Your cart is currently empty!
La Commission d’examen des pratiques commerciales,
Vu la lettre enregistrée le 2 septembre 2020, sous le numéro 20-52, par laquelle un cabinet d’avocats interroge la Commission sur l’applicabilité des articles L. 441-9 et L. 441-10 au contrat de vente international de marchandises, soumis à un droit étranger et à la CVIM, conclu entre un fournisseur étranger et ses clients distributeurs situés en France
Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;
La rapporteure entendue lors de sa séance plénière du 8 juillet 2021 ;
Une vente internationale de marchandises désignant un droit étranger et relevant de la CVIM, conclue entre un fournisseur étranger et un distributeur situé en France n’est pas soumise aux délais de paiement prévus à l’article L. 441-10 du code de commerce.
Les délais de paiement convenus entre les parties ne doivent cependant pas constituer un abus manifeste à l’égard du créancier. Tel ne semble pas être le cas des modalités de paiement échelonné établies par le créancier et communes à l’ensemble des contrats de vente conclus avec ses clients européens.
Les contrats de vente internationale de marchandises désignant un droit étranger et relevant de la CVIM conclus entre un fournisseur étranger et un distributeur situé en France impliquent l’obligation pour le vendeur de délivrer une facture chaque fois que le contrat, les usages ou une loi impérative au titre des lois de police le prévoit (art. 30 et 34 CVIM).
L’article L. 441‑9 du code de commerce peut s’analyser comme une loi de cette nature imposant dans son principe la remise d’une facture, dont le contenu est déterminé librement par les parties conformément à la CVIM.
Demande d’avis d’un cabinet d’avocats sur l’applicabilité des articles L. 441-9 et L. 441-10 du code de commerce au contrat de vente internationale de marchandises soumis à un droit étranger et à la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises de Vienne du 11 avril 1980 (CVIM) conclu entre un fournisseur étranger et ses clients distributeurs situés en France.
Une société de droit étranger établie dans l’UE, fabrique et commercialise des produits et matériels d’optique et lunetterie de vue et solaire (ci-après désignée la « société »).
La société fournit depuis l’étranger, des distributeurs, dont certains exercent leur activité en France.
La société conclut avec ses clients établis en Europe des contrats de vente aux termes desquels les distributeurs s’engagent sur un volume d’achat ferme au cours d’une période de 12 mois.
En contrepartie de cet engagement d’achat ferme, la société accepte que le paiement des produits soit effectué par ses clients en 12 mensualités du même montant, quelle que soit la quantité de produits livrée au cours du mois concerné.
En d’autres termes, le montant total annuel de commande convenu entre la société et le distributeur est divisé en 12 acomptes mensuels de même montant, prélevés à date fixe.
Une facture d’acomptes est émise chaque mois par la société.
Il s’agit d’une vente de produits, payée en 12 mensualités de même montant, les produits étant livrés au distributeur sur une période de 12 mois en fonction de ses demandes.
A toutes fins utiles, il convient de préciser que le non-respect de cet engagement de commande par le client est sanctionné contractuellement.
Ces contrats sont soumis à un droit étranger et à la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises de Vienne (CVIM) du 11 avril 1980.
Le juge compétent désigné par le contrat en cas de litige est le juge étranger.
La société souhaite, dans ce contexte, également proposer ce type de contrat à ses clients situés en France, à l’instar de ce qu’elle pratique auprès de ses autres clients européens.
La société souhaite s’assurer que les conditions de facturation et de paiement telles que mentionnées ci-avant ne sont pas susceptibles de contrevenir aux dispositions du droit français relatives à la facturation et aux délais de paiement.
La société rappelle que la CEPC a pu retenir les éléments suivants dans certains de ses avis :
« Les contrats de vente internationale de marchandises relevant de la convention de Vienne du 11 avril 1980 ne sont pas soumis au plafond des délais de paiement prévu par l’article L. 441-6 I alinéa 9 du code de commerce [devenu l’article L. 441-10 du code de commerce]. Par l’application combinée de la convention, des principes généraux dont elle s’inspire et de la directive n°2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, les délais de paiement convenus entre les parties ne devraient pas constituer un abus manifeste à l’égard du créancier, c’est-à-dire traduire un écart manifeste par rapport aux bonnes pratiques et usages commerciaux, contraire à la bonne foi et à un usage loyal, compte tenu de la nature du produit. » (Avis n°16-12 relatif à une demande d’avis d’un avocat portant sur l’application du plafond légal des délais de paiement dans un contexte international).
En l’espèce, la saisissante estime que la pratique qu’elle envisage de mettre en place en France ne parait pas pouvoir constituer un « abus manifeste vis-à-vis du créancier » dès lors que :
i. la société est le créancier ;
ii. les contrats tels que décrits ci-avant constituent un contrat-type pour l’ensemble de ses distributeurs européens.
Au regard de ces éléments, les questions soumises à la Commission sont les suivantes :
La question est ici de savoir si les règles de facturation et de plafonnement des délais de paiement prévues par le code de commerce s’imposent dans les rapports entre un acheteur établi en France et un vendeur établi à l’étranger lorsque le contrat de vente de marchandises est soumis à un droit étranger et à la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (CVIM). Si tel est le cas, la compatibilité du système de règlement échelonné mentionné par le saisissant avec ces règles devra être étudiée.
Le contrat de fourniture de marchandises décrit par le saisissant est régi par la CVIM en tant que composante du droit étranger désigné par les parties.
Il est ainsi nécessaire de déterminer si les questions relatives à la facturation et aux délais de paiement font partie des matières couvertes par la CVIM, auquel cas l’application de la Convention prime sur les dispositions de droit interne (telles que celles figurant dans le code de commerce) désignées par les règles gouvernant les conflits de lois.
La Convention s’applique en principe à toutes les questions que soulève la vente entre les parties depuis sa formation jusqu’à son exécution : « La présente Convention régit exclusivement la formation du contrat de vente et les droits et obligations qu’un tel contrat fait naître entre le vendeur et l’acheteur », à la réserve suivante : « sauf disposition contraire expresse de la présente Convention, celle-ci ne concerne pas : a) La validité du contrat ni celle d’aucune de ses clauses non plus que celle des usages » (article 4).
S’agissant des délais de paiement, la CEPC a déjà eu l’occasion d’indiquer que, lorsque le contrat relève de la CVIM, les délais de paiement plafonds prévus par le code de commerce ne devraient pas s’appliquer (avis n°16-12 précité et n°21-3).
Ainsi, en présence d’une clause définissant des délais de paiement telle que celle présente dans les contrats décrits par le saisissant, l’article 59 de la CVIM prévoit que « l’acheteur doit payer le prix à la date fixée au contrat ou résultant du contrat et de la présente Convention, sans qu’il soit besoin d’aucune demande ou autre formalité de la part du vendeur ».
La CEPC a néanmoins estimé que « les rédacteurs de la Convention n’ont pas envisagé la question des délais de paiement en tant que telle » et qu’ « il est donc permis d’analyser la question des délais de paiement comme une ‘lacune interne’ de la Convention » au sens de son article 7-2, et en a conclu que, au sein de l’Union européenne, « par l’application combinée de la Convention, des principes généraux dont elle s’inspire et de la directive n°2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, les délais de paiement convenus entre les parties ne devraient pas constituer un abus manifeste à l’égard du créancier, c’est-à-dire traduire un écart manifeste par rapport aux bonnes pratiques et usages commerciaux, contraire à la bonne foi et à un usage loyal, compte tenu de la nature du produit » (avis n°16-12 précité).
Dans le cas d’espèce décrit par le saisissant, les modalités de paiement sont déterminées par le créancier et sont communes à tous les contrats de vente conclus avec ses clients européens. Ainsi, ces modalités ne paraissent pas pouvoir être qualifiées d’« abus manifeste à l’égard du créancier ».
L’article 59 de la CVIM indique qu’aucune demande ou formalité supplémentaire, telle que l’émission d’une facture (précis de jurisprudence de la CNUDCI[1] concernant la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises, éd. 2016, p. 303), n’est obligatoire pour obtenir le paiement convenu au contrat.
Toutefois, si l’article 59 de la CVIM indique expressément que la facturation n’est pas obligatoire, ce n’est qu’à l’égard de l’obligation de paiement du prix convenu et non à titre général.
En effet, la remise d’une facture peut faire partie des obligations du vendeur au titre des documents se rapportant aux marchandises. Cela ressort de l’article 30 aux termes duquel « Le vendeur s’oblige dans les conditions prévues au contrat et par la présente Convention à livrer les marchandises, à en transférer la propriété et, s’il y a lieu, à remettre les documents s’y rapportant ».
Parmi ces documents qui peuvent être de toutes sortes (certificat d’origine, connaissement maritime, licence d’exportation, etc.) figurent les factures commerciales (Précis de jurisprudence de la CNUDCI préc. p.150 ; v. également V. Heuzé, La vente internationale de marchandises, Traité des contrats, LGDJ 2000, n°254 p.225).
S’agissant de ses modalités, l’article 34 de la Convention précise : « Si le vendeur est tenu de remettre les documents se rapportant aux marchandises, il doit s’acquitter de cette obligation au moment, au lieu et dans la forme prévus au contrat. En cas de remise anticipée, le vendeur conserve, jusqu’au moment prévu pour la remise, le droit de réparer tout défaut de conformité des documents, à condition que l’exercice de ce droit ne cause à l’acheteur ni inconvénients ni frais déraisonnables. Toutefois, l’acheteur conserve le droit de demander des dommages-intérêts conformément à la présente Convention ».
Procédant à l’interprétation de ce texte, le précis de jurisprudence de la CNUDCI (préc. p. 150) confirme que « l’article 34 traite du devoir du vendeur de remettre les documents se rapportant aux marchandises vendues, lorsqu’une telle obligation existe. Cette disposition ne crée pas une telle obligation, mais la présuppose ».
En d’autres termes, la convention n’impose pas l’établissement d’une facture mais ne l’interdit pas non plus. L’obligation d’établir une facture est un fait dont la convention tire les conséquences. Cette obligation peut d’abord résulter de l’accord des parties. Elle peut également s’inférer d’un usage au sens de l’article 9 de la Convention. Il n’est pas exclu enfin qu’elle procède d’une réglementation impérative s’imposant aux parties dans les situations internationales.
A cet égard, toutes les opérations commerciales effectuées au sein de l’Union européenne sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Aux fins de la perception de la TVA, les professionnels doivent s’échanger des informations utiles et sont ainsi notamment concernés par une obligation de facturation prévue par des règles fiscales européennes (article 220 de la directive n°2006/112/CE) figurant, en droit interne français, à l’article 289 du code général des impôts.
Par ailleurs, l’obligation de facturation prévue à l’article L. 441-9 du code de commerce pour « tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité professionnelle » pourrait parfaitement s’imposer à une vente intracommunautaire.
En effet, par analogie avec la disposition du code de commerce relative à l’obligation de conclure une convention unique (avis n°19-7), l’article L. 441-9 du code de commerce peut s’analyser en une loi de police en vertu des règles de droit international privé (article 9§1 du règlement Rome I).
Ce texte constitue en effet une norme impérative à laquelle il n’est pas possible de déroger par contrat.
Sa finalité dépasse l’objectif de protection de la partie faible à un contrat puisqu’il s’agit notamment de favoriser la transparence des relations commerciales entre les vendeurs et les acheteurs professionnels, afin d’assurer la loyauté et l’équilibre de celles-ci.
Le respect de ce texte est également crucial pour le législateur puisqu’il a prévu des sanctions pénales puis administratives en cas de manquements, dont à la fois l’acheteur et le vendeur sont passibles. Le vendeur est en effet tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la livraison ou de la prestation de services et l’acheteur a l’obligation de la réclamer (pour une application dans les rapports entre un vendeur étranger de tomates et un acheteur français, v. Cass. crim., 18 juin 1998, no 97-81.510).
Pour qu’une telle disposition soit applicable à une situation internationale, il faut procéder à une analyse in concreto de la relation commerciale afin d’apprécier si les éléments de rattachement au territoire français sont suffisants au regard de l’objectif poursuivi par ce texte pour en justifier l’application (avis n°19-7 et n°21-3 précités). L’exécution de la relation commerciale sur le territoire français, telle que décrite en l’espèce par le saisissant, justifie l’application immédiate de cette obligation.
S’agissant des modalités de facturation, la CVIM prévoit expressément que la détermination du moment, du lieu et de la forme relève de la volonté des parties. Conformément à la CVIM, les parties peuvent donc librement déterminer les modalités de facturation.
Par conséquent, il n’y a pas lieu d’analyser la conformité aux autres dispositions du code de commerce des modalités de facturation décrites par le saisissant puisque ces dispositions ne paraissent pas applicables à un contrat soumis à la CVIM.
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 8 juillet 2021, présidée par Monsieur Daniel TRICOT
Fait à Paris, le 8 juillet 2021,
Le vice-président de la Commission d’examen des pratiques commerciales
Daniel TRICOT
[1] Commission des Nations Unies pour le droit commercial international