Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n° 21-8 relatif à une demande d’avis d’un professionnel portant sur la conformité au droit des pratiques restrictives de concurrence de la pratique d’un assureur consistant à supprimer en période de crise sanitaire la garantie perte d’exploitation…

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Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n° 21-8 relatif à une demande d’avis d’un professionnel portant sur la conformité au droit des pratiques restrictives de concurrence de la pratique d’un assureur consistant à supprimer en période de crise sanitaire la garantie perte d’exploitation…
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La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 26 octobre 2020, sous le numéro 20-69, par laquelle un professionnel interroge la Commission sur la conformité au droit de pratiques mises en œuvre, en période de crise sanitaire liée à la Covid-19, par l’assureur auprès duquel il a souscrit une police multirisques professionnels.

Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ; La rapporteure entendue lors de sa séance plénière du 27 mai 2021 ;

La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie par une TPE exploitant un établissement de restauration rapide à consommer sur place et à emporter d’une demande d’avis sur la conformité au droit de pratiques mises en œuvre, en période de crise sanitaire liée à la COVID 19, par l’assureur auprès duquel il a souscrit une police multirisques professionnels.

Il convient de préciser, de façon liminaire, que l’Autorité de la concurrence a été saisie en parallèle, de sorte que l’application éventuelle du droit des pratiques anticoncurrentielles, évoqué par l’entreprise de restauration dans sa demande d’avis, ne sera pas envisagée ci-après.

De même, si un différend a opposé le souscripteur de la police à l’assureur quant à la mise en jeu de la garantie perte d’exploitation prévue au contrat au titre de la fermeture de l’établissement en raison de la crise sanitaire, il y a été mis fin par une transaction. En l’absence de tout élément susceptible de permettre utilement l’annulation de la transaction en raison d’un vice du consentement ou d’une absence de concessions réciproques, il faut rappeler que, conformément à l’article 2052 du code civil, celle-ci a, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort.

Postérieurement, l’assureur a informé le souscripteur qu’il entendait apporter au contrat une modification concernant la garantie perte d’exploitation et consistant, plus précisément, à supprimer cette garantie au titre de « l’impossibilité d’accès à l’établissement en cas d’interdiction par une autorité compétente ou une décision des Pouvoirs publics consécutive à : une maladie contagieuse, épidémie… ».

Face au refus de l’assuré, l’assureur a fait état de son droit de modifier ses contrats et a indiqué que, compte tenu de ce refus, le contrat d’assurance serait résilié à son échéance annuelle.

Il importe donc d’apprécier la conformité au droit des pratiques restrictives de la pratique consistant pour un assureur à modifier la garantie contractuelle à peine de résiliation du contrat dans le cas où cette modification n’est pas acceptée par l’assuré.

De façon préalable, il convient de relever que les dispositions du Titre IV du Livre IV du code de commerce sont applicables à toutes les activités de production, de distribution et de services et partant à l’activité d’assurance. Cela est vrai indépendamment de la nature juridique de l’assureur : il a été jugé que « le régime juridique des sociétés d’assurances mutuelles, comme le caractère non lucratif de leur activité, ne sont pas de nature à les exclure du champ d’application des dispositions relatives aux pratiques restrictives de concurrence dès lors qu’elles procèdent à une activité de service » (Cass. Com., 14 septembre 2010, n° 09-14322).

Deux situations doivent être distinguées selon que les principes de l’application de la loi dans le temps conduisent à considérer que la pratique litigieuse relève du droit issu de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ou, au contraire, du droit antérieur à la réforme portée par cette ordonnance.

En cas d’application du droit issu de l’ordonnance du 24 avril 2019, la pratique litigieuse doit être envisagée à l’épreuve de l’article L. 442-1-I-2° du code de commerce. Comme déjà exposé, l’assureur exerce une activité économique de services  et met en œuvre la pratique litigieuse à l’égard de « l’autre partie » au contrat, à savoir le souscripteur et assuré. Au regard de la jurisprudence, le fait d’imposer ou tenter d’imposer le changement de garantie sans possibilité de négocier et sous la menace de mettre fin au contrat en cas de refus d’acceptation paraît constituer le fait de soumettre ou tenter de soumettre au sens de l’article L. 442-1-I-2. Par ailleurs, la suppression d’une garantie, qui apparaît cruciale en la période actuelle de crise sanitaire, ceci sans réduction de prime à la connaissance de la Commission, pourrait être de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

La pratique pourrait également relever de l’article L. 442-1-I-1° du code de commerce, dont les conditions d’application ratione personae sont les mêmes que celles de la règle sur le déséquilibre significatif. Il pourrait être considéré que le fait d’obtenir ou tenter d’obtenir sans aucune contrepartie à la connaissance de la Commission la suppression d’une garantie, cruciale en période de crise sanitaire, constitue « un avantage sans contrepartie » au sens de cette disposition.

Il y a enfin lieu de s’interroger sur le point de savoir si la résiliation du contrat à l’initiative de l’assureur peut constituer une rupture brutale de la relation commerciale établie. Il importe de souligner, à ce propos, que le droit des assurances et, plus précisément, l’article L. 113-12 du code des assurances confère à chacune des parties, et donc à l’assureur, une faculté annuelle de résiliation à l’échéance du contrat, sous réserve de respecter un délai de prévenance de deux mois et la forme d’un recommandé. Dès lors, il est permis de considérer que cette faculté légale annuelle de résiliation exclut le caractère établi de la relation d’assurance, dans la mesure où chacune des parties ne peut légitimement compter sur la pérennité de la relation. Il faut cependant préciser que, « pour la couverture des risques autres que ceux des particuliers », l’alinéa 5 de l’article L 113-12 du code des assurances permet aux parties de « déroger à ces règles de résiliation ». En cette dernière hypothèse, la relation pourrait être considérée comme établie si elle présente un caractère suivi, stable et habituel, comme le requiert la jurisprudence. Dès lors, il faudrait s’interroger sur le point de savoir si le délai de préavis accordé par l’assureur (inférieur au délai de dix-huit mois au-delà duquel la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut plus être recherchée) est suffisant au regard de la durée de la relation ainsi que des différents paramètres pris en compte par les juridictions appelées à mettre en œuvre l’article L. 442-1-II du code de commerce.

En cas d’application du droit antérieur à l’ordonnance du 24 avril 2019, il convient de préciser qu’aucun changement n’est à signaler en ce qui concerne les anciens articles relatifs à l’avantage sans contrepartie et au déséquilibre significatif. En effet, l’assureur peut être considéré comme « tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers » au sens de l’ancien article L. 442-6 du code de commerce. De même, la Cour de cassation a défini le « partenaire commercial » au sens de l’article L. 442-6-I-1° et 2° ; comme « la partie avec laquelle l’autre partie s’engage, ou s’apprête à s’engager, dans une relation commerciale » (Cass. Com., 15 janvier 2020, n° 18-10512), ce qui est bien le cas du souscripteur du contrat d’assurance. S’agissant de la règle sur l’avantage sans contrepartie, elle était initialement circonscrite aux services, mais tel est le cas de la prestation d’assurances.

Pourrait également être envisagée l’application de l’ancien article L. 442-6-I-4° du code de commerce appréhendant le fait « d’obtenir ou de tenter d’obtenir, sous la menace d’une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d’achat et de vente ». Le fait d’imposer ou tenter d’imposer le changement de garantie sous la menace de mettre fin au contrat en cas de refus d’acceptation pourrait constituer « la menace de rupture brutale des relations commerciales » au sens de ce texte dont il faut relever qu’il n’exige pas que ces relations soient établies. En revanche, la suppression d’une garantie, certes cruciale en période de crise sanitaire et sans réduction de prime, si elle pourrait apparaître comme constitutive de « conditions manifestement abusives », ne concerne pas l’un des éléments mentionnés dans l’énumération limitative du texte.

Enfin, s’agissant de la règle sur la rupture brutale, il y a lieu d’appliquer le même raisonnement que celui développé précédemment, sauf à observer que l’ancien article L. 442-6-I-5° du code de commerce ne prévoyait pas que la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut plus être recherchée du chef d’une durée insuffisante lorsqu’il a respecté un délai de préavis de dix-huit mois.

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 27 mai 2021, présidée par Monsieur Daniel TRICOT

Fait à Paris, le 27 mai 2021,

Le vice-président de la Commission

Daniel TRICOT


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