Augmentation de capital : décision du 17 novembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/09135
Augmentation de capital : décision du 17 novembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 21/09135
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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 9

ARRET DU 17 NOVEMBRE 2022

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/09135 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDVFP

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Février 2021 – Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 2020049801

APPELANT

Monsieur [B] [G]

né le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 9] (94)

[Adresse 3]

[Localité 7]

présent et assisté de Me Yazid BENMERIEM, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 84, avocat postulant et plaidant, à l’audience du 16 mars 2022

INTIMES

Monsieur [J] [E]

né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 8] (SUISSE)

[Adresse 5]

[Localité 6]

présent et assisté de Me Paul NAFILYAN, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant et plaidant , à l’audience du 16 mars 2022

S.A.R.L. IVIFLO

N° SIRET : 498 919 497

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Catherine BOURSIER de la SELEURL CATHERINE BOURSIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0001, substituée par Me Olivier POUPET, avocat postulant et plaidant , à l’audience du 16 mars 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 07 septembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Sophie MOLLAT, Présidente

Madame Isabelle ROHART, Conseillère

Madame Déborah CORICON, Conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIERE : Madame FOULON, lors des débats

ARRET :

– contradictoire

– rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Sophie MOLLAT, Présidente et par Madame FOULON, Greffière .

**********

Exposé des faits et de la procédure

La société IVIFLO, société à responsabilité limitée, a été créée en 2007 par M. [J] [E], et M. [B] [G].

La société est spécialisée dans le conseil en solutions informatiques, éditions de logiciel et plus récemment le smartbuilding.

Les parts de la société étaient initialement réparties de la façon suivante :M. [E] : 60% des parts ;M. [G] : 40% des parts.

Monsieur [E] est gérant de la société.

Les deux associés accomplissaient des missions pour le compte de la société IVIFLO en passant chacun par une société véhicule: la société QOSMIQ NETWORKS pour M. [G] et la société EYLAU CONSULTING pour M. [E].

Une assemblée générale extraordinaire se tenait le 24 juin 2020, sur convocation du gérant, M. [E], ayant pour objet une augmentation de capital de 300.000 euros par la création de parts nouvelles.

Au cours de cette assemblée, la résolution prévoyant l’augmentation de capital était adoptée à la majorité de 60%, Monsieur [G] ayant voté contre.

L’augmentation de capitali ouverte aux deux associés avait pour terme le 17 juillet 2021.

Seul Monsieur [E] y souscrivait.

Suite à cette augmentation de capital, les parts de la société sont désormais réparties de la façon suivante :

– M. [E] : 60.600 parts soit 99% des parts ;

– M. [G] : 400 parts soit 1% des parts.

Par acte d’huissier en date du 9 novembre 2020, M. [G] a assigné, à bref délai, devant le tribunal de commerce de Paris, la société IVIFLO et M. [E] aux fins de voir :

– Prononcer la nullité des résolutions adoptées lors de l’assemblée générale extraordinaire du 24 juin 2020 relative à l’augmentation du capital de la société IVIFLO ainsi que les actes subséquents réalisés en exécution desdites résolutions 

– Ordonner qu’il soit procédé en conséquence à la modification des statuts et que soient accomplies les formalités auprès du greffe ;

– Condamner la société IVIFLO à payer à M. [G] la somme de 4.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– Condamner la société IVIFLO aux dépens.

Par un jugement du 12 février 2021, le tribunal de commerce de Paris a débouté M. [G] de toutes ses demandes et a rejeté les demandes des parties autres, plus amples ou contraires et condamné M. [G] aux dépens.

Le tribunal de commerce a jugé:

– que les dispositions de l’article L 223-30 du code de commerce aux termes desquelles les modifications statutaires sont décidées à la majorité des deux tiers des parts détenues par les associés, s’appliquaient en l’espèce et que l’article 8 des statuts de la société IVIFLO stipulant que le capital pouvait être augmenté en vertu d’une décision collective des associés représentant au moins la moitié des parts sociales devait être réputé non écrite

– que toutefois la rédaction de l’article L 223-30 du code de commerce donne au juge la faculté de prononcer ou non la nullité encourue

– qu’en l’espèce d’une part Monsieur [G] qui a proposé les statuts lors de la constitution de la société, puis les a paraphé lors de la modification statutaire intervenue en 2017 a consenti d’avance à son éventuelle dilution en application d’une règle de majorité inférieure à celle prévue par le code de commerce

– que d’autre part l’augmentation de capital a eu des effets bénéfiques pour la société en augmentant les capitaux propres de la société, en améliorant la trésorerie de la société et en réduisant le taux d’endettement de la société

– que l’augmentation du capital n’a pas eu d’effet négatif et que son annulation aurait pour conséquence de créer une situation de blocage qui pourrait porter atteinte aux perspectives de développement de l’entreprise.

Monsieur [G] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 11 mai 2021.

*****

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9.02.2022 Monsieur [G] demande à la cour de :

Déclarer recevable et bien fondée M. [G] en l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 12 février 2021.

Prononcer la nullité des résolutions adoptées lors de l’assemble générale extraordinaire du 24 juin 2020 relative à l’augmentation de capital de la société IVIFLO ainsi que les actes subséquents réalisés en exécution desdites résolutions, incluant la souscription a’ l’augmentation de capital effectuée par M. [E] ;

Ordonner qu’il soit procédé en conséquence à la modification des statuts et à l’accomplissement des formalités requises auprès du greffe ;

Condamner in solidum la société IVIFLO et M. [E] à payer à. [G] la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner in solidum la socie’te’ IVIFLO et M. [E] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23.02.2022, Monsieur [E] demande à la cour de :

Confirmer entièrement le jugement rendu le 12 février 2021 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions et notamment en ce qu’il a débouté M. [G] de l’ensemble de ses demandes.

En conséquence,

Débouter M. [G] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

En tout état de cause :

Condamner M. [G] à verser à M. [E] la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner M. [G] aux dépens de première instance et d’appel.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23.02.2022, la société IVIFLO demande à la cour de :

Confirmer entièrement le jugement rendu le 12 février 2021 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions.

En conséquence,

Débouter M. [G] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

En tout état de cause :

Condamner M. [G] à verser à la société IVIFLO la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner M. [G] aux dépens de première instance et d’appel.

A l’audience de plaidoirie du 16.03.2022 une médiation a été proposée aux parties que celles ci ont accepté de telle sorte qu’un arrêt ordonnant une médiation et désignant un médiateur a été rendu.

La médiation n’ayant pas abouti l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoirie du 7.09.2022 les parties s’en tenant, comme ordonné par la cour, à leurs conclusions établies pour l’audience du 16.03.2022 et aux plaidoiries orales lors de cette audience

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la nullité de l’assemblée générale extraordinaire

Sur la règle de majorité applicable au vote d’une résolution d’augmentation du capital

M. [G] fait valoir que l’opération relative à l’augmentation de capital réalisée le 24 juin 2020 a été votée selon les règles de vote prévues par l’article 8 des statuts de la société IVIFLO qui prévoit une majorité simple, et que cette opération est donc irrégulière car contraire aux dispositions légales et notamment à l’article L.223-30 du Code de commerce qui dispose que « (‘) les modifications (statutaires) sont décidées a’ la majorité des deux tiers des parts détenues par les associés présents ou représentes (‘). »

M. [G] fait valoir qu’en application des dispositions légales il aurait fallu réunir une majorité des deux tiers soit 66% pour que l’augmentation de capital soit régulière alors que l’augmentation du capital n’a été votée qu’à hauteur de 60% des parts sociales.

Il expose que la rédaction des statuts ne peut lui être opposée comme lui interdisant toute critique indiquant qu’il n’est pas l’auteur de statuts et soulignant que l’article 17 annoncé dans le sommaire comme étant consacré aux décisions collectives extraordinaires n’existe pas, que cela démontre que les associés n’ont pas réellement lu les statuts et qu’il ne peut être déduit du seul article 8 une volonté expresse des associés de déroger à la loi.

M. [E] fait valoir que l’article 8 des statuts de la société IVIFLO qui stipule une règle de majorité simple pour la réalisation d’une augmentation de capital est conforme à la législation et notamment à l’article 1103 du Code civil qui dispose que : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi a’ ceux qui les ont faits. »

A ce titre, il fait valoir que les associés étant parties au contrat de société, les statuts s’imposent a’ eux par application du droit commun des contrats.

M. [E] précise que l’article 1102 du Code civil énonce le principe suivant :
« Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi. La liberté’ contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public. »

A ce titre, il souligne que les statuts peuvent déroger au code de commerce dès lors qu’ils ne contredisent pas une disposition impérative ou d’ordre public.

Il souligne que Monsieur [G] avait une parfaite connaissance de la clause statutaire litigieuse et ne peut aujourd’hui s’en prévaloir.

Il en conclut que l’augmentation de capital est régulière.

La société IVIFLO fait valoir que le vote de l’augmentation de capital du 24 juin 2020 est conforme aux stipulations statutaires et plus précisément à l’article 8 qui prévoit que « le capital peut être augmente’ ou réduit de toutes les manières autorisées par la loi, en vertu d’une décision collective extraordinaire des associés représentant au moins la moitié des parts sociales », dispositions statutaires que Monsieur [G] a signé.

A ce titre, la société IVIFLO précise que cette majorité a été atteinte lors du vote des résolutions relatives à l’augmentation de capital.

Par ailleurs, la société IVIFLO fait valoir que l’article L 223-30 du Code de Commerce ne répute pas non écrites les clauses des statuts prévoyant une majorité’ plus souple lors du vote d’une modification statutaire, que par conséquent, l’augmentation de capital est régulière.

Sur ce

L’article L 223-30 du code de commerce dans sa rédaction en vigueur au jour de la signature des statuts le 6 juin 2007 dispose dans ses premiers, deuxième et troisième alinéas que:

– les associés ne peuvent si ce n’est à l’unanimité changer la nationalité de la société

– toutes autres modifications des statuts sont décidées par les associés représentant au moins les trois quarts des parts sociales. Toutes clause exigeant une majorité plus élevée est réputée non écrite.

– s’agissant des SARL les modifications sont décidées à la majorité des deux tiers des parts détenues par les associés présents ou représentés lors de l’assemblée générale, et les statuts peuvent prévoir une majorité plus élevée sans pouvoir exiger l’unanimité des associés.

En l’espèce la modification statutaire s’agissant de l’augmentation du capital a été votée à une majorité de 60%, représentant les parts détenuEs par Monsieur [E], soit une majorité inférieure à la majorité des deux tiers prévue par le texte.

Monsieur [E] et la société IVIFLO soutiennent qu’il était possible de prévoir dans les statuts le vote d’une majorité inférieure à celle prévue par l’article L 223-30 et font valoir que les statuts de la société IVIFLO prévoient que la modification du capital social s’effectue par un vote représentant au moins la moitié des parts sociales.

Cependant si le texte prévoit expressement la possibilité pour les associés de retenir des règles de majorité plus élevés tout en écartant l’unanimité, il reste taisant sur la possibilité de prévoir des règles moins élevés.

La lecture de ce texte doit cependant s’effectuer par comparaison avec l’article le précédent immédiatement s’agissant de l’article L 223-29 qui prévoit dans les assemblées générales ou lors des consultation écrites que les décisions sont adoptées par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié des parts sociales.

La mise en relation des deux articles démontre que le législateur a eu la volonté, pour les décisions importantes s’agissant des modifications statutaires, d’instaurer des règles de majorité renforcée, d’où les dispositions spécifiques de l’article L 223-30.

En conséquence retenir que dans le silence des textes les associés ont la possibilité de prévoir des règles de majorité plus souples que celles édictées aux termes des dispositions de l’article L 223-30 reviendrait à vider de sens la volonté législative de prévoir des règles de vote plus contraignantes quand les règles constitutives de la société sont en discussion.

Il y a donc lieu de dire que l’article L 223-30 ne permet pas de prévoir des règles de majorité moins élevées que celle prévues par le texte en cas de vote sur des modifications statutaires.

En l’espèce les statuts prévoient dans leur article 8 que le capital social peut être augmenté ou réduit de toutes les manières autorisées par la loi, en vertu d’une décision collective extraordinaire des associés représentant au moins la moitié des parts sociales.

Les statuts de la SARL IVIFLO sont donc en violation avec l’article L 223-30 du code de commerce et le vote de la résolution relative à l’augmentation du capital s’est faite en violation des règles légales s’agissant de la majorité requise pour le vote d’une telle résolution.

Sur l’application du dernier alinéa de l’article L 223-30

Monsieur [E] expose que dans les sociétés commerciales la nullité de la société ne peut résulter que d’une disposition expresse du livre II du code de commerce, que si il était retenu qu’une décision d’augmentation de capital en numéraire impose une majorité des deux tiers sous peine de nullité facultative, en aucun cas il n’est précisé quelle est le sort d’une décision qui est prise dans le respect des statuts mais en contrariété avec une disposition du code de commerce prévoyant une nullité facultative par une disposition postérieure à la date des statuts.

Il indique en effet que l’article L 223-30 a été modifié dans un sens plus rigoureux pour la société et que ce sont les clauses statutaires qui doivent continuer de s’appliquer.

La société IVIFLO soutient que la nouvelle rédaction de l’article L 223-30 du code de commerce ne peut s’appliquer aux contrats en cours à défaut d’ordre public impératif puisqu’introduite par la loi PACTE du 19.07.2019.

Monsieur [G] ne réplique pas sur la question de l’application du dernier alinéa de l’article L 223-30 du code de commerce au regard de la date de ce texte, postérieure à la création de la société.

Sur ce

Le nouvel article L 223-30 du code de commerce en vigueur depuis le 21 juillet 2019 prévoit désormais dans un dernier alinéa que les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées à la demande tout intéressé.

En application des dispositions de l’article 2 du code civil et de la jurisprudence y afférente les effets légaux d’un contrat sont régis par la loi en vigueur au moment où ils se produisent.

En effet, selon l’article 1832 du Code civil, la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté d’une seule personne.

Cependant la société qui est constituée dans l’intérêt commun des associés, est gérée dans son intérêt social.

Ainsi, la société, qui peut dans certains cas être instituée par la volonté d’une seule personne, n’a pas qu’une nature contractuelle, mais également une nature institutionnelle. Sa constitution et son fonctionnement sont donc réglés par des dispositions légales impératives et elle doit fonctionner dans le souci de la préservation non pas du seul intérêt commun des associés, mais de l’intérêt social. Compte tenu de la nature de la société qui ne peut pas être réduite à un simple contrat, en cas de survenance d’une loi nouvelle, celle-ci est d’application immédiate, sauf exception.

Il convient donc de faire application dans le présent litige du dernier alinéa de l’article L 223-30 issu de la loi du 21 juillet 2019 dans la mesure où le vote est intervenu le 24.06.2020.

Sur l’augmentation du capital

M. [G] fait valoir que l’opération relative à l’augmentation de capital réalisée le 24 juin 2020 n’est nullement justifiée au regard de l’intérêt social de la société IVIFLO, qu’aucune pièce justificative n’a été produite pour étayer les affirmations des défendeurs quant aux prétendues nécessités et avantages listés dans le rapport du gérant et repris dans le jugement, que faute d’approbation des comptes 2017 les éléments comptables présentés sont faussés, que s’agissant du client THALES aucun élément ne rapporte la preuve que l’augmentation de capital répondait à une exigence de ce client.

Monsieur [G] soutient qu’il n’est pas démontré par les intimés que le retour au capital social d’origine aurait des conséquences dramatiques sur la société, en particulier du fait de la perte de clients ou sur les contrats en cours.

M. [E] souligne que l’article L. 223-30 dernier alinéa du Code de commerce dispose que les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées a’ la demande de tout intéressé., que lorsque la loi prévoit une nullité facultative le juge est libre d’apprécier l’opportunité d’annuler ou de maintenir la décision , que traditionnellement il est pris en compte le caractère déterminant de l’irrégularité et l’importance du préjudice éventuel qu’elle a causé à celui qui en a été victime.

Il fait valoir l’absence d’irrégularité statutaire et l’absence de préjudice du fait de la possibilité pour l’associé minoritaire de souscrire à l’augmentation de capital.

Il indique que l’augmentation du capital était indispensable à l’intérêt social de la société au regard de la baisse du chiffre d’affaire en 2020 qui, sans l’augmentation de capital, aurait eu pour conséquence le fait que les capitaux propres auraient été négatifs, qu’en outre la société se serait exposée à une situation imminente de cessation des paiements, que l’augmentation de capital a permis en outre une amélioration de la trésorerie qui était très tendue et une réduction du taux d’endettement et a légitimé la société vis-à-vis de ses clients lui permettant de remporter certains marchés.

Monsieur [E] soutient que l’ensemble des marchés contractés, des référencements et des accréditations pourraient être remis en cause par une nullité de cette augmentation de capital, ce qui aurait des conséquences catastrophiques pour la société IVIFLO.

La société IVIFLO fait valoir que qu’il n’existe aucun élément permettant de justifier le prononcé d’une nullité prévue par l’article L.223-30 du Code de commerce exposant que les règles statutaires ont été respectées s’agissant de la convocation de l’associé minoritaire à l’assemblée générale extraordinaire, de son information sur l’opération envisagée avec communication des documents prévus par l’article R 223-19 du code de commerce, de son droit préférentiel de souscription.

Elle expose que la résolution adoptée répondait à l’intérêt social au regard de la situation de la société.

La société IVIFLO expose que l’annulation de l’opération d’augmentation du capital aurait pour conséquence le fait que les capitaux propres deviendraient inférieurs à la moitié du capital social d’où un impact très négatif vis-à-vis des partenaires puisque cette baisse doit être publiée et risquerait de créer une situation de blocage pouvant porter atteinte aux perspectives de développement de l’entreprise.

Sur ce

L’article L. 223-30 dernier alinéa du Code de commerce dispose que les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées a’ la demande de tout intéressé.

En l’espèce il n’est pas contesté que les règles légales concernant le vote de l’augmentation de capital ont été violées.

Cependant lorsque la loi prévoit une nullité facultative le juge est libre d’apprécier l’opportunité d’annuler ou de maintenir la décision.

En l’espèce l’augmentation de capital a eu pour conséquence de réduire la part du capital détenu par Monsieur [G] dans le capital de la SARL à 1% alors que précédemment il détenait 40% de la société, faute pour lui d’avoir pu souscrire à cette augmentation de capital. Celle ci a donc porté gravement atteinte à ses droits d’associé en les réduisant quasiment à néant.

Le fait qu’il ait signé des statuts prévoyant une règle de majorité contraire aux dispositions légales ne peut légitimer un vote contraire aux régles prévues par l’article L 223-30 du code de commerce, sauf à vider de tout effet les dispositions de l’article L 223-30 du code de commerce en faisant prédominer le consentement des parties sur les règles édictées par le législateur, ce qui est contraire au texte même.

De la même façon les suppositions non fondées aux termes desquelles c’est Monsieur [G] qui aurait proposé les statuts controversés, car sa propre société QOSMIQ NETWORKS a des statuts identiques, sont inopérantes à légitimer un vote contraire aux règles de majorité édictées par l’article L 223-30. La similitude de statuts rapporte uniquement la preuve que Monsieur [G] a commis deux fois la même erreur en adoptant des statuts dont certaines dispositions étaient contraires au droit applicable aux SARL et ne rapporte pas la preuve d’une volonté réitérée de Monsieur [G] de s’affranchir, d’avance, des règles légales de majorité.

Le fait enfin que Monsieur [G] ait signé le procès verbal de l’assemblée générale ne porte aucune signification concernant son approbation des modalités de vote de l’augmentation de capital et ne peut valoir régularisation de la nullité avant même que celle ci n’ait été soulevée, voire connue.

Enfin ces trois éléments sont sans aucune portée s’agissant de caractériser l’intérêt de la société dans l’augmentation de son capital social qui justifierait que la nullité soit écartée.

Il convient dès lors de rechercher l’intérêt de la société IVIFLO au regard de cette augmentation de capital.

Cet intérêt doit s’analyser selon la situation de la société en juin 2020 et non selon la situation de la société en décembre 2020, voire en février 2022. En effet cela reviendrait à effectuer une relecture de la situtaion de la société en prenant en compte d’une part des éléments comptables connus postérieurement et d’autre part une activité postérieure à la décision critiquée, activité qui a forcément affecté les résultats de l’exercice.

Pour les mêmes raisons l’analyse effectuée, à la demande de Monsieur [E], par la société LMBH expert comptable et datée du 22.02.2022 soit plus de 20 mois après l’augmentation de capital et au vu des résultats 2020 et 2021 sera écartée comme constituant une relecture a posteriori de la situation de la société pour justifier les choix aujourd’hui critiqués.

Le rapport de la gérance au soutien de la résolution d’augmentation du capital constitue la principale pièce pour déterminer si au jour du vote critiquée il était de l’intérêt de la société de procéder à une augmentation de capital.

Il est ainsi mentionné dans ce rapport:

– que les comptes 2019 n’intègrent pas les conséquences de la crise sanitaire,

– que la crise sanitaire a un impact significatif sur l’activité de la société mais ne remet pas en cause la continuité d’exploitation,

– que la société a souscrit un prêt garanti par l’Etat d’un montant de 1.000.000 euros auprès de la banque BNP PARIBAS pour renforcer la trésorerie de l’entreprise, ce qui a permis d’améliorer le ratio d’endettement sur fonds propres.

Le gérant poursuit en indiquant que l’augmentation de capital permettra de poursuivre l’investissement et le développement de l’activité ‘smart building’ consommatrice de trésorerie, qu’elle facilitera les relations clients et fournisseurs au motif que le capital actuel est un frein pour les signatures de contrats importants avec des sociétés et les grands groupes et qu’elle améliorera les relations avec les fournisseurs.

Le gérant termine en indique qu’il est important que la société conserve la cotation Banque de France obtenue le 15.04.2020 et ressortant à G4 tout autant qu’une bonne notation de la SFAC.

La Cour constate en premier lieu que le fait que le capital de 5000 euros de la société soit un frein pour la signature de contrats avec des sociétés importantes n’est pas documenté par la SARL IVIFLO et retient en conséquence que la preuve que l’augmentation du capital était indispensable pour maintenir sinon développer l’activité de la société auprès de ces clients n’est pas rapportée.

La Cour constate en second lieu qu’en avril 2020 la santé financière de la société, certes basée sur les résultats 2018 et antérieures, a justifié une cotation qualifiée de ‘bonne’de la capacité de la société à honorer ses engagements financiers. En effet il résulte des éléments comptables versés aux débats que la société présentait des résultats bénéficiaires depuis plusieurs années:

2015: CA 1.242.167 euros et bénéfice de 35.519 euros

2016: CA 2.906.882 euros et bénéfice de 39.827 euros

2017: CA 5.038.403 euros et bénéfice de 286.254 euros

2018: CA 6.854.386 euros et bénéfice de 94.406 euros.

Certes en 2019 la société voyait son chiffre d’affaire encore augmenter à 8.043.077 euros mais dégageait alors un déficit de 117.216 euros. Cependant l’annexe aux comptes de l’exercice 2019 établie par l’expert comptable indique qu’au bilan:

– le poste immobilisations incorporelles est constitué:

* des frais de recherche et développement du projet SMARTFLO activés au 1.01.2019 pour un montant de 236.612,25 euros et au 1er janvier 2019 pour un montant de 651.486,45 euros (soit un total de 888.098,70 euros au 31 décembre 2019) et amortis sur deux ans;

* des frais de recherche et développement du projet ‘WIFISTRESS’ activés au 1er janvier 2018 pour un montant de 48.462,75 euros et amortis sur deux ans.

– Concernant le projet SMARTFLO, des frais de recherche et développement ont été activés en immobilisations en cours pour un montant de 300.000 euros au 31.12.2019.

On retrouve ainsi dans le bilan:

– au titre de la production immobilisée un montant en brut de 936.561 euros et en net de 325.743 euros après déduction d’un amortissement de 610.818 (contre 142.537 euros en 2018)

– et au titre du poste ‘avances et acomptes sur immobilisations incorporelles’ un montant de 300.000 euros (contre un montant de 0 en 2018).

Et dans le compte de résultat une production immobilisée de 951.486 euros au lieu de 285.075 euros en 2018 et une dotation aux amortissements de 477.111 euros au lieu de 150.900 euros en 2018.

Il ressort donc des comptes 2019 que la société a autofinancé son projet SMARTFLO, ce qui explique le résultat déficitaire qui n’est donc pas en relation avec des difficultés économiques de la société mais en relation avec son développement.

Ainsi au 31.12.2019 la société présentait une situation économique saine et rencontrait comme problématique principale de financer sa recherche et développement.

En troisième lieu la Cour constate qu’à aucun moment du rapport de la gérance au soutien de la résolution sur l’augmentation du capital il n’est fait état de difficultés de la société imposant l’augmentation du capital et en particulier il n’est pas fait état d’un risque de voir les capitaux propres devenir négatifs. Il n’est pas non plus fait état d’une baisse drastique d’activité imposant de prendre des mesures fortes telles que la recapitalisation en urgence de la société, pour en assurer sa pérennité.

Les intimés ne produisent aucun élément comptable établi à la date de l’assemblée générale extraordinaire démontrant que la société rencontrait des difficultés financières inédites imposant l’augmentation de capital, étant précisé qu’aucun élément n’est également versé aux débats concernant l’activité de la société pendant le premier confinement alors que par ailleurs la SARL IVIFLO exerce son activité dans la sécurité digitale qui est devenue, à l’occasion de la crise sanitaire et du développement du télé-travail, un enjeu majeur pour les entreprises, ce qui lui assurait une reprise certaine d’activité en mai 2020.

Les éléments versés aux débats n’établissent donc pas que la SARL IVIFLO connaissait en juin 2020 une situation de difficulté économique justifiant qu’il soit porté atteinte aux droits de l’associé minoritaire par le biais d’un vote sur l’augmentation du capital en violation des dispositions légales sur les règles de majorité requises.

Enfin aucun élément n’est versé aux débats établissant que la société serait en grande difficulté en cas d’annulation de l’augmentation de capital.

Il y a donc lieu de prononcer la nullité de la résolution votée le 24.06.2020 ayant augmenté le capital social de la société.

Sur l’abus de majorité

La Cour ayant fait droit à la demande principale de l’appelant s’agissant de l’annulation de la résolution critiquée la demande fondée sur l’abus de majorité et tenant aux mêmes fins est sans objet.

Sur l’abus de minorité

Monsieur [E] soutient que l’opposition de Monsieur [B] [G] à l’augmentation du capital serait constitutive d’un abus de minorité aux motifs que ce comportement est contraire à l’intérêt de la société au regard des éléments financiers développés, et est destiné à favoriser les minoritaires au détriment des autres associés, Monsieur [G] préférant mettre en difficulté la société et son associé majoritaire plutôt que de participer à l’effort collectif que commandait la situation.

La société IVIFLO expose que la mauvaise foi de Monsieur [G] est révélatrice d’un abus de minorité s’agissant tant du fait que ce dernier connaissait parfaitement les statuts que du fait qu’il n’a contesté l’AGE que 4 mois après sa tenue.

Monsieur [G] expose que le gérant associé majoritaire n’a tenu compte d’aucune des observations que l’associé minoritaire lui a adressé par écrit avant la tenue de l’assemblée générale et ne lui a pas communiqué les documents réclamés avant l’AG, ni après celle-ci, les documents communiqués le 21.06.2020 n’étant que les liasses fiscale et annexes aux comptes annuels des exercices 2017 et 2018, que son opposition ne constitue pas un abus de minorité dans la mesure où il n’a jamais été question de favoriser sa situation personnelle mais qu’il a légitimement interrogé le sens et l’objectif de l’opération envisagée en exerçant les droits tirés de sa qualité d’associé.

Sur ce

Il a été rappelé ci-dessus que la situation de la société ne justifiait aucunement, au 24.06.2020, le vote d’une résolution en violation des règles de majorité, contraire à l’intérêt de l’associé minoritaire puisque diluant de façon drastique sa participation dans la société qui est passée de 40% à 1%.

En conséquence le fait pour Monsieur [G] de contester ladite résolution ne peut être qualifiée d’abus de minorité.

Sur l’article 700 du Code de procédure civile

M. [G] sollicite la condamnation in solidum de la société IVIFLO et M. [E] à lui verser la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et qu’ils soient condamnés à supporter tous les dépens de première instance et d’appel.

Les intimés sollicitent la condamnation de M. [G] à leur verser la somme de 5.000 euros chacun au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et qu’il soit condamné à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.

Sur ce

Les intimés qui sucombent seront déboutés de leurs demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et condamnés in solidum à payer à Monsieur [G] la somme de 8000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Les dépens de première instance et d’appel sont mis à la charge de Monsieur [E] et de la SARL IVIFLO.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de PARIS le 12.02.2021

Et statuant à nouveau

Prononce la nullité’ des résolutions adoptées lors de l’assemble générale extraordinaire du 24 juin 2020 relative a’ l’augmentation de capital de la société IVIFLO ainsi que les actes subséquents réalisés en exécution desdites résolutions, incluant la souscription a’ l’augmentation de capital effectuée par M. [E] ;

Ordonne qu’il soit procédé’ en conséquence à la modification des statuts et à l’accomplissement des formalités requises auprès du greffe,

Condamne in solidum la société IVIFLO et M. [E] à payer à M. [G] la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile

Condamne in solidum la société IVIFLO et M. [E] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

La greffière La présidente

 


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