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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 8
ARRET DU 24 MARS 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/12403 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGCSV
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 22 Février 2021 -Président du TJ de Paris – RG n° 20/58356
APPELANTE
S.E.L.A.S. GRANDE PHARMACIE BAILLY, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentées et assistées par Me Florent LOYSEAU DE GRANDMAISON de la SELEURL LDG AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : E2146
INTIMÉE
Mme [V] [X] veuve [W]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
Assistée par Me Ludovic RIVALAIN substituant Me Jean-Marie JOB avocat au barreau de PARIS, toque : P254
INTERVENANTS VOLONTAIRES
SELARL AJILINK LABIS [M] prise en la personne de Me [L] [M], en qualité d’administrateur
sis [Adresse 4]
[Localité 7]
SELAFA MJA prise en la personne de Me [U] [I], en qualité de mandataire judiciaire
sis [Adresse 2]
[Localité 8]
Représentées et assistées par Me Florent LOYSEAU DE GRANDMAISON de la SELEURL LDG AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : E2146
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 février 2023, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, Rachel LE COTTY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Florence LAGEMI, Président,
Rachel LE COTTY, Conseiller,
Patrick BIROLLEAU, Magistrat honoraire,
Greffier, lors des débats : Marie GOIN
en présence de Marine DAVID, greffier stagiaire
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Florence LAGEMI, Président et par Marie GOIN, Greffier, lors de la mise à disposition.
[B] [W], qui exerçait la profession de pharmacien, est décédé le 26 novembre 2013 en laissant pour lui succéder Mme [X] veuve [W], sa seconde épouse, Mme [H] [W] et M. [D] [W], ses enfants issus d’une première union.
Jusqu’à son décès, [B] [W] était associé de la société Grande Pharmacie Bailly, exploitant un fonds de commerce d’officine de pharmacie avec Mme [R], pharmacienne et aujourd’hui associé unique et présidente de la société.
Parmi les actifs de la succession figuraient 6.781 actions de la société Grande Pharmacie Bailly obtenues à la suite d’une augmentation de capital réalisée le 28 février 2013. [B] [W] était par ailleurs titulaire d’un compte courant d’associé dont le solde créditeur au 31 mars 2020 s’élevait à la somme de 961.983 euros.
Par deux testaments, l’un en date du 18 juillet 2000, déposé auprès de Maître [N], notaire à [Localité 9], le 27 janvier 2014 et, l’autre en date du 30 avril 2004, déposé auprès de Maître [O], notaire à [Localité 11], le 6 janvier 2014, [B] [W] a institué pour légataire universelle son épouse, Mme [X].
L’acte de notoriété successorale a été dressé le 19 février 2014 par Maître [Y], notaire à [Localité 10].
Le 5 décembre 2014, Mme [X] a opté pour le bénéfice de la succession à hauteur d’un quart en pleine propriété et de trois quarts en usufruit.
Les 6.781 actions appartenant aux ayants droit de [B] [W] n’ayant pas été cédées dans les cinq années du décès, l’assemblée générale de la société Grande Pharmacie Bailly a décidé, le 27 février 2019, de réduire le capital social de 1.033.783,30 euros par voie de rachat, en vue de leur annulation, de ces actions.
Le 3 juillet 2020, Mme [X] a déclaré accepter le legs universel des biens dépendant de la succession.
Par acte du 9 novembre 2020, elle a assigné, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, la société Grande Pharmacie Bailly afin d’obtenir, notamment, la somme provisionnelle de 961.983 euros représentant la créance détenue par elle au titre du solde créditeur du compte courant d’associé de [B] [W], demande ultérieurement ramenée à la somme de 397.204,87 euros.
Par ordonnance du 22 février 2021, le juge des référés a :
déclaré l’action en référé de Mme [X] exercée en son nom et pour son propre compte recevable et non prescrite ;
condamné la société Grande Pharmacie Bailly à payer à Mme [X] la somme provisionnelle de 350.000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de signification de la décision ;
condamné la société Grande Pharmacie Bailly à payer à Mme [X] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société Grande Pharmacie Bailly aux dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice de la distraction au profit de Maître Job, avocat.
Par déclaration du 13 juillet 2022, la société Grande Pharmacie Bailly a interjeté appel de cette décision en critiquant l’ensemble de ses chefs de dispositif.
Dans ses conclusions remises et notifiées le 1er février 2023, la société Grande Pharmacie Bailly demande à la cour de :
infirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
par conséquent,
débouter Mme [X] de l’ensemble de ses demandes ;
condamner Mme [X] à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamner Mme [X] aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 26 janvier 2023, Mme [X] demande à la cour de :
confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a déclaré son action recevable ;
confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a condamné la société Grande Pharmacie Bailly à lui verser une somme provisionnelle ;
infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a fixé le montant de la somme provisionnelle lui étant due par la société Grande Pharmacie Bailly à 350.000 euros ;
statuant à nouveau,
condamner la société Grande Pharmacie Bailly à lui verser une provision de 368.000 euros, majorée des intérêts de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir ;
en tout état de cause,
débouter la société Grande Pharmacie Bailly de ses entières demandes ;
faire une nouvelle application en cause d’appel des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et condamner la société Grande Pharmacie Bailly à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Grande Pharmacie Bailly aux entiers dépens avec faculté de recouvrement direct au profit de la Selarl BDL Avocats en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 1er février 2023.
Elle a été révoquée le 16 février 2023 en raison du jugement du tribunal de commerce de Paris du 27 décembre 2022 ayant ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société Grande Pharmacie Bailly, les dernières conclusions de celle-ci ne faisant pas état de l’intervention à la procédure de Selarl Ajilink Labis [M], prise en la personne de Maître [M], désignée en qualité d’administrateur, et de la Selafa MJA, en la personne de Maître [I], désignée en qualité de mandataire judiciaire, lesquelles figuraient en qualité d’intervenantes volontaires dans les conclusions n° 3 remises au greffe.
Par conclusions remises et notifiées le 16 février 2023, la Selarl Ajilink Labis [M], prise en la personne de Maître [M], en qualité d’administrateur, et la Selafa MJA, en la personne de Maître [I], en qualité de mandataire judiciaire, sont intervenues à l’instance et ont demandé à la cour d’accueillir leur intervention volontaire et de constater la reprise de l’instance. Les intervenantes volontaires et la société Grande Pharmacie Bailly ont, pour le surplus, formulé des demandes identiques à celles figurant dans les conclusions du 1er février 2023.
Une nouvelle clôture de l’instruction est intervenue le 17 février 2023 avant l’ouverture des débats.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
A l’audience, les deux parties ont été autorisées à produire, à leur demande, les dires produits après le dépôt du pré-rapport de l’expert dans la procédure d’expertise en cours devant le tribunal judiciaire de Paris. Par notes du 17 février 2023, elles ont toutes deux produit et communiqué ces dires.
SUR CE, LA COUR,
Sur l’intervention volontaire des organes de la procédure
La Selarl Ajilink Labis [M], prise en la personne de Maître [M], en qualité d’administrateur, et la Selafa MJA, en la personne de Maître [I], en qualité de mandataire judiciaire, seront reçues en leur intervention volontaire.
Sur la demande de provision formée par Mme [X]
Selon l’article 835, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l’existence d’une obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
Mme [X] demande la condamnation de la société Grande Pharmacie Bailly à lui payer une provision de 368.000 euros au titre d’une créance de compte courant d’associé détenue par son conjoint décédé, [B] [W], créance devenue une créance de droit commun de la succession à la suite de la perte de la qualité d’associé des ayants droit de [B] [W]. Elle soutient être recevable à agir en son nom personnel en sa qualité de légataire universelle.
La société Grande Pharmacie Bailly soutient que son obligation est sérieusement contestable pour plusieurs motifs.
Sur les contestations de la société Grande Pharmacie Bailly relatives à la qualité de légataire universelle de Mme [X]
L’appelante fait valoir que, bien qu’étrangère à la succession de [B] [W], elle est directement concernée par la qualité revendiquée de légataire universelle de Mme [X] dans les procédures engagées à son encontre et qu’elle a donc qualité pour contester cette qualité et s’opposer à l’exercice des droits de la légataire universelle, en application de l’article 1007 du code civil.
Elle précise qu’elle a assigné Mme [X] en contestation de faux du testament du 18 juillet 2000 et qu’elle a engagé une procédure d’inscription de faux concernant l’acte de notoriété successorale du 19 février 2014. Elle soutient que l’écriture figurant sur le testament olographe du 18 juillet 2020 n’est pas celle de [B] [W] et que l’acte de notoriété successorale du 19 février 2014 établi par Maître [Y], notaire, comporte des erreurs matérielles graves qui altèrent la lettre des testaments, allant jusqu’à effacer les fautes commises et omettant certaines mentions.
Elle indique que le juge de la mise en état a, par ordonnance du 8 septembre 2022, désigné un expert graphologue chargé d’examiner le testament du 18 juillet 2020.
Elle ajoute que l’action de Mme [X] en délivrance de legs n’a pas été exercée dans le délai quinquennal qui lui était imparti puisqu’elle a attendu plus de six ans avant de solliciter la qualité de légataire universelle au mois de juillet 2020 ; la prescription de l’action en délivrance de legs ferait obstacle à toute possibilité de sa part de solliciter, au nom de la succession, le règlement des sommes dues au titre du compte courant d’associés.
Elle soutient que la contestation relative à la qualité de légataire universelle de Mme [X] est une contestation sérieuse qui doit être tranchée par le juge du fond.
Mme [X] réplique que la société Grande Pharmacie Bailly n’est pas recevable à remettre en cause la validité de documents d’une succession à laquelle elle n’est pas partie, faute d’intérêt à agir. Elle estime que les droits de l’appelante ne sont pas affectés par les dispositions de dernières volontés de [B] [W] dès lors qu’elle demeure débitrice de la succession et redevable des mêmes sommes.
Elle ajoute qu’en application de l’article 1007 du code civil invoqué par la société Grande Pharmacie Bailly, celle-ci disposait d’un délai expirant à la fin du mois de mars 2014 – soit un mois après l’envoi par le notaire d’une expédition du procès-verbal de dépôt et d’une copie du testament au greffe du tribunal judiciaire du lieu d’ouverture de la succession – pour contester sa qualité de légataire universelle, ce qu’elle n’a pas fait, n’ayant agi qu’en 2021.
Elle expose également que les enfants du défunt ne contestent pas la validité des testaments et de l’acte de notoriété successorale et ne remettent pas en cause sa qualité de légataire universelle mais demandent une indemnité de réduction, à laquelle ils ont droit en leur qualité d’héritiers réservataires.
Elle estime encore que les procédures d’inscription de faux engagées par la société Grande Pharmacie Bailly ne constituent pas, en elles-mêmes, une contestation sérieuse de sa qualité de légataire universelle et que l’absence de sérieux est confirmée par le pré-rapport de l’expert en écritures, qui conclut que le testament a bien été rédigé et signé par [B] [W].
L’article 1004 du code civil prévoit que « lorsqu’au décès du testateur il y a des héritiers auxquels une quotité de ses biens est réservée par la loi, ces héritiers sont saisis de plein droit, par sa mort, de tous les biens de la succession ; et le légataire universel est tenu de leur demander la délivrance des biens compris dans le testament ».
L’article 724 du code civil dispose que « les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt ; les légataires et donataires universels sont saisis dans les conditions prévues au titre II du présent livre ».
Le conjoint survivant étant, au même titre que les autres héritiers, investi de la saisine sur l’universalité de l’hérédité, il se trouve dispensé de demander la délivrance des legs qui lui ont été faits, quelle que soit l’étendue de la vocation conférée par ces legs.
Mme [X], conjoint survivant, était par conséquent dispensée de demander la délivrance de son legs, de sorte que la fin de non-recevoir tirée d’une prescription de l’action en délivrance, soulevée par l’appelante, ne peut lui être opposée.
Elle avait en outre, en sa qualité de conjoint survivant, légataire universelle de son conjoint décédé, qualité pour agir en paiement de la créance litigieuse (1re Civ., 20 mars 1984, pourvoi n° 83-11.143, Bull. 1984, I, n° 108).
Aux termes de l’article 1006 du code civil, « lorsqu’au décès du testateur il n’y aura pas d’héritiers auxquels une quotité de ses biens soit réservée par la loi, le légataire universel sera saisi de plein droit par la mort du testateur, sans être tenu de demander la délivrance ».
Aux termes de l’article 1007 du code civil :
« Tout testament olographe ou mystique sera, avant d’être mis à exécution, déposé entre les mains d’un notaire. Le testament sera ouvert s’il est cacheté. Le notaire dressera sur-le-champ procès-verbal de l’ouverture et de l’état du testament, en précisant les circonstances du dépôt. Dans le cas prévu à l’article 1006, le notaire vérifiera les conditions de la saisine du légataire au regard du caractère universel de sa vocation et de l’absence d’héritiers réservataires. Il portera mention de ces vérifications sur le procès-verbal. Le testament ainsi que le procès-verbal seront conservés au rang des minutes du dépositaire.
Dans le mois qui suivra la date du procès-verbal, le notaire adressera une expédition de celui-ci et une copie figurée du testament au greffier du tribunal judiciaire du lieu d’ouverture de la succession, qui lui accusera réception de ces documents et les conservera au rang de ses minutes.
Dans le mois suivant cette réception, tout intéressé pourra s’opposer à l’exercice de ses droits par le légataire universel saisi de plein droit en vertu du même article 1006. En cas d’opposition, ce légataire se fera envoyer en possession. Les modalités d’application du présent alinéa sont déterminées par décret en Conseil d’Etat ».
L’article 1006 du code civil n’étant pas applicable au cas présent dès lors qu’il existe des héritiers réservataires (les enfants du défunt), les dispositions de l’article 1007, dernier alinéa, visées par l’appelante, qui font référence à ce texte, ne sont elles-mêmes pas applicables.
Surabondamment, à supposer que ce texte soit applicable, il résulte des pièces produites que les notaires auprès desquels [B] [W] avait déposé ses testaments des 18 juillet 2000 et 30 avril 2004, Maître [N] et Maître [O], ont dressé les procès-verbaux de dépôt les 6 et 27 janvier 2014.
Ces procès-verbaux de dépôt précisent qu’« une copie authentique du présent procès-verbal et une copie figurée du testament y annexé seront adressées au greffier du tribunal de grande instance de Paris avant l’expiration du délai d’un mois à compter de ce jour ».
En conséquence, la société Grande Pharmacie Bailly, qui se fonde sur les dispositions de l’article 1007 du code civil, disposait, en application du dernier alinéa de ce texte, d’un délai d’un mois pour s’opposer à l’exercice de ses droits par la légataire universelle, soit d’un délai expirant fin mars 2014.
Sa contestation de la qualité de légataire universelle de Mme [X] est en conséquence tardive.
Enfin, la cour relève qu’à ce jour, le testament olographe du 18 juillet 2020 n’a pas été jugé faux et que l’expert judiciaire en écritures désigné par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a conclu, aux termes de son pré-rapport du 24 janvier 2023 versé aux débats, que l’écrit et la signature figurant sur ce testament correspondaient à ceux de [B] [W].
De même, l’acte de notoriété successorale du 19 février 2014 établi par Maître [Y], s’il comporte quelques erreurs matérielles ou coquilles, ne comporte aucune discordance entre les mentions retranscrites et la réalité des dernières volontés du défunt.
Les contestations soulevées relativement à la qualité à agir de Mme [X] ne sont donc pas sérieuses.
Sur la contestation relative à l’interprétation des statuts de la société Grande Pharmacie Bailly par le juge des référés
L’appelante soutient que le juge des référés a excédé ses pouvoirs en interprétant les stipulations de ses statuts.
L’article 17 des statuts de la société Grande Pharmacie Bailly, relatif aux comptes courants d’associés, stipule que :
« Tout associé peut faire des prêts en compte courant à la société.[…]
Ces sommes ne peuvent être retirées en tout ou en partie qu’après notification à la société par lettre recommandée avec demande d’avis de réception et après un préavis dont la durée ne peut être inférieure pour l’associé exerçant au sein de la société, et le cas échéant par ses ayants droit, à six mois, et pour tout autre associé, à un an.
En cas de cession par un actionnaire de tout ou partie de ses actions dans la société, le cessionnaire procède au remboursement concomitant de tout ou partie proportionnelle du compte courant du cédant dans la société, le tout sauf décision contraire des actionnaires ayant donné leur agrément à la cession ».
L’appelante fait valoir que, par décision de l’associé unique du 20 novembre 2020, Mme [R] s’est, en application de cet article des statuts, opposée au remboursement du compte courant de [B] [W], détenu par ses ayants droit depuis son décès, au motif que le délai de prescription quinquennale était expiré depuis le 9 septembre 2020, en raison d’une première demande de remboursement du compte courant d’associé formée le 8 septembre 2015.
Selon elle, le juge des référés a excédé ses pouvoirs en interprétant les statuts et en décidant d’écarter, sans aucun fondement, cette décision de l’associé unique du 20 novembre 2020.
Mais le juge des référés n’a pas excédé ses pouvoirs en retenant que la demande de remboursement du compte courant d’associé ne s’inscrivait pas dans le cadre d’une cession d’actions, de sorte que les dispositions de l’article 17 des statuts relatives au refus d’agrément des associés n’étaient pas applicables. Il n’a pas interprété la clause claire des statuts qu’il n’a fait qu’appliquer, en l’absence évidente de toute cession d’actions.
En effet, ainsi que le relève l’intimée, c’est une opération de réduction du capital qui est intervenue le 27 février 2019, l’assemblée générale de la société Grande Pharmacie Bailly ayant décidé de réduire le capital social de 1.033.783,30 euros par voie de rachat et d’annulation des 6.781 actions appartenant aux ayants droit de [B] [W], opération qui ne peut être assimilée à une cession.
A cet égard, l’article 5, III, de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire dispose que :
« Lorsque, à l’expiration du délai de cinq ans prévu au 3° du B du I, les ayants droit des associés ou anciens associés n’ont pas cédé les parts ou actions qu’ils détiennent, la société peut, nonobstant leur opposition, décider de réduire son capital du montant de la valeur nominale de leurs parts ou actions et de les racheter à un prix fixé dans les conditions prévues à l’article 1843-4 du code civil ».
L’article 11-2 des statuts de la société Grande Pharmacie Bailly stipule également que : « toutefois, lorsque, à l’expiration du délai de cinq ans à compter du décès de leur auteur, les héritiers et ayants droit n’ont pas cédé les actions qu’ils détiennent, la société peut, nonobstant leur opposition, décider de réduire son capital et de les racheter ».
Ce sont ces dispositions qui ont été mises en oeuvre en février 2019.
En tout état de cause, et comme le soutient l’intimée, l’article 17 des statuts n’est pas applicable en l’espèce dès lors que Mme [X], qui n’est plus associée, ne peut plus détenir de compte courant d’associé au sein de la société Grande Pharmacie Bailly.
En effet, si [B] [W] a fait, de son vivant, un apport en compte courant d’associé, ces sommes ont perdu cette qualification du fait de la réduction de capital intervenue en 2019 ayant conduit à l’annulation des titres relevant de sa succession. Le procès-verbal de décision de la présidente de la société Grande Pharmacie Bailly constate ainsi que, « par le seul fait de leur annulation, les 6.781 actions qui en sont l’objet perdent tous les droits y attachés, notamment le droit aux bénéfices de l’exercice en cours ».
Les sommes correspondant au solde créditeur de l’ancien compte courant d’associé ne constituent donc plus qu’une simple créance de Mme [X] sur la société Grande Pharmacie Bailly, ainsi qu’en atteste le classement comptable de cette créance au poste « autres dettes » du passif de la société dans le bilan de l’exercice 2020 et celui clos au 30 avril 2021.
La contestation de l’appelante relative à l’interprétation de l’article 17 des statuts par le juge des référés n’est donc pas sérieuse.
Sur la contestation tenant à l’existence d’une compensation
L’appelante fait encore valoir que le juge des référés n’a pas le pouvoir d’ordonner la compensation entre les créances réciproques des parties et reproche au premier juge d’avoir alloué une provision tenant compte de la compensation intervenue en cours de procédure.
Mais il résulte de l’exposé des prétentions de l’ordonnance entreprise que, la société Grande Pharmacie Bailly ayant fait valoir une contestation pour une somme de 564.718 euros correspondant à la créance qu’elle détenait sur la succession au titre du capital devant lui être versé pour des actions souscrites en 2013 par [B] [W] dans le cadre d’une augmentation de capital et non intégralement libérées, Mme [X] a, elle-même, ramené sa demande de provision à la somme de 397.204,87 euros.
Le juge des référés n’a donc opéré aucune compensation mais a alloué une provision à hauteur du montant réclamé dans les dernières conclusions de Mme [X] et non sérieusement contestable.
En tout état de cause, l’article 835, alinéa 2, du code de procédure civile ne prive pas la juridiction des référés du pouvoir d’apprécier si l’éventualité d’une compensation entre créances réciproques est de nature à rendre sérieuse ou non la contestation de l’obligation invoquée par la partie qui demande une provision (3e Civ., 22 novembre 1978, pourvoi n°77-14.040, Bull. n° 357).
Le juge des référés n’est donc pas privé de tout pouvoir d’ordonner une compensation.
Sur la contestation relative à la prescription de l’action
La société Grande Pharmacie Bailly soulève une dernière contestation tenant à la prescription quinquennale de l’action de Mme [X], dont elle fixe le point de départ au 8 septembre 2015, date de la demande de remboursement du compte courant formée par l’intéressée. Elle soutient que la prescription constitue toujours une contestation sérieuse qu’il n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés d’apprécier.
Mais il appartient au juge des référés d’apprécier si la fin de non-recevoir tirée de la prescription constitue ou non une contestation sérieuse opposable à la demande en paiement.
Au cas présent, les deux parties fixent le point de départ du délai quinquennal de prescription à la mise en demeure de payer adressée par Mme [X] à la société Grande Pharmacie Bailly le 8 septembre 2015. L’appelante en déduit que l’action, engagée le 9 novembre 2020, est prescrite, ce à quoi l’intimée oppose une reconnaissance de dette interruptive de prescription.
Aux termes de l’article 2240 du code civil, « la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ».
Or, le rapport de gestion sur les opérations de l’exercice clos le 31 mars 2018 présenté par la présidente de la société Grande Pharmacie Bailly à l’assemblée générale du 26 septembre 2018 énonce que « l’indivision successorale de M. [B] [W] détient sur la société une créance en compte courant qui s’élevait, au 31 mars 2019, à 961.983 euros ».
De même, le rapport spécial du commissaire aux comptes de la société Grande Pharmacie Bailly sur les conventions réglementées du 21 septembre 2018 indique que : « votre société a autorisé l’ouverture, dans ses livres comptables, d’un compte courant inscrit au nom de Succession Mr [B] [W]. A la clôture de l’exercice, le 31/03/2018, le compte courant de Mr [B] [W], devenu compte courant Succession [B] [W], présentait un solde créditeur d’un montant de 961.983,46 euros ».
L’assemblée générale des associés de la société Grande Pharmacie Bailly du 26 septembre 2018 a « pris acte que les conventions suivantes visées à l’article L. 227-10 du code de commerce, conclues antérieurement, se sont poursuivies : […] comptes courants : l’indivision successorale de M. [B] [W] détient sur la société une créance en compte courant qui s’élevait, au 31 mars 2019, à 961.983 euros ».
Mme [X] produit également deux lettres de la société Grande Pharmacie Bailly des 29 janvier 2019 et 16 janvier 2020 par lesquelles celle-ci lui a adressé deux chèques de 10.774 et 9.562 euros « en règlement des intérêts de compte courant dus au titre de l’exercice clos » le 31 mars 2018 et le 31 mars 2019. Ces lettres précisent que ces intérêts sont calculés sur le « solde CC de la succession [W] » au 31 mars 2018 et au 31 mars 2019, soit 961.983 euros.
La société Grande Pharmacie Bailly objecte qu’aucune de ces pièces ne comporte la mention de la somme due au titre du compte courant de [B] [W] en toutes lettres et chiffres, seules conditions qui auraient pu justifier de manière évidente l’existence d’une reconnaissance de dette en application de l’article 1376 du code civil.
Mais ce texte, relatif aux actes sous signature privée, n’est pas applicable en l’espèce et la cour relève que le montant du compte courant d’associé figure clairement en chiffres, toujours identiques, dans les documents versés aux débats.
Ces documents et lettres constituent autant de reconnaissances, par la société Grande Pharmacie Bailly, des droits de la succession [W], qui ont interrompu le délai de prescription en application de l’article 2240 du code civil précité, de sorte que l’action introduite le 9 novembre 2020 n’est pas prescrite.
En examinant cette fin de non-recevoir tirée de la prescription et la cause d’interruption qui était soulevée devant lui, le premier juge n’a pas excédé ses pouvoirs, les contestations n’étant pas sérieuses.
Sur l’appel incident de Mme [X]
Mme [X] expose qu’à la suite d’une faute de frappe dans le rapport du commissaire aux comptes de la société Grande Pharmacie Bailly et, à sa suite, dans les écritures des parties, le capital restant à libérer au titre des actions souscrites par [B] [W] était de 546.778,13 euros et non de 564.778,13 euros, de sorte qu’il existe une différence de 18.000 euros qui doit lui être allouée, portant la provision à 368.000 euros au lieu de 350.000 euros.
Mais c’est par une juste appréciation du montant non sérieusement contestable de l’obligation que le premier juge a fixé la provision à 350.000 euros, le bien fondé de la créance n’étant, pour le surplus, pas démontré avec l’évidence requise en référé.
Sur les frais et dépens
La société Grande Pharmacie Bailly, partie perdante, sera tenue aux dépens et condamnée à indemniser Mme [X] des frais qu’elle a de nouveau été contrainte d’exposer, à hauteur de la somme de 5.000 euros, sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Reçoit la Selarl Ajilink Labis [M], prise en la personne de Maître [M], en qualité d’administrateur, et la Selafa MJA, en la personne de Maître [I], en qualité de mandataire judiciaire, en leur intervention volontaire ;
Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise ;
Y ajoutant,
Condamne la société Grande Pharmacie Bailly aux entiers dépens avec faculté de recouvrement direct au profit de la Selarl BDL Avocats en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
La condamne à payer à Mme [X] la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,