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La Commission d’examen des pratiques commerciales,
Vu la lettre enregistrée le 8 juin 2022, sous le numéro 22-29, par laquelle un cabinet d’avocats interroge la Commission, d’une part, sur la conformité d’une clause à l’article L. 442-6 du code de commerce prohibant l’imposition de prix minima par le fournisseur à ses distributeurs, et, d’autre part, sur le champ d’application territorial de cet article.
Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;
Les rapporteurs entendus lors de sa séance plénière du 17 novembre 2022 ;
La pratique consistant pour un fournisseur à insérer dans un contrat de distribution sélective une clause intitulée « Prix conseillés » mais dont l’objet est d’imposer aux distributeurs de ne pas mettre en vente, sur leur site internet, les produits contractuels à un prix inférieur au prix conseillé par ce dernier, n’est pas conforme au droit de la concurrence. Cette pratique est en effet contraire à l’article L. 442-6 du code de commerce et susceptible de s’analyser comme une pratique anticoncurrentielle non éligible à l’exemption.
Dans le contexte international du commerce en ligne, l’application de l’article L. 442-6 du code de commerce à un contrat de distribution sélective soumis à la loi française n’est pas écartée du seul fait que l’acheteur final peut être situé en dehors du territoire national et, a fortiori, du territoire européen.
La question porte sur la conformité à l’article L. 442-6 du code de commerce d’une clause d’un contrat de distribution sélective au terme de laquelle : « le Fournisseur s’engage à ne pas mettre en vente les produits sur son site Internet à un prix inférieur au « prix conseillé », étant précisé que : « Tous les Distributeurs européens du Fournisseur seront soumis à la même obligation ». La clause prévoit en outre que : « Le Fournisseur s’engage à ne pas livrer de Distributeur qui ne respecterait pas ses prix conseillés » et « à agir contre ceux qui ne le respecteraient pas ».
Le contrat est soumis à la loi française.
La question comporte deux aspects.
1 – La pratique qui consiste, pour un fournisseur de produits haut de gamme, à insérer dans ses contrats de distribution sélective, une clause intitulée « Prix conseillés », mais revenant en réalité à imposer aux distributeurs de ne pas mettre en vente, sur leur site internet, les produits à un prix inférieur au prix conseillé par ce dernier, est-elle conforme au droit de la concurrence ?
2 – Quel est le champ d’application territorial de l’interdiction des prix imposés dans le contexte international du commerce en ligne : la prohibition de l’imposition des prix minima doit-elle s’appliquer lorsque l’acheteur final est situé en dehors du territoire national et, a fortiori du territoire européen ?
Un prix de revente est imposé au distributeur lorsque celui-ci se trouve contraint de répercuter le prix fixe ou minima indiqué par son partenaire commercial. Or, le droit des pratiques restrictives de concurrence prohibe l’imposition de prix fixes et minima. L’article L. 442-6 du code de commerce dispose qu’« est puni d’une amende de 15.000 € le fait par toute personne d’imposer, directement ou indirectement, un caractère minimal au prix de revente d’un produit ou d’un bien, au prix d’une prestation de service ou à une marge commerciale ». Outre les sanctions pénales prévues par le texte, la violation de cette disposition, constitutive d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil, engage la responsabilité civile extracontractuelle de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé sur le fondement du droit commun de la responsabilité.
Constitue dès lors une pratique restrictive de concurrence le fait pour un fournisseur d’imposer à son distributeur de ne « pas mettre en vente les produits sur son site internet à un prix inférieur au « prix conseillé » et ce, quand bien même cela serait limité à la revente des produits via son site internet.
Cette pratique est également susceptible de constituer une entente anticoncurrentielle, au sens des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Le concours de volonté collusive est facilement établi lorsque le distributeur accepte dans le contrat lui-même une interdiction de revente en ligne à un prix inférieur au « prix conseillé ». Cette volonté est d’autant plus ferme lorsque des manœuvres de rétorsion sont prévues (refus de livraison des distributeurs qui ne respectent pas le « prix conseillé »). La circonstance que le contrat réaffirme par ailleurs la liberté des prix en dehors de la revente en ligne est sans incidence. Est également indifférente la circonstance que les produits concernés font l’objet d’une distribution sélective ou encore qu’il s’agit de produits haut de gamme.
Cette restriction s’analyse comme une restriction caractérisée au sens de l’article 4 (a) du Règlement d’exemption par catégorie (UE) 2022/720 de la Commission du 10 mai 2022 (ayant succédé au Règlement (UE) 330/2010). Elle prive par conséquent, quelle que soit la part de marché des parties, le contrat de distribution sélective dans son ensemble du bénéfice de l’exemption par catégorie. L’article 4 (a) dispose en effet que l’exemption ne s’applique pas aux accords ayant pour objet « de restreindre la capacité de l’acheteur à déterminer son prix de vente, sans préjudice de la possibilité pour le fournisseur d’imposer un prix de vente maximal ou de recommander un prix de vente, à condition que ces derniers n’équivaillent pas à un prix de vente fixe ou minimal sous l’effet de pressions exercées ou d’incitations offertes par l’une des partie ». Par ailleurs, le fait de limiter la restriction aux seules ventes en ligne peut être analysé comme une façon de porter atteinte à ce canal de vente.
La pratique consistant à imposer au distributeur indépendant un prix de vente minima est en outre susceptible de constituer un abus de position dominante au sens des articles L. 420-2, alinéa 1 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, sous réserve que le fournisseur soit en position dominante sur son marché.
En cas d’entente ou d’abus de position dominante, les parties contrevenantes encourent des sanctions administratives sous forme d’amende prononcée par l’Autorité de la concurrence et le cas échéant des sanctions civiles en cas d’action privée.
A l’inverse, la pratique consistant à conseiller au distributeur indépendant un prix de revente indicatif (fixe ou maxima) est en principe licite, à condition qu’elle ne dissimule pas un prix de vente fixe ou minima imposé comme dans le cas soumis à la présente saisine.
Pour être licite, la pratique de prix conseillé objet de la saisine aurait dû permettre au distributeur d’indiquer sur son site internet un prix de revente inférieur au prix conseillé par le fournisseur sans encourir de sanction dans le cadre de sa relation commerciale si ce prix est inférieur au prix conseillé (cf. Avis n°21-4 de la CEPC relatif à une demande d’avis d’une professionnel portant sur la conformité d’une pratique d’un fournisseur au regard du droit de la concurrence).
La question est de savoir si la prohibition de l’imposition des prix minima doit s’appliquer lorsque l’acheteur final est situé en dehors du territoire national et, a fortiori du territoire européen.
Pour l’analyse de la saisine, on partira du postulat que :
– le fournisseur est un opérateur établi sur le territoire français qui commercialise ses produits en ligne ;
– l’acheteur est un acheteur professionnel (distributeur) et non consommateur établi en France ou dans l’UE ;
– les produits vendus par le fournisseur aux distributeurs situés sur le territoire français, ou dans l’UE sont des biens et non des services ;
– le fournisseur ne vend pas de contenus numériques.
Lorsque le contrat est soumis par les parties à la loi française, comme dans le cas d’espèce, cela suffit a priori pour en déduire l’applicabilité de l’article L. 442-6 du code de commerce.
L’auteur de la saisine demande toutefois si l’article L. 442-6 s’applique aux reventes à des acheteurs étrangers ou bien s’il s’agit d’une norme « autolimitée » aux hypothèses de revente en France.
L’application de l’article L. 442-6 du code de commerce n’est pas subordonnée à la preuve d’une restriction de concurrence sur le marché français. L’infraction est constituée indépendamment du lieu de revente qui est donc indifférent.
La Cour de cassation s’est clairement prononcée en ce sens à propos de l’ancien article 36-1 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 : « l’ordonnance du 1er décembre 1986 s’applique aux produits achetés en France même si ces produits doivent être distribués ou revendus à l’étranger » (Com. 16 juin 1998, n°96-20.182).
Les articles 101 et 102 TFUE s’appliquent à une double condition. D’abord, il importe que la pratique litigieuse dispose d’un lien de rattachement suffisant avec le territoire européen. Ce lien de rattachement peut se déduire de la mise en œuvre de la pratique sur le marché européen ou de l’existence d’effets qualifiés de ce comportement sur ce territoire (sur cette alternative, v. TPI, 12 juin 2014, aff. T-286/09, Intel, pts 236 et 244 ; CJUE, 6 sept. 2017, aff. C-413/14, pts 40 à 65 ; plus récemment, TPI, 30 mars 2022, Air France, aff. T-338/17 pts 96 et s.). Ensuite, il faut que la pratique en cause affecte de façon sensible le commerce entre Etats membres.
La pratique consistant pour un fournisseur établi en France à imposer à ses distributeurs français et européens indépendants un prix de vente minima sur leur site internet devrait réunir assez facilement ces deux conditions.
L’applicabilité des articles 101 et 102 du Traité ne porte pas atteinte à la mise en œuvre de l’article L. 442-6 du code de commerce (article 3 du Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité).
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 17 novembre 2022, présidée par Madame Annaïg LE MEUR
Fait à Paris, le 18 novembre
La présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales
Annaïg LE MEUR