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La Commission d’examen des pratiques commerciales,
Vu la lettre enregistrée le 30 mars 2015 sous le numéro 15-31, par laquelle une entreprise demande l’avis de la Commission sur les conditions commerciales d’une offre de services de transport.
Vu les articles L440-1 et D440-1 à D440-13 du code de commerce ;
Le rapporteur entendu lors de ses séances plénières des 5 novembre 2015 et 14 janvier 2016 ;
La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie par une entreprise exerçant son activité dans le secteur de la location de véhicules de courte durée afin de recueillir son avis sur la conformité au droit de pratiques liées à l’activité de plateformes en ligne mettant en relation des personnes désirant louer un véhicule (particulier ou utilitaire) avec des loueurs en vue de la conclusion d’un contrat de location au prix de un euro incluant, selon les cas, 24 ou 48 heures de location sur un trajet déterminé et pour un kilométrage fixé, ainsi qu’une assurance « tous risques » selon les indications portées sur les sites internet.
Il s’agit de « favoriser la rencontre » entre des personnes désirant louer un véhicule à bas prix, pour un trajet donné, et des professionnels de la location de véhicules cherchant une solution économique de transfert géographique d’une à l’autre de leurs agences sur le même trajet, ceci entre deux prestations classiques de location. Là où, les professionnels de la location de véhicules sont classiquement amenés à rémunérer un chauffeur pour convoyer le véhicule devant être rapatrié, le mécanisme conçu, qui s’inscrit dans le cadre plus large des nouvelles opérations commerciales par voie numérique, constitue une innovation commerciale permettant une rencontre entre des offreurs et des demandeurs.
Cette activité d’intermédiation, à laquelle se livrent les plateformes concernées, donne lieu à la conclusion d’un contrat à titre onéreux avec les loueurs désirant, par ce moyen, faire rapatrier un véhicule ayant été précédemment loué en « one-way », autrement dit avec une restitution par le locataire dans une ville autre que celle du départ. Elle ne donne en revanche lieu à aucune rémunération de la plateforme par les personnes effectuant par son intermédiaire la réservation d’un véhicule.
Sans méconnaitre le caractère innovant de l’offre proposée par voie électronique, il reste que le rôle de la Commission d’examen des pratiques commerciales consiste à en évaluer la conformité avec les règles de droit en vigueur.
L’activité de mise en relation, par voie électronique, de personnes désirant louer un véhicule et de professionnels de la location est susceptible, lorsqu’elle repose sur des offres de location à un euro, de contrevenir à l’interdiction des prix abusivement bas. De plus, lorsqu’elle s’accompagne d‘une présentation insuffisamment claire des conditions de cette offre (destination, kilométrage, assurance, …) et donc susceptible d’induire en erreur le consommateur, elle peut constituer un acte de concurrence déloyale.
L’obligation faite aux loueurs de proposer la location au prix uniforme de un euro apparaît contraire à l’interdiction des prix imposés et pourrait également constituer une entente anticoncurrentielle.
L’activité des plateformes en ligne aussi bien que celle des entreprises de location de véhicules, qu’il s’agisse des têtes de réseaux ou de leurs distributeurs indépendants, constitue une activité économique entrant dans le champ d’application du droit de la concurrence, l’article L410-1 du code de commerce énonçant le principe de l’application des règles de concurrence « à toutes les activités de production, de distribution et de services », sans restriction aucune.
La tarification ainsi pratiquée à l’égard des personnes désirant louer une voiture, à savoir une gratuité totale de la part de la plateforme électronique d’intermédiation et un prix de location symbolique fixé uniformément, via la plateforme, à un euro, soulève des interrogations tenant à la conformité au droit de la concurrence, d’une part, d’un tel niveau de prix (1) et, d’autre part, d’une telle uniformité de prix (2).
Si le droit français a consacré le principe de la libre détermination des prix par le jeu de la concurrence, énoncé à l’article L410-2 du code de commerce, il l’accompagne de tempéraments légaux et jurisprudentiels, autorisant un contrôle du niveau du prix et destinés à empêcher la pratique de prix trop bas portant atteinte à la liberté ou à la loyauté de la concurrence.
L’article L442-2 du code de commerce, qui appréhende « le fait, pour tout commerçant, de revendre ou d’annoncer la revente d’un produit en l’état à un prix inférieur à son prix d’achat effectif », n’est pas applicable aux services.
En revanche, l’article L420-5 du code de commerce, interdisant « les offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas », est applicable à la fourniture de biens comme de services, à l’exclusion des reventes en l’état, dès lors qu’ils sont destinés à des consommateurs dans l’acception stricte retenue pour la mise en œuvre de ce texte. Selon la Cour d’appel de Paris, le consommateur s’entend de « la personne physique ou morale qui, sans expérience particulière dans le domaine où elle contracte, agit pour la satisfaction de ses besoins personnels et utilise dans ce seul but le produit ou le service acquis » (Paris, 3 juillet 1998, Société moderne d’assainissement et de nettoiement ; v. aussi Conseil de la concurrence, décision n°08-D-01, 18 janvier 2008 relative à une saisine présentée par la société Segard). En l’occurrence, les prestations de location de véhicules pour une courte durée sont offertes et réalisées au profit de personnes qui, pour nombre d’entre elles, ont bien la qualité de consommateur au sens de ce texte.
Dès lors se pose la question de savoir si les prix de location de véhicules à un euro, couvrant 24 heures de location et un kilométrage fixé qui sont offerts et pratiqués sont abusivement bas au sens de l’article L420-5 du code de commerce. Il résulte clairement du texte que sa mise en œuvre ne nécessite aucunement la démonstration d’une position dominante sur un marché ou d’une entente entre entreprises. Cette disposition indique, en revanche, que l’appréciation sur les pratiques et offres de prix doit être portée « par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation » et qu’il est, en outre, nécessaire que « ces offres ou pratiques (aie)nt pour objet ou (puissent) avoir pour effet d’éliminer d’un marché ou d’empêcher d’accéder à un marché une entreprise ou l’un de ses produits ».
Il résulte de la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence (voir Conseil de la concurrence, avis 97-A-18 du 8 juillet 1997, secteur du disque ; décision n°04-D-10 du 1er avril 2004, Pratiques de la société UGC Ciné-cinéma mises en œuvre dans le secteur de l’exploitation des salles de cinéma) que la qualification de prix abusivement bas doit être effectuée, selon la même méthodologie que celle suivie pour les prix prédateurs (voir notamment CJCE, 3 juillet 1991, Akzo).
Sans procéder ici au test de coûts ainsi requis et consistant à comparer la tarification avec les coûts variables moyens et avec les coûts moyens totaux, il convient de rappeler que cette offre effectuée via les plateformes permet aux loueurs de faire rapatrier un véhicule pour lequel a été précédemment appliquée une tarification particulière prévue en cas de non rapatriement dans l’agence de départ. Dès lors, il pourrait être tenu compte dans le calcul effectué de l’excédent de tarification pratiquée au titre du One way. Il conviendrait alors d’intégrer également au calcul à effectuer les coûts supplémentaires exposés par le loueur auprès de la plateforme pour le service consistant dans la mise en relation entre le « locataire » et le loueur. En outre, cette stratégie doit être déterminée « au regard du contexte et notamment de la part détenue par la société en cause sur le marché concerné » (Conseil de la concurrence, décision n°03-D-62 du 18 décembre 2003 relative à des pratiques relevées lors de l’attribution d’un marché d’étude par l’agglomération dijonnaise et décision n°08-D-01, 18 janvier 2008 relative à une saisine présentée par la société Segard, paragraphe 14). Or, il convient de prendre en compte qu’une autre plateforme propose le même type de services.
Pourrait également se poser la question de savoir si la fourniture, par la plateforme, d’un service gratuit à destination des personnes qui réservent une location de voiture par son intermédiaire ne contrevient pas à l’interdiction des prix abusivement bas. Il convient cependant, dans l’appréciation à porter sur cette gratuité, de tenir compte du fait que la plateforme agit sur un marché biface et que, si elle ne perçoit aucune rémunération de la part de ceux qui réservent un véhicule, il en va tout autrement sur l’autre versant du marché, la plateforme étant rémunérée pour son entremise par le loueur professionnel.
De même, il faudrait ensuite comparer ces coûts aux éventuels revenus perçus sur ce produit, à savoir, par exemple, des revenus publicitaires perçus au titre de la consultation du site internet de la plateforme (Cour d’appel de Paris, pôle 5, chambre 4, arrêt du 20 novembre 2013, Google France, Google Inc. / Bottin Cartographes).
La pratique consistant à offrir via la plateforme électronique une location à un euro couvrant, selon les indications données au visiteurs du site, 24 heures de location sur un trajet et une assurance tous risques, soulève également des interrogations au regard de l’exigence de loyauté de la concurrence que la jurisprudence française a consacré depuis longtemps sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile et dont le Conseil national du numérique a d’ailleurs souligné l’importance dans l’environnement numérique.
Si, en l’état d’un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, le 6 décembre 2005 (Cass. Com, 6 décembre 2005, Bulletin civil, IV, n°242, page 268), la seule pratique de prix bas, aussi anormaux puissent ils apparaître, ne constitue pas en elle-même un acte de concurrence déloyale, en dehors des cas dans lesquels des règles spéciales de la concurrence ont été violées, il en va bien autrement lorsqu’une pratique de ce type s’accompagne d’autres agissements déloyaux. Tel peut être le cas du non-respect par celui proposant de tels tarifs de dispositions protectrices des consommateurs dont la violation crée une distorsion de concurrence entre les différents offreurs présents sur le marché et désorganise celui-ci.
Or, en l’état de la présentation effectuée à destination des visiteurs du site, il est notamment permis de s’interroger sur le point de savoir s’il ne s’agit pas de pratiques trompeuses au sens de l’article L121-1-I et II du code de la consommation dont la violation constituerait par ailleurs des agissements de concurrence déloyale à l’égard des autres offreurs présents sur le marché de la location de courte durée et respectant la réglementation protectrice des consommateurs. Aux termes de l’article L121-1-I du code de la consommation, qui est du reste également « applicable aux pratiques qui visent les professionnels » (article L121-1-III du code de la consommation), une pratique commerciale est trompeuse et partant interdite « 2° I Lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants :
b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, (…).
c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service (…) »
Par ailleurs, la disposition ajoute en son II qu’« une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l’entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte.
Lorsque le moyen de communication utilisé impose des limites d’espace ou de temps, il y a lieu, pour apprécier si des informations substantielles ont été omises, de tenir compte de ces limites ainsi que de toute mesure prise par le professionnel pour mettre ces informations à la disposition du consommateur par d’autres moyens.
Dans toute communication commerciale constituant une invitation à l’achat et destinée au consommateur mentionnant le prix et les caractéristiques du bien ou du service proposé, sont considérées comme substantielles les informations suivantes :
1° Les caractéristiques principales du bien ou du service ; (…)
3° Le prix toutes taxes comprises et les frais de livraison à la charge du consommateur, ou leur mode de calcul, s’ils ne peuvent être établis à l’avance ; (…) ».
En l’occurrence, le prix de un euro n’est applicable qu’à la condition que le conducteur ayant réservé le véhicule prenne celui-ci et le restitue dans des délais stricts, sous peine d’une pénalité de 50 euros, n’ait pas réalisé un nombre de kilomètres supérieur à celui-ci fixé, sous peine de l’application d’une tarification élevée des kilomètres supplémentaires. Le conducteur, en outre, prend à sa charge tous les frais de route (ex : carburant, éventuel péages). Par ailleurs, et alors qu’il est incité à croire, d’après les informations mises en évidence sur le site, qu’il bénéficie d’une assurance « tous risques », il est soumis à une franchise importante au regard du prix symbolique qu’il acquitte et, en outre, n’est peut-être pas garanti pour tous les risques auxquels il s’expose.
Dès lors, il pourrait être considéré que la proposition commerciale effectuée via la plateforme et sur la base de laquelle la personne désirant louer un véhicule va s’engager en ligne, est trompeuse au sens de l’article L121-1 du code de la consommation et constitutive d’un acte de concurrence déloyale.
Le modèle proposé par les plateformes mettant en ligne des offres à un euro repose sur une identité des tarifs, quels que soient la catégorie de véhicule, le trajet, mais aussi l’entreprise de location. Le contrat de partenariat commercial proposé aux loueurs prévoit du reste expressément l’engagement de leur part, en ce qui concerne la tarification du service, à facturer au prix d’un euro l’accomplissement du trajet. Ainsi se trouve fixé et même imposé le prix de la prestation de location, non seulement à l’intérieur d’un réseau donné, mais plus largement entre les différents loueurs en situation de concurrence qui recourent aux services de la plateforme.
Une telle pratique contrevient à l’article L442-5 du code de commerce qui prohibe, à peine de sanctions pénales, « le fait par toute personne d’imposer, directement ou indirectement, un caractère minimal au prix de revente d’un produit ou d’un bien, au prix d’une prestation de service ou à une marge commerciale ». Ce texte est expressément applicable à la tarification d’une prestation de service. Il s’applique, selon sa lettre même, à toute personne, de sorte qu’il vise indifféremment le loueur lui-même dans ses relations avec ses franchisés, mais aussi l’exploitant de la plateforme qui est à l’initiative de la tarification unique. La démonstration de l’imposition du prix de la prestation de service par la plateforme peut en l’occurrence être effectuée à partir des stipulations du contrat de partenariat lui-même.
Pourrait également se poser la question de savoir si la pratique d’un prix de location uniforme à un euro quel que soit le loueur, quelle que soit la distance et encore quelle que soit la catégorie de véhicules ne constitue pas une fixation concertée des prix constitutive d’une entente anticoncurrentielle au sens des articles L420-1 du code de commerce et 101 TFUE. Une telle interrogation est d’autant plus cruciale que le marché de la location de courte durée se caractérise par le recours, de la part de nombre de ses acteurs, à des réseaux de franchise, autrement dit faisant intervenir des commerçants indépendants. Cependant, le contrat liant le loueur à la société proposant la plateforme pourrait être qualifié de contrat d’agence, dont la caractéristique principale est l’absence de risque commercial ou financier que supporte l’agent en relation avec les activités pour lesquelles le commettant l’a désigné écartant de ce fait l’application de l’article 101 TFUE (Lignes directrices du 19 mai 2010 sur les restrictions verticales, points 12 à 21).
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 14 janvier 2016, présidée par Madame Annick LE LOCH
Fait à Paris, le 14 janvier 2016
La présidente de la Commission d’examen des pratiques commerciales
NB : la Commission d’examen des pratiques commerciales a mis en place un groupe de travail sur le numérique