Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n° 10-13 relatif à une demande d’avis émanant d’une organisation professionnelle de fournisseurs portant sur une pratique d’un distributeur à l’égard de ses fournisseurs en matière d’organisation logistique

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Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n° 10-13 relatif à une demande d’avis émanant d’une organisation professionnelle de fournisseurs portant sur une pratique d’un distributeur à l’égard de ses fournisseurs en matière d’organisation logistique
Ce point juridique est utile ?

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 17 juin 2010 sous le numéro 10-019, par laquelle une organisation professionnelle représentant des fabricants a sollicité l’avis de la commission sur une pratique d’un distributeur à l’égard de ses fournisseurs en matière d’organisation logistique ;

Vu les articles L 440-1 et D 440-1 à 440-13 du code de commerce ;

Les rapporteurs entendus lors de sa séance plénière du 29 septembre 2010 ;

Saisie par une organisation professionnelle de fournisseurs, la Commission d’examen des pratiques commerciales, a désigné deux rapporteurs : Mme le Conseiller Jacqueline RIFFAULT-SILK et M. le professeur Michel GLAIS.

Depuis le début de l’année civile 2010, une enseigne de la grande distribution alimentaire demande, de façon pressante, à ses fournisseurs d’accepter que des modifications importantes soient apportées dans l’organisation logistique de ses approvisionnements en produits d’épicerie. Le passage à cette nouvelle organisation doit être mené à bonne fin avant la fin 2010 et même, dans certains cas, avant le mois de septembre.

Les exigences formulées par le distributeur concerné :

La réduction importante des stocks en entrepôts et l’adoption de la technique des flux tendus visées par la demande de ce distributeur conduit à des modifications des schémas logistiques en vigueur se traduisant, pour les fournisseurs, par :

  • Une augmentation du nombre (jusqu’à 5 dans certains cas) de leurs livraisons hebdomadaires,
  • Une réduction des quantités livrées pour chacune d’entre elles,
  • Des délais de livraison beaucoup plus courts.

Faute de se conformer à ce schéma, les fournisseurs pourraient se voir contraints de livrer en direct aux points de vente du distributeur.
Dans sa saisine, l’organisation professionnelle de producteurs sollicite de la Commission qu’elle se prononce sur:

  • La légalité de la demande de ce distributeur au regard des dispositions de l’article L 441-7 du code de commerce.
  • Les éventuels risques de création de déséquilibres significatifs dans les droits et obligations des parties résultant des obligations nouvelles que ce distributeur souhaite imposer à ses fournisseurs (article L 442-6 I, 2°).

I) La compatibilité des demandes du distributeur avec les dispositions de l’article L 441-7 du code de commerce.

Des documents communiqués par l’organisation professionnelle en cause (convention de partenariat, CGV des fournisseurs et conditions générales d’approvisionnement du distributeur), il apparaît que :

a) les contrats de partenariat ont été établis sur la base de dispositions prévoyant :

  • des délais de livraison allant, selon les cas de J + 5 à J + 8
  • l’octroi par les fournisseurs de remises de stockage
  • des grilles de remises quantitatives selon l’importance des quantités livrées en une seule fois et dans un même endroit
  • une clause de révision permettant aux parties en cause d’adapter leurs engagements aux évolutions des marchés et de la réalité commerciale

b) les conditions générales d’approvisionnement du distributeur (dans leur préalable) évoquent la possibilité de signer des accords de partenariat destinés à réduire de façon significative les coûts de la chaîne d’approvisionnement (en particulier par une réduction significative des niveaux de stocks).

Opinion des rapporteurs :
L’article L 441-7 du code de commerce impose à tous les fournisseurs et clients de conclure avant le 1er mars une convention organisant l’ensemble de leurs relations commerciales pour l’année civile, qui peut prendre la forme d’un document unique ou d’un contrat-cadre annuel avec des contrats d’application. Cette obligation légale vise à stabiliser les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs. Le caractère annuel de la convention a ainsi pour effet de protéger chaque partie à la convention contre les demandes de l’autre partie de modifier en cours d’année les conditions de la relation au détriment de la première.

La question de la possibilité de modifier, en cours d’année, une telle convention (sous forme d’avenants) a déjà été soumise à l’appréciation de la Commission, et admise dans son principe pour une nouvelle prestation de coopération commerciale non prévue dans la convention unique, sous réserve toutefois que l’équilibre commercial soit préservé (cf Fiches pédagogiques CEPC pour 2010, Négociation commerciale, Article L. 441-7 du code de commerce, p. 12). Il résulte en effet du droit commun des obligations que tout contrat peut faire l’objet de modifications, sous forme d’avenants conclus par les parties pendant le cours de son exécution.

S’agissant de modifications apportées à des dispositions issues de la négociation annuelle et figurant dans la convention unique, la Commission a précisé qu’une remise en cause du contrat peu de jours après sa signature n’était pas, en soi, contraire à la loi, si un élément nouveau ou une condition particulière nouvelle et significative le justifiait, et dès lors que l’équilibre commercial était préservé (ibidem, p. 12).
Plus récemment, la Commission a été interrogée sur la légalité de tels avenants, dans le cas de modifications substantielles et non prévisibles des coûts de production des fournisseurs (question n° 118). Aucun accord n’ayant pu être trouvé sur le texte proposé par la DGCCRF, il a été décidé, lors de la séance du 23/06/10, de renvoyer cette question au groupe de travail « sur le déséquilibre significatif »….

Les rapporteurs considèrent que l’éventualité d’une modification de certaines des dispositions figurant dans le contrat annuel en cause ne saurait être écartée par principe.

– Des clauses de révision sont tout d’abord prévues dans les contrats signés entre le distributeur concerné et ses fournisseurs. Les conditions générales d’approvisionnement du distributeur stipulent en effet que la recherche d’une optimisation de ses achats pourra conduire ce dernier à faire évoluer ses modes d’approvisionnement notamment en organisant la livraison de ses établissements en flux tendus et non plus au départ de stocks entrepôt préalablement constitués, ces « informations » (sic) devant être communiquées préalablement au fournisseur dans un délai raisonnable afin de lui permettre de se préparer aux changements prévus.

– En second lieu, la recherche de l’efficience économique au bénéfice des consommateurs, objectif fondamental d’une organisation des relations commerciales fondées  sur le marché, implique que ne soient pas artificiellement retardées des innovations organisationnelles du type de celles visées par les demandes du distributeur en question. Selon les informations communiquées par l’organisation professionnelle en question, d’autres distributeurs envisageraient d’ailleurs de procéder également au même type de réorganisation de leurs schémas d’approvisionnements, rendant donc incontournable l’évolution technique dont le distributeur concerné est le pionnier.

En l’espèce, les demandes formulées par le distributeur impliquent toutefois, et de toute évidence, des modifications très importantes (et non pas marginales) des clauses contractuelles relatives aux schémas logistiques retenus par les parties dans leur contrat de partenariat signé pour l’année 2010.

Or, le texte proposé par la DGCCRF, en réponse à la question n° 118, viserait à n’admettre que les seuls avenants ne « modifiant pas l’équilibre originel trouvé avant le 1er mars par la convention initiale ». Serait ajouté « qu’une modification substantielle de la convention initiale constitue une présomption réfragable d’un manquement à l’esprit de la loi ».

Au regard de ces membres de phrase (si la rédaction proposée par la DGCCRF devait être adoptée au final par la Commission), les modifications du contrat annuel 2010 souhaitées par le distributeur apparaissent comme suffisamment substantielles pour ne pas relever de celles jugées admissibles au regard des objectifs visés par l’article L 441-7 du code de commerce.

A supposer que la Commission formule un avis opposé, encore faudrait-il que la mise en œuvre de ces modifications ne conduise pas, en l’espèce, à rompre l’équilibre contractuel issu des discussions entre les parties et validé par le contrat annuel.

II) Les risques de création d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties en présence.

Jusqu’à présent, la livraison des produits d’épicerie s’opérait selon un processus consistant à livrer les produits en cause dans les entrepôts du distributeur, celui-ci se chargeant de les stocker, puis de les répartir et les livrer à ses points de vente.

Comme le reconnaissent les auteurs de la saisine, le schéma logistique de flux tendu proposé  aux fournisseurs peut être économiquement intéressant, en ce qu’il peut conduire à réduire la somme des coûts logistiques de l’industriel et du distributeur.

La modification des schémas logistiques souhaitée par le distributeur est, en effet, visiblement de nature à réduire certains de ses coûts de gestion ainsi que ses coûts financiers, la diminution importante de ses stocks ayant pour effet de réduire son besoin en fonds de roulement.

Elle implique, par contre, pour les fournisseurs, des modifications substantielles de leurs organisations tant sur le plan de leurs opérations de production que sur celui de leurs organisations logistiques.
Ont été évoqués par l’organisation professionnelle :

  • des problèmes de compatibilité informatique avec les prestataires en charge de la gestion des centres de consolidation
  • des coûts de manutention en forte augmentation
  • des accroissements des coûts d’entreposage
  • des coûts de livraisons beaucoup plus élevés (en particulier imputables au passage de livraisons en camions complets à des camions remplis au quart de leurs contenances), sauf à organiser des mutualisations de livraisons avec d’autres industriels, lesquelles entraîneraient également des coûts supplémentaires etc…

Interrogée sur la licéité d’une modification des termes de la convention annuelle consistant en l’instauration d’un nouveau rythme des livraisons très court, la Commission a considéré qu’une telle modification apportée à la convention n’était pas, en soi, contraire à la loi, si le client le souhaitait, si le fournisseur le pouvait, et si ce rythme était équilibré dans le prix convenu (cf. Fiches pédagogiques CEPC pour 2010, Les abus dans la relation commerciale, article L. 442-6 du code de commerce, p. 5). La Commission a précisé dans ce même avis qu’une telle modification serait illégale, s’il s’agissait d’une obligation créant un déséquilibre significatif.

La commission approuvant l’opinion des rapporteurs estime que la mise en œuvre du nouveau schéma logistique exigé par le distributeur nécessite donc que :

  • Des délais d’adaptation suffisants (plusieurs mois) soient accordés aux fournisseurs pour s’adapter à la nouvelle organisation logistique du distributeur,
  • Soient estimés de façon suffisamment précise les coûts supportés par chacun des fournisseurs en cause en fonction des caractéristiques propres de leur relation avec le distributeur concerné, ainsi que les gains réalisés par le distributeur,
  • Les parties s’engagent à renégocier de bonne foi les modifications de remises concernées accordées par les fournisseurs,
  • Si la modification du flux logistique intervient après la signature de la convention, les parties en cause s’accordent sur une répartition du solde entre les  gains et coûts permettant de ne pas mettre en cause (au sens des dispositions de l’article L 442-6I 2°) l’équilibre des droits et obligations auquel étaient parvenus les fournisseurs et le distributeur en cause dans le cadre de la convention qu’ils ont signée pour l’année.

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 29 septembre 2010, présidée par Mme Catherine VAUTRIN.
 

 

Fait à Paris, le 29 septembre 2010

Le Président de la Commission
d’examen des pratiques commerciales
,

Catherine VAUTRIN


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