Augmentation de capital : décision du 9 novembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/05389
Augmentation de capital : décision du 9 novembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/05389
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 38E

16e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 09 NOVEMBRE 2023

N° RG 22/05389 – N° Portalis DBV3-V-B7G-VMGE

AFFAIRE :

[V] [Z]

et autres

C/

S.A. BOURSORAMA

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Juin 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Nanterre

N° RG : 20/08486

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 09.11.2023

à :

Me Pierre-Antoine CALS, avocat au barreau de VERSAILLES,

Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [V] [Z]

né le [Date naissance 21] 1982 à [Localité 56]

de nationalité Française

[Adresse 32]

[Localité 3]

Monsieur [B] [F]

né le [Date naissance 10] 1950 à [Localité 60]

de nationalité Française

[Adresse 39]

[Localité 41]

Monsieur [CJ] [VI]

né le [Date naissance 4] 1955 à [Localité 62]

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 47]

Madame [E] [RW]

Héritière de Monsieur [S] [RW], né le [Date naissance 18] 1948 à [Localité 54] (35) et décédé le [Date décès 40] 2019 à [Localité 51] (35)

née le [Date naissance 12] 1982 à [Localité 61]

de nationalité Française

[Adresse 20]

[Localité 35]

Monsieur [EU] [XV]

né le [Date naissance 28] 1941 à [Localité 58]

de nationalité Française

[Adresse 31]

[Localité 36]

Madame [WR] [ZZ] épouse [XV]

née le [Date naissance 30] 1948 à [Localité 63] (Algérie)

de nationalité Française

[Adresse 31]

[Localité 36]

Monsieur [C] [JT]

né le [Date naissance 16] 1973 à [Localité 56]

de nationalité Française

[Adresse 38]

[Localité 42]

Monsieur [MB] [JT]

né le [Date naissance 26] 1947 à [Localité 65]

de nationalité Française

[Adresse 19]

[Localité 2]

Madame [TA] [JK] épouse [JT]

née le [Date naissance 29] 1948 à [Localité 50] (Algérie)

de nationalité Française

[Adresse 19]

[Localité 2]

Monsieur [S] [BI]

né le [Date naissance 22] 1939 à [Localité 53]

de nationalité Française

[Adresse 23]

[Localité 43]

Monsieur [M] [ZD]

né le [Date naissance 5] 1969 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 14]

[Localité 44]

Monsieur [G] [IG]

né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 59]

de nationalité Française

[Adresse 11]

[Localité 49]

Madame [H] [Y] épouse [IG]

née le [Date naissance 24] 1966 à [Localité 52] (Maroc)

de nationalité Française

[Adresse 11]

[Localité 49]

Monsieur [UA] [IG]

né le [Date naissance 17] 1969 à [Localité 59]

de nationalité Française

[Adresse 33]

[Localité 48]

Monsieur [UM] [UI]

né le [Date naissance 9] 1971 à [Localité 64]

de nationalité Française

[Adresse 25]

[Localité 8]

Monsieur [X] [VM]

né le [Date naissance 27] 1973 à [Localité 55]

de nationalité Française

[Adresse 15]

[Localité 37]

S.A.S. PIC HOLDING

N° Siret : 572 127 850 (RCS Nanterre)

[Adresse 13]

[Localité 46]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Pierre-Antoine CALS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 719 – Représentant : Me Johann LISSOWSKI de la SELEURL LISSOWSKI Avocats, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2067, substitué par Me Arnaud GUEDJ-LEROY, avocat au barreau de PARIS

APPELANTS

****************

S.A. BOURSORAMA

N° Siret : 351 058 151 (RCS Nanterre)

[Adresse 34]

[Localité 45]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – N° du dossier 2269604 – Représentant : Me Dominique SANTACRU, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0470

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 27 Septembre 2023, Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Fabienne PAGES, Président,

Madame Caroline DERYCKERE, Conseiller,

Madame Sylvie NEROT, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie RIBEIRO

EXPOSÉ DU LITIGE

A la suite de l’admission sur le marché Alternext, en 2006, de la société Initiatives & développements (ayant pris la dénomination de Loyaltouch le 29 décembre 2009), société spécialisée dans le développement d’outils et de services de prospection, de fidélisation de clientèle et de communication sur internet, la cotation du titre Loyaltouch a été suspendue à plusieurs reprises au cours de l’année 2010 et, le 29 juin 2010, le secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers (ci-après désignée : AMF) a ouvert une enquête portant sur l’information financière de la société Loyaltouch depuis le 31 décembre 2008, laquelle a été étendue, le 26 octobre 2010, au marché du titre Loyaltouch à compter de cette même date, ce qui a conduit la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers à prononcer, le 16 juillet 2014, des sanctions à l’encontre de la société Loyaltouch, de son ancien président-directeur général et de son ancien directeur général délégué pour manquements à l’obligation de communiquer une information exacte, précise et sincère.

Par ailleurs, selon jugement rendu le 11 octobre 2010, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société Loyaltouch, la date de cessation des

paiements étant fixée au 25 juillet 2010.

Et le 23 décembre 2010, les titres Loyaltouch ont été déclarés sans valeur et radiés de la cote sur

le marché Alternext.

Exposant avoir passé des ordres d’achat d’actions de cette société Loyaltouch par l’entremise de la société Boursorama, prestataire de service d’investissement qui tenait leurs comptes, et subi de fortes pertes puisque les titres acquis ont été déclarés sans valeur, quarante-six investisseurs (désignés dans le chapeau du jugement entrepris auquel il est expressément renvoyé), reprochant à cette banque de ne les avoir pas informés, alors qu’ils étaient des clients non professionnels, que ce titre était coté sur le segment privé du marché Alternext ni mis en garde sur les risques de cet investissement spéculatif et, se prévalant, en raison de ces manquements, de la perte de chance de ne pas investir ou de mieux investir, ont assigné la société Boursorama en réparation de leurs préjudices, ceci par assignations des 16 octobre 2014 puis du 16 juin 2017 (toutes deux judiciairement déclarées nulles) puis par acte du 13 décembre 2018.

Par jugement contradictoire rendu le 03 juin 2022 le tribunal judiciaire de Nanterre a :

déclaré recevable l’action engagée par M. [V] [Z], M. [OJ] [D], M. [JO] [P], Mme [WM] [I], M. [ON] [I], M. [C] [A], M. [O] [N], M. [B] [F], Mme [FY] [T], Mme [L] [W], M. [CJ] [VI], M. [TE] [DP], M. [S] [RW], M. [AV] [GC], M. [EU] [XV], Mme [WR] [XV], M. [U] [NB], M. [PS] [HC], M. [EU] [BH], M. [IK] [SW], M. [EY] [HG], M. [NF] [YZ], M. [UE] [SA], M. [J] [LX], M. [C] [JT], M. [MB] [JT], Mme [TA] [JT], M. [DL] [RS], M. [S] [BI], M. [M] [ZD], M. [G] [IG], Mme [H] [IG], M. [UA] [IG], Mme [PN] [NJ], M. [UM] [UI], M. [K] [IO], Mme [R] [IO], M. [DL] [IO], M. [EP] [DU], M. [X] [VM], M. [ON] [PJ], Mme [KX] [VE], M. [VR] [OF], M. [KT] [HK], M. [G] [BA] et la société PIC Holding contre la société Boursorama, les demandeurs étant pourvus de qualité à agir contre celle-ci,

déclaré irrecevable la demande de M. [AV] [GC] formée contre la société Boursorama, faute de justifier de son intérêt à agir,

déclaré recevable la demande de M. [OJ] [D] formée contre la société Boursorama, comme ne se heurtant pas à l’autorité de la chose jugée issue du jugement du tribunal de grande instance de Paris rendu le 11 juillet 2019,

déclaré irrecevables, car prescrites, les demandes de M. [JO] [P], Mme [WM] [I], M. [ON] [I], M. [S] [RW], M. [PS] [HC],

déclaré irrecevables, car prescrites, les demandes de M. [JO] [P], Mme [WM] [I], M. [ON] [I], M. [S] [RW], M. [PS] [HC], M. [EU] [BH], M. [C] [JT], M. [MB] [JT], Mme [TA] [JT], M. [M] [ZD], Mme [PN] [NJ], M. [X] [VM], M. [ON] [PJ] et la SAS Pic Holding formées contre la société Boursorama,

débouté M. [V] [Z], M. [OJ] [D], M. [JO] [P], Mme [WM] [I], M. [ON] [I], M. [C] [A], M. [O] [N], M. [B] [F], Mme [FY] [T], Mme [L] [W], M. [CJ] [VI], M. [TE] [DP], M. [EU] [XV], Mme [WR] [XV], M. [U] [NB], M. [IK] [SW], M. [EY] [HG], M. [NF] [YZ], M. [UE] [SA], M. [J] [LX], M. [DL] [RS], M. [S] [BI], M. [G] [IG], Mme [H] [IG], M. [UA] [IG], M. [UM] [UI], M. [K] [IO], Mme [R] [IO], M. [DL] [IO], M. [EP] [DU], Mme [KX]

[VE], M. [VR] [OF], M. [KT] [HK], M. [G] [BA] de l’intégralité de leurs demandes,

condamné in solidum M. [V] [Z], M. [OJ] [D], M. [JO] [P], Mme [WM] [I], M. [ON] [I], M. [C] [A], M. [O] [N], M. [B] [F], Mme [FY] [T], Mme [L] [W], M. [CJ] [VI], M. [TE] [DP], M. [S] [RW], M. [AV] [GC], M. [EU] [XV], Mme [WR] [XV], M. [U] [NB], M. [PS] [HC], M. [EU] [BH], M. [IK] [SW], M. [EY] [HG], M. [NF] [YZ], M. [UE] [SA], M. [J] [LX], M. [C] [JT], M. [MB] [JT], Mme [TA] [JT], M. [DL] [RS], M. [S] [BI], M. [M] [ZD], M. [G] [IG], Mme [H] [IG], M. [UA] [IG], Mme [PN] [NJ], M.[UM] [UI], M. [K] [IO], Mme [R] [IO], M. [DL] [IO], M. [EP] [DU], M. [X] [VM], M. [ON] [PJ], Mme [KX] [VE], M. [VR] [OF], M. [KT] [HK], M. [G] [BA] et la société PIC Holding à payer à la société Boursorama la somme de 30 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné M. [V] [Z], M. [OJ] [D], M. [JO] [P], Mme [WM] [I], M. [ON] [I], M. [C] [A], M. [O] [N], M. [B] [F], Mme [FY] [T], Mme [L] [W], M. [CJ] [VI], M. [TE] [DP], M. [S] [RW], M. [AV] [GC], M. [EU] [XV], Mme [WR] [XV], M. [U] [NB], M. [PS] [HC], M. [EU] [BH], M. [IK] [SW], M. [EY] [HG], M. [NF] [YZ], M. [UE] [SA], M. [J] [LX], M. [C] [JT], M. [MB] [JT], Mme [TA] [JT], M. [DL] [RS], M. [S] [BI]; M. [M] [ZD], M. [G] [IG], Mme [H] [IG], M. [UA] [IG], Mme [PN] [NJ], M. [UM] [UI], M. [K] [IO], Mme [R] [IO], M. [DL] [IO], M. [EP] [DU], M. [X] [VM], M. [ON] [PJ], Mme [KX] [VE], M. [VR] [OF], M. [KT] [HK], M. [G] [BA] et la société PIC Holding aux dépens, dont distraction au profit de Me Dominique Santacru, avocat au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 19 août 2022, dix-sept de ces investisseurs ont relevé appel de cette décision.

Par dernières conclusions (n° 2) notifiées le 24 avril 2023, ces appelants, à savoir : messieurs [V] [Z], [B] [F], [CJ] [VI], madame [E] [RW], monsieur [EU] [XV], Madame [WR] [ZZ] épouse [XV], messieurs [C] [JT], [MB] [JT], madame [TA] [JK] épouse [JT], messieurs [S] [BI], [M] [ZD], [G] [IG], madame [H] [Y] épouse [IG], messieurs [UA] [IG], [UM] [UI], [X] [VM], et la société Pic Holding SAS,, au visa des articles 1134, 1135 et 1147 du code civil dans leur rédaction applicable en la cause, 1103 et 1231-1 du code civil, L. 533-1, L. 533-4, L. 533-11 à 14, L. 533-16 et D. 533-11 du code monétaire et financier alors applicables, du Règlement général de l’AMF, et plus particulièrement les articles 314-49 et 314-51 alors applicables en la cause, de la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers, demandent à la cour :

de confirmer le jugement (entrepris) en ce qu’il a déclaré recevable l’action engagée par M. [V] [Z], M. [B] [F], M. [CJ] [VI], M. [S] [RW], M. [EU] [XV], Mme [WR] [XV], M. [C] [JT], M. [MB] [JT], Mme [TA] [JT], M. [S] [BI]; M. [M] [ZD], M. [G] [IG], Mme [H] [IG], M. [UA] [IG], M. [UM] [UI], M. [X] [VM], et la société PIC Holding contre la société Boursorama, les demandeurs étant pourvus de qualité à agir contre celle-ci, et en ce qu’il a considéré le titre Loyaltouch comme un instrument financier complexe,

de (l)’infirmer en toutes ses autres dispositions,

Statuant à nouveau

de dire et juger recevables, car non-prescrites, les demandes de Mme [E] [RW] venant aux droits de Monsieur [S] [RW], M. [C] [JT], M. [MB] [JT], Mme [TA] [JT], M. [M] [ZD], M. [X] [VM] et la SAS Pic Holding formées contre Boursorama,

Si par extraordinaire, la cour d’appel confirmait le premier jugement sur la prescription :

de dire et juger recevables car non-prescrites les demandes de Mme [E] [RW] venant aux droits de Monsieur [S] [RW], M. [C] [JT], M. [MB] [JT], Mme [TA] [JT], M. [M] [ZD], M. [X] [VM] et la SAS Pic Holding formées contre Boursorama concernant les titres acquis après le 16 octobre 2009,

de dire et juger que Boursorama a manqué à son obligation d’information résultant de ses obligations réglementaires, et commis une faute en ne précisant pas à ses clients que la société Loyaltouch était cotée sur le segment privé d’Alternext habituellement réservé aux investisseurs qualifiés,

de dire et juger que Boursorama a manqué aux diligences résultant de ses missions professionnelles et commis une faute en ne mettant pas en garde ses clients non professionnels face aux risques liés à un investissement à tout le moins complexe et possiblement spéculatif sur les titres de la société Loyaltouch, cotés sur le segment privé d’Alternext,

En conséquence

de dire et juger que Boursorama a engagé sa responsabilité envers les investisseurs, et se trouve tenue de réparer le préjudice que la perte de chance de ne pas investir ou de mieux investir leur a causé,

de condamner en conséquence Boursorama à régler une somme équivalente à 90% du montant des investissements réalisés par les investisseurs, correspondant à la perte de chance des requérants et à payer à :

monsieur [Z] [V], la somme de 4.408,97 euros

monsieur [F] [B], la somme de 15.153,26 euros

monsieur [VI] [CJ], la somme de 7.164,99 euros

madame [RW] [E] venant aux droits de monsieur [S] [RW], la somme de 81.831,42 euros

à monsieur [XV] [EU], la somme de 8.203,59 euros

à madame [XV] [WR], la somme de 7.724,97 euros

monsieur [JT] [C] la somme de 54.084,74 euros

monsieur [JT] [MB], la somme de 78.522,27 euros

madame [JT] [TA], la somme de 22.454,85 euros

monsieur [BI] [S], la somme de 6.961,15 euros

monsieur [ZD] [M], la somme de 74.920,19 euros

monsieur [IG] [G], la somme de 122.687,79 euros

madame [IG] [H], la somme de 94.625,98 euros

monsieur [IG] [UA], la somme de 9.118,31 euros

monsieur [UI] [UM], la somme de 22.941,00 euros

monsieur [VM] [X], la somme de 43.213,55 euros

et à la société Pic Holding SAS, la somme de 430.166,91 euros

En tout état de cause

de condamner Boursorama à réparer le préjudice financier subi par les appelants,

de rejeter l’ensemble des demandes, fins, conclusions, appels incidents et demande reconventionnelle de l’intimée,

de condamner Boursorama à payer aux appelants la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens

Par dernières conclusions notifiées le 16 juin 2023, la société anonyme Boursorama, prie la cour :

visant l’article 4 de la Charte de la médiation de l’AMF, d’écarter des débats les pièces adverses n°16, 17 et 18,

visant les articles 31 et 122 du code de procédure civile, L110-4 du code de commerce, L533-13 II du code monétaire et financier dans sa version applicable à l’époque des faits, de confirmer le jugement (entrepris),

En conséquence

de juger irrecevables comme prescrites toutes les demandes se rattachant à des ordres passés antérieurement au 16 octobre 2009,

de débouter les appelants de toutes leurs demandes comme mal fondées,

En tout état de cause

de condamner reconventionnellement et solidairement messieurs [Z] [V], [F] [B], [VI] [CJ], madame [RW] [E] venant aux droits de monsieur [S] [RW] décédé le [Date décès 40] 2019, monsieur [XV] [EU], madame [XV] [WR], messieurs [JT] [C] et [JT] [MB], madame [JT] [TA], messieurs [BI] [S], [ZD] [M], [IG] [G], madame [IG] [H], messieurs [IG] [UA], [UI] [UM], [VM] [X] et la société Pic Holding SAS, à payer à Boursorama la somme de 25.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

de les condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel à recouvrer par maître Martine Dupuis, avocat au barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de mise à l’écart des pièces adverses n° 16 à 18

La société Boursorama intimée incrimine la production aux débats de trois pièces ainsi désignées par leurs adversaires : courriers du médiateur de l’AMF, courrier du médiateur de l’AMF en date du 27 décembre 2013, courrier du médiateur de l’AMF en date du 14 février 2014 (respectivement pièces n° 16, 17 et 18) en se prévalant de l’article 4 de la Charte de la Médiation de l’AMF selon lequel ‘La Médiateur et son équipe, ainsi que les parties, sont tenus à la plus stricte confidentialité. Les échanges intervenus au cours du processus de médiation ne peuvent être produits ni invoqués devant les juridictions’ et en précisant, s’agissant de la pièce n° 16 imparfaitement anonymisée, qu’elle porte sur un différend qui a opposé ses adversaires à la société BinckBank et sur la médiation initiée.

Elle ajoute que cette production est d’autant plus choquante que ces correspondances étaient revêtues de la mention ‘confidentiel’ qui a été tronquée sur l’une d’entre elles.

Critiquant l’argumentation adverse pour en montrer l’absence de pertinence, elle conclut qu”en tout état de cause, la manoeuvre aura opéré puisque la cour aura eu connaissance des pièces indépendamment de la décision qu’elle prendra de les retirer ou non des débats’.

En réplique, les appelants font valoir que les pièces en question échappent à la prohibition de cet article 4 car elles concernent le refus de la société Boursorama d’entrer en médiation. Ils se prévalent d’un avis de la médiatrice de l’AMF publié au Bulletin Joly Bourse de juillet/août 2021 (pièce n° 19) selon laquelle cette règle ne commence à courir qu’à partir du moment où les parties entrent en médiation et que tant qu’il n’y a pas entrée en médiation, la confidentialité ne joue pas.

Ils entendent ‘maintenir’ dans les débats la pièce n° 16 qu’ils jugent importante dès lors qu’il s’agissait d’une médiation portant sur les mêmes griefs que dans la présente instance, la médiatrice constatant qu’aucune alerte n’avait été reçue par les clients lors des passages d’ordres de la valeur Loyaltouch et les informant que la banque avait consenti à une indemnisation de 33% de sa perte.

Ceci étant rappelé, le principe de confidentialité est l’un des piliers de la justice participative, comme l’affirme la doctrine, de même que la Cour de cassation a pu énoncer, sur le respect de ce principe et au visa des articles 21-3 de la loi du 08 février 1995, L 612-3 du code de la consommation et 9 du code de procédure civile, qu’ ‘en dehors des cas dérogatoires prévus par la loi, l’atteinte à l’obligation de confidentialité de la médiation impose que les pièces produites sans l’accord de la partie adverse, soient, au besoin d’office, écartées des débats par le juge’ (Cass civ 2ème, 09 juin 2022, pourvoi n° 19-21798, publié au bulletin).

Force est de considérer que les appelants avaient la faculté d’introduire dans leur argumentation le simple fait que le processus de médiation avait échoué sans avoir à produire les pièces n° 17 et n° 18 et ils ne peuvent être suivis dans leur départ entre ce qui concernerait la période avant l’entrée en médiation et la médiation eu égard à la généralité des termes de l’article 4 précité.

Ils le peuvent d’autant moins que, dans la pièce n° 18 revêtue de la mention ‘confidentiel’, la médiatrice évoque son analyse documentaire et explicite les raisons du refus d’entrer en médiation de la société Boursorama, à savoir : ‘cet établissement ne partage pas mon analyse, en effet, il considère qu’il n’existe pas de lien de causalité entre l’éventuelle insuffisance d’information et le préjudice de ses clients ayant investi sur le titre Loyaltouch’ .

Et, s’agissant de la pièce n° 16 qui concerne un échange de correspondances datées du 08 avril 2004 entre le médiateur et des tiers au litige, la société Boursorama est fondée à prétendre que le rejet de cette pièce s’impose d’autant plus qu’elle porte sur des échanges intervenus après mise en oeuvre de cette autre médiation.

Par suite, il sera fait droit à la demande de mise à l’écart de ces trois pièces n° 16 à 18 communiquées par les appelants.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée aux demandes se rattachant à des ordres d’acquisition de titres Loyaltouch passés antérieurement au 16 octobre 2009

La société Boursarama rappelle liminairement que les demandeurs à l’action poursuivent l’engagement de sa responsabilité caractérisée par son défaut de précisions sur la cotation de la société Loyaltouch sur le segment privé Alternext et son absence de mise en garde de clients, à la qualité revendiquée de non-professionnels, sur les risques liés à un investissement spéculatif sur les titres Loyaltouch en les privant de la faculté de ne pas investir ou de mieux investir.

Elle sollicite la confirmation du jugement lequel, sur le fondement des dispositions de l’article L 110-4 du code de commerce, énonce qu’en matière de manquements d’un prestataire de services d’investissement commis lors de la réception et de la transmission d’ordres pour le compte de tiers, le dommage se manifeste dès la passation de ces ordres, sauf pour le client à démontrer qu’il a légitimement pu ignorer ce dommage, que la procédure collective ouverte le 11 octobre 2010 est sans lien de causalité avec les fautes reprochées, que la banque est fondée à prétendre que le délai de prescription dépend de la date de passation de l’ordre et du dommage alors induit, ceci pour conclure qu’au cas particulier le délai de prescription quinquennale (non contesté) a été interrompu par l’assignation du 16 octobre 2014 de sorte que sont prescrites les demandes (visées dans son dispositif repris ci-avant) relatives aux ordres passés antérieurement au 16 octobre 2009.

Elle critique l’argumentation adverse tendant à voir fixer le point de départ de la prescription au 23 décembre 2010, jour de la radiation des actions, en invoquant le défaut de lien entre les manquements incriminés et la perte de valeur des titres et en faisant valoir, par ailleurs, que l’effet suspensif de la médiation ne peut non plus être invoqué en l’espèce.

En réplique, les investisseurs appelants reprochent au tribunal de ne pas avoir tiré les conséquences de ses propres constatations et d’avoir déclaré prescrites les demandes de monsieur [S] [RW], des trois consorts [JT], de messieurs [ZD] et [VM] ainsi que de la société Pic Holding qui ont passé des ordres postérieurement au 16 octobre 2009 alors que, selon eux, ‘le dommage subi par ces appelants – défaut d’information et de mise en garde de Boursorama – a continué à perdurer après le 16 octobre 2009″.

Ils affirment que, quelle que soit le point de départ retenu pour la prescription quinquennale, l’action n’est pas prescrite dès lors qu’en application de l’article 2224 du code civil, il convient de prendre en considération la date de réalisation du dommage qui doit être fixée, ici, au 27 août 2009 (date de saisine du médiateur par les cinq premiers de ces appelants, ceci par application de l’article L 621-19 du code monétaire et financier qui suspend l’action civile) ou bien au 23 décembre 2010 (date à laquelle Euronext a décidé de radier le titre Loyaltouch) puisque c’est à cette dernière date qu’a été révélé aux investisseurs le dommage, soit l’exposition aux risques particuliers liés à ce titre résultant du défaut d’information et de mise en garde de Boursorama.

Ceci étant exposé, il échet de rappeler que l’article 2224 du code civil a introduit un point de départ dit ‘glissant’ ou ‘subjectif’ de la prescription en disposant : ‘ les actions personnelles et mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait du connaître les faits lui permettant de l’exercer’ et que la doctrine de la Cour de cassation s’oriente vers une telle appréciation.

Il y a lieu de considérer, au cas particulier, que les manquements incriminés de la banque aux devoirs ci-dessus rappelés, à l’origine, selon les appelants, de la perte de chance de ne pas investir ou d’investir à de meilleures conditions, ne se sont pas révélés lors de la passation des ordres mais lorsqu’ils se sont rendus compte de l’impossibilité dans laquelle ils se trouvaient d’obtenir la rentabilité attendue en passant ces ordres.

Si la cessation de la cotation a permis à ces investisseurs de prendre la mesure de leurs dommages respectifs, il convient plutôt de rechercher la date à laquelle ils ont pu avoir la révélation du dommage qu’ils invoquent.

A cet égard et s’agissant des faits leur permettant d’agir en responsabilité, la chronologie des faits exposée par les parties au litige permet de considérer qu’un mouvement de défense des actionnaires, le Groupement Autonome des Actionnaires et des Porteurs de Parts (ou GAAPP) s’est constitué le 05 février 2010 (officialisé au Journal officiel le 13 mars 2010) avec à sa tête monsieur [VI] qui figure parmi les requérants, ceci dans le contexte de la mise en lumière, par un rapport financier déposé le 1er juillet 2010, de difficultés de trésorerie de la société Loyaltouch et de deux suspension de la cotation du titre (les 11 mars et 06 juillet 2010), qu’en outre, une procédure d’alerte (laquelle est destinée à révéler l’existence de faits de nature à compromettre la continuité d’une exploitation) a été déclenchée par les commissaires aux comptes et rendue publique à la mi-juillet, puis qu’a été ouverte par le tribunal de commerce de Paris, le 11 octobre 2010, une procédure collective ayant donné lieu au prononcé de la liquidation judiciaire de la société Loyaltouch.

C’est, par conséquent, dans le courant de l’année 2010 que les investisseurs en cause ont pu prendre conscience de leurs dommages respectifs leur permettant d’exercer leur action.

Il en résulte que le jugement doit être infirmé en ce qu’il fait courir le délai de prescription à compter de la date de passation des ordres et a jugé prescrites les actions en responsabilité afférentes à des ordres passés cinq années avant la date d’introduction de l’action.

Sur l’engagement de la responsabilité du prestataire de services d’investissement

Il convient de rappeler que pour débouter les requérants de leurs demandes indemnitaires, le tribunal a d’abord énoncé qu’à compter du 1er novembre 2007, à la suite de l’entrée en vigueur de la transposition en droit français de la directive sur les marchés d’instruments financiers, la loi a opéré une distinction entre les prestataires de services d’investissement, simples teneurs de compte, comme l’est en l’espèce la société Boursorama et ceux investis d’une mission de conseil ou d’un mandat de gestion de portefeuille ; que les teneurs de compte doivent respecter les dispositions de l’ancien article L.533-13 II du code monétaire et financier (en leur version applicable au 1er novembre 2007 et au présent litige) selon lequel :

‘ En vue de fournir un service autre que le conseil en investissement ou la gestion de portefeuille pour le compte de tiers, les prestataires de service d’investissement demandent à leurs clients, notamment leurs clients potentiels, des informations sur leurs connaissances et leur expérience en matière d’investissement, pour être en mesure de déterminer si le service ou le produit proposés aux clients ou demandés par ceux-ci leur conviennent.

Lorsque les clients, notamment les clients potentiels, ne communiquent pas les informations nécessaires ou lorsque les prestataires estiment, sur la base des informations fournies, que le service ou l’instrument ne sont pas adaptés, les prestataires mettent en garde ces clients,

préalablement à la fourniture du service dont s’agit.’.

Que, par ailleurs les dispositions de l’article L.533-13 III (1) du même code dispensent les prestataires de services d’investissement uniquement chargés d’exécution d’ordres pour le compte de tiers de ces diligences lorsque le service porte sur des produits non complexes au sens du règlement général de l’Autorité des marchés financiers.

Et s’agissant de la caractérisation de la complexité, le tribunal s’est prévalu des dispositions de l’article 314-57 II dudit règlement suivant lequel, pour être non complexe, l’instrument financier doit notamment être liquide (selon l’alinéa 2) et faire l’objet d’une information publique accessible à tous (selon l’alinéa 4).

Au vu des éléments soumis à son appréciation, il a considéré que la société Boursorama, qui ne pouvait se prévaloir de la directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 non transposée en droit interne avant 2017, échouait à démontrer que les actions Loyaltouch relevaient des actions non complexes, de sorte qu’elle était tenue de respecter les obligations prévues à l’article L 533-13 II sus-repris.

Il n’a pas retenu le manquement à l’obligation de profilage des clients invoqué, au terme de son appréciation du ‘test d’appropriatness’, dépourvu d’ambiguïté, auquel la banque a soumis chaque client.

Et pas davantage le manquement à l’obligation d’information devant être délivrée à un client afin de l’alerter sur les particularités d’une opération de placement privé sur le marché d’Alternext eu égard au niveau d’information dont les investisseurs ont pu bénéficier.

Il n’a pas retenu, non plus, le manquement à l’obligation de mise en garde en se fondant cumulativement sur la suffisance des orientations tirées des ‘tests d’appropriateness’, sur la nature non spéculative d’une action acquise au comptant, sur le fait que Boursorama n’a agi qu’en qualité de teneur de compte ou encore sur l’absence de caractérisation des ‘risques bien particuliers’ invoqués par les demandeurs.

Enfin, le tribunal a rejeté le grief tenant à l’absence de surveillance et de modération d’informations diffusées sur des forums de discussion, pour certaines présentées par les requérants comme manifestement illicites, ou à leur omission, ceci sur le site internet de la société Boursorama, en se fondant sur l’article 6.1.2 de la loi du 21 juin 2004 (sur la confiance dans l’économie numérique) relatif à l’hébergeur, comme l’est la société Boursorama, et sur les conditions générales d’utilisation des services Boursorama ainsi que sur l’absence de démonstration du caractère manifestement illicite des informations invoquées, comme de leur connaissance par la société Boursorama.

Les appelants poursuivent l’infirmation de ce jugement, hormis en ce qu’il retient la nature complexe des titres de la société Loyaltouch, affirmant que cette condition est importante puisqu’elle sous-tend les obligations imparties à la société Boursorama et estimant, comme cela ressort d’un jugement du tribunal de grande instance de Paris confirmé en appel dont ils reproduisent les motivations respectives, qu’est inopérante l’argumentation adverse destinée à dénier aux titres litigieux le caractère d’instruments financiers complexes.

Ils ne se prévalent plus, en cause d’appel, que de deux fautes de la banque, à savoir, selon les moyens repris (ceci en méconnaissance des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile) dans le dispositif de leurs conclusions :

un manquement aux diligences résultant de ses missions professionnelles, pour n’avoir pas mis en garde ses clients non professionnels face aux risques liés à un investissement à tout le moins complexe et ‘possiblement’ spéculatif sur les titres de la société Loyaltouch, cotés sur le segment privé d’Alternext,

un manquement à son obligation d’information résultant de ses obligations réglementaires, pour n’avoir pas précisé à ses clients que la société Loyaltouch était cotée sur le segment privé d’Alternext habituellement réservé aux investisseurs qualifiés

Sur le défaut de mise en garde relative aux risques particuliers présentés par le segment ‘placement privé’ du marché Alternext sur lequel les actions Loyaltouch se négociaient

Reprenant les dispositions combinées des articles L 533-13 II et III précitées, les appelants s’approprient la motivation des premiers juges relative à la complexité des instruments financiers en cause et, répliquant à la société Boursorama, lui reprochent de ne pas démontrer la liquidité du titre Loyaltouch [la cour précisant que, selon l’AMF, cette notion reflète la facilité avec laquelle un titre peut être échangé], ceci alors que, affirment-ils, ‘toutes les juridictions sans exception, saisies sur ces litiges, en ont conclu qu’il s’agissait d’un instrument financier complexe’ (soulignement des appelants).

S’agissant du devoir de mise en garde en découlant, comme le font valoir les appelants, ils évoquent la propre mise en garde de la société Loyaltouch qui s’est introduite sur le marché non réglementé en juillet 2006 (écrivant : ‘cette Offering Circular est réalisée dans le cadre d’une opération réservée à des investisseurs qualifiés tels qu’ils sont définis par l’article L 411-2 du code monétaire et financier. Cette opération, préalable à une admission au marché Alternext d’Euronext [Localité 57] SA prendra la forme d’une augmentation de capital’) ou encore un communiqué de l’AMF du 15 octobre 2007 (à valeur contraignante, selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, rappellent-ils) posant une obligation renforcée d’information et de mise en garde pesant sur le prestataire de services d’investissement en présence d’ investissements sur ce marché Alternext.

Ils portent, en l’espèce, une appréciation critique sur le test automatisé (dit ‘d’appropriateness’) en amont des passages d’ordres auquel la société Boursorama a soumis ses clients et, évoquant l’article 314-49 du Règlement général de l’AMF selon lequel ‘Afin de procéder à l’évaluation mentionnée au II de l’article L 533-113 du code monétaire et financier, le prestataire de services d’investissement vérifie si le client possède le niveau d’expérience et de connaissance requis pour appréhender les risques inhérents à l’instrument financier’, soulignent l’imprécision, la généralité et les carences de ce test, en prenant l’unique exemple des époux [IG], pour dire que la société Boursorama, sur laquelle repose la charge de la preuve, n’a pas satisfait à son obligation de profilage.

Ces investisseurs en concluent qu’ils passaient des ordres sans aucune mise en garde, d’autant que Boursorama entretenait une certaine ambiguïté sur la nature des titres Loyaltouch en les assimilant faussement à des titres provenant d’un marché réglementé.

Ceci étant exposé, la société Boursorama, contrairement à ses adversaires, a soin d’expliciter le cadre dans lequel s’inscrit le litige et les ordres d’acquisition passés par les appelants qu’ils situent, incidemment (page 6/43), entre 2009 et 2010.

Elle consacre, pour ce faire, des développements relatifs à la nature et aux spécificités du marché Alternext visé à l’article 524-1 du Règlement général de l’AMF qui n’est certes pas réglementé comme l’est le marché Euronext mais se présente comme un marché non point libre mais régulé, soumis à des règles et à des contrôles par l’entreprise de marché Euronext et l’AMF, exigeant notamment la mise en ligne sur son site d’un document d’information préalable à l’introduction du titre dans le cadre d’un placement privé puis la diffusion d’informations répondant à l’exigence de transparence financière.

Elle fait justement valoir que les appelants qui ont pris la décision d’acquérir des titres Loyaltouch ont bénéficié d’une information sur ces titres qui n’était en rien influencée par le caractère privé du placement initial et que, lorsqu’ils ont investi (entre 2009 et 2010), ils bénéficiaient non seulement de l’information initiale (en 2006) mais encore de trois années d’informations financières périodiques et permanentes sur les titres Loyaltouch. Et cite, à titre exemplatif, un courrier des consorts [IG] produit par ses adversaires (pièce n° 7) illustrant le recours des clients à ces informations.

S’attachant, par ailleurs, aux titres en cause, elle observe, sans être contredite, qu’il ne s’agit pas de produits dérivés, ni structurés, qu’ils ne comprennent aucun sous-jacent, ne recèlent aucun mécanisme financier particulier, mais qu’il s’agit d’actions, au sens le plus commun, représentant chacune une quote-part du capital de la société émettrice, démontrant ainsi que, contrairement à ce que font valoir les appelants, les actions de la société Loyaltouch ne répondent pas à la qualification d’instruments financiers complexes en regard des dispositions des articles L 211-1 du code monétaire et financier, 314-57 I et II du Règlement général de L’AMF.

Il ne s’est agi que de titres de participation émis par la société Loyaltouch, normalement négociables, dont le rendement peut prendre la forme de dividendes et de gains.

Eu égard, non point au marché Alternext régulé mais à la nature des titres ainsi présentée, objets de passation d’ordres s’inscrivant dans le cadre d’une opération non spéculative en ce qu’elle présentait un risque boursier ordinaire connu de tous – laquelle nature détermine, comme il a été rappelé, les obligations du prestataire de service d’investissement – et, par ailleurs, à ce en quoi consiste le devoir de mise en garde du prestataire de services d’investissement – à savoir : attirer spécifiquement l’attention de l’investisseur sur les risques encourus au titre de l’opération proposée et les précautions à prendre -, la société Boursorama est fondée à prétendre que, contrairement à ce que soutiennent les appelants qui évoquent incidemment, une absence de liquidité du titre sans démontrer de quelle façon ils en ont été effectivement victimes, les actions Loyaltouch ne constituaient pas des instruments financiers complexes donnant lieu à une obligation de mise en garde ‘renforcée’.

L’article L 533-13 III a vocation à trouver application.

Dans ce contexte, les appelants ne sauraient reprocher à la société Boursorama, prestataire de services d’investissement simple teneur de compte, un manquement à une obligation de mise en garde par la mise en exergue des failles du test d’aptitude qu’elle a mis en place en exécution d’une obligation d’évaluation du client.

Au surplus, ce test n’encourt pas les critiques articulées.

Il permettait à la banque d’obtenir des renseignements sur la situation du client afin de l’orienter ou de le dissuader utilement dès lors que, comme repris par le tribunal (pièce n° 6 devant les premiers juges comme devant la cour), il contient une déclinaison de questions, à savoir : ‘Je connais les Marchés non réglementés France (Alternext, Marché libre, VRMR) et j’ai déjà investi sur ce type de support’, l’investisseur devant répondre par ‘oui’ ou par ‘non’ et, en cas de réponse négative, la question suivante était posée : ‘Savez vous que ce produit est coté sur un marché non régulé et que pouvez perdre l’intégralité du capital investi ‘ ‘, l”investisseur répondant par ‘oui’ ou par ‘non’ et, en cas de réponse négative, il était mentionné : ‘Nous vous invitons à vous informer davantage sur ce produit’, l’investisseur disposant alors d’une triple alternative : ‘poursuivre la transaction’, ‘abandonner’ ou ‘fiche produit’.

Il peut être ajouté, s’agissant de l’état de la jurisprudence dont se prévalent les appelants, que dans un litige relatif aux titres Loyaltouch qui opposait un particulier et une société avec laquelle il avait passé une convention d’ouverture de comptes titres lui permettant de passer directement des ordres de bourse à distance, la Cour de cassation a jugé :

‘en premier lieu, que les opérations sur les titres des sociétés inscrites sur le segment “placement privé” du marché Alternext ne sont pas spéculatives par nature ; qu’ il en résulte qu’aucun devoir de mise en garde n’incombait à la société Oddo, peu important le caractère averti ou non de l’investisseur’ (Cass com, 13 septembre 2017, pourvoi n° 16-15477, publié au bulletin).

Par voie de conséquence, la cour ne saurait retenir le manquement de la société Boursorama à son devoir de mise en garde sur des opérations dont le caractère complexe ou spéculatif n’est que prétendu.

Sur le manquement à l’obligation d’information de la banque

Reprochant au tribunal d’avoir méconnu les faits de l’espèce et l’application de la règle de droit pour rejeter ce grief, les appelants consacrent un paragraphe à ce manquement et se prévalent d’un communiqué de l’AMF du 15 octobre 2007 ainsi que des dispositions des articles 321-48, 314-49 et 314-51 du Règlement de l’AMF mettant à la charge du prestataire de services d’investissement l’obligation de ‘s’enquérir’ auprès du client des objectifs de l’opération en cause et, par ailleurs, de ‘vérifier’ si le client possède le niveau d’expérience et de connaissance requis pour appréhender les risques inhérents à l’instrument financier à la faveur du recueil d’éléments d’information précisés dans le dernier de ces textes.

Ils estiment qu’en tout état de cause, la spécificité de titres issus d’un placement privé sur le marché Alternext nécessitait des diligences renforcées, que Boursorama était donc tributaire d’une obligation d’information ‘renforcée’ sur le titre Loyaltouch et lui reprochent de n’avoir jamais indiqué à ses clients sa singularité du fait de sa cotation sur le segment privé d’Alternext.

Ils font, de surcroît, grief au tribunal de n’avoir pas pris en considération les propos du médiateur de l’AMF, issus du rapport annuel de cette dernière pour 2012, qui retenait bien, selon eux, une faute des banques pour n’avoir pas alerté le client sur la spécificité d’un investissement réalisé via un placement privé sur Alternext.

Ils le blâment enfin pour avoir mal interprété les dispositions de l’article L 533-12, comme la position de l’AMF dans son communiqué de 2007, afin d’apprécier le test d’ ‘appropriateness’ pratiqué, insuffisant, à leur sens, pour satisfaire à une obligation d’information ‘renforcée’ .

Et pour avoir dévoyé le lien de causalité ‘entre le préjudice subi par les appelants et le dommage’ (sic), lequel ne réside pas, affirment-ils, dans la déconfiture de la société Loyaltouch mais dans leur perte de chance.

Ceci étant rappelé, il convient de se reporter à ce qui précède pour juger que la spécificité de l’investissement en cause et les risques encourus (non précisément explicités par les appelants), tout comme le fait que les titres aient été cotés sur le marché régulé Alternext ne peuvent valablement être invoqués par les appelants pour prétendre qu’ils devaient bénéficier d’une information qu’ils qualifient de ‘renforcée’.

Préalable nécessaire à l’obligation d’information à laquelle est tenu le prestataire de services d’investissement, force est de considérer, dans le contexte d’informations financières régulières diffusées par la société Loyaltouch et accessible à tous (en particulier aux potentiels investisseurs), que la société Boursorama n’ y a pas manqué, s’étant préalablement renseignée sur le niveau d’expérience et de compétence de ses clients en faisant usage d’un test d’évaluation qui, comme il a été dit, invitait le client à se renseigner sur le produit et proposait notamment d’abandonner la transaction.

Il peut être ajouté que, selon la doctrine de la Cour de cassation, ‘le seul manquement à l’obligation d’évaluer la situation financière du client, son expérience en matière d’investissement et ses objectifs ne pouvant, en lui-même, causer un préjudice et donc engager la responsabilité civile du prestataire de services d’investissement, le moyen, qui suppose la réalisation d’un dommage résultant exclusivement de ce manquement, est inopérant’ (Cass com, 03 mai 2018, pourvoi n° 16-809, publié au bulletin).

Au cas particulier, la démonstration n’en est pas faite.

Il s’évince de tout ce qui précède que les appelants ne sont pas fondés en leur action en responsabilité à l’encontre de la société Boursorama et que le jugement qui les en déboute mérite confirmation.

Sur les frais de procédure et les dépens

L’équité commande d’allouer à la société Boursorama la somme complémentaire de 15.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboutés de ce dernier chef de demande, les appelants supporteront les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe ;

Ecarte des débats les pièces n° 16 à 18 produites par les appelants ;

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu’il a déclaré irrecevables en leur action monsieur [S] [RW] (décédé le [Date décès 40] 2019 et aux droits duquel se trouve madame [E] [RW]), messieurs [C] et [MB] [JT] ainsi que madame [TA] [JK] épouse [JT], monsieur [M] [ZD], monsieur [X] [VM] ainsi que la société Pic Holding SAS ;

Déclare madame [E] [RW], messieurs [C] et [MB] [JT] ainsi que madame [TA] [JK] épouse [JT], monsieur [M] [ZD], monsieur [X] [VM] ainsi que la société Pic Holding SAS recevables en leur action à l’encontre de la société Boursorama ;

Déboute madame [E] [RW], messieurs [C] et [MB] [JT] ainsi que madame [TA] [JK] épouse [JT], monsieur [M] [ZD], monsieur [X] [VM] ainsi que la société Pic Holding SAS, comme l’ensemble des appelants, de leurs entières prétentions ;

Condamne in solidum messieurs [Z] [V], [F] [B], [VI] [CJ], madame [RW] [E] venant aux droits de monsieur [S] [RW], monsieur [XV] [EU], madame [ZZ] épouse [XV] [WR], messieurs [JT] [C] et [JT] [MB], madame [JK] épouse [JT] [TA], messieurs [BI] [S], [ZD] [M], [IG] [G], madame [Y] épouse [IG] [H], messieurs [IG] [UA], [UI] [UM], [VM] [X] et la société Pic Holding SAS, à payer à la société anonyme Boursorama la somme complémentaire globale de 15.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens d’appel avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Fabienne PAGES, Président et par Madame Mélanie RIBEIRO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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