tous les contrats, peut être soumise à l’appréciation du juge quant à ses conditions de validité au regard des articles 2044 et suivants du Code civil. Le juge pourrait notamment être appelé à examiner la réalité de la discrimination, et à apprécier, au regard de la jurisprudence qui s’est  développée dans l’application de l’article 2046 de ce code, si la transaction ne porte pas atteinte à l’ordre public économique et à l’interdiction de l’obtention d’avantages rétroactifs.

S’agissant des avantages financiers versés au titre de la coopération commerciale, il ne paraît pas concevable qu’il puisse y avoir une transaction à ce titre dans la mesure où ces prestations sont proposées et facturées par le distributeur lui-même.

Dans tous les cas, la conformité à l’article L 442-6-I, 1° du Code de commerce relatif aux conditions discriminatoires, des pratiques ayant pour objet des demandes d’alignement rétroactives, doit être examinée au cas par cas, moyennant un examen minutieux des conditions de la négociation.

En outre, l’appréciation des contreparties réelles doit être effectuée auprès de chaque fournisseur.

En d’autres termes, l’appréciation des contreparties réelles ne saurait être effectuée globalement pour une pluralité de fournisseurs, puisqu’une appréciation globale ne peut conduire qu’à une moyenne générale non significative de la réalité et de l’importance de la contrepartie retirée par chacun des fournisseurs.

– Conformité à l’article L 442-6-I-2° a) du Code de commerce relatif à l’obtention ou à la recherche d’avantages abusifs.

L’article L 442-6-I-2° a) du Code de commerce interdit le fait :

« D’obtenir ou de tenter d’obtenir d’un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d’une opération d’animation commerciale, d’une acquisition ou d’un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement d’enseignes ou de centrales de référencement ou d’achat ».

Deux éléments caractérisent les pratiques visées par ce texte :

– d’une part l’obtention ou la recherche d’un avantage,

– d’autre part une contrepartie ne correspondant à aucun service réel ou un avantage manifestement disproportionné au service fourni.

Une demande d’alignement telle que celle évoquée précédemment a manifestement pour objet la recherche d’un avantage au profit de l’adhérent de la centrale qui en bénéficiera.

L’examen de la réalité du service rendu et du caractère non manifestement disproportionné de l’avantage obtenu ou recherché au regard de ce service impose une évaluation des services effectivement assurés à chaque fournisseur par la centrale.

Une évaluation globale des services assurés à l’ensemble des fournisseurs visés ne serait pas suffisante.

– Conformité à l’article L 442-6-I-2° b) du Code de commerce relatif à l’abus d’une relation de dépendance.

L’article L 442-6-I-2° b) du Code de commerce interdit le fait :

« D’abuser de la relation de dépendance dans laquelle il tient un partenaire ou de sa puissance d’achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées ».

Par cette disposition, la législateur a entendu sanctionner les pratiques par lesquelles une entreprise abuserait de la relation de dépendance qu’elle entretient avec un partenaire, sans pour autant que ces pratiques soient nécessairement de nature à affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, condition requise en revanche pour l’application des dispositions de l’article L 420-2 du Code de commerce qui visent l’exploitation abusive d’un état de dépendance économique.

Les pratiques interdites par l’article L 442-6-I-2° b) impliquent une relation de dépendance ou bien une puissance d’achat ou de vente d’une part, et la soumission à des conditions commerciales ou obligations injustifiées d’autre part.

Dans cette mesure, devrait alors être considérée comme ayant pour objet des conditions commerciales ou obligations injustifiées une demande d’alignement telle que celle évoquée précédemment.

2) Pratiques ayant pour objet au titre de la massification des achats, des demandes de participation financière des fournisseurs égale à un pourcentage du chiffre d’affaires des achats réalisés auprès d’eux-mêmes par les adhérents d’une centrale de référencement.

Lorsque deux ou plusieurs acheteurs fusionnent ou se réunissent, notamment dans le cadre d’une centrale de référencement, s’ils demandent à leurs fournisseurs, soit a priori, soit a posteriori, de bien vouloir participer à une certaine hauteur à leur politique de massification des achats, cette demande de participation financière, qui est fondée sur l’idée que l’augmentation de la puissance d’achat résultant de la fusion ou du rapprochement des acheteurs dans le cadre de la centrale, va entraîner une augmentation de l’activité des fournisseurs justifiant la participation demandée.

Au titre de cette contribution, les adhérents d’une centrale de référencement imposent une renégociation des conditions tarifaires que leurs fournisseurs leur avaient consenties, ou subordonnent la poursuite des relations commerciales avec ceux-ci à des conditions supplémentaires par rapport à celles qu’ils avaient acceptées.

– Conformité à l’article L 442-6-I-1° du Code de commerce relatif aux pratiques discriminatoires.

L’exigence imposée aux fournisseurs de ses adhérents, par une centrale de référencement, de participer à la politique de massification des achats peut d’abord être de nature à créer une discrimination entre les adhérents de la centrale d’une part et les autres clients des fournisseurs d’autre part.

Si l’on ne peut exclure a priori que la pratique d’un regroupement de deux ou plusieurs acheteurs puisse trouver une contrepartie dans le développement des ventes des fournisseurs ou la réduction de leurs frais, l’appréciation de la réalité de cette contrepartie et son évaluation doivent être effectuées cas par cas, à l’égard de chaque fournisseur.

En d’autres termes, l’existence et l’importance de telles contreparties ne sauraient résulter du seul constat du développement des ventes et de la réduction des frais de l’ensemble des fournisseurs des adhérents de la centrale.

Il convient de considérer, en outre, que la demande de participation financière doit s’analyser comme une remise quantitative ou une ristourne et non pas comme un service de coopération commerciale.

– Conformité à l’article L 442-6-I-2° a) du Code de commerce relatif à l’obtention ou à la recherche d’avantages abusifs.

C’est pour mieux contrôler des pratiques telle celle qui consiste à demander une participation financière au titre de la politique de massification des achats que l’article L 442-6-I-2° a) du Code de commerce vise expressément cette pratique, en disposant que peut constituer un avantage abusif « la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d’une opération d’animation commerciale, d’une acquisition ou d’un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement d’enseignes ou de centrales de référencement ou d’achat ».

On soulignera que le texte précédent ne vise pas seulement l’obtention, mais aussi la simple recherche d’un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu.

Enfin, l’on devrait considérer que l’obtention ou la recherche d’un avantage constitue une pratique interdite par l’article L 442-6-I-2° a) dès lors que ne sont pas établis la réalité et le caractère non manifestement disproportionné du service fourni au regard de l’avantage retiré.

En effet, de même qu’il appartient à l’auteur d’une pratique discriminatoire de la justifier par la preuve d’une contrepartie réelle, pour échapper à l’interdiction, il devrait appartenir à l’auteur de la pratique visée à l’article L 442-6-I-2° a) de justifier de la réalité et du caractère non disproportionné du service rendu au regard de l’avantage en cause.

Laisser au fournisseur la charge de prouver que l’avantage consenti à la centrale ne correspond pas à un service réel ou proportionné revient à exiger de sa part une preuve négative de nature à empêcher l’application du texte précédent.

– Conformité à l’article L 442-6-I-2° b) du Code de commerce relatif à l’abus d’une relation de dépendance.

La pratique de participation à un rapprochement d’acheteurs devrait être visée par ce texte lorsqu’une centrale de référencement l’impose à un fournisseur qui se trouve dans une relation de dépendance à son égard dès lors qu’elle n’est pas justifiée par une contrepartie réelle ou proportionnée.

– Conformité à l’article L 442-6-I-2° b) du Code de commerce relatif à l’abus de puissance d’achat

La pratique de participation à un rapprochement d’acheteurs devrait être visée par ce texte lorsqu’une centrale de référencement utilise sa puissance d’achat pour l’imposer à un fournisseur dès lors qu’elle n’est pas justifiée par une contrepartie réelle ou proportionnée.

– Conformité à l’article L 442-6-I-3° du Code de commerce relatif à l’obtention ou à la recherche d’un avantage conditionnant une commande en l’absence d’engagement écrit.

Lorsqu’elle est en fait la condition préalable de la passation de commandes et qu’elle intervient sans engagement écrit de commandes, la pratique qui consiste à demander une participation financière au titre de la politique de massification des achats est visée par l’article précédent qui interdit le fait « d’obtenir ou de tenter d’obtenir un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l’assortir d’un engagement écrit sur un volume d’achat proportionné et, le cas échéant, d’un service demandé par le fournisseur et ayant fait l’objet d’un accord écrit ».

3) Pratiques ayant pour objet des déréférencements.

La décision d’une centrale de référencement de « déréférencer » un fournisseur, partiellement ou totalement, pour une courte ou une longue période voire définitivement, est parfaitement légitime lorsqu’elle est l’expression de la liberté contractuelle qui régit les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, sous réserve du respect d’un délai de préavis conforme aux dispositions de l’article L 442-6-I-5° du Code de commerce.

Il en va différemment lorsque la décision d’une centrale de déréférencer un fournisseur entre dans les prévisions des articles L 442-6-I-4° ou L 442-6-I-5° du Code de commerce.

– Conformité à l’article L 442-6-I-4° du Code de commerce relatif à l’obtention ou à la recherche d’avantages abusifs sous la menace d’une rupture brutale de relations commerciales.

L’article L 442-6-I-4° du Code de commerce interdit le fait : « D’obtenir ou de tenter d’obtenir, sous la menace d’une rupture brutale » totale ou partielle « des relations commerciales, des prix , des délais de paiement, des modalités de vente ou des conditions de coopération commerciale manifestement dérogatoires aux conditions générales de vente ».

Deux éléments caractérisent les pratiques visées par ce texte : d’une part, l’obtention ou la recherche de prix, de délais de paiement, de modalités de vente ou des conditions de coopération commerciale manifestement dérogatoires aux conditions générales de vente, d’autre part la menace d’une rupture brutale « totale ou partielle » des relations commerciales pour obtenir les avantages précédents.

Il est certain que ce texte serait applicable à des menaces de ruptures brutales, totales ou partielles, dans la mesure où ces menaces viseraient à obtenir des conditions commerciales manifestement dérogatoires aux conditions générales de vente.

En revanche, ce texte n’interdit pas aux centrales de menacer des fournisseurs de les déréférencer au terme d’un préavis suffisant, dans le cas où ces fournisseurs n’accepteraient pas de leur consentir des conditions commerciales non manifestement dérogatoires aux conditions générales de vente.

– Conformité à l’article L 442-6-I-5° du Code de commerce relatif à la rupture brutale de relations commerciales.

L’article L 442-6-I-5° du Code de commerce interdit le fait : « De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n’était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l’économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».

Il peut résulter pour le fournisseur qui fait l’objet du déréférencement, un préjudice particulièrement important, spécialement si celui-ci est une petite ou une moyenne entreprise dans une situation de dépendance économique ou dans une relation de dépendance à l’égard de la centrale.

Aujourd’hui, compte tenu d’une part du très faible nombre d’accords interprofessionnels faisant référence à un préavis dont la durée est déterminée en référence à des usages professionnels, et d’autre part de l’absence d’arrêtés du ministre de l’économie fixant un délai minimum de préavis, il convient d’inviter les parties à prévoir par écrit, contractuellement, un préavis de déréférencement d’une durée minimale conforme aux dispositions de l’article L 442-6-I-5°.

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en ses séances plénières des 17 décembre 2003 et 25 février 2004, présidées par Monsieur Jean-Pierre Dumas.

Fait à Paris, le 25 février 2004

Le président de la Commission d’examen des pratiques commerciales

Jean-Pierre Dumas
 

 


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