Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n° 20-1 relatif à une demande d’avis d’une organisation professionnelle portant sur un contrat de fourniture de lait

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Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n° 20-1 relatif à une demande d’avis d’une organisation professionnelle portant sur un contrat de fourniture de lait
Ce point juridique est utile ?

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 17 octobre 2018, sous le numéro 18-55, par laquelle une organisation professionnelle interroge la Commission sur diverses clauses d’un contrat de fourniture de lait.
Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;
Les rapporteurs entendus lors de ses séances plénières des 21 novembre 2019 et 27 février 2020 ;

Les questions du saisissant sont :

  • Une clause d’approvisionnement formulée dans les termes suivants : « le producteur s’engage à exécuter de bonne foi son engagement de livraison en fournissant à l’acheteur des quantités de lait correspondant au cycle de production de son cheptel» ne vient-elle pas créer une obligation d’exclusivité non clairement consentie ?
  • Une clause qui rend impossible la modification du circuit de collecte est-elle légale ?
  • Le courrier de l’acheteur qui laisse une discussion ouverte pour diminuer le volume du producteur et qui ne répond pas à la demande de changement du circuit de collecte est-il légal ? Le refus de principe de l’acheteur pour que les producteurs prennent en charge les opérations de collecte est-il légal ?

A titre liminaire, il convient de souligner que si les faits portés à la connaissance de la CEPC ainsi que la saisine sont antérieurs à l’ordonnance du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du Code de commerce, les dispositions du présent avis ne sont pas remises en cause par les modifications de cette réforme.

1.    Une clause d’approvisionnement utilisant le terme « cycle de production du cheptel » ne vient-elle pas créer une obligation d’exclusivité non clairement consentie ?

Conformément à l’article L.631-24 du code rural et de la pêche maritime, les contrats de vente de lait entre producteur et acheteur contiennent des engagements de volume. L’ajout d’une mention engageant le producteur à fournir « des quantités de lait correspondant au cycle de production du cheptel » en plus de l’engagement de volume contractuel annuel peut avoir pour effet d’obliger le producteur à mettre à disposition et à céder à l’acheteur tout supplément de production, ce qui revient à consentir une exclusivité de fourniture à l’acheteur.

Un engagement d’exclusivité doit être clairement consenti par celui qui s’y oblige. Au cas contraire le créancier de cette exclusivité doit démontrer que l’avantage n’a pas été obtenu sans contrepartie.

En l’espèce, dans un courrier en réponse adressé au producteur qui souhaite diversifier sa clientèle, à une date qui a été oblitérée, l’acheteur précise : « Pour autant, nous restons à votre disposition pour convenir ensemble d’une diminution de votre volume contractuel qui soit de nature à vous permettre de trouver d’autres débouchés à votre production ». Dans cette hypothèse, la mention  du contrat relative aux quantités de lait correspondant au « cycle de production du cheptel » n’a plus d’objet au regard de cette diminution de volume contractuel permettant de trouver d’autres débouchés.
Dans le cas contraire, la clause contractuelle organisant la collecte (article 7 du contrat qui comporte la référence au cycle de production du cheptel) a pour effet de rendre incertaine la capacité pour le producteur d’engager ses ressources et moyens de production pour d’autres clients et d’autres marchés. Quand bien même il pourrait acheter un autre tank à lait pour ces nouveaux approvisionnements, la clause contractuelle précitée a pour effet de créer une insécurité juridique  pour le producteur s’il envisage de nouveaux contrats.

2.    Une clause qui rend impossible la modification du circuit de collecte est-elle légale ?

Si la mention relative à la fourniture de quantités de lait correspondant au cycle de production du cheptel du producteur rend incertaine la possibilité pour le producteur de se diversifier, le refus (contenu aux termes du courrier précité) de l’acheteur de modifier le rythme de collecte stipulé dans la même clause rend cette évolution impossible.
Aux termes du contrat communiqué par le demandeur à la CEPC, on relève : que la fréquence et les horaires de passage de la collecte prennent en compte de manière prioritaire les contraintes techniques de l’acheteur au regard de celles du producteur ; que l’acheteur peut changer la fréquence et l’horaire de collecte sur simple information auprès du producteur. Le contrat ne prévoit pas la possibilité pour le producteur de faire évoluer la fréquence de passage des camions de collecte pour prendre en compte des contraintes techniques ou logistiques liées à d’autres activités de fourniture qu’il envisagerait. On relève dans ces différentes modalités contractuelles une asymétrie dans les droits et obligations des parties.
La question se pose alors de savoir si ces stipulations, prises isolément ou cumulativement, créent un déséquilibre significatif au sens de l’ancien article L 442-1,I,2° du code de commerce, (cf. avis CEPC n°17-11, qui porte également sur un contrat de fourniture de lait).
Afin de déterminer s’il y a ou non déséquilibre significatif en l’espèce, il convient de s’interroger sur les contraintes techniques pesant sur l’acheteur en termes de contrôle et d’enlèvement du produit lorsqu’il a à sa charge la collecte du lait, qui justifieraient le cas échéant sa maîtrise unilatérale des conditions – et en particulier du rythme (horaires et fréquence) – de collecte. En d’autres termes, les obligations acceptées par le producteur dans le contrat, qui l’empêchent d’envisager de nouvelles relations d’approvisionnement sont-elles rééquilibrées par des contreparties réelles de la part de l’acheteur.
De manière concrète, lors d’une collecte de lait chez un producteur, le responsable de la collecte a l’obligation de prélever l’intégralité des quantités contenues dans le tank à lait ainsi que d’effectuer cette collecte de lait dans les trois jours suivant la traite. Des raisons sanitaires et qualitatives justifient ces contraintes.
Ces obligations légales en matière d’enlèvement du lait produit n’ont néanmoins pas pour conséquence d’imposer l’enlèvement de la production par l’acheteur, le produit pouvant  dans tous les cas être soit collecté par l’acheteur, soit livré par le producteur, soit opéré par un tiers. Le modèle économique n’est pas le même (investissements et prise en charge des coûts de transport).
Dans le cas examiné, le rythme de collecte contractuellement prévu est décidé par le seul acheteur, à savoir tous les trois jours au maximum, mais à tout moment dans ce laps de temps, avec des collectes effectuées sans régularité ou prévenance suffisante du producteur en cas de modification, laissant ainsi à l’acheteur une grande liberté pour organiser au mieux son schéma économique d’approvisionnement en matière première. Il ajuste selon ses propres besoins les volumes collectés auprès de nombreux producteurs selon le même schéma contractuel : « l’acheteur procédera au ramassage du lait avec une certaine constance dans la périodicité et les horaires de collecte et, dans la mesure du possible, informera le producteur en cas de modification de la périodicité ou de changement significatif de l’horaire ». Le rythme de collecte laissé à sa convenance dans la limite de trois jours et de 0h à 24h, n’est justifié que par des raisons propres à l’acheteur, lesquelles ne concernent en aucun cas le producteur. Ce dernier ne peut pas raisonnablement s’engager dans des projets de fourniture avec des tiers, contrairement à ce que soutient l’acheteur dans son courrier qui, d’une part, refuse toute modification de date de collecte en expliquant que « cette demande (serait) susceptible de désorganiser notre collecte, dont l’efficacité repose sur la régularité des livraisons de lait des producteurs », et qui, d’autre part, se dit prêt à convenir « d’une diminution de votre volume contractuel qui soit de nature à vous permettre de trouver d’autres débouchés à votre production » (diminution que le producteur n’a d’ailleurs pas sollicitée).
On constate en l’espèce que d’une part, aucun préavis n’est prévu en cas de modification unilatérale par l’acheteur du rythme et des moments de collecte, et que d’autre part, la combinaison de cette clause avec d’autres stipulations du contrat fait peser sur le seul vendeur lié à l’aléa des modifications de l’acheteur, une obligation de mise à disposition permanente de sa production, ce qui l’empêche d’organiser parallèlement des accords d’approvisionnement avec d’autres acheteurs sur le marché.
Par l’avis 17-11 précité, la CEPC a déjà indiqué que la clause de modification unilatérale du rythme de la collecte par l’acheteur pouvait être sanctionnée par le déséquilibre significatif issu de l’article L. 442-1 (ancien article L. 442-6) du code de commerce, si elle n’avait ni justification, ni contrepartie. Par ailleurs, le même avis précise que « la même considération s’applique à l’effet cumulé de ces clauses stipulées dans un seul et même contrat ». On y retrouve une situation comparable au présent avis à savoir  une clause de modification du rythme de la collecte au seul bénéfice de l’acheteur.

La CEPC a considéré dans cet avis qu’une telle clause ne serait pas abusive en cas de respect d’un préavis. En conséquence, l’absence de préavis contractuel rend abusive la clause qui soumet la modification du rythme de collecte à volonté d’une seule des parties.

3.    Le courrier de l’acheteur qui laisse une discussion ouverte pour diminuer le volume du producteur et qui ne répond pas à la demande de changement du circuit de collecte est-il légal ? Le refus de principe de l’acheteur pour que les producteurs prennent en charge les opérations de collecte est-il légal ?

 

Comme il a été dit ci-dessus, le refus opposé par l’acheteur aux propositions du producteur de modifier conjointement le rythme de collecte ou encore d’organiser un circuit de collecte et par voie de conséquence de prendre en charge les opérations de collecte et de transport correspondantes, affecte la liberté pour le producteur d’organiser son activité. Il porte également atteinte au principe d’exécution de bonne foi des conventions posées par l’article 1104 du Code Civil. L’acheteur ne peut ignorer que l’imposition de rythme de collecte à sa discrétion n’est pas conciliable avec la possibilité pour le producteur d’organiser d’autres débouchés à sa production. La proposition de diminuer le seul engagement de volume annuel pour que le producteur trouve d’autres débouchés ne suffit pas à démontrer sa réelle volonté d’aboutir à une nouvelle relation d’approvisionnement permettant au producteur d’envisager d’autres activités.
Il convient alors de s’interroger sur la justification du refus de l’acheteur d’envisager une modification des conditions de collecte. En l’espèce, le contrat ne comporte aucun engagement  formel d’exclusivité souscrit par le producteur, hormis les effets attachés au « cycle de production du cheptel ». Pour échapper au grief de déséquilibre significatif, il appartient à l’acheteur, rédacteur d’un contrat appliqué à un ensemble de producteurs, d’établir qu’une modification des modalités de collecte et de transport qu’il a mises en place avec ses producteurs serait incompatible avec les exigences techniques imposées par les textes à ces conditions spécifiques d’approvisionnement qui seraient dans ce cas légitimement non négociables.
Enfin, certaines stipulations du contrat examiné (clause pénale économiquement dissuasive pour le producteur, clause de livraison, clause de force majeure permettant de considérer comme force majeure des circonstances non extérieures à l’acheteur par exemple) renforcent l’impression de déséquilibre constatée à l’examen des dispositions relatives à l’organisation de la collecte du lait.

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 27 février 2020, présidée par Monsieur Benoit POTTERIE

Fait à Paris, le 27 février 2020,

Le président de la Commission d’examen des pratiques commerciales

Benoit POTTERIE


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