Augmentation de capital : décision du 4 avril 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/01505
Augmentation de capital : décision du 4 avril 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 21/01505

COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

3ème Chambre

Arrêt du Mardi 04 Avril 2023

N° RG 21/01505 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GYGT

Décision attaquée : jugement du juge aux affaires familiales de THONON LES BAINS en date du 10 Mai 2021, RG 18/00216

Appelant

M. [R], [O] [K]

né le 08 Novembre 1959 à [Localité 10] (ALLEMAGNE), demeurant [Adresse 2]

Représenté par Me Michel FILLARD, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

et par Me Sylvie DUMONT, avocat plaidant au barreau de THONON LES BAINS

Intimée

Mme [H], [L] [B] divorcée [K]

née le 08 Mai 1962 à [Localité 5] (MOZAMBIQUE), demeurant [Adresse 1] ESPAGNE

Représentée par Me Laurence BAQUE-WILLIAMS de la SAS MERMET & ASSOCIES, avocat postulant au barreau de THONON-LES-BAINS

et par Me Antoine SCANDOLERA, avocat plaidant au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l’audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, le 17 janvier 2023 par Mme Catherine LEGER, Conseiller faisant fonction de Président, à ces fins désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d’Appel de CHAMBERY, qui a entendu les plaidoiries en présence de Madame Esther BISSONNIER, Conseiller avec l’assistance de Madame Laurence VIOLET, Greffier

Et lors du délibéré, par :

– Mme Catherine LEGER, Conseiller faisant fonction de Président qui a rendu compte des plaidoiries,

– Madame Esther BISSONNIER, Conseiller

– Madame Elsa LAVERGNE, Conseiller.

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FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

M. [R] [K], né le 8 novembre 1959 à [Localité 10] (Allemagne), de nationalité autrichienne, et Mme [H] [B], née le 8 mai 1962 à [Localité 5] (Mozambique), de nationalité suisse, se sont mariés le 8 août 1992 par devant l’officier d’État civil de la commune de [Localité 8] (Suisse, canton de [Localité 7]), sans contrat de mariage préalable. Le couple a établi son premier domicile à [Localité 7].

Par une ordonnance de non-conciliation en date du 25 septembre 2008, le juge aux affaires familiales a notamment désigné le président de la chambre des notaires avec faculté de délégation afin d’établir un projet de liquidation du régime matrimonial.

Par une ordonnance en date du 7 janvier 2014, le juge de la mise en état a constaté que la gestion des immeubles situés en Hongrie était effectuée par Mme [H] [B] et la gestion de l’immeuble situé en Suisse par M. [R] [K], à charge pour chaque époux de régler les charges relatives aux biens dont il assure la gestion et de rendre contre à l’autre époux.

Par un jugement en date du 14 décembre 2015, le juge aux affaires familiales a prononcé le divorce de M. [R] [K] et de Mme [H] [B] et a notamment fixé la date des effets du divorce entre les époux au 28 juillet 2008 et ordonné la liquidation du régime matrimonial des époux.

Par un exploit du huissier en date du 25 juillet 2018, Mme [H] [B] a fait assigner M. [R] [K] devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains afin d’obtenir la désignation d’un notaire chargé de procéder à la liquidation du régime matrimonial.

Par une ordonnance en date du 18 novembre 2019, le juge de la mise en état a ordonné à Mme [H] [B] de produire un certain nombre de documents relatifs à la gestion des deux appartements situés à [Localité 6] dans les 30 jours suivant la signification de l’ordonnance et sous astreinte provisoire une fois ce délai écoulé, de 50 € par jour de retard.

Par un jugement en date du 10 mai 2021, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a :

‘ désigné Me [N] [Y], notaire à [Localité 14], pour procéder aux opérations de compte, liquidation et partage des intérêts patrimoniaux de M. [R] [K] et Mme [H] [B],

‘ dit qu’en cas d’empêchement du notaire mandaté, il sera pourvu à son remplacement par simple ordonnance du juge commis, sur requête de la partie la plus diligente,

‘ désigné le juge chargé du suivi des opérations de liquidation partage des intérêts patrimoniaux des époux du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains à l’effet de surveiller les opérations susmentionnées,

‘ dit que le régime matrimonial des époux est le régime légal de la participation aux acquêts prévus par les articles 196 à 220 du Code civil suisse et que les opérations de compte, liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux devront s’effectuer conformément à la législation suisse applicable,

‘ rappelé que la date des effets du divorce entre les époux est fixée le 28 juillet 2008,

‘ dit que les actions des sociétés SCALA ECE LIMITED et SCALA BUSINESS SOLUTIONS NV acquises par M. [R] [K], les capitaux issus de la cession de ses actions et les droits indivis dans les biens immobiliers acquis par emploi de ses capitaux sont des acquêts,

‘ dit que les deux appartements de [Localité 6], l’appartement de [Localité 15] et le bien immobilier situé sur la commune de [Localité 11] appartiennent en copropriété à part égale aux deux époux et sont soumis au régime de la copropriété prévue par les articles 646 et suivants du Code civil suisse,

‘ dit que M. [R] [K] est redevable envers la copropriété d’une indemnité d’occupation à compter du 25 septembre 2008 et jusqu’au jour de la jouissance divise, à raison de l’occupation privative du bien immobilier situé sur la commune de [Localité 11], et au besoin l’y a condamné,

‘ dit qu’il appartiendra au notaire de déterminer le montant de cette indemnité d’occupation et de l’intégrer au passif de M. [R] [K] au compte d’administration de l’indivision,

‘ dit que dans l’hypothèse où il serait nécessaire d’avoir recours à un expert pour reconstituer les comptes administration des appartements situés à [Localité 6], la rémunération de cet expert incombera exclusivement à Mme [H] [B],

‘ condamné M. [R] [K] à payer à Mme [H] [B] la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

‘ rejeté le surplus des prétentions,

‘ condamné M. [R] [K] aux dépens de l’instance.

Par une déclaration en date du 16 juillet 2021, M. [R] [K] a relevé appel de ce jugement en le limitant aux dispositions relatives à la nature d’acquêts des actions des sociétés SCALA ECE LIMITED et SCALA BUSINESS SOLUTIONS NV, des capitaux issus de la cession de ses actions et des droits indivis dans les biens immobiliers acquis par emploi de ses capitaux, au fait que les deux appartements de [Localité 6], l’appartement de [Localité 15] et le bien immobilier situé à [Localité 11] appartiennent en copropriété à part égale aux deux époux et sont soumis au régime de la copropriété prévue par le Code civil suisse, à l’indemnité d’occupation dont il serait redevable envers la copropriété pour l’occupation du bien situé à [Localité 11], au fait que le notaire devra déterminer le montant de cette indemnité d’occupation et l’intégrer au passif de M. [R] [K], à sa condamnation au paiement de la somme de 5000 € au titre des frais irrépétibles, au rejet du surplus de ses prétentions et à sa condamnation aux dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 2 janvier 2023, M. [R] [K] demande à la cour de :

‘ dire et juger recevable et bien fondé l’appel interjeté par M. [R] [K] à l’encontre du jugement rendu le 10 mai 2021 par le juge aux affaires familiales hors divorce du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains,

En conséquence, réformant le jugement entrepris,

‘ dire et juger que les rapports d’expertise de l’expert – comptable [E] de 2012 et 2021, le rapport ICONE de mai 2016, l’avis de droit de Maître [W] du 22 septembre 2022 constituent des preuves de la nature de propres de M. [R] [K] des deniers ayant permis le financement de certains biens immobiliers,

‘ dire et juger que les 257 005 actions des sociétés SCALA ECE LIMITED et SCALA BUSINESS SOLUTIONS NV acquises par M. [R] [K], les capitaux issus de la cession de ces actions et les droits indivis dans les biens immobiliers acquis par remploi de ces capitaux sont des propres de M. [R] [K],

‘ rappelant que les deux appartements de [Localité 6], la maison de [Localité 11] et l’appartement de [Localité 15] ont été acquis en copropriété à parts égales entre les époux,

‘ dire et juger que M. [R] [K] a intégralement financé de ses deniers propres le prix d’acquisition de l’appartement [Adresse 12] à [Localité 6] ainsi que les travaux réalisés dans cet appartement,

‘ dire et juger en conséquence que Mme [H] [B] est débitrice d’une dette à l’égard des biens propres de M. [R] [K] égale à la valeur au jour du partage de sa part indivise de l’appartement [Adresse 12] à [Localité 6],

‘ dire et juger que M. [R] [K] a financé le bien immobilier de [Localité 11] au moyen de deniers propres à hauteur de 99,6%,

‘ dire et juger en conséquence que Mme [H] [B] est débitrice d’une dette à l’égard des biens propres de M. [R] [K] égale à 99.6 % de la valeur au jour du partage de sa moitié indivise du bien immobilier de [Localité 11],

‘ dire et juger que M. [R] [K] a droit à une récompense au titre des travaux de finition de l’appartement de [Localité 15] financés au moyen de deniers propres,

‘ dire et juger en conséquence que le notaire commis devra chiffrer la récompense due à M. [R] [K] au titre des travaux de finition de l’appartement de [Localité 15],

‘ dire et juger que Mme [H] [B] devra rapporter la preuve que la somme de 28 000 USD investie dans l’appartement [Adresse 13] à [Localité 6] provenait de sa prestation de libre passage,

‘ rappeler qu’aucune décision de justice de même qu’aucune convention entre les parties n’a attribué la jouissance de la maison de [Localité 11] à l’un ou l’autre des époux ni davantage réglé les conditions de cette jouissance, à titre gratuit ou onéreux,

Subsidiairement, si par impossible le droit français était dit applicable à l’indemnité d’occupation pour la maison de [Localité 11] en France,

‘ dire et juger que Mme [H] [B] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l’impossibilité de fait ou de droit d’accéder et d’occuper la maison de [Localité 11],

‘ dire et juger que Mme [H] [B] ne rapporte pas la preuve de l’occupation privative par M. [R] [K] de la maison de [Localité 11],

‘ dire et juger en conséquence que M. [R] [K] n’est redevable d’aucune indemnité d’occupation à raison de l’occupation du bien immobilier situé sur la commune de [Localité 11],

‘ dire et juger en conséquence n’y avoir lieu de demander au notaire commis de déterminer le montant de cette indemnité d’occupation,

‘ vu les articles 646 647a) et s. du code civil suisse, dire et juger que Mme [H] [B] est redevable à l’égard de la copropriété de dommages et intérêts correspondant à la perte de loyers consécutive au non renouvellement du ou des baux pour les appartements de [Localité 6] dont elle est chargée de la gestion,

‘ vu l’article 649 al.2 du code civil suisse, dire et juger que M. [R] [K] a contribué au-delà de sa part dans la copropriété aux frais et charges de la maison de [Localité 11] et de l’appartement de [Localité 15] et qu’il dispose à ce titre d’une créance que le notaire commis aura pour mission de chiffrer,

‘ dire que le notaire commis devra déterminer la part imputable à Mme [H] [B], du fait de sa mauvaise gestion, dans la perte des sommes investies dans les sociétés LYA,

‘ condamner Mme [H] [B] à payer à M. [R] [K] la moitié des frais de l’audit des sociétés LYA EURODISTRIBUTION soit 2 995,12 € outre intérêts au taux légal,

‘ constater que Mme [H] [B] a reconnu avoir perçu le 27 août 2008 une avance de 10 000 € sur la liquidation du régime matrimonial des époux,

‘ dire n’y avoir lieu à indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [H] [B] au titre de ses frais irrépétibles en première instance,

‘ condamner Mme [H] [B] aux entiers dépens de première instance y compris ceux afférents à l’incident du 18 novembre 2019,

‘ confirmer le jugement entrepris pour le surplus,

En conséquence,

‘ désigner tel notaire qu’il plaira à la cour à l’exception de Maître [F] [X] et de Maître [N] [Y] pour procéder aux opérations de compte, liquidation et partage des intérêts patrimoniaux de M. [R] [K] et Mme [H] [B],

‘ dire qu’en cas d’empêchement du Notaire mandaté, il sera pourvu à son remplacement par simple ordonnance du Juge commis sur requête de la partie la plus diligente,

‘ désigner le Juge chargé du suivi des opérations de liquidation et partage des intérêts patrimoniaux des époux à l’effet de surveiller les opérations susmentionnées,

‘ rappeler que sont applicables les dispositions des articles 1364 et suivants du code de procédure civile et en particulier qu’en vertu de l’article 1365 de ce code, le notaire peut, si la valeur ou la consistance des biens le justifie s’adjoindre un expert choisi d’un commun accord entre les parties ou à défaut désigné par le juge commis,

‘ rappeler que selon les articles 1369 et 1370 du code de procédure civile, l’état liquidatif doit être dressé dans un délai d’un an à compter de la désignation du notaire, délai renouvelable une fois,

‘ rappeler que le régime matrimonial des époux est le régime légal de la participation aux acquêts prévu par les articles 196 à 220 du code civil suisse et que les opérations de compte, liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux devront s’effectuer conformément à la législation suisse applicable,

‘ rappeler que la date des effets du divorce entre les époux est le 28 juillet 2008,

‘ dire et juger que dans l’hypothèse où il serait nécessaire d’avoir recours à un expert pour reconstituer le compte d’administration des appartements situés à [Localité 6], la rémunération de cet expert incombera exclusivement à Mme [H] [B],

‘ rejeter la demande de licitation du bien immobilier de [Localité 11] présentée par Mme [H] [B],

‘ débouter Mme [H] [B] de sa demande au titre de l’investissement FABASOFT,

En tout état de cause,

‘débouter Mme [H] [B] de l’intégralité de ses demandes,

‘ condamner Mme [H] [B] à payer à M. [R] [K] la somme de

10 000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée,

‘ condamner Mme [H] [B] à payer à M. [R] [K] une indemnité de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 au titre de ses frais irrépétibles en cause d’appel,

‘ condamner Mme [H] [B] aux entiers dépens d’appel avec distraction au profit de Maître Michel Fillard, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

À l’appui de ses demandes, M. [R] [K] expose que le couple a acquis un terrain à [Localité 11] en 1997, qu’ils y ont fait édifier une maison, qu’il ont cependant résidé à [Localité 4] de 2001 à 2005, ayant créé deux magasins en Espagne par le biais de la création de deux sociétés Lya Eurodistribution AG Switzerland et sa filiale espagnole Lya Eurodistribution SA Spain. Il soutient que le rapport établi par Me [F] [X] en octobre 2014 sur désignation du juge conciliateur est incomplet, inachevé et comporte des erreurs; que l’audit réalisé sur la société Lya Eurodistribution Spain a montré que Mme [H] [B] avait procédé à des détournements de fonds, aux fins de justifier d’un dépôt de bilan. Il précise que Mme [H] [B] est ensuite sortie de la société en cause pour créer un autre magasin; que les pertes cumulées de ces deux enseignes s’élèvent à plus de 500 000 euros. Il soutient encore que Mme [H] [B] n’a jamais dressé de comptes relatifs à la gestion des appartements de [Localité 6].

Concernant le droit applicable au régime matrimonial des époux, M. [R] [K] ne conteste pas qu’il s’agisse du régime légal suisse de la participation aux acquets, régi notamment par les article 197 à 200 du code civil suisse.

Concernant les opérationsfinancières réalisées par ses soins, M. [R] [K] indique verser aux débats une consultation notariale réalisée par Me [A], consultant au sein de la société Icone, institut de consultation notariale suisse, lequel s’est fondé sur le rapport de Me [F] [X] et sur les documents établis le 23 octobre 2012 par M. [E], expert-comptable, pour déterminer la nature propre ou commune des actions. Il précise qu’il était en 1980, soit avant le mariage, le seul actionnaire d’ICC, qu’il s’agissait donc de propres; que cette société a fait apport de ses actifs et de sa clientèle à SCALA ECE LIMITED (SEL), société de droit chypriote, en 1994 et qu’il a reçu en contrepartie 4087 actions de cette société ainsi que des options d’achat; qu’il a pour sa part versé une soulte de 15000USD au titre des actifs corporels. Il relève que Me [A] estime que les actions de SEL sont des propres de M. [R] [K]. Il indique que par la suite en 1995, une augmentation de capital est intervenue et qu’il a perçu 16348 nouvelles actions, lesquelles sont aussi des propres; qu’il a procédé en 1996 à la vente de 10217 actions pour un montant de 300 000 USD qui sont aussi des propres par subrogation; qu’en 1997 SEL a fusionné avec SCALA BUSINESS SOLUTION NV (SBS) et qu’il a reçu à cette occasion 127 725 actions de SBS et qu’il a en outre dans le cadre de son droit d’option acquis 120 000 autres actions de SBS ; qu’il a ensuite vendu 32800 actions et acquis en échange 42995 actions pour un prix de 322 463 USD. Il soutient que l’ensemble de ces parts sociales sont des biens propres comme acquises par subrogation et remploi de fonds propres, à l’exception de 965 actions qui doivent être considérées comme des acquêts faute de preuve contraire. M. [R] [K] précise qu’en 1998 et en 1999, il a procédé à la vente de 257970 actions au total pour un montant de 750 000 USD et 1 940 000 USD dont 99,6% constituent des propres.

Concernant les acquisitions immobilières et leur financement, M. [R] [K] affirme que le couple a acquis divers biens financés par le produit de la vente des actions. Il se base sur l’analyse de Me [A] relevant qu’au moment du dépôt de la requête en divorce, le produit de la vente des actions n’existait plus sur les comptes bancaires. Il soutient en effet que le couple n’avait pas accumulé suffisamment de gains professionnels pour financer les biens de [Localité 6] et [Localité 11], alors même que M. [E] a établi que la possession initiale des 50 actions de ICC ont généré au final un produit de 3,7 millions d’USD.

Concernant l’appartement [Adresse 13] à [Localité 6] acquis en 1996, pour un prix de 55000 USD, M. [R] [K] indique qu’il a investi 18000 USD et Mme [H] [B] 37 000 USD, provenant de sa prestation de libre passage et de fonds propres. Il ne conteste pas qu’il s’agisse d’un acquêt, sauf à restituer à Mme [H] [B] une récompense à hauteur de 4200 USD.

Concernant l’appartement [Adresse 12] à [Localité 6], acquis en 1996, au prix de

50 000 USD, il précise que des travaux ont été réalisés pour un montant de 65 000 USD, affirmant qu’il a financé l’intégralité de ce bien au moyen du prix de vente de ses actions; que dès lors Mme [H] [B] lui est redevable d’une dette de 242500 USD.

Concernant la maison de [Localité 11], M. [R] [K] indique que le terrain a été acquis en 1997 à parts égales; que la maison a été construite entre 1999 et 2000; qu’il a financé seul ce bien à l’aide du prix de vente de ses actions étant observé que Mme [H] [B] ne disposait pas de biens propres au moment du mariage et qu’elle ne disposait pas de revenus professionnels conséquents. Il estime dès lors en avoir financé 99,6%, étant relevé qu’ils n’ont eu recours à aucun financement externe.

Concernant l’appartement de [Localité 15], acquis en 2006, au prix de 700 000 CHF, financé intégralement à crédit mais dont les travaux auraient été financés par ses soins à l’aide de fonds propres, il réclame à ce titre 239040 CHF.

Concernant la nature des actions de la société SCALA, M. [R] [K] relève que le premier juge a considéré qu’elles constituaient des acquêts en contradiction avec les deux rapports d’expertise produits, ceux de M. [E] et celui de Me [A]. Il affirme que le tribunal a statué en équité au regard du fait que Mme [H] [B] n’avait pas bénéficié d’une prestation compensatoire, alors même qu’elle n’en avait pas réclamé puisqu’elle était en couple avec un riche compagnon et qu’elle est l’héritière d’une grande fortune. Il fait valoir qu’avant le mariage il détenait un patrimoine estimé entre 850 000 et 2 482 000 USD du fait de la valorisation de sa société ICC; que la requalification des sommes découlant de la vente de ses actions revient à le dépouiller de son patrimoine au profit de son épouse. Il soulève que le premier juge a considéré qu’il ne rapportait pas la preuve du caractère propre de ses biens sans toutefois préciser le droit applicable à la preuve, alors que le régime matrimonial est de droit suisse et que les transactions financières ont été réalisées selon le droit anglo-saxon; que les arguments développés par le premier juge n’avaient pas été soulevés par Mme [H] [B] et n’ont dès lors pu être débattus contradictoirement, qu’il aurait dû procéder à une réouverture des débats conformément à l’article 16 du code de procédure civile. M. [R] [K] précise qu’il a sollicité de M. [E] un rapport complémentaire qui répond aux arguments du jugement attaqué et démontre le caractère propre des actions et options d’achat de la société SCALA. Il a encore sollicité l’avis d’un autre notaire suisse, Me [W] qui confirme l’analyse de l’expert comptable, outre une consultation auprès du CRIDON.

Concernant la loi applicable à l’admissibilité des modes de preuve, M. [R] [K] soutient, conformément à l’avis du CRIDON, que la loi suisse détermine la composition des masses propres et acquêts; que la preuve peut être rapportée par tout moyen; que conformément à la jurisprudence de la cour de cassation, l’objet de la preuve doit être déterminé par la loi applicable au fond soit la loi suisse; que l’ensemble des éléments qu’il produit établissent le caractère propre des actions en cause, en particulier le rapport complémentaire de M. [E] qui retrace l’ensemble des opérations financières intervenues et celui de Me [W] pour conclure qu’il démontre que les 257005 actions détenues dans SBS NV sont des remploi de biens propres.

Concernant la nature des biens immobiliers, M. [R] [K] sollicite que ses créances à l’égard de Mme [H] [B] soient établies dans leur principe au regard du financement par ses soins des divers biens immobiliers.

Concernant l’indemnité d’occupation pour la maison de [Localité 11], M. [R] [K] affirme que le droit suisse doit être appliqué; qu’il n’occupait pas le bien en cause à la date de l’ordonnance de non conciliation soit le 25 septembre 2008, les deux époux résidant alors séparément mais tous deux à [Localité 4]; qu’aucun des époux n’a sollicité l’attribution de la jouissance du domicile conjugal. Il soutient encore que Mme [H] [B] a toujours eu accès à cette maison, qu’elle ne démontre pas qu’en droit suisse il serait redevable d’une indemnité alors même qu’il a supporté l’intégralité des charges.

Concernant les investissements de propres effectués par M. [R] [K] dans les sociétés Lya et selon lui dilapidés par Mme [H] [B], il indique avoir investi 200000CHF, provenant de son compte bancaire personnel outre 90000 CHF; qu’il a été établi que Mme [H] [B] s’est montrée coupable de graves dysfonctionnements et malversations ayant abouti à la ruine de la société espagnole; qu’il a perdu en tout 520000CHF, selon lui du fait de l’aveuglement de Mme [H] [B] et de ses erreurs de gestion. Il sollicite donc qu’une créance soit fixée à ce titre et au titre des frais de l’audit.

Concernant le mobilier, M. [R] [K] revendique une créance au regard du fait que selon lui Mme [H] [B] serait partie avec l’ensemble des meubles évalués à 150000 euros.

Concernant les comptes d’administration, M. [R] [K] indique que Mme [H] [B] n’a jamais rendu compte de sa gestion des deux biens situés à [Localité 6] avant l’ordonnance d’incident; que les documents qu’elle a alors fournis ne permettent pas d’avoir une vision exacte de la situation, minorant le montant des loyers effectivement perçus. Il estime que la situation est toujours très opaque, sollicitant la confirmation du premier jugement qui a retenu que les éventuels frais d’expertise seraient à la charge exclusive de Mme [H] [B]. Il réclame encore des dommages et intérêts concernant la perte de loyer consécutive au non renouvellement de l’un des baux. Il relève encore que Mme [H] [B] est redevable des frais qu’il supporte pour la maison de [Localité 11], les impôts relatifs à l’appartement de [Localité 15] etc. Il réclame encore des dommages et intérêts pour résistance abusive.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 9 décembre 2022, Mme [H] [B] demande à la cour de :

‘ confirmer le jugement du 10 mai 2021 du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains dans toutes ses dispositions,

‘ débouter M. [R] [K] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

‘ condamner M. [R] [K] à payer à Mme [H] [B] la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de l’instance.

À l’appui de ses demandes, Mme [H] [B] expose que la situation professionnelle de M. [R] [K] a amené la famille à vivre successivement en Hongrie, en Espagne puis en Suisse; que du fait de ces déménagements et de la naissance des enfants elle a dû cesser son activité professionnelle jusqu’en 2001; que les époux participaient aux charges du mariage en fonctions de leurs revenus. Elle reconnaît que si elle n’a pas établi de comptes de gestion pour les appartements de [Localité 6], il en a été de même pour M. [R] [K] concernant les biens de [Localité 11] et de [Localité 15].

Concernant la nature des actions SCALA, Mme [H] [B] affirme que M. [R] [K] a versé une soulte de 15000 USD qui étaient des acquêts conformément au droit suisse applicable au régime matrimonial des parties. Elle relève que les biens propres sont listés de manière exhaustive par l’article 198 du code civil suisse; que s’il demeure un doute, le bien est présumé être un acquêt. Concernant les actions, Mme [H] [B] affirme que les rapports de M. [E] et de Me [A] sont sans force probante compte tenu du caractère parcellaire des pièces qui leur ont été transmises. Elle soutient que si la société ICC avait apporté des actifs à la société SCALA, seule cette dernière détenait des actions et non pas M. [R] [K]; elle conteste encore le témoignage de M. [U], tant sur la forme que sur le fond, relevant outre le caractère peu probant des pièces produites, le fait que ce dernier agissait en qualité de contrôleur financier et non de mandataire social de SCALA; qu’il n’est pas neutre puisqu’ayant reçu 1800 options sur les actions de SCALA par M. [R] [K] qu’il n’est nullement fait état dans les différents contrats versés de l’intervention de la société ICC et d’un apport d’actifs de cette dernière. Elle soutient que les rapports de l’expert comptable et du notaire ne sont basés sur aucun élément tangible, reprenant à son compte la motivation du premier juge. Elle affirme qu’en réalité, M. [R] [K] a dû payer 15000 USD à partir d’un compte bancaire commun pour acquérir les 4087 actions de la société SCALA, sans aucune compensation démontrée avec un apport d’actifs de la société ICC. Elle relève ainsi que le rapport de Me [A] est fondé sur le rapport de M. [E], lui même sujet à caution comme ne reposant sur aucun élément probant; que l’argument tiré de l’échange entre le droit au bail de l’appartement de [Localité 9] avec le fonds de commerce d’ICC n’est apparu qu’en cause d’appel; qu’il ne s’agit que d’une théorie fantaisiste. Elle fait valoir que le pacte d’actionnaire produit par M. [R] [K] mentionne bien une vente des actions de SCALA au bénéfice de M. [R] [K] et non un échange à la suite de la cession des actifs d’ICC; qu’il n’y a ainsi pas de prix global. Elle conteste tous les nouveaux éléments produits en cause d’appel en estimant qu’ils échouent à démontrer la réalité de la cession d’actif par le biais d’une augmentation du capital en l’absence de toute assemblée générale de la société SCALA. Elle relève encore que la société ICC a continué à fonctionner durant 5 ans après la soit disant cession d’actifs à SCALA. Elle verse elle même un avis du 12 septembre 2019 rédigé par un notaire, Me [M], lequel confirme ses dires et recommande la plus grande prudence à l’égard de ces rapports. Elle précise d’ailleurs que cet avis a bien été débattu contradictoirement devant le premier juge puisque joint à ses conclusions de novembre 2019. En conclusions, Mme [H] [B] estime que les 15000USD sont des acquêts et que dès lors les actions de SCALA acquises à l’aide de ces fonds sont elles-mêmes des acquêts.

Concernant les options concédées à M. [R] [K] dans le cadre de son emploi dans la société SCALA, Mme [H] [B] indique qu’elles étaient liées à sa fonction de directeur et non à un éventuel apport des actifs de ICC; qu’il s’agit dès lors de revenus du travail et doivent être considérées comme des acquêts.

Concernant les biens immobiliers, Mme [H] [B] indique qu’ils ont tous été acquis durant le mariage et doivent dès lors être considérés comme des acquêts et divisés par moitié entre les époux; elle sollicite la désignation de Me [J] pour procéder aux opérations de compte.

Concernant les autres investissements, Mme [H] [B] note que l’expert comptable a relevé que l’ensemble des investissements réalisés par M. [R] [K] durant le mariage se sont soldés par des pertes à l’exception des parts dans Fabasoft pour lesquelles M. [R] [K] a récupéré au moins 72000 euros dont elle réclame la moitié.

Concernant les investissements dans LYA, Mme [H] [B] indique que M. [R] [K] est le seul associé de la société LYA suisse dans laquelle il a investi 200000 CHF; que cette société a investi 60000 CHF dans la société espagnole. Elle conteste les malversations qui lui sont reprochées entre le 1er juillet 2007 et le 30 mars 2009 alors que les sociétés en cause ont été constituées en juillet 2011. Elle conteste les décomptes des investissements réalisés par M. [R] [K] en relevant que l’expert comptable ne se base sur aucun élément probant en dehors des propres dires de M. [R] [K]. Elle soutient en conséquence que les 520000 euros investis en 2011 par M. [R] [K] dans sa propre holding suisse proviennent du patrimoine commun; qu’il y a lieu de fixer une récompense à son profit.

Concernant les meubles, Mme [H] [B] sollicite qu’il lui soit donné acte que les époux les ont partagés.

Concernant les liquidités, Mme [H] [B] rappelle que le premier notaire saisi dans le cadre de l’expertise a relevé l’existence de 11 comptes bancaires; que le notaire chargé des opérations de liquidation devra récupérer leur solde pour les 6 mois antérieurs à août 2008.

Concernant les comptes d’administration, Mme [H] [B] fait état de ses comptes relatifs à la gestion des appartements de [Localité 6] et sollicite que chacun des époux fasse rapport de ses comptes au notaire saisi.

Concernant l’indemnité d’occupation, Mme [H] [B] sollicite qu’il en soit fixé une à la charge de M. [R] [K] et ce à compter de septembre 2008 et jusqu’à la date du partage, contestant les affirmations de M. [R] [K] selon lesquelles il n’aurait pas occupé le bien alors même qu’elle a dû se reloger. Elle remarque qu’il s’y domicilie encore.

La clôture est intervenue par ordonnance en date du 2 janvier 2023.

SUR QUOI, LA COUR :

Pour un plus ample exposé des faits, des moyens et des prétentions des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées et régulièrement communiquées.

L’appel principal ayant été formé selon les formes et dans les délais prévus par la loi, il sera déclaré recevable.

A titre liminaire, il est rappelé que la Cour n’a pas à statuer sur les demandes des parties tendant à la confirmation de dispositions du jugement qui n’ont fait l’objet d’un appel par aucune d’entre eux, et notamment celles relatives à la détermination du régime matrimonial suisse de la participation aux acquêts, la désignation du notaire et la mise à la charge de Mme [H] [B] des éventuels frais d’expertise relatifs à la gestion des biens de [Localité 6].

M. [R] [K], qui dans le corps de ses écritures forme une demande à l’encontre de Mme [H] [B] au titre des meubles meublant la maison de [Localité 11], n’a pas formalisé celle-ci dans le dispositif de ses conclusions si bien qu’il ne sera pas statué à ce titre. Il en va de même pour les demandes relatives à Fabasoft et qui n’ont pas été reprises dans le dispostif des conclusions de Mme [H] [B].

Il y a lieu également de constater que les consultations notariales suisses et françaises, versées aux débats par M. [R] [K], ne sont exactes quant aux propositions de liquidation des biens immobiliers que si l’on retient comme juste l’hypothèse selon laquelle d’une part les actions de SCALA ECE (et toutes celles découlant des opérations ultérieures) ont bien été acquises à l’aide de fonds propres ou par subrogation de biens propres de M. [R] [K], provenant du transfert des actifs de sa société initiale, ICC mais aussi d’autre part que les acquisitions immobilières ont bien été financées en tout cas pour le deuxième appartement de [Localité 6], la maison de [Localité 11] et les travaux dans l’appartement de [Localité 15], exclusivement à l’aide de fonds provenant de la cession des parts sociales détenues par M. [R] [K].

Mme [H] [B] conteste l’analyse de M. [R] [K] et il convient dès lors de trancher ces deux points.

Sur la nature des actions des sociétés SCALA ECE LIMITED et SCALA BUSINESS SOLUTION NV

Il résulte des articles 196 et suivants du code civil suisse que le régime de la participation aux acquêts comprend les acquêts et les biens propres de chaque époux: que sont acquêts les biens acquis par un époux à titre onéreux pendant le régime ; que les acquêts d’un époux comprennent notamment:

1. le produit de son travail;

2. les sommes versées par des institutions de prévoyance en

faveur du personnel ou par des institutions d’assurance ou de

prévoyance sociale;

3. les dommages-intérêts dus à raison d’une incapacité de travail;

4. les revenus de ses biens propres;

5. les biens acquis en remploi de ses acquêts.

L’article 198 du même code précise que sont biens propres de par la loi:

1. les effets d’un époux exclusivement affectés à son usage personnel;

2. les biens qui lui appartiennent au début du régime ou qui lui

échoient ensuite par succession ou à quelque autre titre gratuit;

3. les créances en réparation d’un tort moral;

4. les biens acquis en remploi des biens propres.

L’article 199 indique encore que par contrat de mariage, les époux peuvent convenir que des biens d’acquêts affectés à l’exercice d’une profession ou à l’exploitation d’une entreprise font partie des biens propres et que les époux peuvent en outre convenir par contrat de mariage que des revenus de biens propres ne formeront pas des acquêts.

Il découle des dispositions de l’article 200 du même code que quiconque allègue qu’un bien appartient à l’un ou à l’autre des époux est tenu d’en établir la preuve; qu’à défaut de cette preuve, le bien est présumé appartenir en copropriété aux deux époux et que tout bien d’un époux est présumé acquêt, sauf preuve du contraire.

En l’espèce, il est constant que M. [R] [K] détenait depuis le 12 juin 1980, soit antérieurement au mariage intervenu le 8 août 1992, 50 actions de la société de droit suisse dénommée ICC ; qu’il en était le seul actionnaire; qu’il produit à cet effet les certificats d’actions ; que ces parts sociales étaient donc des biens propres de M. [R] [K].

Il est tout aussi constant qu’à la suite d’un rapprochement entre M. [R] [K] et les actionnaires de la société de droit chypriote SCALA ECE LIMITED, des pourparlers quant aux modalités d’entrée de M. [R] [K] au capital de SCALA ECE ont été engagés.

Ainsi M. [S] [U], ancien directeur financier de SCALA ECE, atteste dans un courrier en date du 28 juin 2011 qu’il avait été prévu que la société ICC fusionne avec SCALA ECE mais qu’en raison d’un litige existant entre ICC et l’un de ses fournisseurs, une renégociation avait eu lieu avec M. [R] [K]. Il évoque alors un compromis consistant dans le ‘transfert’ de 5% des actions de SCALA ECE à M. [R] [K] dès réception des ‘actifs’ d’ICC outre 5% sous forme d’option d’achat de titres, par le biais de deux contrats distincts. Il était aussi prévu que M. [R] [K] devienne administrateur de SCALA ECE contre rémunération.

Ce témoignage contesté par Mme [H] [B] du fait de prétendus liens d’affaires ultérieurs entre ce dernier et M. [R] [K] est cependant corroboré par le compte-rendu du conseil d’administration de SCALA ECE en date du 19 août 1994, lequel fait apparaître les pourparlers engagés et l’accord intervenu reprenant les dires de M. [U], avec la précision que M. [R] [K] percevrait en outre en qualité de directeur général de SCALA ECE un salaire de 8000USD.

Il est néanmoins difficile de comprendre le montage réel de la transaction intervenue. Le compte rendu du 19 août 1994 indique ainsi : ‘les actifs transférés sembleront alors être en échange de la contrepartie de 15000USD pour les actions de 5 % car les valeurs sont presque les mêmes’, alors qu’il apparaît qu’en réalité la société SCALA ECE était alors valorisée à 4 000 000 USD. La confusion autour de l’opération en cours est d’ailleurs relevée par l’avocat britannique de M. [R] [K] lui même, dans une correspondance datée du 13 octobre 1994, dans laquelle il ne fait d’ailleurs aucunement allusion à la cession des actifs d’ICC.

Le procès-verbal du conseil d’administration d’ICC en date du 22 août 1994 montre de fait un processus de mise en sommeil de la société. Il était encore noté que M. [I] [K] disait avoir engagé pour le compte de la société de son fils et à titre de prêt 83 304,19CHF (sans pour autant que la réalité de cette avance de fonds ne soit établie par ailleurs). Il proposait d’échanger sa créance contre les actifs restants, soit le goodwill, la liste des prospects et les clients (fonds de commerce et goodwill) outre 25% des sommes provenant éventuellement du procès engagé à l’encontre du fournisseur. Cette offre était acceptée par M. [R] [K] et l’accord entre ICC et M. [I] [K] était ainsi conclu le 24 août 1994 par un acte sous seing privé, vidant ainsi de sa substance ICC (malgré le litige en cours) tout en laissant M. [R] [K] seul détenteur des parts sociales.

Le même jour, M. [I] [K] et son fils, M. [R] [K], concluaient un autre accord relatif à un échange des actifs d’ICC, désormais détenus par M. [I] [K] contre le droit au bail d’un appartement à [Localité 9] détenu par M. [R] [K] (dont il n’est pas contesté qu’il était antérieur au mariage); les actifs d’ICC étaient valorisés à peu de chose près au montant dudit droit au bail (mais sans que la valeur de ce droit ne soit évaluée ou justifiée).

Ces différents actes sous seing privé intervenus entre M. [I] [K] et son fils, M. [R] [K], qui n’avaient cependant et curieusement pas été produits en première instance, ont ainsi abouti au transfert apparent à M. [R] [K] des actifs d’ICC, à son nom personnel. La société ICC n’a pour autant pas été liquidée immédiatement, M. [I] [K] prenant, selon son propre engagement, en charge les suites de l’affaire judiciaire sans cependant que l’on ne puisse déterminer dans quel cadre juridique il intervenait véritablement.

Concernant la transaction intervenue par la suite entre M. [R] [K] et SCALA ECE, il est versé aux débats un courrier de M. [S] [U] daté du 12 septembre 1994 indiquant: ‘je vous confirme l’échange des 15000 USD en actifs et sur la base de clients que vous avez apportés en provenance d’ICC pour l’achat de vos 4087 actions en SCALA ECE.’

Il est aussi produit un pacte d’actionnaires daté du 9 décembre 1994 par lequel 3 actionnaires désignés comme les vendeurs possédant la totalité du capital social de SCALA ECE indiquent avoir décidé de vendre à M. [R] [K] 4287 actions pour un montant de 15000USD. Un décompte des sommes revenant à chacun des vendeurs était mentionné, en fonction du nombre de parts sociales cédées par chacun. Il était encore précisé que ces actions correspondaient à 5% du capital social.

Un second contrat daté du même jour détaillait les conditions de l’option d’achat de titre accordée à M. [R] [K] sur 5% du capital social de SCALA ECE.

Il est constant qu’il n’est pas mentionné dans ces contrats, et en particulier celui relatif à la vente initiale de 4287 actions, l’existence d’une transaction incluant le transfert des actifs d’ICC.

Il s’agit là de la principale difficulté juridique à trancher, Mme [H] [B] affirmant que les actions de SCALA ECE ont été acquises par M. [R] [K] contre le versement de la somme de 15000 USD qui, sauf preuve contraire, sont des acquêts tandis que M. [R] [K] soutient que la somme de 15000 USD ne correspond qu’à la valorisation des actions acquises, qu’il n’a pas payé cette somme qui a en réalité été honorée par l’apport par ses soins des actifs d’ICC.

L’interprétation proposée par M. [R] [K] est celle retenue par M. [E], expert comptable, Me [A], notaire suisse et confirmée par M. [P] [C] dans son attestation (ancien actionnaire de SCALA ECE) et correspond à l’objectif initial de l’opération menée qui consistait manifestement en la récupération par SCALA ECE des actifs d’ICC et des compétences de M. [R] [K], qui a été nommé directeur au sein de SCALA.

Cependant, si le contexte général tend à accréditer la thèse proposée par M. [R] [K], il faut néanmoins relever qu’aucune évaluation d’ICC n’a été réalisée en 1994, que M. [R] [K] produit un courrier de KMPG daté de 2009 qui tente rétrospectivement de valoriser la société à la date de sa supposée cession en retenant une somme comprise entre 1,5 et 3,4 millions de francs suisses; que SCALA ECE était à la même époque évaluée à près de 4 000 000 USD; que ces valorisations apparaissent sans commune mesure avec la somme fixée dans le contrat de cession des 4287 actions à hauteur de 15 000 USD.

Dans ces conditions, étant rappelé qu’il appartient à M. [R] [K] de démontrer la nature propre des actions acquises au sein de la société SCALA ECE pour combattre utilement la présomption d’acquêt posée par le droit suisse, il convient de constater que les contrats ayant scellé l’acquisition initiale des actions et l’option d’achat ne font aucunement mention d’une transaction portant sur le transfert des actifs de la société ICC; que le montage juridique choisi, certainement pour des motifs à la fois fiscaux (M. [P] [C] indiquant dans son courrier que pour échapper à une imposition de la plus value lors de la cession des actions à M. [R] [K] il a été trouvé une solution ‘élégante’) mais également en raison du procès en cours concernant ICC, ne permet pas de corroborer les allégations de M. [R] [K]; qu’en réalité les actifs d’ICC ont été transférés de manière occulte à SCALA ECE par M. [R] [K] qui a notamment transféré sa clientèle et certains actifs physiques tels deux serveurs informatiques lors de son arrivée en qualité de directeur au sein de la société; qu’il demeure dès lors un doute sérieux quant aux modalités du financement de la prise de participation de M. [R] [K] au sein de SCALA ECE étant observé encore qu’il ne démontre pas d’ailleurs l’absence de versement de la somme de 15000 USD aux actionnaires cédants.

Il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement attaqué qui a retenu que les actions acquises par M. [R] [K] en 1994 au sein de la société SCALA ECE sont des acquêts.

Les développements et motifs du premier jugement relatifs aux opérations ultérieures d’introduction à la bourse de [Localité 16] puis d'[Localité 3] de la société SCALA ECE LIMITED puis de la société SCALA BUSINESS SOLUTION NV, assorties d’augmentations de capital avec distribution d’actions gratuites au profit des actionnaires et réalisation des options d’achat peuvent être purement et simplement adoptés pour considérer, en reprenant d’ailleurs a contrario les développements de M. [E], que l’ensemble des actions acquises par la suite par M. [R] [K] ne pouvaient être considérées que comme des acquêts du fait de la nature même des actions initiales acquises en 1994, des modalités de conversion des options (financée par la vente d’un petit nombre d’actions) et de l’augmentation du capital par incorporation de réserves (qui selon l’expert comptable est un droit attaché aux actions initiales).

Il découle de l’ensemble de ces développements que l’ensemble des actions détenues par M. [R] [K] au sein des diverses sociétés SCALA doivent être considérées comme des acquêts, comme dès lors le produit de leur vente et les biens acquis en remploi de ces capitaux.

Les dispositions du jugement attaqué qui ont constaté que l’ensemble des biens immobiliers du couple (les deux appartements de [Localité 6], la maison de [Localité 11] et l’appartement de [Localité 15]) appartiennent en copropriété aux deux époux du fait de leur mode d’acquisition à part égale ne pourront qu’être confirmées, n’étant d’ailleurs pas contestées par M. [R] [K].

Sur le financement des biens immobiliers

M. [R] [K] détaille les modalités de financement du premier appartement acquis à [Localité 6] situé [Adresse 13]. Les parties devront fournir au notaire désigné les justificatifs des financements opérés à l’aide de fonds propres aux fins de calcul d’une éventuelle créance.

Concernant les trois autres biens immobiliers, M. [R] [K] affirme sans en justifier avoir financé le deuxième appartement de [Localité 6] situé [Adresse 12] ainsi que l’ensemble de l’opération relative à la maison de [Localité 11] (acquisition du terrain et construction), et les travaux de l’appartement de [Localité 15] à l’aide de fonds propres provenant de la cession de ses actions dans les sociétés SCALA. La nature d’acquêts de ces actions a été tranchée dans les développements précédents et les fonds provenant de leur vente doivent être considérés également comme des acquêts.

De manière surabondante, il faut aussi noter que l’origine exacte des fonds ayant servi au financement de ces opérations n’est pas démontrée (aucun versement de relevés de comptes justifiant d’éventuels virements et autres paiements). L’ensemble des financemens demeure très opaque. Il ne peut être déduit, comme le fait Me [A], du seul fait que Mme [H] [B] ne travaillait pas à l’époque et que l’on ne retrouve pas la trace du produit des cessions d’actions sur les comptes bancaires du couple au moment de la requête en divorce, que ces fonds aient nécessairement et exclusivement été utilisés pour financer les acquisitions immobilières alors même que M. [R] [K] disposait aussi d’un revenu confortable, qu’aucun avis d’imposition n’est produit aux débats, qu’il est impossible de déterminer les revenus retirés de l’éventuelle distribution de dividendes et que le couple disposait de multiples comptes bancaires dans divers pays et dont il n’est absolument pas justifié (M. [R] [K] disposant au moins d’un compte au Crédit Suisse et d’un autre auprès de la Bank of Scotland, selon lui dédiés à ses opérations boursières).

En conséquence, il y a lieu de considérer que M. [R] [K] ne justifie pas du financement des acquisitions de l’appartement de la [Adresse 12] à [Localité 6], de la maison de [Localité 11] et des travaux de l’appartement de [Localité 15] à l’aide de fonds propres. Ses demandes de créances formées à ce titre seront donc rejetées.

Sur l’indemnité d’occupation

Il est constant que l’ordonnance de non conciliation n’a pas statué sur l’attribution de la jouissance de la maison de [Localité 11] qui constituait le domicile conjugal au moment du dépôt de la requête en divorce, justifiant ainsi la compétence du juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains, même si au moment de l’ordonnance de non conciliation les deux époux se domiciliaient à [Localité 4] dans des logements séparés. Il n’y a dès lors pas lieu d’appliquer les dispositions de la loi française découlant de la procédure de divorce et en particulier des dispositions de l’article 255 du code civil.

Le régime matrimonial des parties étant le régime légal suisse, il y a lieu de se reporter au code civil suisse pour déterminer si des dispositions spécifiques, à l’instar de l’article 815-9 du code civil français, réglementent la jouissance privative du bien en copropriété par l’un des époux. Il apparaît qu’aucune disposition ne prévoit le versement d’une indemnité d’occupation dans ce cadre. Le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point.

Sur le compte d’administration et les dommages et intérêts pour faute de gestion

Il y a lieu de relever que l’ordonnance de non conciliation a désigné M. [R] [K] pour assumer l’ensemble des charges relatives aux deux appartements de [Localité 6] et de l’appartement de [Localité 15], tandis que les charges relatives à la maison de [Localité 11] étaient partagés par moitié.

Par une ordonnance en date du 7 janvier 2014, non produite aux débats mais dont le dispositif est repris dans les écritures de Mme [H] [B] sans contestation de M. [R] [K], il a été notamment constaté que la gestion des immeubles situés en Hongrie est assurée par Mme [H] [B] à charge de comptes envers son mari et que la gestion de l’immeuble situé en Suisse est assurée par M. [R] [K] à charge de comptes envers son épouse, étant précisé que la gestion des biens implique le paiement des charges relatives aux biens concernés et a condamné Mme [H] [B] à rendre compte de sa gestion des appartements de [Localité 6] depuis mars 2012.

En l’état et au vu de l’ancienneté de la procédure de divorce et des éléments très parcellaires produits aux débats, il y a lieu de constater que des comptes doivent être faits de part et d’autre, chacun des époux devant justifier des revenus perçus de la location des biens immobiliers en cause mais aussi des charges supportées. Il y a lieu de relever que les comptes ne sont pas clos et devront être finalisés au plus près de la date du partage. Dans ces conditions et au vu des éléments parcellaires produits par chacune des parties quant à la gestion desdits biens, il n’est pas possible de déterminer l’existence d’une créance au profit de l’un ou de l’autre, ni même d’établir la réalité d’une éventuelle carence dans les gestion des biens, en particulier du fait de l’absence de mise en location des appartements de [Localité 6].

Les parties sont donc renvoyées devant le notaire aux fins de réalisation de leurs comptes.

Les demandes formées à ce titre par M. [R] [K] apparaissent à tout le moins prématurées et seront donc rejetées.

Concernant les demandes formées par M. [R] [K] au titre de ses investissements dans les entreprises LYA

M. [R] [K] forme des demandes au titre des investissements réalisés au sein de sa société LYA Eurodistribution SA, société de droit suisse et sa filiale située en Espagne, en affirmant que Mme [H] [B] se serait livrée à divers détournements de fonds.

Outre que les actes de constitution de ces diverses sociétés ne sont pas produits et que l’on ne peut ainsi déterminer les droits de chacun au sein de ces entités, même s’il semble acquis que M. [R] [K] était le seul actionnaire de la société suisse et que Mme [H] [B] était gérante de la société espagnole, il y a lieu de constater que les demandes de M. [R] [K] ne relèvent pas de la liquidation de son régime matrimonial mais d’un litige relevant du droit des sociétés.

Sa demande dans le cadre de la présente procédure ne pourra donc qu’être rejetée.

Sur les autres demandes

Il est rappelé que la Cour n’a pas à statuer sur les demandes des parties tendant à la confirmation de dispositions du jugement qui n’ont fait l’objet d’un appel par aucune d’entre eux, et en particulier la désignation de Me [Y], notaire et sa mission (disposition non visée dans la déclaration d’appel). Les parties pourront le cas échéant solliciter son remplacement auprès du juge commis.

De la même manière M. [R] [K] demande à la Cour de constater que Mme [H] [B] a perçu 10000 euros à titre d’avance sur la liquidation du régime matrimonial, ce qui ne constitue pas une demande tendant à trancher un litige, pas plus que les divers ‘rappels’ énumérés dans le dispositif de ses conclusions; il n’y a dès lors pas lieu de statuer à ce titre.

Mme [H] [B] ne forme dans le dispositif de ses conclusions aucune demande relative à l’investissement dans Fabasoft ou la licitation de la maison de [Localité 11], si bien qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de rejet formée par M. [R] [K] qui est sans objet.

Sur les demandes de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée

M. [R] [K] ayant succombé en grande partie dans ses demandes, il ne peut être considéré que Mme [H] [B] oppose une résistance abusive aux opérations de liquidation et de partage.

Les demandes formées à ce titre seront donc rejetées.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il y a lieu de confirmer la décision attaquée s’agissant des frais irrépétibles et des dépens de première instance.

En cause d’appel, il y a lieu de rejeter les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de laisser à chacune des parties la charge de ses dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant après débats publics, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Déclare l’appel recevable en la forme,

Dit n’y avoir lieu à statuer sur les demandes formées par M. [R] [K] aux fins de divers rappels et constats et sur les demandes tendant à la confirmation de dispositions du jugement qui n’ont fait l’objet d’un appel par aucune d’entre eux,

Au fond,

Confirme le jugement du Juge aux affaires familiales du Tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains en date du 10 mai 2021 en toutes ses dispositions dans la limite de l’appel entrepris et à l’exception de celle relative à l’indemnité d’occupation pour le bien de [Localité 11],

Statuant à nouveau,

Dit n’y avoir lieu à fixer une indemnité d’occupation à la charge de M. [R] [K] pour la jouissance de la maison de [Localité 11],

Y ajoutant,

Rejette les demandes formées par M. [R] [K] au titre des créances qu’il revendique à l’encontre de Mme [H] [B] pour le financement de l’acquisition des biens immobiliers de [Localité 6], de [Localité 11] et de [Localité 15] et des travaux, des dommages et intérêts réclamés à Mme [H] [B] au titre du non renouvellement des baux des appartements de [Localité 6], et des dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée,

Dit que chacune des parties devra justifier auprès du notaire désigné des modalités de financement de l’appartement de la [Adresse 13] à [Localité 6] et en particulier du remploi de fonds propres aux fins d’établissement d’éventuelles créances,

Renvoie les parties devant le notaire désigné aux fins d’établissement des comptes d’administration des biens dont ils avaient chacun la gestion,

Rejette les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens d’appel.

Ainsi rendu le 04 avril 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine LEGER, Conseiller faisant fonction de Président et Madame Laurence VIOLET, Greffier.

La Greffière La Présidente

 


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