Sommaire
La Commission d’examen des pratiques commerciales,
Vu les lettres enregistrées le 18/11/08 sous les numéros 08-026 et 08-027 par lesquelles un avocat représentant une organisation de fabricants a sollicité un avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales sur la légalité de pratiques mises en œuvre par certains groupes de la grande distribution ;
Vu les articles L 440-1 et D 440-1 à D 440-13 du code de commerce ;
Les rapporteurs entendus lors de sa séance du 19 décembre 2008 ;
Adopte l’avis suivant :
Par l’intermédiaire de son avocat, une organisation de fabricants a saisi la Commission d’examen des pratiques commerciales, le 18 novembre 2008, pour solliciter son avis sur la légalité de pratiques mises en œuvre par certains groupes de la grande distribution. Trois questions ont été soumises à l’appréciation de la Commission.
Question N° 1
« Compte tenu des dispositions de la LME, un distributeur est-il fondé à débuter la négociation commerciale par une dénonciation en bloc des conditions générales de vente d’un fournisseur, niant à ces conditions la fonction de point de départ de la négociation et les privant de toute utilité ? »
La Commission considère que conformément aux dispositions de l’article L 441-6 du code de commerce, la négociation commerciale a pour « socle » les CGV du fournisseur (conditions de vente, barème des prix unitaires, réductions de prix, conditions de règlement).
Dans son avis n°04-04, en réponse à une demande émanant du directeur de la DGCCRF, la Commission d’examen des pratiques commerciales s’est déjà prononcée sur un sujet voisin, celui de l’appréciation de clauses intégrées dans des conditions générales d’achat et visant à exclure explicitement ou implicitement les CGV du fournisseur. Dans cet avis, la Commission rappelle que :
- Les conditions générales de vente du fournisseur ne sauraient être globalement remises en cause par des conditions d’achat souvent qualifiées à tort de générales.
- Ces CGV pourraient être adaptées dans le cadre de « conditions particulières de vente »
La question posée ne fait certes pas référence à la volonté du distributeur d’imposer ses propres conditions d’achat. Mais la réponse à lui donner relève d’une problématique identique, les dispositions introduites par la LME n’ayant pas apporté de modifications à l’article L 441-6 du code de commerce. Ce n’est donc pas sans raison que le législateur a continué à faire des CGV du fournisseur le point de départ et le socle de la négociation commerciale.
Dans ces conditions, dénoncer les conditions générales de vente du fournisseur avant même que s’engagent les négociations n’est tout d’abord pas conforme à l’esprit de la loi.
En second lieu, s’il est dans la nature même de la mise en place d’un partenariat commercial que les dispositions des CGV du fournisseur puissent faire l’objet de négociations, les CGV constituent un document de référence particulièrement probant pour appréhender toute exigence formulée par l’un des cocontractants susceptible de relever de la notion de « déséquilibre significatif » au sens de l’article L 442-6 I 2°.
Refuser de partir des CGV du fournisseur pour entamer la négociation pourrait également constituer une pratique abusive au regard de l’article L 442- 6 I 4° s’il en découlait une rupture brutale de relations établies entre les deux parties.
Questions n°2
« Suite à l’adoption de la LME, un distributeur est-il fondé à imposer un gel des prix jusqu’à la conclusion d’un nouvel accord au plus tard en mars 2009, y compris dans les cas où le contrat prévoit la possibilité pour le fournisseur d’augmenter ses tarifs en cours de contrat ou lorsque les prix en cause n’ont été convenus que jusqu’à la fin de l’année 2008 ? Ce distributeur peut-il exiger le maintien jusqu’à intervention de ce nouvel accord des avantages financiers octroyés lors des négociations pour l’année 2008, sans s’engager à respecter les obligations au vu desquelles ces avantages ont été consentis ? »
Ces questions évoquent les principes et les bases de négociation permettant de prolonger les relations commerciales entre un distributeur et ses fournisseurs pendant la période intermédiaire allant de l’expiration des contrats qui les liaient au cours de l’année 2008 jusqu’à la conclusion d’un nouveau contrat pour 2009.
Très précisément, l’auteur de la saisine de la Commission s’interroge sur la licéité, au regard des textes en vigueur, de la prétention du distributeur à :1) imposer à ses fournisseurs un gel des prix convenus en 2008 jusqu’à la conclusion d’un nouvel accord, 2) exiger que figure sur la facture l’équivalent de la totalité des conditions arrières négociées au titre de 2008.
La Commission estime que la LME n’apporte aucune contrainte ou liberté nouvelle quant à l’évolution des tarifs du fournisseur dans l’hypothèse envisagée si ce n’est qu’il n’est plus tenu par la règle de non- discrimination. C’est la convention des parties qui régit cette situation.
1) Refus d’un nouveau tarif pendant la période intermédiaire
En règle générale, les accords prévoient que, durant la période intermédiaire entre deux accords, les stipulations de l’accord précédent continuent à s’appliquer.
a) Dans un tel cas si l’accord 2008 prévoyait que le fournisseur pouvait augmenter ses tarifs et les soumettre à son cocontractant, une exigence de gel des prix se heurterait au droit des contrats et plus particulièrement à l’article
1134 du Code civil.
b) Par contre, si l’accord 2008 n’a pas prévu son prolongement durant la période intermédiaire ou s’il a été résilié, ce sont les conditions de vente du fournisseur qui s’appliqueront, en l’absence de tout autre accord propre à cette période.
Toutefois, en l’absence d’une telle disposition, et si, par ailleurs, les prix n’ont été convenus que jusqu’en fin 2008, il n’apparaît pas interdit au distributeur (dans l’esprit même du contrat passé) de demander (et non pas d’exiger) que ces prix demeurent inchangés jusqu’à la conclusion d’un nouveau contrat, la négociation partant alors des nouveaux barèmes établis par le fournisseur.
2) Exigence de bénéficier des mêmes avantages financiers que ceux obtenus en 2008
Si, pendant la période intermédiaire et en cas de prolongation des accords 2008, le distributeur exige les mêmes avantages financiers que ceux obtenus au cours de la période échue, ces avantages appellent des contreparties équivalentes à celles pour lesquelles ils avaient été accordés au cours de l’exercice précédent.
Par contre, exiger de les obtenir sans que soient remplies les conditions qui y étaient attachées modifierait de façon substantielle l’économie du contrat et ne saurait être validé compte tenu des dispositions des articles L 441-7 , L 442-2, et L 442-6 I 1° et 2° du code de commerce.
Question n° 3
« Suite à l’adoption de la LME, un distributeur est-il fondé à exiger jusqu’à intervention d’un nouvel accord au plus tard le 1er mars 2009, la remontée sur facture de l’ensemble des avantages financiers entrant dans le calcul du prix effectif, y compris des ristournes conditionnelles et de la rémunération de la coopération commerciale convenus lors de la négociation pour l’année 2008 ? Ce distributeur peut-il ainsi exiger la transformation de ces avantages en réduction de prix immédiates, en s’exonérant ce faisant de l’exécution des obligations et prestations ayant justifié leur octroi ? »
La Commission considère que dans la mesure où, pendant la période intermédiaire, les relations commerciales sont censées se poursuivre conformément aux dispositions et engagements prévus au contrat 2008, l’octroi de ristournes conditionnelles ainsi que la rémunération de services de coopération commerciale doivent être effectués dans le respect des dispositions légales en vigueur.
1) Incertaines par nature, les ristournes conditionnelles ne peuvent alors faire l’objet d’une déduction sur facture que pour autant que l’obligation qui les conditionne ait été exécutée et vérifiée.
Un distributeur imposant à son fournisseur cette déduction sur facture au mépris du respect de cette obligation pourrait se voir opposer plusieurs dispositions de l’article L 442-6 I du code de commerce, en particulier celle visant (alinéa 2) la soumission d’un partenaire commercial à des obligations de nature à créer un déséquilibre significatif entre les parties ou celle (alinéa 4) incriminant l’obtention de conditions manifestement abusives sous une menace de déréférencement brutal.
2) La LME n’a pas supprimé la possibilité de négociation de services de coopération commerciale. Conformément aux dispositions de l’article L 441-3 du code de commerce (qui n’ont pas été affectées par la LME), la rémunération de ces services (portant sur des services détachables de l’opération achat-vente) doit faire l’objet d’une facturation spécifique émanant du distributeur.
Par ailleurs, sur le plan fiscal, l’article 266 du code général des impôts dispose que :
« la base d’imposition à la TVA est constituée, a pour (…) les prestations de services, par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par (…) le prestataire en contrepartie de la (…) prestation ».
Le distributeur s’exposerait donc à un rappel de TVA pour ne pas avoir facturé sa prestation et le fournisseur pour avoir minoré indûment sa base d’imposition. Si l’administration fiscale vient tirer certaines conclusions de la LME sur les obligations du distributeur qui concourent à la détermination du prix des marchandises qu’il achète, elle rappelle bien que « les services dits de coopération commerciale (…..) ne sont pas concernés par cette évolution ». (Instruction 3 E- 2-08 du 18 / 11 / 2008).
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 19 décembre 2008, présidée par M. Jean-Paul Charié.
Fait à Paris, le 19 décembre 2008
Le Président de la Commission
d’examen des pratiques commerciales
Jean-Paul CHARIÉ