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Vu les lettres enregistrées le 06 juillet 2006 sous le numéro 06-009 et le 21 mars 2007 sous le numéro 07-007, par lesquelles le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes lui demande de rendre un avis sur le code de bonnes pratiques relatif à la relation client-fournisseur dans la sous-traitance industrielle au sein de la filière automobile de même que sur l’accord complémentaire relatif aux délais de paiement;
Vu l’article L.440-1 du code de commerce ;
Vu le décret n° 2001-1370 du 31 décembre 2001 portant organisation de la Commission d’examen des pratiques commerciales, modifié par le décret n° 2002-1370 du 21 novembre 2002 ;
Les rapporteurs entendus lors de sa séance plénière du 09 mai 2007 ;
La Commission après avoir consulté les parties signataires de ces accords réunies en chambre d’examen spécialement créée à cet effet adopte l’avis suivant :
I – REMARQUES PRELIMINAIRES
Comme le rappellent les lettres de saisine, pour l’accomplissement de la mission confiée par le Premier ministre, un groupe de travail a été installé le 1er février 2006 par Monsieur François LOOS, ministre délégué à l’industrie, avec pour objectifs de proposer des actions concrètes pour améliorer les délais et conditions de paiement dans la sous-traitance industrielle et aider le tissu des PMI à se développer. Ce groupe a tenu plusieurs réunions à l’issue desquelles des voies de progrès ont été identifiées. Conformément aux orientations définies par le Conseil de la Concurrence et la CEPC, l’une de ces voies envisage l’élaboration d’un code de bonnes pratiques internes aux filières professionnelles, tendant à l’amélioration des relations interentreprises dans leurs délais de paiement. Les réflexions ont abouti à la conclusion d’un code de bonnes pratiques entre le Comité des Constructeurs Français d’Automobiles (CCFA), la Fédération des Industries pour les Equipements de Véhicules (FIEV) et la Fédération des Industries Mécaniques (FIM).
Par cet accord les professionnels de la filière automobile se sont engagés à améliorer la relation client-fournisseur et à développer la confiance réciproque en précisant les termes de la relation contractuelle (prise de commande, respect des délais, gestion des litiges, propriété intellectuelle….).
Il a été signé le 28 juin 2006, avec la participation de M. LOOS, par les trois présidents des organisations concernées.
A l’issue de nouvelles réflexions menées entre les trois organisations signataires, à l’instigation du Premier Ministre lui-même, un second accord a été signé le 24 janvier 2007 par leurs présidents.
Ce texte, présenté comme complétant le code de bonnes pratiques du 28 juin 2006, prévoit une réduction des délais de paiement. D’une part, une réduction de 15 jours sera appliquée à l’ensemble de la filière. D’autre part, une réduction complémentaire de 30 jours (applicable en deux temps) sera accordée aux entreprises d’un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros par celles dont le chiffre d’affaires est supérieur à 300 millions d’euros. Ces dispositions devraient entrer en vigueur à partir du 1er septembre 2007.
II – RAPPEL DES CONCLUSIONS DES RAPPORTEURS SUR L’EXAMEN DE CES ENGAGEMENTS.
L’accord signé le 28 juin 2006 ne paraissant pas, par son contenu, contrevenir au droit en vigueur, n’a pas fait l’objet d’observations. Il en est différemment des engagements signés le 24 janvier 2007 relatifs aux délais de paiement.
Cet accord complémentaire prévoit une réduction des délais de paiement pratiqués par les professionnels de la filière automobile et comporte à cet égard des dispositions spécifiques selon la taille des entreprises-clients et fournisseurs-concernés. Se pose la question de la compatibilité de telles stipulations avec le cadre juridique défini par le Conseil de laConcurrence dans son avis n° 05-A-17 du 22 septembre 2005 , de sorte que la préparation d’un décret sur le fondement de l’article L.420-4-II° du Code de commerce peut être envisagée. Pour déterminer si une telle orientation peut être engagée avec de sérieuses chances de succès, une analyse préalable tant du cadre juridique que des conditions économiques envisagées par le texte précité doit être approfondie.
Conformément à la répartition des tâches arrêtée, le professeur Muriel CHAGNY a établi un rapport présentant des « observations et propositions à caractère plus spécialement juridiques ».
Au vu de ce rapport, s’il est nécessaire, dans cette perspective, de rappeler les conditions de la procédure de justification par décret prévue à l’article L. 420-4-II° du Code de commerce, il importe également de tenir compte du cadre juridique applicable aux délais de paiement.
L’étude comporte par conséquent deux parties, respectivement consacrées à l’adoption d’un décret de justification en matière de délais de paiement (A) et au dispositif législatif d’origine communautaire spécifique aux délais de paiement (B).
Avant d’évoquer la procédure du décret pris après avis conforme du Conseil de la concurrence (2), il importe de rappeler les enseignements principaux de l’avis rendu par le Conseil de la concurrence, le 22 septembre 2005, sur le recours à la négociation collective en matière de délais de paiement inter-entreprises (1).
1) L’avis du Conseil de la concurrence n° 05-A-17 du 22 septembre 2005
Dans cet avis relatif au recours à la négociation collective en matière de délais de paiement inter-entreprises, le Conseil de la concurrence était interrogé sur la compatibilité avec le droit de la concurrence d’un recours à la négociation et à la signature d’un accord interprofessionnel afin de réduire les délais de paiement entre entreprises.
Le Conseil de la concurrence procède à une analyse des délais de paiement, qui « représentent un crédit gratuit consenti à l’acheteur » et constituent « un élément du prix de vente» (pts 3 et 4 ; v. aussi pts 18 et 38) avant d’envisager l’application de l’interdiction des ententes à un accord interprofessionnel destiné à réduire les délais de paiement.
Il indique alors que « leur détermination ne doit pas donner lieu à des actions concertées entre les entreprises ayant pour objet ou pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse » et ajoute qu’« une concertation au sein d’une profession ou d’une filière interprofessionnelle pourrait être qualifiée d’action concertée anticoncurrentielle si elle se traduisait pas une uniformisation des délais de paiement appliqués par les entreprises participantes à l’accord ». Plus largement, le Conseil ajoute qu’une telle concertation n’est admissible que dans la mesure où elle ne limite pas « l’étendue des moyens par lesquels chaque entreprise peut différencier son offre et sa politique de prix » et explique que « chaque vendeur doit être en mesure d’améliorer ses conditions commerciales sans être tenu par d’éventuelles conditions minimales qui seraient issues d’un accord interprofessionnel ».
L’avis du Conseil de la concurrence examine également les deux possibilités d’exemption offertes par l’article L. 420-4 C. com. pour les écarter l’une et l’autre.
En particulier, le bénéfice de l’exemption reposant sur la contribution économique (art. L 420-4 2°) est refusé, faute de satisfaire les quatre conditions cumulatives requises.
Si le Conseil de la concurrence admet la réalisation d’un progrès économique, à travers la réduction des délais de paiement abusifs et n’exclut pas que la négociation collective soit un moyen adapté, il met en revanche en doute le transfert aux utilisateurs d’une partie équitable du progrès économique et, surtout, observe in fine que la dernière condition tenant à ce que la concurrence ne soit pas éliminée pour une partie substantielle des marchés en cause. « Un accord qui engagerait ses signataires à mettre en œuvre un calendrier de réduction progressive des délais contractuels existants conduirait à harmoniser cet élément du prix et donc à exclure le jeu de la concurrence sur ce point » est-il indiqué.
2) La procédure du décret de justification conformément à l’article L. 420-4-II° C. Com.
Cette procédure peut être précisée, à la lumière du texte lui-même et de la pratique antérieure du Conseil de la concurrence.
Aux termes de l’article L. 420-4-II du Code de commerce, « certaines catégories d’accords ou certains accords, notamment lorsqu’ils ont pour objet d’améliorer la gestion des entreprises moyennes ou petites, peuvent être reconnus comme satisfaisant à ces conditions par décret pris après avis conforme du Conseil de la concurrence ».
Il en résulte, tout d’abord, que le projet de décret peut concerner, soit l’accord concernant les délais de paiement au sein la filière automobile, soit « certaines catégories d’accords » concernant les délais de paiement. Cette dernière option présenterait l’avantage de favoriser la conclusion d’accords interprofessionnels et autres codes de bonnes pratiques, en leur fournissant un cadre juridique, sans pour autant aboutir à une multiplication des saisines du Conseil de la concurrence.
Le texte met, ensuite, en exergue une illustration du progrès économique, sous la forme de l’amélioration de la gestion des entreprises moyennes ou petites.
Il ne précise pas, en revanche, s’il faut ou non procéder à la vérification concrète, non seulement de la contribution au progrès économique apportée par l’accord, mais aussi des trois autres conditions énoncées à l’article L. 420-4-I-2° du Code de commerce pour la justification individuelle a posteriori de la pratique anticoncurrentielle.
Toutefois, une telle procédure a déjà utilisée par le passé et a par conséquent donné lieu à un avis du Conseil de la concurrence (avis n° 96-A-06 du 7 mai 1996 concernant deux projets de décret pris en application du dernier alinéa de l’article 10 de l’ordonnance du 1er décembre 1986).
Il importe de noter que dans cet avis, le Conseil s’attache non seulement à l’examen de la contribution au progrès économique, mais aussi à celui des autres exigences prévues à l’article L. 420-4-I-2° du Code de commerce.
Aussi, en l’état de cette façon de procéder et de l’avis n° 05-A-17 du 22 septembre 2005 concernant le recours à la négociation collective en matière de délais de paiement inter-entreprises, l’analyse économique présentée au soutien du décret envisagé revêt une importance essentielle.
Il faut également relever que la démarche suivie par le Conseil, lorsqu’il est saisi au titre d’un projet de décret, consiste à décrire les principales dispositions du projet, à résumer les observations présentées par les personnes intéressées, à rappeler le droit de la concurrence applicable en la matière au plan communautaire et national, avant de présenter les observations que le texte examiné appelle, compte tenu de son champ d’application, de son contenu et de sa durée, au regard des principes du droit de la concurrence.
En ce qui concerne le droit de la concurrence applicable aux délais de paiement, il convient de noter que les délais de paiement font l’objet de dispositions législatives spécifiques d’origine communautaire.
Le rappel des règles de droit applicables aux délais de paiement (1) doit être suivi d’observations concernant l’application de ces règles (2).
1 – Les règles de droit applicables aux délais de paiement
Une partie substantielle de la législation afférente au règlement des créances figure dans le livre IV du Code de commerce. Il s’agit en particulier des articles L. 442-6-I 7° et L. 441-6 alinéa 4 du Code de commerce, ces textes concernant les délais de paiement pour lesquels n’a pas été prévu de délai impératif.
L’article L. 442-6-I 7° du Code de commerce vise le fait « de soumettre un partenaire à des conditions de règlement manifestement abusives, compte tenu des bonnes pratiques et usages commerciaux, et s’écartant au détriment du créancier, sans raison objective, du délai indiqué au huitième alinéa de l’article L. 441-6 ».
L’article L. 441-6 alinéa 4 du Code de commerce prévoit que « sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation demandée ».
Il faut noter que cette réglementation prend son origine dans le droit communautaire, lequel bénéficie de la primauté, de sorte que la mise en œuvre du droit national ne doit pas « porter préjudice à l’application pleine et uniforme du droit communautaire et à l’effet des actes d’exécution de celui-ci » (CJCE 13 fév. 1969, Walt Wilhelm, aff. 14/68, Rec., p. 1).
Le dispositif législatif français résulte, en effet, de la transposition de la Directive 2000/35/CE du 29 juin 2000 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (JOCE L 200, 8 août 2000, p. 35).
Cette directive prévoit en son article 3 § 3 : « Les Etats membres prévoient qu’un accord sur la date de paiement ou sur les conséquences d’un retard de paiement qui n’est pas conforme aux dispositions du paragraphe 1 point b) c) et d) et du paragraphe 2, ne soit pas applicable ou puisse donner lieu à une action en réparation du dommage lorsque, compte tenu de tous les éléments du cas d’espèce, y compris les bonnes pratiques et usages commerciaux et la nature des produits, il constitue un abus manifeste à l’égard du créancier. Lorsque l’on déterminera si un accord constitue un abus manifeste à l’égard du créancier, on considérera entre autres si le débiteur a une quelconque raison objective de déroger aux dispositions du paragraphe 1, points b), c) et d) et du paragraphe 2. S’il est établi qu’un tel accord est manifestement abusif, les dispositions légales sont applicables, sauf si les juridictions nationales déterminent des conditions différentes qui sont équitables ».
De surcroît, l’article 3 § 4 dispose que « Les Etats membres veillent à ce que, dans l’intérêt des créanciers et des concurrents, il existe des moyens appropriés et efficaces pour mettre fin à l’utilisation de conditions qui sont manifestement abusives au sens du paragraphe 3 ».
Or, si le législateur français a effectivement transposé la directive (cf. article L. 442-6 I 7° C. com.), l’adoption du dispositif législatif ne semble pas avoir permis de satisfaire aux objectifs recherchés par la directive et notamment d’empêcher « l’abus de la liberté contractuelle au détriment du créancier ».
2 – L’application des règles de droit aux délais de paiement
La nocivité des délais de paiement d’une durée excessive pour les créanciers a été soulignée par la directive qui, dans son considérant 7, indiquait : « de lourdes charges administratives et financières pèsent sur les entreprises, en particulier petites et moyennes, en raison des délais de paiement excessifs et des retards de paiement. En outre, ces problèmes constituent l’une des principales causes d’insolvabilité menaçant la survie des entreprises et ils entraînent de nombreuses pertes d’emplois ».
Le texte communautaire relevait également la disparité des délais de paiement au sein de l’Union et l’atteinte ainsi portée au commerce intracommunautaire.
Ainsi était-il indiqué que « dans certains Etats membres, les délais de paiement contractuels diffèrent notablement de la moyenne communautaire » (Considérant 8) et que « les différences existant entre les Etats membres en ce qui concerne les règles et les pratiques de paiement constituent un obstacle au bon fonctionnement du marché intérieur » (Considérant 9).
Plusieurs rapports récents mettent en évidence le fait queles délais de paiement sont particulièrement longs en France et qu’ils diffèrent significativement de ceux pratiqués dans d’autres Etats-membres.
Pourtant, l’article L. 442-6-I-7° du Code de commerce, destiné à empêcher les abus dans la fixation des délais de paiement, n’a guère été mis en œuvre (cf. Pratiques restrictives de concurrence : bilan de l’activité contentieuse civile du 1er janvier 2004 au 30 juin 2006, DGCCRF et Application du Titre IV du Livre IV du Code de commerce – Actions en justice à l’initiative des acteurs économiques, Document établi par la Faculté de droit de Montpellier pour la CEPC).
Or, selon l’article 3 § 4 de la directive, il incombe aux différents Etats membres de veiller « à ce que, dans l’intérêt des créanciers et des concurrents, il existe des moyens appropriés et efficaces pour mettre fin à l’utilisation de conditions qui sont manifestement abusives au sens du paragraphe 3 » (souligné par nos soins).
La conclusion d’accords interprofessionnels au sein d’une filière en vue de réduire les délais de paiement et de les rapprocher du délai supplétif de trente jours peut constituer un moyen approprié et efficace de mettre fin aux abus manifestes dans la fixation des délais de paiement, conformément aux exigences de la directive.
En effet, la définition de l’abus par les juridictions judiciaires, à supposer qu’elles soient saisies, peut être délicate.
L’article L. 442-6-I 7° du Code de commerce invite à qualifier les conditions de règlement, « compte tenu des bonnes pratiques et usages commerciaux », ce qui rend nécessaire leur identification. La référence aux bonnes pratiques, en même temps qu’aux usages commerciaux, conduit à les dissocier et à considérer que là où les usages se rattachent aux habitudes passées du secteur qui peuvent être nocives, les bonnes pratiques sont celles souhaitables dans le secteur. Cette interprétation est d’ailleurs corroborée par la possibilité offerte à la Commission d’examen des pratiques commerciales d’ « adopter des recommandations notamment sur le développement de bonnes pratiques » (art. L. 440-1 C. com.).
Or, différents éléments peuvent concourir à l’identification des bonnes pratiques en matière de délais de paiement.
On peut songer, tout d’abord, à des données économiques et techniques objectives, telle que la longueur du cycle d’exploitation, la durée de détention des stocks. Il est ensuite possible de se référer à des éléments de comparaison, en liaison avec les conditions pratiquées à l’égard des cocontractants situés en dehors de France, ou encore, à l’instar de ce que prévoit le considérant 19 de la directive 2000/35 du 29 juin 2000 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, avec les conditions dont le débiteur bénéficie lui-même dans ses rapports avec ses propres clients.
Ces éléments dépendent, en grande partie, comme l’indique d’ailleurs la directive en son article 3 § 3, de « la nature des produits » et donc des secteurs d’activité concernés, de sorte que des accords interprofessionnels pourraient contribuer à donner un contenu aux bonnes pratiques et, ce faisant, à rendre effective la protection conférée aux créanciers par l’article L. 442-6-I 7° du Code de commerce.
Ils permettent de préciser ce que sont les bonnes pratiques, dans un secteur donné, en fonction des particularités de celui-ci, et évitent des interventions législatives ponctuelles du type de celle adoptée dans le domaine du transport.
En outre, et compte tenu des éléments intervenant dans la caractérisation des bonnes pratiques et de l’abus, il est souhaitable que l’accord intervienne au sein d’une filière dans son ensemble.
Comme le relève la directive, dans son considérant 19, « lorsqu’un accord vise principalement à procurer au débiteur des liquidités supplémentaires aux dépens du créancier ou lorsque la principale entreprise contractante impose à ses fournisseurs et sous-traitants des conditions de paiement qui ne sont pas justifiées eu égard aux conditions dont il bénéficie lui-même, celles-ci peuvent être considérées comme des facteurs constituant un tel abus ».
Une entreprise sera d’autant plus disposée à s’engager dans la voie d’une réduction des délais de paiement demandés à ses fournisseurs qu’elle-même, en tant que créancière, bénéficie de délais de paiement d’une durée analogue et que ses concurrents consentent également un effort similaire.
Il importe enfin de souligner que l’adoption, sur le fondement de l’article L. 420-4-II du Code de commerce, d’un décret ayant pour objet de soustraire à la prohibition des ententes certaines catégories d’accords – ou certains accords – interprofessionnels en vue d’une réduction des délais de paiement au sein d’une filière ne serait pas contraire au droit communautaire ; la directive prévoit, en son article 6 que « les Etats-membres peuvent maintenir ou adopter des dispositions plus favorables au créancier que celles nécessaires pour se conformer à la présente directive ».
Par ailleurs, la commission a souhaité que lui soit présentée une estimation des effets économiques et financiers de l’accord relatif aux délais de paiement sur la base des calculs réalisés par la Banque de France. Monsieur le Professeur Michel GLAIS a accepté de présenter une étude sur le sujet.
L’accord signé le 24 / 01 /07 entre les représentants de la FIM, le CCFA, la FIEV, prévoit que : « les délais de paiements entre clients et sous-traitants dans la filière automobile sont réduits, à compter du 01 / 09 / 07, par un paiement ramené à 90 j .nets au plus, ce qui correspond à une réduction de 15 jours en moyenne .
En complément, les entreprises clientes de la filière réalisant plus de 300 millions de chiffres d’affaires accorderont une réduction supplémentaire des délais de paiements de 30 jours, aux fournisseurs de la filière réalisant moins de 50 millions de chiffres d’affaires selon les modalités suivantes :
Les effets d’un tel accord sur la santé financière des entreprises concernées peuvent, dans une certaine mesure, être appréciés en se référant aux informations disponibles auprès de la Centrale des bilans de la Banque de France. Celle-ci réalise, chaque année, des calculs de ratios à partir des documents comptables communiqués par les entreprises.
On dispose, pour les exercices comptables 2004 et 2005, de ces ratios pour le secteur professionnel « 343 Z » : fabrication d’équipements automobiles. Par contre, on ne dispose pas d’un découpage plus fin par type d’activités et de positionnement au sein de la filière.
( N B : Les analyses qui vont suivre sont transposables à d’autres secteurs de la filière, tels que ceux relevant des codes NAF : 261C ; 286F ; 316A ; 291C ; 292K ; 286D ; 275C ; 281A etc…)
82 entreprises ont été prises en compte dans la population d’entreprises réunie par la centrale des bilans au titre du code NAF 343 Z.
Elles réalisent toutes la totalité de leur chiffres d’affaires dans le secteur professionnel en cause ( coefficient de pureté :100 % ). Elles représentent également un taux de couverture de 35 % du total des salariés de la famille.
La population des entreprises recensées a été répartie en 4 tranches de tailles, établies en fonction de l’importance de leur valeur ajoutée :
< à 5000 k€ / 5 à 10000 k€ / 10000 à 30000 k€ / > à 300000 k€
( pas d’entreprises appartenant à la deuxième tranche )
Selon les calculs réalisés par la Centrale, le délai de règlement moyen des clients, pour l’ensemble des 82 entreprises, s’établissait à 74.5 jours en 2005. Pour 25% des entreprises, le délai était supérieur à 92 jours.
Le délai de règlement moyen des fournisseurs était de 75.3 jours. Pour 25% des entreprises, le délai était également supérieur à 92 jours .
Les délais moyens ainsi que les écarts autour de la moyenne étaient également sensiblement différents selon la taille des entreprises.
Délais de règlement clients :
Taille T1 : moyenne : 78.5 j Pour 25% > 98 j
Taille T3 : moyenne : 76.3 j Pour 25% > 89 j
Taille T4 : moyenne : 59.5 j Pour 25% > 70.5 j
Délais de règlement fournisseurs :
Taille T1 : moyenne : 77.3 j Pour 25% > 88 j
Taille T3 : moyenne : 79.6 j Pour 25% > 97 j
Taille T4 : moyenne : 65.2 j Pour 25% > 82 j
Poids du besoin en fonds de roulement :
Taille T1 : moyenne : 79 j Pour 25% > 93 j
Taille T3 : moyenne : 45 j Pour 25% > 70 j
Taille T4 : moyenne : 28 j Pour 25% > 42 j
Les durées de règlements et l’importance du BFR en jours de CATTC, d’achats TTC ou de CAHT diminuent de façon sensible avec l’augmentation de la taille de l’entreprise .
Seront successivement évoquées, les situations des entreprises dont les CAHT sont inférieurs à 50 M d’ Euros ( a ), puis supérieurs à 300 M ( b ).
a) Effets de l’accord sur les entreprises réalisant un CAHT inférieur à 50 M d’ €
En 2005, une entreprise réalisant un CAHT < à 50000 k€ se situait donc dans les tranches de tailles 1 et 3 correspondant respectivement à des entreprises employant, en moyenne : 48 et 354 salariés .
Les calculs seront tout d’abord effectués sur le cas d’une entreprise type réalisant un CAHT de 50 M d’€ et appartenant à la classe de taille T3 dans la mesure où le taux moyen de valeur ajoutée était de l’ordre de 35 %
( 50000 k€ x 0.35 = 17500 k€ ) .
N B : on constate également que ce taux était, en 2005, inférieur de 1.5 % à celui de 2004, ce qui met en évidence l’augmentation du coût des matières premières pendant la période et la difficulté des entreprises en cause à répercuter ces hausses de coûts dans leur prix de vente ( indice du moindre puissance de négociation avec leur partenaires ).
En 2005, les délais moyens de règlement ont été :
Clients : 76.5 jours de CATTC
Fournisseurs : 79.6 jours d’achats + autres charges externes TTC .
Besoin en fonds de roulement : 45 jours de CAHT .
Achats et autres charges externes : 65 % du CAHT
Une entreprise réalisant un CAHT de 50 Millions d’€ accordait donc, en moyenne, un crédit à ses clients de :
50 M x 1.196 x 76.5 j. / 360 j . = 12.7 M d’€
et se voyait octroyer un crédit fournisseurs de :
50 M x .65 x 1.196 x 79.6 j / 360 j . = 8. 6 M d’€
Les crédits fournisseurs ne couvraient les crédits clients qu’à hauteur de 8.6 / 12.7 M soit de 68 % ( les crédits clients portant sur des sommes beaucoup plus élevées ) .
Ecart entre crédits clients et fournisseurs :12.7 – 8.6 = 4.1 M d’€
La réduction à 60 jours (à partir du 1 / 09 / 2008 ) des deux types de crédits conduirait, toutes choses égales par ailleurs à :
Crédits clients :
50 M x 1.196 x 60 j . / 360 j . = 9. 97 M d’€
Crédits fournisseurs :
50 M x .65 x 1.196 x 60 j . / 360 j . = 6.48 M d’€
Ecart entre crédits clients et fournisseurs : 9.97 – 6.48 = 3.49 M d’€
Le besoin en fonds de roulement étant, avant la réduction des deux délais de crédits, de 45 jours de CAHT, soit : 50 M x 45 j . / 360 j . = 6.25 M d’.€, s’établit alors, toutes choses égales par ailleurs, à 5.64 M d’€, soit 40.3 jours de CAHT (- 4.7 jours).
La réduction du BFR de 0, 61 M d’€ aurait pour effet de diminuer le fonds de roulement nécessaire, ou de réduire l’appel au crédits bancaires à court terme et donc de réduire le montant des charges financières.
Les calculs précédents ont été réalisés sur la base des ratios moyens constatés pour la famille professionnelle (tranche T3).
Les calculs établis par la Centrale des Bilans mettent également en évidence d’importants écarts entre les situations individuelles des entreprises appartenant à la population étudiée :
Les différences sont grandes entre les ratios correspondant aux premier et troisième quartile de la population en cause.
1er Quartile 3ème Quartile
Crédits clients 55.6 j 89.3 j
Crédits fournisseurs 59.5 j 96.6 j
25 % des entreprises de la population accordent donc des crédits de plus de 100 jours de CAHT. Elles sont de ce fait sans doute contraintes de payer leurs fournisseurs avec des délais aussi longs .
Une telle situation est fort éloignée des objectifs poursuivis par la directive européenne et les dispositions de l’article L 441-6 du Code de commerce : « sauf dispositions contraires figurant aux conditions générales de vente ou convenues entre les parties , le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation demandée » .
Dans la mesure où il n’est guère vraisemblable que des délais aussi longs figurent dans les conditions générales de vente des fournisseurs, il n’est pas illégitime de considérer que ces fournisseurs ne disposent pas de pouvoir de négociation vis à vis de leurs clients .
Il en résulte que l’obligation d’accepter des délais de crédit clients aussi longs se répercute de façon négative en amont de la filière de production.
Une baisse des crédits fournisseurs et clients à 60 jours diminuerait alors considérablement les besoins en fonds de roulement de ces entreprises et l’appel au crédit bancaire.
Une entreprise dans la situation qui vient d’être évoquée et réalisant un CAHT de 50 M, avec un taux d’achat également de 65 % accordait, en 2005 :
Un crédit clients de : 50 M x 1.196 x 89.3 j . / 360 j .= 14. 83 M d’€
Un crédit fournisseurs de : 50M x .65 x 1.196 x 96.6 j ./ 360 j = 10.43 M d’€.
Une réduction des délais à 60 jours conduirait à une réduction sensible de l’écart entre montants des crédits clients et fournisseurs :
Crédit clients : 9.97 M d’€ ; Crédits fournisseurs : 6.48 M d’€ .
Soit un écart de 3.49 M d’€ au lieu de 4. 4 M d’€ .
Dans la mesure où les entreprises en cause figurent très vraisemblablement parmi celles ayant à supporter les BFR les plus élevés, soit 70 jours de CAHT, l’allègement de ces derniers s’avèrerait substantiel.
70 j . correspond à un montant de 9.72 M d’€ .
Toutes choses égales par ailleurs, avec une baisse des délais à 60 j ., le BFR se réduirait à 8.81 M d’€ ( – 9. 36 % )
Les entreprises en cause sont également sans doute celles faisant le plus appel au crédit bancaire à court terme ( 3ième quartile : 72.3 % de couverture du BFR par ce type de crédit ), la réduction de cet appel serait de l’ordre de 13 % et conduirait à un allégement substantiel des charges financières.
La situation est identique pour les entreprises les plus petites , situées au sein de la classe de taille T1 ( Valeur ajoutée < 5000 K€ ) .
En retenant une entreprise dont la valeur ajoutée en 2005 était de 4800 K€, soit de 12800 K€ de CAHT ( Le taux de V A étant pour cette tranche de 37.5 % ) :
Crédits clients :78.5 j .
Crédits fournisseurs : 77.5 j .
BFR : 79 j .
L’effet d’une réduction des délais à 60 j à partir de septembre 2008 serait une baisse du BFR de – 12%
En ce qui concerne les entreprises soumises aux délais les plus longs (crédits clients 97.8 j .ce qui correspond au 3ièm quartile ) et obtenant des délais de 88.1 j . de leurs fournisseurs, la baisse du BFR (93 j . en 2005 ) serait encore plus importante ( – 26.4 % )
b) Effets de l’accord sur les entreprises réalisant plus de 50 M d’ € de CAHT .
La plupart d’entre elles figurent dans la tranche de taille T4 dans les calculs réalisés par la Centrale des Bilans de la Banque de France. Elles sont moins nombreuses dans l’échantillon (18 / 82 ). L’entreprise moyenne emploie 1200 salariés, soit 3.5 plus que les entreprises de la tranche T3 et 25 fois plus que celles de la tranche T1. Elle réalise un CAHT moyen de 291 M d’ €. Beaucoup des entreprises concernées correspondent donc à celles qui se sont engagées à la suite de l’accord à régler leurs paiements à 60 j. nets à compter du 01/09/08 .
Ces entreprises sont celles qui présentent les délais de crédits les plus bas :
Délai moyen clients : 59.5 j .
Délai moyen fournisseur : 65.2 j
BFR : 28 j .
1er Quartile 3ème Quartile
Crédits clients 44.2 j 70.5 j
Crédits fournisseurs 43.2 j 81.8 j
Au vu des résultats des calculs réalisés par la Centrale des Bilans, l’effort consenti par ces entreprises de tailles les plus importantes profiterait à seulement une partie des 50% de leurs fournisseurs qu’ils réglaient en 2005 à plus de 60 j, c’est à dire à ceux dont le CAHT est inférieur à 50M. d’€).
Au total :
Or, comme le souligne le Rapport de R. GARDIN ( « L’Automobile Française : Une filière majeure en mutation » 2006 Conseil Economique et Social ), ces entreprises sont conduites à se spécialiser de plus en plus dans des activités dédiées essentiellement, voire en totalité, à une filière très hiérarchisée. Elles sont également soumises à de fortes pressions en matière de prix, comme en témoigne, par exemple, la baisse de leur taux de valeur ajoutée entre 2004 et 2005 : – 2,1% pour les entreprises de la taille T1 ; – 1.5% pour celles de la taille T3, contre simplement 0.4 % pour celles de la classe T4 .
Une réduction des délais de règlements ne peut donc qu’avoir un impact favorable pour les consommateurs en fin de circuit économique.
En second lieu, l’allègement des trésoreries des entreprises les plus dépendantes au sein de la filière peut contribuer à permettre à celles-ci de se concentrer davantage sur l’amélioration de leurs performances techniques dont profiteront également les consommateurs finals.
– Enfin, la durée des délais de règlement ne constitue qu’une composante très marginale de la concurrence entre offreurs appartenant à un même stade de la filière. Comme le souligne le rapport : « La chaîne de l’Equipement automobile » ( P. BROCCARD et C . DANADA . 2003 DGI /SESSI ), la concurrence s’exerce essentiellement dans le domaine de la maîtrise des processus productifs, de la baisse des coûts et dans celui de l’innovation, en particulier dans la recherche de nouveaux composants susceptibles de diminuer les prix de vente. Il n’apparaît donc pas que l’accord passé ait pour effet de réduire de façon substantielle le jeu de la concurrence sur les marchés en cause .
La Commission d’examen des pratiques commerciales émet un avis favorable pour que les pouvoirs publics engagent la procédure préalable à l’adoption d’un décret d’exemption admettant l’applicabilité de l’accord du 24 janvier 2007, relatif aux délais de paiement dans la filière automobile, conformément à l’article L.420-4-II° du Code de commerce.
Elle estime que cet accord apporte un progrès pour l’amélioration des délais de paiement interentreprises.
Il s’insère dans les perspectives d’évolution des législations nationale et européenne en préparation sur le sujet.
Elle soutient la démarche des pouvoirs publics dans leur action en faveur des PME-PMI qui subissent excessivement les effets de l’allongement des délais de paiement.
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en ses séances plénières du 09 mai et du 14 juin 2007, présidées par M. Pierre Leclercq.
Fait à Paris, le 14 juin 2007
Le Président de la Commission
d’examen des pratiques commerciales
Pierre LECLERCQ