Autoentrepreneur et Requalification en contrat de Travail: Cour d’appel de Versailles RG n° 21/02147 16 février 2023

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Autoentrepreneur et Requalification en contrat de Travail: Cour d’appel de Versailles RG n° 21/02147 16 février 2023
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80H

15e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 FEVRIER 2023

N° RG 21/02147

N° Portalis : DBV3-V-B7F-UTXE

AFFAIRE :

S.A.R.L. ECOLE SUPERIEURE D’INFORMATIQUE ET DE COMMERCE

C/

[O] [N]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Mai 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

Section : AD

N° RG : F20/00186

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me David ELBAZ de l’AARPI GRAUZAM – ELBAZ – SAMAMA

Me Emilie PERRIER de la SELARL EMPC AVOCATS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A.R.L. ECOLE SUPERIEURE D’INFORMATIQUE ET DE COMMERCE

N° SIRET : 455 035 230

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me David ELBAZ de l’AARPI GRAUZAM – ELBAZ – SAMAMA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0223

Association ELITECH

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me David ELBAZ de l’AARPI GRAUZAM – ELBAZ – SAMAMA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0223

APPELANTES

****************

Monsieur [O] [N]

né le 06 Avril 1971 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représentant : Me Emilie PERRIER de la SELARL EMPC AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1494

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 Décembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Régine CAPRA, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Juliette DUPONT,EXPOSÉ DU LITIGE

A compter du 21 février 2018, M. [O] [N] a exercé une activité d’enseignement, sous le statut d’auto-entrepreneur, dans le cadre d’une formation préparant au diplôme BTS audiovisuel délivrée par la société Ecole supérieure d’informatique et de commerce, dite ci-après la société Esic, qui recourait à cette fin à l’association Institut Point Com, devenue l’association Elitech.

La société Esic ayant décidé de fermer la section BTS audiovisuel, faute d’étudiants, a informé M. [N], par courrier électronique du 6 novembre 2018, de la fin de leur collaboration à compter de cette date.

Par requête reçue au greffe le 5 février 2020, M. [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, afin d’obtenir la requalification de sa relation avec la société Esic et l’association Elitech en contrat de travail à durée déterminée à effet du 21 février au 6 novembre 2018 ainsi que le paiement d’une indemnité pour travail dissimulé et d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 25 mai 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes a :

– requalifié la relation de travail de M. [N] avec la société Esic et l’association Elitech en contrat de travail à durée déterminée du 21 février 2018 au 6 novembre 2018 ;

– fixé le salaire mensuel moyen du demandeur à 2.640 euros ;

– condamné solidairement la société Esic et l’association Elitech à verser à M. [N] les sommes suivantes :

– 15.840 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

– 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté M. [N] du surplus de ses demandes ;

– débouté la société Esic et l’association Elitech de leurs demandes formulées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– mis les dépens à la charge de la société Esic et de l’association Elitech.

La société Esic et l’association Elitech ont interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 2 juillet 2021.Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 1er octobre 2021 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, elles exposent notamment que :

– alors que l’intimé exerçait ses fonctions sous le statut d’auto-entrepreneur et entrait ainsi dans le cadre de l’article L. 8221-6 du code du travail qui prévoit une présomption d’absence de contrat de travail entre les parties, celui-ci ne démontre pas qu’il se trouvait dans un rapport de subordination à leur égard ;

– la demande de requalification de la rupture des relations commerciales en licenciement sans cause réelle et sérieuse formée par l’intimé est prescrite ;

– en tout état de cause, le salarié ne démontre aucunement le caractère intentionnnel de la dissimulation d’activité salariée à l’appui de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé.

Elles demandent à la cour d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’ont condamnées au titre du travail dissimulé, et, statuant à nouveau, de :

– débouter M. [N] de l’ensemble de ses demandes ;

– condamner M. [N] à leur payer la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 9 novembre 2021 auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [N] soutient en substance que :

– en dépit de son inscription en qualité d’auto-entrepreneur, il démontre qu’il était placé dans une situation caractérisant l’existence d’une relation de travail avec les appelantes ;

– les circonstances dans lesquelles il a été choisi de recourir à une collaboration sous le statut d’indépendant en lieu et place du contrat de travail à durée déterminée initialement proposé démontrent l’intention des appelantes de se soustraire aux règles relatives à l’emploi d’un salarié et caractérisent une situation de travail dissimulé.

Il demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a :

– requalifié la relation de travail en contrat de travail à durée déterminée du 21 février 2018 au 6 novembre 2018 ;

– condamné solidairement les appelantes à lui verser les sommes de 15.840 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– rejeter l’ensemble des demandes, fins et conclusions formulées par la société Esic et l’association Elitech ;

– condamner solidairement la société Esic et l’association Elitech à lui régler la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 16 novembre 2022.

MOTIFS

Sur la prescription :

En application de l’article 954, alinéas 1 et 3, du code de procédure civile, dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée, les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour d’appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Elle ne peut dès lors prendre en considération une fin de non-recevoir qui ne figure pas dans le dispositif des conclusions.

En l’espèce, si dans le corps de leurs conclusions la société Esic et l’association Elitech relèvent que la demande de requalification de la rupture des relations commerciales en licenciement sans cause réelle et sérieuse est prescrite, la cour constate, d’une part, que M. [N] ne forme aucune demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dans le dispositif de ses conclusions et, d’autre part, qu’elles-mêmes n’opposent aucune fin de non-recevoir tirée de la prescription dans le dispositif de leurs conclusions. Il n’y a donc pas lieu de statuer de ce chef.

Sur l’existence d’un contrat de travail :

Il résulte de l’article L. 8221-6, I du code du travail que sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales.

L’article L. 8221-6, II du code du travail prévoit que l’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci.

Le lien de subordination juridique est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.

En l’espèce, M. [N], qui est immatriculé depuis le 1er octobre 2009 au registre du commerce et des sociétés pour l’exercice d’une activité d’enseignement, a établi pour les mois de février à mai 2018 et de septembre à novembre 2018, en contrepartie de l’enseignement de BTS audiovisuel qu’il a dispensé dans le cadre de la formation organisée par la société Esic via l’association Institut Point Com, devenue Elitech, des factures qui lui étaient payées par cette dernière, qui le rémunérait en fonction du nombre d’heures de travail effectué, selon un taux horaire de 64,28 euros de février à mai 2018 et selon un taux horaire de 55 euros de septembre à novembre 2018. Les factures émises par l’intéressé se sont élevées à 1 414,16 euros pour 22 heures de travail en février 2018, à 2 635,48 euros pour 41 heures de travail en mars 2018, à 3 342,56 euros pour 52 heures de travail en avril 2018, à 1 542,72 euros pour 24 heures de travail en mai 2018, à 660 euros pour 12 heures de travail en septembre 2018, à 3 575 euros pour 65 heures de travail en octobre 2018 et à 1 485 euros pour 27 heures de travail pour le mois de novembre 2018, soit à une somme totale de 14 654,95 euros pour 243 heures de travail sur une période de près de neuf mois.

Il résulte de l’offre d’emploi d’enseignant au sein de l’équipe pédagogique de la section BTS audiovisuel diffusée par la société Esic actualisée le 15 février 2018, que M. [N] verse aux débats, que l’emploi auquel celui-ci s’est porté candidat devait initialement être pourvu par l’embauche d’un salarié par contrat de travail à durée déterminée d’une durée de neuf mois à compter de septembre 2017. Les courriers électroniques échangés les 7 et 8 février 2018 entre Mme [R], responsable administrative de la société Esic, et M. [N], produits par ce dernier, démontrent que la société Esic lui a finalement demandé d’effectuer ses interventions pédagogiques en son sein en qualité d’auto-entrepreneur, ce qu’il a accepté, tout en soulignant ‘qu’un contrat de travail [lui] sembl[ait] plus approprié’. Par courrier électronique du 20 février 2018, Mme [R] a ensuite demandé à M. [N] d’établir ses factures à l’ordre de l’association Institut Point Com.

M. [N] a vainement sollicité de la société Esic la formalisation d’un contrat de travail aux termes d’un courrier électronique du 15 septembre 2018.

Il est établi par les courriers électroniques produits par M. [N] que celui-ci dispensait ses cours selon le planning établi par la société Esic, qui annulait le cas échéant des cours programmés, que l’intéressé faisait passer aux élèves les épreuves du BTS blanc selon le calendrier fixé par la société Esic, qu’il disposait d’un identifiant et d’un mot de passe qui lui ont été adressés par l’association Institut Point Com. pour lui permettre d’accéder à l’espace numérique de travail EasyScol permettant aux parents et aux élèves de consulter le cahier de texte, les absences et les notes, afin qu’il puisse y inscrire les informations relatives à ses cours, les devoirs et les notes des élèves.

S’il est établi que par courrier électronique du 27 septembre 2018, M. [N] a contesté le planning qui lui était communiqué pour la rentrée, il n’est pas établi que ses remarques ont été prises en compte.

Il résulte des pièces produites que, bien qu’exerçant au sein de la société Esic l’activité d’enseignement pour laquelle il était rémunéré par l’association Elitech, dans le cadre d’un contrat de prestation de services, M. [N] ne disposait d’aucune indépendance et que les conditions d’exécution de son travail étaient déterminées unilatéralement par la société Esic, qui avait le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner ses éventuels manquements. Il s’en déduit l’existence d’un lien de subordination caractérisant l’existence d’un contrat de travail entre M. [N], d’une part, et la société Esic et l’association Institut Point Com, devenue l’association Elitech, d’autre part.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il fait droit à la demande de M. [N] tendant à la requalification de sa relation de prestataire de services avec la société Esic et l’association Elitech en contrat de travail à durée déterminée à effet du 21 février 2018 au 6 novembre 2018.

Sur le travail dissimulé :

Il est constant que, contrairement aux prescriptions de l’article L. 8221-5 du code du travail, la société Esic et l’association Elitech n’ont procédé à aucune des formalités légales, à savoir la remise d’un bulletin de paie prescrite par l’article L. 3243-2 et la déclaration préalable à l’embauche auprès des organismes de protection sociale prescrite par l’article L. 1221-10.

Il est établi par les éléments du dossier que la société Esic et l’association Elitech, qui nient l’existence d’une relation salariale avec M. [N], se sont intentionnellement soustraites à l’accomplissement de ces formalités, ce qui constitue un fait de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié.

Aux termes de l’article L. 8223-1 du code du travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en violation des dispositions de l’article L. 8221-5 a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire, à moins que l’application de règles légales ou de stipulations conventionnelles ne conduise à une solution plus favorable.

M. [N] est bien fondé à solliciter le paiement d’une indemnité pour travail dissimulé calculée sur la base du salaire mensuel brut de 2.640 euros bruts correspondant à un temps de travail de 20,32 heures par semaine et à un taux horaire de 30 euros, qu’il revendique. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il lui alloue, à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, sur le fondement de l’article L. 8223-1 du code du travail, la somme de 15.840 euros qu’il sollicite et dont le montant n’est pas en lui-même contesté.

Sur les dépens et l’indemnité de procédure

La société Esic et l’association Elitech, qui succombent à l’instance, seront condamnées solidairement aux dépens de première instance et d’appel et seront déboutées de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il les a condamnées solidairement à payer à M. [N] la somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d’appel, en sus de la somme de 1.000 euros qu’elle a été condamnée à payer à celui-ci par le conseil de prud’hommes pour les frais irrépétibles exposés en première instance.

PAR CES MOTIFS :

La COUR,

Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en date du 25 mai 2021 ;

Y ajoutant :

Condamne solidairement la société Ecole supérieure d’informatique et de commerce et l’association Elitech à payer à M. [O] [N] la somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;

Condamne solidairement la société Ecole supérieure d’informatique et de commerce et l’association Elitech aux dépens d’appel.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


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