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Vu la lettre enregistrée le 16 novembre 2009 sous le numéro 09-026, par laquelle une association dont l’objet est notamment de favoriser l’étude et la connaissance du droit du marketing a sollicité l’avis de la commission d’examen des pratiques commerciales sur un document publicitaire émis par un grand distributeur énonçant un certain nombre d’avantages offerts au public ;
Vu les articles L 440-1 et D 440-1 à 440-13 du code de commerce ;
Les rapporteurs entendus lors de sa séance plénière du 27 janvier 2010 ;
La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie, le 12 novembre 2009, par une association dont l’objet est notamment de favoriser l’étude et la connaissance du droit du marketing . L’avis sollicité porte sur un document publicitaire émis par un grand distributeur énonçant un certain nombre d’avantages offerts au public.
L’article L 440-1 du code de commerce dispose que la CEPC peut être saisie notamment par toute personne morale. Les avis qu’elle a pour mission de donner portent entre autres sur les documents commerciaux et publicitaires. Déclarée, l’association qui saisit la Commission a la personnalité morale. Quant au document en cause, il revêt un caractère publicitaire affirmé. La saisine est donc recevable.
L’opération décrite dans le document est la suivante : l’enseigne s’engage à créditer, sous forme de bons d’achat, le compte fidélité de ses clients si un ou plusieurs produits identiques à ceux achetés sont offerts à meilleur prix dans le catalogue promotionnel d’une enseigne concurrente, dans la zone de chalandise du magasin participant à l’opération. Les magasins cibles sont indiqués à l’entrée du point de vente. Dans les sept semaines de l’achat, le compte est automatiquement crédité de la différence de prix enregistrée, dès lors que cet achat intervient durant l’opération promotionnelle cible. L’ouverture d’un compte fidélité, pour les clients qui n’en bénéficient pas, est immédiate et sans frais.
L’avantage offert ne porte que sur les produits à la marque des fournisseurs (même référence, même conditionnement). Sont exclus les lots physiques avec des combinaisons de produits, les lots virtuels composés de produits différents ainsi que les produits frais à la coupe, les fruits et légumes, les pains, les pâtisseries et les vins. Sont également exclus les avantages résultant des programmes de fidélité des concurrents.
L’association émet trois griefs à l’encontre de l’opération décrite ci-dessus :
-elle ne serait pas conforme aux dispositions d’un arrêté relatif aux annonces de réduction de prix ;
-elle favoriserait la mise en place d’une entente tacite entre distributeurs ;
-elle constituerait une forme de parasitisme commercial.
Ces trois griefs seront examinés tour à tour.
Cet arrêté institue un certain nombre de règles visant à assurer la loyauté de la publicité des réductions de prix envers le consommateur. Il s’agit essentiellement d’éviter de faire croire à une baisse de prix alors que tel n’est pas le cas. Pour ce faire, l’arrêté prévoit notamment que les annonces de réduction de prix émises hors des lieux de vente doivent préciser l’importance de la réduction soit en valeur absolue, soit en pourcentage par rapport à un prix de référence. Ce prix de référence ne peut excéder le prix le plus bas effectivement pratiqué par l’annonceur pour un article ou une prestation similaire , dans le même établissement de vente au détail ( … ), au cours des trente derniers jours précédant le début de la publicité . L’annonceur peut adopter d’autres prix de référence qui ne sont guère retenus dans la pratique.
L’association reproche au document publicitaire incriminé de ne pas faire apparaître un montant ou un pourcentage de réduction de prix par rapport à un prix de référence, ce qui présuppose que l’arrêté s’applique à pareille publicité.
L’arrêté vise toute publicité à l’égard du consommateur comportant une annonce de réduction de prix. L’administration a toujours interprété ce texte en estimant que le champ d’application des obligations fixées à l’article 1er est limité aux publicités annonçant une réduction de prix comportant des indications chiffrées (circ. du 7 juillet 2009). Elle avait adopté la même position à propos des arrêtés précédents qui comportaient le même dispositif (notamment, circ. du 4 mars 1978). Cette interprétation est contestée par l’association.
La CEPC estime que les conditions d’application de l’arrêté du 31 décembre 2008 énoncées dans la circulaire du 7 juillet 2009 ne limitent pas abusivement la portée de cet arrêté. Appliquer ce texte à des publicités non chiffrées reviendrait à interdire toute communication, même à caractère général, sur une opération ou une politique commerciale avantageuse pour le consommateur. Loin de le protéger, la mesure se retournerait contre lui.
En toute occurrence, l’opération annoncée ne consiste pas à diminuer le prix de vente des articles du distributeur, mais à promettre, sous condition, l’octroi d’un bon d’achat qui pourra être utilisé sept semaines plus tard pour payer d’autres achats, hors carburants et livres. Il s’agit donc d’une prime qui peut être attachée à l’achat de certains produits et non d’une ristourne portant sur ces produits.
Ainsi la CEPC estime que le document publicitaire qui lui est soumis n’entre pas dans le champ de l’arrêté précité en ce qu’il ne comporte pas une annonce chiffrée de réduction de prix. Son contenu n’échappe pas pour autant à tout contrôle : lui sont applicables les dispositions de l’article L 121-1 du code de la consommation sur les pratiques commerciales trompeuses. A ce titre, les avantages annoncés doivent être effectivement attribués et les magasins cibles retenus doivent être pertinents.
Selon la saisine, le mécanisme de l’opération favoriserait la mise en place d’une entente tacite entre distributeurs, peu enclins à se livrer à une guerre des prix conduisant à un alignement sur les prix les plus bas.
L’examen de ce grief au regard des articles L 420-1 et suivants du code de commerce n’entre pas dans le champ de compétence de la CEPC, mais dans celui de l’Autorité de la concurrence.
La lettre de saisine fait enfin valoir que cette opération serait susceptible d’être considérée par les concurrents du distributeur «comme constitutive d’une forme de parasitisme de leur politique de prix».
Définition :
Le parasitisme économique consiste à se placer dans le sillage d’autrui, à s’appuyer sur les efforts et les initiatives d’un opérateur économique, concurrent ou non, pour conquérir une clientèle (L. Vogel, Droit Français de la concurrence, 2006-2007, Lawlex, n° 82).
D’abord élaborée par la doctrine à propos de l’usurpation de marque (Paris, 24 novembre 1959, The Ritz Hotel Limited), la théorie des agissements parasitaires a été largement développée par la jurisprudence. Elle a pour fondement l’idée que le devoir de loyauté dépasse le cercle strict des rapports de concurrence (Ph. Le Tourneau, Jcl Concurrence et consommation, fasc 227, août 2006).
Il s’agit d’une notion autonome par rapport à la concurrence déloyale, dans la mesure où l’existence d’un rapport de concurrence n’est pas nécessaire. L’exemple topique est l’affaire du parfum « Champagne » d’Yves Saint-Laurent (Paris, 18 mai 1989), sanctionnant l’utilisation de cette dénomination en dehors de tout risque de confusion.
Egalement utilisée dans les relations entre concurrents, le parasitisme, alors qualifié de « concurrence parasitaire » ne se distingue pas réellement, dans ce cas, de la concurrence déloyale dont il représente cependant une modalité aggravée (Ph. Le Tourneau, op. Cit.).
Tel est le cas en l’espèce, l’opération décrite dans la lettre de saisine visant expressément les enseignes concurrentes situées dans la zone de chalandise du magasin participant à l’opération.
La concurrence parasitaire résulte également de l’usurpation d’une valeur économique appartenant à autrui, permettant au parasite de réduire notablement ses investissements matériels et intellectuels, et de gagner du temps en évitant de prendre des risques. L’appropriation de la notoriété, de la réputation, des efforts créatifs et du travail du parasité induit une rupture d’égalité dans les moyens de concurrence. Un exemple courant est l’imitation d’un produit, d’une technique, d’études et d’expériences techniques qui ne font pas, en elles-mêmes, l’objet d’une protection à un autre titre.
Qu’en est-il en matière de politique de prix ?
La notion de « parasitisme indirect » également appelée « rattachement indiscret » (Ph. Le Tourneau, op. cit.) en cite quelques exemples.
Il faut rappeler tout d’abord que la pratique d’un prix inférieur n’est pas en soi condamnable (L. Vogel, op. cit.) .
Deux entreprises concurrentes ont le droit de préférer une séduction de la clientèle par les prix (Versailles, 20 octobre 1993, RJDA 1994, n° 751), et celui de pratiquer des prix inférieurs (Paris 3 juillet 1996, RJDA 1996,n° 1422; 25 septembre 1996, D. Aff. 1996, 1218), sauf si ces prix plus attractifs sont l’aboutissement d’agissements fautifs (vente à un prix inférieur de produits similaires réalisés par d’anciens salariés d’une entreprise, cette pratique étant en elle-même constitutive de parasitisme (TCO Paris, 6 février 1989, D. 1992, Somm. 313, obs, Burst; vente à un prix inférieur de la reproduction servile d’un modèle de tissu (Paris, 20 décembre 1989,D. 1990, IR 32).
Le parasitisme indirect peut encore résulter de la pratique de la “marque d’appel”, qui consiste à attirer les clients par une forte publicité sur un produit revêtu d’une marque connue, tout en ne disposant en stock que d’une quantité insuffisante pour satisfaire la clientèle, afin de vendre un autre produit à la marge plus intéressante. La Cour de cassation prend cependant en compte l’organisation des chaînes de distribution disposant de centrales d’achat, en retenant que “la disponibilité peut ne pas être immédiate dès lors que l’offreur détient ses produits dans des lieux et conditions permettant de les remettre à l’acheteur dans des délais adéquats eu égard à leur nature” (Com. 30 janv. 2000, Bull. 28 , Swatch c/ Metro) . Mais elle censure l’arrêt n’ayant pas recherché si l’état des stocks de la vendeuse était suffisant pour assurer une disponibilité à bref délai, dans chacun de ses magasins, de tous les produits faisant l’objet de la publicité.
L’utilisation d’une marque d’appel peut ainsi constituer, sous ces réserves, un rattachement indiscret parasitaire fautif ( Versailles, 19 nov. 1998, La Redoute c/ Cartier : D. affaires 1999, p. 381).
En l’espèce, la « garantie promo » telle que décrite dans les documents joints n’apparaît pas relever de ces qualifications, dans la mesure où il s’agit d’une concurrence par les prix, sur des produits identiques déjà acquis par les clients auxquels s’adresse l’opération publi-promotionnelle en cause.
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 27 janvier 2010, présidée par le vice-président M. Daniel TRICOT.
Fait à Paris, le 27 janvier 2010
Le Président de la Commission
d’examen des pratiques commerciales,
Daniel TRICOT