Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n° 04-06 relatif à certaines pratiques dans le secteur de la distribution alimentaire.

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Avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales : Avis n° 04-06 relatif à certaines pratiques dans le secteur de la distribution alimentaire.
Ce point juridique est utile ?

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 5 décembre 2003 sous le numéro 03-077, par laquelle le président du Syndicat de l’épicerie française et de l’alimentation générale a soumis à son examen certaines conditions tarifaires et une clause compromissoire qui seraient appliquées par des franchiseurs, qui sont parfois également des fournisseurs, à l’encontre de détaillants, généralement franchisés;

Vu l’article L.440-1 du code de commerce ;

Vu le décret n° 2001-1370 du 31 décembre 2001 portant organisation de la Commission d’examen des pratiques commerciales, modifié par le décret n° 2002-1370 du 21 novembre 2002

Le rapporteur entendu lors de sa séance plénière du 22 juin 2004 ;

Adopte l’avis suivant :

Les pratiques ayant justifié la demande d’avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales reposent sur des clauses insérées dans des contrats ayant pour objet d’assurer la distribution de marchandises dans le secteur alimentaire. Diverses pratiques et clauses ont ainsi été soumises à avis : des pratiques relatives à un engagement d’approvisionnement sur la base d’un barème ne figurant pas au contrat, la conformité de l’offre de réductions de prix avec les articles L. 441-6 et 442-6 du Code de commerce, et la question de la présence d’une clause d’arbitrage dans le contrat.

Toutes ces questions ont pour but de vérifier que les pratiques étudiées sont valables et qu’elles ne sont pas à l’origine d’un abus de situation de dépendance économique.

I. – Pratiques contractuelles relatives à l’engagement d’approvisionnement exclusif

Un contrat d’approvisionnement comprend une clause d’approvisionnement prioritaire, pour une durée de 7 ans, sur la base d’un barème de prix ne figurant pas au contrat, alors qu’une clause de résiliation anticipée prévoit une indemnité correspondant à un an de marge brute.

Un autre contrat fait référence à un tarif évolutif sans que le distributeur puisse contester ces tarifs et enfin la présence d’une clause compromissoire est contestée.

A. Existence d’une clause d’approvisionnement pour une durée de sept ans

La demande d’avis évoque le fait qu’une clause d’approvisionnement ” prioritaire ” incluse dans un contrat d’approvisionnement, d’une durée de sept ans, et alors que le tarif sur la base duquel les approvisionnements doivent s’effectuer est non fourni ou évolutif ; elle suppose que cela constitue une pratique irrégulière.

– Sur la clause d’approvisionnement ” prioritaire “

L’article L. 330-1 du Code de commerce, reprenant le texte de la loi du 14 octobre 1943 limite les clauses d’exclusivité dans les ventes, et par extension, dans les contrats de distribution à dix ans.

Une clause d’approvisionnement se présente ainsi :

” Le Client s’engage à s’approvisionner de façon prioritaire auprès de X ou auprès des fournisseurs que X a spécialement agréés “.

Cette clause se présente comme une clause d’approvisionnement ” prioritaire “. Elle impose au distributeur d’acquérir un minimum de marchandises auprès du fournisseur.

S’il était estimé qu’une telle clause est susceptible de relever de la catégorie des clauses d’exclusivité au sens de l’article L. 330-1 du Code de commerce, cette clause figurant dans un contrat d’approvisionnement et imposant une durée déterminée de sept ans, avec tacite reconduction pour une nouvelle durée de cinq ans ne contreviendrait pas à l’article L. 330-1 précité. D’une part, la première durée du contrat, de sept ans, est inférieure à la durée maximale imposée par le texte. D’autre part, le renouvellement pour une nouvelle durée de cinq ans, par reconduction du contrat résulte de la création d’un nouveau contrat : la durée de ce contrat, inférieure à la durée maximale de l’article L. 330-1 respecte ses conditions dans la mesure où chacune des parties, et notamment le distributeur, conserve la possibilité de faire échec à la reconduction du contrat.

Par ailleurs, le règlement d’exemption n°2790/1999 de la commission du 22 décembre 1999 concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, serait susceptible de s’appliquer, s’agissant notamment de son article 5 qui concerne la durée maximale, fixée à cinq ans, des obligations de non concurrence. La clause visée dans la demande, clause d’approvisionnement prioritaire, n’est cependant pas cet article 5, le point 58 des lignes directrices (Communication Com. CE n°2000/C291/01, 13 oct. 2000) précisant qu’une telle obligation de non concurrence s’entend d’un engagement d’exclusivité de plus de 80%.

– Sur le tarif

Par ailleurs, le fait que le tarif sur la base duquel les approvisionnements doivent s’effectuer ne soit pas fourni ou soit évolutif renvoie à l’analyse des clauses de prix catalogue. Depuis l’arrêt d’assemblée plénière de la Cour de cassation du 1er décembre 1995, de telles clauses ne sont plus susceptibles d’emporter l’annulation du contrat cadre d’approvisionnement contrairement à la jurisprudence antérieure longuement débattue. En revanche, et conformément à cette jurisprudence nouvelle, la fixation du prix peut être sanctionnée par les juridictions si elle est constitutive d’un abus.

B. Présence d’une clause de résiliation anticipée moyennant paiement d’une indemnité équivalent à une année de marge brute

La demande d’avis soulève également la question de l’interprétation d’une clause de résiliation anticipée moyennant paiement d’une indemnité équivalent à une année de marge brute.

Une clause de résiliation anticipée peut parfaitement s’insérer dans un contrat à durée indéterminée, notamment en cas de faute de l’une des parties. Ces clauses de résiliation anticipée, ou clauses résolutoires, sont parfaitement valables et conformes à la pratique contractuelle.

La clause imposant au distributeur, et au distributeur seul, de verser une indemnité contractuelle égale à une année de marge brute en cas de résiliation anticipée s’analyse comme une clause pénale. Une telle clause pénale est valable et ne contredit pas l’une des dispositions de l’article L. 442-6 du Code de commerce. En revanche, elle est susceptible de révision judiciaire, sur le fondement de l’article 1152, al. 2 du Code civil, si la pénalité contractuelle est ” manifestement excessive ou dérisoire “.

C. Présence d’une clause compromissoire

La clause compromissoire est une convention imposant aux parties de soumettre le litige qui surviendrait dans l’exécution du contrat à un tribunal arbitral dans des conditions définies par cette convention. Une telle technique de résolution des litiges est une pratique très ancienne du monde du commerce. Elle suppose cependant de rémunérer les arbitres. Une telle clause est valable par principe, si elle est conclue entre deux professionnels. Elle n’est donc en rien contraire aux principes généraux du droit processuel français et ne réduit pas le droit d’accès à la justice des justiciables professionnels en général, des franchisés en particulier. La formule même de l’arbitrage a toujours connu comme terrain d’élection les relations commerciales et la validité des clauses compromissoires a été élargie par la loi ” NRE ” du 15 mai 2001.

Insérée dans un contrat d’approvisionnement exclusif ou prioritaire, elle ne constitue nullement une pratique abusive : le recours à l’arbitrage relève de la liberté contractuelle et, choisi, il devient une obligation pour chacune des parties qui ne disposent pas du choix de recourir à une juridiction étatique ou arbitrale.

Si, en droit, la présence d’une telle clause compromissoire est pleinement valable, il est entendu que, économiquement et socialement sans doute, le poids d’une telle clause est éminemment plus lourd pour le franchisé que pour le franchiseur. Cependant, une réponse économique et sociale pourrait passer par des techniques de mutualisation, voire d’assurance, du risque d’arbitrage, par exemple via des organismes professionnels comme le demandeur.

II. Conformité de l’offre de réductions de prix avec les articles L. 441-6 et 442-6 du Code de commerce

Par ailleurs, la demande d’avis pose la question de savoir si le fait d’offrir des réductions de prix, rabais, remises ou ristournes non connus par le distributeur et accordés a posteriori de façon plus ou moins discrétionnaire est conforme aux textes en vigueur. La réponse dépend du texte applicable, article L. 441-6 (A) ou L. 442-6 (B) du Code de commerce, distinction qui suppose elle-même d’observer diverses situations.

A. Conformité avec l’article L. 441-6 du Code de commerce

L’article L. 441-6 du Code de commerce dispose que :

” Tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur est tenu de communiquer à tout acheteur de produit ou demandeur de prestation de services pour une activité professionnelle qui en fait la demande son barème de prix et ses conditions de vente. Celles-ci comprennent les conditions de règlement et, le cas échéant, les rabais et ristournes.

Sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation demandée.

Les conditions de règlement doivent obligatoirement préciser les conditions d’application et le taux d’intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date. Sauf disposition contraire qui ne peut toutefois fixer un taux inférieur à une fois et demie le taux d’intérêt légal, ce taux est égal au taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 7 points de pourcentage. Les pénalités de retard sont exigibles sans qu’un rappel soit nécessaire.

La communication prévue au premier alinéa s’effectue par tout moyen conforme aux usages de la profession.

Les conditions dans lesquelles un distributeur ou un prestataire de services se fait rémunérer par ses fournisseurs, en contrepartie de services spécifiques, doivent faire l’objet d’un contrat écrit en double exemplaire détenu par chacune des deux parties.

Toute infraction aux dispositions visées ci-dessus est punie d’une amende de 15000 euros .

Les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2 du code pénal.

La peine encourue par les personnes morales est l’amende, suivant les modalités prévues par l’article 131-38 dudit code “.

Il en résulte que tout fournisseur doit fournir à tout distributeur qui en fait la demande ses conditions de vente. Celles-ci comprennent les conditions contractuelles de la vente, le tarif et, éventuellement, le barème de réductions de prix.

Il convient donc, en premier, que les tarifs et barèmes de remises et ristournes aient été demandés par le distributeur au fournisseur. Toutefois, la communication d’un barème de remises et de ristournes n’est imposée que si de telles remises et ristournes sont effectivement octroyées. En l’absence d’octroi effectif de celles-ci, aucune obligation de fournir un tel barème ne peut bien évidemment être déduite de l’article L. 441-6 du Code de commerce. Des conditions particulières de vente se démarquant des conditions générales de vente peuvent aussi être négociées. En ce cas, il est recommandé aux parties d’établir des conventions de réductions tarifaires dont ne sont communicables que les critères objectifs susceptibles de justifier des demandes de conditions comparables (cf. circulaire Dutreil, 2-2°).

La réponse à la demande d’avis dépend des situations.

*. – Si les avantages tarifaires sont fournis sans support documentaire :

L’article L. 441-6 du Code de commerce impose que toutes les informations tarifaires soient diffusées par voie de conditions générales de vente de façon à assurer l’objectif de transparence posé par les articles L. 441-1 et suivants du Code de commerce.

Toutes les réductions de prix doivent résulter de documents de ce type. Cependant, n’a pas à se soumettre à cette procédure de transparence la rémunération de contrat de coopération commerciale défini comme un ” contrat de prestation de service dont le contenu et la rémunération sont définis d’un commun accord entre un fournisseur et un distributeur (…qui) porte sur la fourniture, par un distributeur à un producteur, de services spécifiques parfaitement détachables des simples obligations des achats et ventes ” (Circ. ” Dutreil “, 16 mai 2003).

Le fait de fournir des réductions de prix a posteriori et de façon discrétionnaire contrevient à l’article L. 441-6 du Code de commerce, précisément parce que l’exigence posée par ce texte est qu’elles soient présentées de manière transparente et préalable à la conclusion des ventes.

**. – Si les avantages tarifaires sont fournis sur la base d’un support documentaire :

La situation est alors radicalement différente : un tel support documentaire, qu’il se présente comme un ” classique ” barème de remises et ristournes ou comme un ensemble de contrats proposés à tous, répond aux exigences de l’article L. 441-6 du Code de commerce.

B. Conformité avec l’article L. 442-6 du Code de commerce

L’article L. 442-6 du Code de commerce comprend diverses fautes civiles, souvent érigées en présomptions de faute, qui sanctionnent les discriminations tarifaires et contractuelles ainsi que des pratiques qui constituent des abus d’une situation de dépendance économique.

1. Conformité avec l’article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce

L’article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce dispose que :

Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :

1. De pratiquer, à l’égard d’un partenaire économique, ou d’obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d’achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence “.

Sont ainsi constitutives d’une faute, les différences de traitement de deux opérateurs sans que ces différences s’expliquent par des contreparties réelles alors qu’elles créent un avantage ou un désavantage dans la concurrence.

*. – Si les avantages tarifaires sont fournis sans support documentaire

L’octroi de réductions de prix à certains mais point à d’autres, placés dans les mêmes conditions d’achat, spécialement si elles sont occultes, discrétionnaires et apparaissant a posteriori, constitue assurément une discrimination au sens de l’article L. 442-6 du Code de commerce.

On pourrait toutefois se demander si le fait de verser à tous les distributeurs une réduction de prix discrétionnaire et a posteriori, mais identique pour tous et occulte en ce sens qu’elle n’apparaîtrait pas dans les conditions générales de vente constituerait une discrimination. L’absence de contrepartie réelle serait patente mais manquerait la différence de traitement et par suite l’avantage ou le désavantage dans la concurrence. En revanche, accorder un avantage à tous alors que certains seulement peuvent y prétendre présente un caractère discriminatoire au sens de l’article L.442-6 I 1° du Code de commerce (discrimination à rebours). Cela illustre la distinction entre les règles de formalisation des conditions de vente de l’article L. 441-6 du Code de commerce et les règles, substantielles, de sanction des discriminations.

**. – Si les avantages tarifaires sont fournis sur la base d’un support documentaire

La fourniture d’avantages tarifaires sur la base d’un document, qu’il s’agisse de conditions générales de vente ou de contrats proposés à la signature permet la vérification de l’existence de contrepartie réelle. Une telle situation permet d’observer que les avantages tarifaires qui résultent de l’exécution de contrats, comme par exemple une ” convention de participation de produits nouveaux ” ont bien une contrepartie réelle et ne constituent pas une discrimination.

2. Conformité avec l’article L. 442-6, I, 2°, b) du Code de commerce

L’article L. 442-6, I, 2°, b) dispose que :

” D’abuser de la relation de dépendance dans laquelle il tient un partenaire ou de sa puissance d’achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées “.

Ce texte traduit une forme de ” civilisation ” de l’abus de dépendance économique de l’article L. 420-2, al. 2 du Code de commerce. Il convient cependant qu’un telle relation de dépendance soit identifiée : il s’agit ou bien de la ” dépendance économique ” visée par l’article L. 420-2, al. 2 ou bien d’une ” dépendance juridique ” plus nouvelle. La dépendance économique vise essentiellement à sanctionner l’abus de puissance d’achat. La jurisprudence appliquant l’article L. 420-2, al. 2 du Code de commerce qui poursuit l’abus de situation de dépendance économique considère d’ailleurs que la dépendance économique s’apprécie en tenant compte de l’importance de la part du fournisseur dans le chiffre d’affaires du revendeur, de la notoriété de la marque du fournisseur, de l’importance de la part de marché du fournisseur, de l’impossibilité pour le distributeur d’obtenir d’autres fournisseurs de produits équivalents, l’absence de solution équivalente étant considérée, malgré la réforme de l’article L. 420-2, al. 2 par la loi de 2001, comme une condition essentielle du constat d’une dépendance économique. La situation présentée dans la demande d’avis ne correspond pas à une telle situation de dépendance économique.

Par ailleurs, une ” dépendance juridique ” ne peut être révélée par l’existence d’une relation contractuelle dans laquelle l’un des partenaires est soumis à des sujétions contractuelles particulières, lien d’exclusivité notamment, comme ce peut être le cas d’un contrat d’approvisionnement exclusif ou un contrat de franchise de distribution. La jurisprudence civile n’a jamais reconnu une telle notion, notion que l’article L. 442-6, I, 2°, b) du Code de commerce est impuissant à valider.

Par ailleurs, quand bien même une telle dépendance économique était vérifiée, il importe d’observer si le partenaire est soumis à des conditions commerciales ou obligations injustifiées. Or, la situation dans laquelle un franchiseur assure à ses partenaires contractuels des avantages tarifaires sur la base de tarifs et de conventions accordant de tels avantages tarifaires dans des conditions non discriminatoires ne traduit nullement l’existence de telles conditions commerciales ou obligations injustifiées.

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 22 juin 2004, présidée par M. Jean-Pierre Dumas.

Fait à Paris , le 22 juin 2004

Le Président de la Commission
d’examen des pratiques commerciales

Jean-Pierre DUMAS

 


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