Augmentation de capital : décision du 21 octobre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 18/01385
Augmentation de capital : décision du 21 octobre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 18/01385
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Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 8

ARRÊT DU 21 OCTOBRE 2022

(n° / 2022, 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/01385 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B42PK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Novembre 2017 – Tribunal de Grande Instance de Paris – RG n° 14/08950

Jonction prononcée le 11 juillet 2018 avec le RG 18/05073 – Jonction prononcée le 27 décembre 2018 avec le RG 18/05530

APPELANT

Monsieur [D] [T]

Né le [Date naissance 3] 1946,

De nationalité turque,

Demeurant [Adresse 7]

[Adresse 6]

[Localité 5] (TURQUIE)

En qualité d’appelant et d’intimé incident

Représenté et assisté de Me Nathalie HOLLIGER, avocate au barreau de PARIS, toque : B0311,

INTIMÉS

SA ASHMOREAL, société de droit luxembourgeois, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Dont le siège social est situé [Adresse 2]

L-2543 LUXEMBOURG

En qualité d’intimée et d’appelante incidente

Représentée et assistée de Me Sonia LODS, avocate au barreau de PARIS, toque : B0922,

L’établissement public de droit étranger TASARRUF MEVDUATI SIGORTA FONU (T.M.S.F), prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Dont le siège social est situé [Adresse 4]

ISTANBUL

TURQUIE

Représenté et assisté de Me Stéphanie DALET VENOT, avocate au barreau de PARIS, toque : D0673,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 Janvier 2021, en audience publique, devant la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre,

Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Anne-Sophie TEXIER dans le respect des conditions de l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE:

M. [T], de nationalité turque et domicilié en Turquie, a eu une activité professionnelle, d’une part, dans le secteur bancaire, qui l’a conduit à prendre une participation majoritaire dans l’Iktisat Bank, et, d’autre part, dans les médias.

Le 14 décembre 2009, il a acquis 4 194 actions de la société de droit luxembourgeois B&H Services SA, créée le 14 septembre 2009, en souscrivant à une augmentation de capital par émission d’actions nouvelles d’un montant de 1 300 000 euros et ce, au moyen de l’apport d’un ensemble immobilier situé [Adresse 1] dont il était propriétaire depuis 1985.

Le 11 janvier 2010, la société B&H Services SA a changé de dénomination sociale pour devenir la société Ashmoreal SA.

Invoquant une fraude paulienne, l’établissement public turc Tasarruf Mevduati Sigorta Fonu (TMSF), fonds de garantie et de stabilisation du secteur bancaire, a assigné M. [T] le 5 juin 2014 en vue de voir déclarer inopposable à son égard l’apport en société effectué par ce dernier et juger en conséquence qu’il pourra prendre des inscriptions hypothécaires judiciaires sur le bien immobilier situé [Adresse 1] et engager une saisie immobilière une fois muni d’un titre exécutoire.

Par jugement du 9 novembre 2017 assorti de l’exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Paris a :

– déclaré l’apport en société du 14 décembre 2009 inopposable au TMSF,

– condamné in solidum la société Ashmoreal et M. [T] à payer au TMSF la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,

– rejeté les demandes plus amples ou contraires (incluant celles du TMSF relatives à la prise d’hypothèques judiciaires et à l’engagement d’une saisie immobilière).

Pour accueillir l’action paulienne, le tribunal a retenu que le TMSF détenait, à la date de l’acte argué de fraude, une créance certaine en son principe résultant d’un jugement du 14 avril 2003 du tribunal de commerce d’Istanbul, que M. [T] était alors en état d’insolvabilité apparente pour n’avoir pas apuré cette créance, qu’il s’était appauvri en procédant à l’apport litigieux, en ce qu’il avait ainsi substitué à un bien immobilier aisément réalisable des actions plus difficiles à faire réaliser, qu’ayant été informé des saisies ventes et rappels de paiement mis en oeuvre par le TMSF en Turquie, il avait nécessairement conscience du préjudice causé au TMSF par l’apport d’un bien immobilier à une société située au Luxembourg et que la société Ashmoreal était complice de la fraude.

M. [T] a relevé appel du jugement les 8 janvier 2018 (RG 18/1385) et 8 mars 2018 (RG 18/05073) et la société Ashmoreal le 14 mars 2018 (RG 18/05530).

Les instances ont été jointes par deux ordonnances des 8 mars et 27 décembre 2018 pour être poursuivies sous le numéro RG 18/1385.

Dans ses conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 26 février 2020, M. [T] demande à la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de déclarer l’apport en société du 14 décembre 2009 opposable au TMSF, de débouter ce dernier de toutes ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 20 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux dépens d’appel.

Suivant conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 5 septembre 2018, la société Ashmoreal demande à la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de déclarer l’apport en société du 14 décembre 2009 opposable au TMSF, de débouter ce dernier de toutes ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux dépens d’appel dont distraction au profit de Me Sonia Lods.

Par conclusions n° 3 déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 2 mars 2020, le TMSF demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré l’apport inopposable à son égard et condamné in solidum M. [T] et la société Ashmoreal à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens, de rejeter les demandes des appelants et de les condamner in solidum à lui payer la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens, dont distraction au profit de Me Dalet-Venot.

SUR CE,

– Sur la fraude paulienne

L’article 1167, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, prévoit que les créanciers peuvent « en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits », action qui, si elle est accueillie, entraîne l’inopposabilité de ces actes.

Celui qui agit sur le fondement de l’action paulienne doit établir :

– qu’il est titulaire d’une créance certaine en son principe au moment de l’acte argué de fraude (sous réserve de l’hypothèse où une fraude a été organisée en vue de porter préjudice à une créance future) ;

– que l’acte accompli a appauvri le débiteur avec pour effet de créer ou d’aggraver son insolvabilité apparente ;

– que le débiteur et, si l’acte a été effectué à titre onéreux, le tiers avaient conscience du préjudice causé au créancier.

Les parties s’opposent sur la réunion de l’ensemble des conditions permettant d’accueillir l’action paulienne, le TMSF soutenant qu’elles sont réunies tandis que M. [T] et la société Ashmoreal considèrent qu’aucune d’elles ne l’est.

Ces conditions seront examinées successivement ci-après.

– Sur la créance invoquée par le TMSF à l’égard de M. [T]

Pour soutenir qu’elle disposait d’une créance certaine en son principe à l’égard de M. [T] au jour de l’acte argué de fraude, le TMSF invoque :

– un jugement du tribunal de commerce d’Istanbul du 14 avril 2003 (rendu exécutoire dans le comté de New York par un jugement de la cour suprême de l’Etat de New York du 12 juillet 2005), qui a annulé partiellement le recours formé, par M. [T] notamment, contre la poursuite pour dettes conduite par le 14e office d’exécution d’Istanbul sous le numéro 2001/17954 E et décidé la poursuite de la procédure sur la base d’une créance en principal d’un montant de 9 841 192 USD avec intérêts moratoires de 30 % à compter de la date de la poursuite ;

– un ordre de paiement n° 2001/24594 du 19 juin 2001 de l’office d’exécution d’Istanbul validé par un jugement du tribunal de commerce d’Istanbul du 18 février 2008 ;

– un protocole du 9 mai 2006, dont la non-exécution a été constatée par une décision du conseil d’administration du TMSF du 3 avril 2008 et mise en exergue par les motifs d’une décision du Conseil d’Etat turc du 9 avril 2010, sur le fondement duquel il subsisterait une créance de 3 898 197 078 USD au 31 décembre 2015 selon un « rapport d’observations factuelles » du cabinet Deloitte du 25 octobre 2016.

M. [T] et la société Ashmoreal répliquent que les décisions et actes précités ne permettent pas au TMSF de se prévaloir d’un principe certain de créance.

Sera d’abord examinée la créance qui résulterait du protocole du 9 mai 2006.

M. [T] argue que le protocole, en ce qu’il exclut de son champ d’application la dette objet de la procédure d’exécution forcée n° 2001/17954 E, ne peut contenir une reconnaissance de celle-ci. Il prétend également que les décisions du conseil d’administration du TMSF du 3 avril 2008 et du Conseil d’Etat du 9 avril 2010 ne prouvent pas la non-exécution du protocole et souligne qu’en tout état de cause, le juge français « ne peut pas se prononcer précisément sur la validité, l’interprétation et l’exécution d’un protocole d’accord turc ».

La société Ashmoreal fait valoir que le TMSF ne rapporte pas la preuve du défaut de remboursement de la créance.

Saisie de l’appel d’un jugement ayant statué sur l’action paulienne engagée par le TMSF, la présente cour est compétente pour déterminer si cet organisme détient une créance certaine en son principe à l’égard de M. [T] sur le fondement du protocole d’accord du 9 mai 2006.

Le TMSF produit un document intitulé « Protokol » (protocole) rédigé en turc et signé par M. [T] dont la traduction en français indique qu’il a été conclu le 9 mai 2006 entre le TMSF, d’une part, et « les emprunteurs [et] les garants solidaires codébiteurs », d’autre part, et qu’il porte sur « la collecte et la liquidation des créances des personnes physiques ou morales mentionnées ci-dessous ». Suit l’énumération du nom de ces personnes, qui sont regroupées en deux catégories : les « personnes physiques et morales faisant partie du groupe [D] [T] », parmi lesquelles figure M. [T], et les « autres personnes physiques et morales concernées ».

L’article 1 (« Parties ») mentionne que le créancier titulaire des créances objets du protocole est le TMSF, agissant en tant que créancier venant aux droits de 13 banques, et que les débiteurs et les garants solidaires des débiteurs sont ceux qu’il désigne (dont M. [T], qui figure parmi les débiteurs).

L’article 2 (« Objet, contenu et but du protocole ») indique que l’objet et le but du protocole sont de définir les règles et procédures de paiement par les débiteurs et les garants solidaires codébiteurs des créances nées des prêts souscrits par les personnes physiques et morales mentionnées en introduction auprès des 13 banques et transférées au TMSF ainsi que des autres créances cédées ou à céder au TMSF « et provenant des autres responsabilités mentionnées dans le protocole ».

Il précise ensuite : « Toutefois, les créances […] [sur] la société Iktisat Finansal Kiralama AÇ qui ont été transférées par Etibank au [TMSF] et qui font encore l’objet du dossier d’exécution portant le numéro 2001/17954 E du 14e bureau des services d’exécution d’Istanbul, les responsabilités des débiteurs du crédit et des garants du crédit, nées de ces créances sont exclues du champ du présent protocole, sauf les stipulations de l’article 7.1.5».

L’article 5 (« Détermination et acceptation de la dette ») contient diverses reconnaissances de dette de la part des débiteurs.

En particulier, le point 5.1 (« Détermination et acceptation du capital liquide ») prévoit :

« Sans condition ni réserve, les débiteurs acceptent, déclarent et s’engagent sur le fait qu’ils sont endettés à hauteur d’un montant total de 1 035 325 865 USD […], dont 976 621 575 USD […] provenant des prêts calculés à partir du 31.10.2005 selon les dispositions de l’article 4 et faisant l’objet du présent protocole, dont 58 704 290 USD

[…] découlant d’autres transactions. […]. »

Les points 5.2 et 5.3 contiennent une reconnaissance de dettes « non monétaires » et

un engagement de payer des intérêts sur le principal de la dette de 1 035 325 865 USD arrêtée au 31 octobre 2005.

L’article 6 stipule que les débiteurs sont tenus de payer la somme de 1 035 325 865 USD avec les intérêts courus sur une période de 12 ans (dont 10 000 000 USD « payé[s] par avance », 7 000 000 USD à régler le 30 septembre 2006, 10 000 000 USD, 20 000 000 USD et 10 000 000 USD à régler, respectivement, les 31 mars, 30 juin et 30 septembre 2007 et le surplus à régler entre 2008 et 2017 selon l’échéancier qu’il précise, le dernier versement, constitué des intérêts, devant intervenir le 31 décembre 2017).

L’article 6.1 prévoit notamment que « La procédure judiciaire afférente aux créances […] [sur] la société Iktisat Finansal Kiralama AS qui ont été transférées par Etibank AS au [TMSF] et qui font actuellement l’objet du dossier d’exécution portant le numéro 2001/17954 E du 14e bureau des services d’exécution d’Istanbul se poursuivra ; les montants qui seront recouvrés dans le cadre des dossiers d’exécution ouverts dans le cadre national ou à l’étranger, concernant ces créances du [TMSF] objet des présentes, ne seront pas déduits de l’acompte mais seront déduits des versements échelonnés effectués pendant les quatre années suivantes. Les débiteurs reconnaissent et déclarent ce point à l’avance. »

L’article 7.1.5 (« Vente des parts de Park Avenue Bank (PAB) ») mentionne, en substance, que le groupe [D] [T] « s’acquittera en faveur du [TMSF], par avance, dans la plus large mesure possible et de façon irrévocable », avec le produit de la vente des parts des actions de Park Avenue, de la créance sur la société Iktisat Finansal Kiralama AÇ qui a été transférée par Etibank au TMSF et qui fait l’objet du dossier d’exécution portant le numéro 2001/17954 E du 14e bureau des services d’exécution d’Istanbul.

L’article 8 prévoit, en substance, l’arrêt ou la suspension des contentieux en cours, sous réserve de ceux concernant la créance objet du dossier d’exécution n° 2001/17954 E.

L’article 9 mentionne qu’en cas de non-respect de l’échéancier de remboursement et de non-paiement des montants en retard dans les 60 jours de la date d’échéance, le solde de la dette deviendra immédiatement exigible dans sa totalité, sans préavis ni mise en demeure, avec application des intérêts de retard.

M. [T] ne prétend pas, ni, a fortiori, ne justifie que la validité du protocole ait été contestée avec succès devant les juridictions turques ou qu’une action en ce sens serait pendante.

Il résulte des stipulations du protocole rappelées ci-avant que M. [T] a reconnu devoir, notamment, la somme principale de 1 035 325 865 USD et s’est engagé à la payer sur 12 ans ainsi que les intérêts qu’elle produirait tels que déterminés par le protocole.

En ce qui concerne la dette objet du dossier d’exécution n° 2001/17954 E, la question se pose de savoir si elle est incluse, ou non, dans le principal de la dette reconnue de 1 035 325 865 USD puisque le protocole, d’un côté, l’exclut de son champ d’application (article 2) mais, de l’autre, prévoit que les sommes recouvrées dans le cadre de ce dossier d’exécution s’imputeront sur les règlements dus au titre des quatre premières années de l’échéancier consenti (article 6.1).

Il est à noter, également, que le protocole prévoit que le produit d’une vente en cours sera affecté au réglement de la dette objet du dossier d’exécution n° 2001/17954 E (article 7.1.5) et que ce dossier d’exécution se poursuivra, alors que les autres contentieux sont arrêtés ou suspendus (article 8).

En considération de ces différentes stipulations, il sera retenu que la dette en cause est comprise dans la somme de 1 035 325 865 USD (interprétation fondée sur l’article 6.1) mais soumise, quant à son recouvrement, à des modalités dérogatoires à l’accord de remboursement (poursuite de l’exécution forcée et affectation du produit de la vente en cours).

Le 3 avril 2008, le conseil d’administration du TMSF, après avoir constaté que l’échéancier de remboursement sur 12 ans des dettes mentionnées par le protocole, à savoir 12 932 875 USD et 1 035 325 865 USD en espèces, n’avait pas été respecté en raison du défaut de paiement d’une somme de 33 416 303 USD sur un total de 40 000 000 USD devenu exigible au titre des échéances des 31 mars, 30 juin et 30 septembre 2007, a décidé de

« poursuivre les procédures contre tous les débiteurs, personnes physiques et morales, qui relèvent du groupe d'[D] [T] ».

M. [T] et la société Ashmoreal ne prouvant pas que la somme de 33 416 303 USD avait été réglée, la dette est devenue exigible dans sa totalité, conformément à l’article 9 du protocole du 9 mai 2006.

Le « rapport d’observations factuelles » du cabinet Deloitte du 25 octobre 2016 produit par le TMSF mentionne que les sommes perçues par ce dernier depuis la date de reprise de la dette ressortent à 309 794 326 USD et que le total encaissé entre le 31 octobre 2005 et le 31 décembre 2015 s’élève à 169 160 215 USD. Il précise que ce dernier chiffre inclut un montant de 80 059 138 USD versé par Çukurova Grubu.

Ainsi, les encaissements admis par le TMSF, à savoir 169 160 215 USD entre le 31 octobre 2005 et le 31 décembre 2015 incluant les règlements effectués par Çukurova Grubu, ne représentent qu’une petite fraction de la dette reconnue par M. [T] dans le protocole du 9 mai 2006 (1 035 325 865 USD pour le seul principal de la dette en espèces).

Il appartient à M. [T] de démontrer qu’à la date de l’acte litigieux, à savoir le 14 décembre 2009, cette dette était en réalité apurée ou qu’elle l’a été depuis.

M. [T] excipe du versement de diverses sommes en se prévalant, d’une part, d’un rapport d’activité du TMSF faisant état de l’encaissement d’un montant total de 236,71 [lire 236,74] millions USD à fin septembre 2017 et, d’autre part, d’une lettre du TMSF du 3 avril 2012 mentionnant l’existence de règlements effectués par Çukurova Grubu.

Les règlements de Çukurova Grubu reconnus dans la lettre du 3 avril 2012 (38 092 171 USD en mars 2008, 1 429 836 USD le 31 novembre 2008, 6 714 918 USD le 30 novembre 2010) représentent une somme totale de 46 236 925 USD, inférieure à celle prise en compte dans le rapport du cabinet Deloitte (80 059 138 USD).

Par ailleurs, les chiffres indiqués dans les rapports d’activité du TMSF, qui correspondent au « montant total des encaissements » en provenance du groupe [D] [T], incluent les règlements effectués avant le 31 octobre 2005, dont le rapport du cabinet Deloitte retient qu’ils ressortent à 140 634 111 USD (309 794 326 – 169 160 215).

Il doit dès lors être considéré que la somme dont le TMSF a reconnu dans son rapport d’activité 2017 qu’elle avait été versée par le groupe [D] [T] s’élève, au 30 septembre 2017, à 96 105 889 euros (236 740 000 – 140 634 111).

En tenant compte des versements de 80 059 138 USD effectués par Çukurova Grubu mentionnés dans le rapport du cabinet Deloitte, le total réglé s’élève à 176 165 027 USD, somme qui n’apure pas le principal de la dette en espèces reconnue par M. [T] dans le protocole du 9 mai 2006 (1 035 325 865 USD).

Au demeurant, et en tout état de cause, force est de constater que, même en cumulant les règlements de Çukurova Grubu tels que chiffrés dans le rapport du cabinet Deloitte (80 059 138 USD) et ceux provenant du groupe [D] [T] mentionnés par le TMSF dans son rapport d’activité 2017 (236,74 millions USD au 30 septembre 2017), la dette en cause n’est pas davantage éteinte.

Ainsi, et sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres titres invoqués, il apparaît que le TMSF détenait bien, en vertu du protocole du 9 mai 2006, une créance certaine en son principe au jour de l’acte argué de fraude et que celle-ci reste certaine à ce jour.

– Sur l’appauvrissement de M. [T]

Le TMSF soutient que l’immeuble a été sous-évalué lors de l’apport et que l’opération a eu pour effet de remplacer un bien aisément localisable et réalisable par des actions plus aisément dissimulables d’une société luxembourgeoise sans activité, ni revenus détenue à plus de 97,6 % par M. [T].

La société Ashmoreal réplique que l’apport a été régulièrement publié au recueil des sociétés et associations luxembourgeoises, que l’évaluation de l’immeuble a été validée par un réviseur d’entreprises conformément à l’article 26 de la loi modifiée du 10 août 2015 sur les sociétés commerciales, que l’estimation produite par le TMSF a été établie non contradictoirement quatre ans après la vente et que M. [T] est devenu propriétaire d’actions Ashmoreal en échange de son apport.

Le TMSF justifie que :

– le 14 septembre 2009, la société anonyme B&H Services, ayant son siège au Luxembourg et pour objet social toutes opérations se rapportant à la prise de participations dans toute entreprise ainsi que l’administration, la gestion, le contrôle le développement et le financement de ces participations, plus particulièrement dans le domaine des activités de production des énergies renouvelables, a été constituée avec un capital de 31 000 euros représentant 100 actions nominatives ou au porteur détenues par la société B&H International Holding (99) et M. [J], expert-comptable (1) ;

– le 14 décembre 2009, le capital a augmenté de 1 300 000 euros, le portant ainsi à 1 331 000 euros, par l’émission de 4 194 actions nouvelles souscrites par M. [T] au moyen de l’apport d’un ensemble immobilier situé [Adresse 1] ;

– le 11 janvier 2010, la société B&H Services a changé de dénomination pour devenir la société Ashmoreal ;

– la société B&H Services, devenue Ashmoreal, a réalisé des chiffres d’affaires nuls en 2009, 2010 et 2011 et dégagé des pertes de, respectivement, 17 722,73 euros, 30 242,65 euros et 28 448,42 euros.

Le TMSF produit l’estimation faite par une agence immobilière de l’ensemble immobilier du [Adresse 1], qui en situe la valeur entre 1 540 000 et 1 820 000 euros.

Etablie le 26 septembre 2013, soit près de 4 ans après l’apport, et « sous réserve du métrage exact et de l’état des biens immobiliers », elle ne permet pas de démontrer que la valeur de 1 300 000 euros retenue lors de l’apport du 14 décembre 2009 était insuffisante.

En revanche, il est, à l’évidence, plus difficile de réaliser une participation, fût-elle ultra majoritaire (97,68 %), au capital d’une petite société détenue par trois actionnaires que des biens immobiliers.

De surcroît, l’apport a été effectué au profit d’une société sans réelle activité (chiffre d’affaires nul en 2009) et fonctionnant à perte (déficit de 17 722,73 euros en 2009), situation dont les chiffres précités des exercices 2010 et 2011 démontrent qu’elle avait vocation à perdurer.

Dès lors, l’apport effectué le 14 décembre 2009 a bien appauvri M. [T].

– Sur l’insolvabilité apparente de M. [T]

Le TMSF soutient que l’évolution de la dette ainsi que son ancienneté mettent en exergue l’état d’insolvabilité apparente de M. [T] et que ce dernier n’établit pas qu’il détenait, à la date du 14 décembre 2009, des biens suffisants pour payer la somme due.

M. [T] réplique, en substance, qu’il n’existe aucune menace sérieuse de recouvrement et fait état, à cet égard, de biens abusivement confisqués par le TMSF pour « pas moins » de 229 735 188 USD entre 2004 et fin 2015 et de l’encaissement de la somme de 236,71 millions USD mentionné dans le rapport d’activité du TMSF de 2017.

La société Ashmoreal estime que le TMSF ne prouve pas l’insolvabilité apparente de

M. [T] à la date du 14 décembre 2009.

Il a été dit que M. [T] avait, le 9 mai 2006, reconnu une dette en principal d’un montant de 1 035 325 865 USD, arrêtée au 31 octobre 2005, et s’était engagé (avec d’autres) à la régler de manière échelonnée sur 12 ans.

Moins de deux ans plus tard, le 3 avril 2008, le TMSF a constaté un défaut de paiement des 2e à 4e échéances (31 mars, 30 juin et 30 septembre 2007) à concurrence de 33 416 303 USD et décidé de reprendre les poursuites.

Il ressort par ailleurs de la lettre du TMSF du 3 avril 2012, produite par M. [T], que les sommes payées se sont limitées, en 2008, à 1 238 182 USD et, entre le 1er janvier 2009 et le 30 septembre 2011, à 5 181 902 USD (chiffre obtenu par différence entre le montant de l’encaissement total au 31 décembre 2008, de 158 768 098 euros, et celui au 30 septembre 2011, de 163,95 millions USD).

La faiblesse des réglements effectués au regard de la somme restant due caractérise un état d’insolvabilité apparente au 14 décembre 2009.

Il en résulte que l’apport litigieux a aggravé l’insolvabilité apparente de M. [T].

Enfin, en se bornant à faire état de biens d’une valeur de 229 735 188 USD et de règlements de 236,71 millions USD au 30 septembre 2017 – dont il a été dit, de surcroît, qu’ils ne ressortaient qu’à 96 105 889 euros au titre de la période postérieure au 31 octobre 2005 -, M. [T] n’établit ni qu’il disposait, à la date du 14 décembre 2009, de biens d’une valeur suffisante pour répondre de son engagement, ni qu’il en ait disposé depuis.

– Sur l’élément intentionnel

Le TMSF expose que M. [T] a été condamné pour escroquerie commise à son préjudice, qu’il a vidé son appartement de ses oeuvres d’art pour les confier à un garde-meubles suivant un contrat ensuite transféré au nom de son épouse, que l’apport est intervenu quelques mois après le jugement du 18 février 2008 et la dénonciation du protocole de 2006, que M. [T] a dissimulé des biens en Turquie et aux Etats-Unis, que la société B&H Services est une « coquille vide » qui n’a été constituée qu’en vue de permettre l’apport litigieux et que cet apport n’a aucune justification logique et économique.

M. [T] conteste les faits invoqués par le TMSF et soutient qu’il n’a pas dissimulé ses biens, que l’apport a été fait de manière régulière et qu’à l’époque de cet apport, le TMSF avait saisi de très nombreux biens lui appartenant et pouvait les vendre.

La société Ashmoreal soutient que son intention de nuire au TMSF n’est pas démontrée et, en particulier, que ni la chronologie de l’opération, ni l’existence de liens entre elle-même et M. [T] ne suffisent à l’établir. Elle ajoute qu’à l’époque de l’acte argué de fraude, le jugement du 14 avril 2003 sur lequel le TSMF fonde son action avait déjà été radié et ce, depuis le 5 juillet 2003.

Il est établi par les pièces versées aux débats que le TSMF tentait de recouvrer sa créance depuis 2001 et, à cette fin, avait engagé de multiples procédures en Turquie, comme en attestent les ordres de paiement 2001/17954 et 2001/24594 et les jugements y afférents des 14 avril 2003 et 18 février 2008 du tribunal de commerce d’Istanbul ou encore les annulations de ventes de biens décidées les 30 mai et 19 juin 2007 par la cour administrative d’Istanbul en raison d’irrégularités affectant celles-ci, mais aussi aux Etats-Unis, où il avait obtenu, le 12 juillet 2005, l’exequatur du jugement du tribunal de commerce d’Istanbul du 14 avril 2003.

Au demeurant, M. [T] fait lui-même état de biens abusivement confisqués par le TMSF pour « pas moins » de 229 735 188 USD entre 2004 et fin 2015.

Le protocole du 9 mai 2006 manifeste également l’intention du TMSF d’obtenir le remboursement des sommes dues, de même que la décision prise par ce dernier, le 3 avril 2008, de dénoncer cet accord et de reprendre les poursuites.

Dans ce contexte, et compte tenu du défaut de paiement partiel des échéances des 31 mars, 30 juin et 30 septembre 2007 prévues par le protocole et ce, à concurrence d’un montant substantiel (33 416 303 USD sur un total dû de 40 000 000 USD), M. [T] ne pouvait ignorer, à la date de l’apport du 14 décembre 2009, que ses biens, notamment ceux situés en France, risquaient de faire l’objet de procédures d’exécution de la part du TMSF.

Or, l’apport a fait sortir du patrimoine de M. [T] des biens immobiliers d’une valeur de 1 300 000 euros pour, en contrepartie, y faire entrer des actions plus difficiles à localiser pour un créancier et, surtout, présentant une liquidité moindre, s’agissant d’une simple participation au sein d’une petite société de trois actionnaires.

De surcroît, l’apport de biens immobiliers à une société qui, au vu de ses comptes sociaux 2009 à 2011, était sans réelle activité et n’avait pas vocation à en avoir une, n’utiliserait pas elle-même ces biens (le siège social étant au Luxembourg) et avait pour objet social une activité de holding, étrangère à l’exploitation d’un ensemble immobilier, ne présentait de justification économique ni du côté de M. [T], ni de celui de la société B&H Services et de ses actionnaires fondateurs.

Enfin, les éléments relevés au paragraphe qui précèdent conjugués au fait que la société B&H Services, devenue Ashmoreal, a été créée trois mois avant l’apport avec un capital peu important, ne détenait aucun actif jusqu’à cet apport et a subi un bouleversement de la structure de son actionnariat avec l’entrée au capital de M. [T] (la part du capital détenue par les anciens actionnaires passant de 100 % à 2,32 %) laissent apparaître que, comme le soutient le TMSF, cette société a en réalité été constituée dans le but de détenir les biens apportés.

Dans ces conditions, il apparaît que tant M. [T] que la société B&H Services, devenue Ashmoreal, avaient connaissance du préjudice causé aux créanciers du premier.

L’élément intentionnel de la fraude est donc établi.

Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent qu’il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré l’apport inopposable au TMSF.

– Sur la constitution d’hypothèques judiciaires et l’engagement d’une procédure de saisie immobilière

Le TMSF n’ayant pas réitéré à hauteur d’appel ses demandes tendant à voir juger qu’il pourrait prendre des inscriptions hypothécaires judiciaires sur le bien immobilier situé [Adresse 1] et engager une saisie immobilière une fois muni d’un titre exécutoire, le jugement ne peut qu’être confirmé en ce qu’il les a rejetées.

– Sur les dépens et frais irrépétibles

M. [T] et la société Ashmoreal, qui succombent, seront tenus in solidum aux dépens de première instance, le jugement étant confirmé de ce chef, et d’appel.

Le jugement sera également confirmé en ce qu’il a condamné in solidum M. [T] et la société Ashmoreal à payer au TMSF la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et il sera alloué à ce dernier une somme supplémentaire de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par lui à hauteur d’appel.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Condamne in solidum M. [D] [T] et la société Ashmoreal à payer au Tasarruf Mevduati Sigorta Fonu (TMSF), en application de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par ce dernier à hauteur d’appel,

Condamne in solidum M. [D] [T] et la société Ashmoreal aux dépens d’appel, qui pourront être recouvrés par Me Dalet-Venot conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La greffière,

Liselotte FENOUIL

La Présidente,

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

 


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