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Arrêt N°22/
SP
R.G : N° RG 21/01199 – N° Portalis DBWB-V-B7F-FSR7
[E]
C/
S.E.L.A.R.L. HIROU
COUR D’APPEL DE SAINT-DENIS
ARRÊT DU 14 DECEMBRE 2022
Chambre commerciale
Appel d’une ordonnance rendue par le TRIBUNAL MIXTE DE COMMERCE DE SAINT-DENIS (REUNION) en date du 23 JUIN 2021 suivant déclaration d’appel en date du 05 JUILLET 2021 rg n°: 2020R00075
APPELANT :
Monsieur [P] [E]
[Adresse 1]
97400 SAINT-DENIS
Représentant : Me Isabelle MERCIER-BARRACO, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
INTIMEE :
S.E.L.A.R.L. HIROU prise en la personne de Maître Laurent HIROU, es qualité de mandataire liquidateur de la SOCIETE BE-HIVE REUNION
[Adresse 2]
97400 SAINT DENIS
Représentant : Me Olivier HAMEROUX de la SELAS FIDAL, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION
DÉBATS : en application des dispositions des articles 778, 779 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience en chambre du conseil du 19 octobre 2022 devant la cour composée de :
Président : Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère
Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseillère
Conseiller : Madame Magali ISSAD, Conseillère
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l’issue des débats, la présidente a indiqué que l’arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition le 14 décembre 2022.
Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le 14 décembre 2022.
Greffiere lors des débats et de la mise à disposition : Madame Nathalie BEBEAU, Greffière.
* * * * *
LA COUR
Par jugement en date du 5 juillet 2017, le tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion a ouvert une procédure de liquidation à l’encontre de la société Be-Hive et désigné la SELARL Hirou en qualité de liquidateur de la société Be Hive (le liquidateur).
Suivant courrier recommandé avec avis de réception du 26 septembre 2017 M. [E] a déclaré une créance d’un montant de 82.332,42 euros correspondant aux frais qu’il a engagé au profit de la société Be-Hive auprès du liquidateur.
Suivant courrier recommandé avec avis de réception du 28 mars 2018, M. [E] a été informé par le liquidateur que sa créance était contestée et qu’il entendait saisir le juge-commissaire d’une proposition de rejet pour sa totalité.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 26 avril 2018, M. [E] a maintenu sa position et détaillé sa créance de 82.2332,42 euros.
Suivant courrier recommandé avec accusé de réception du 27 décembre 2018, le liquidateur a mis en demeure M. [E] de lui régler la somme de 42.475 euros correspondant à sa part dans le capital social souscrit appelé mais non encore versé, invoquant l’article L624-20 du code de commerce et ce, dans le délai de 15 jours, mais en vain.
Par acte d’huissier en date du 25 avril 2019, le liquidateur a fait assigner M. [P] [E] par devant le président du tribunal de grande instance de Saint Denis de la Réunion, statuant en matière de référé, sur le fondement des articles L145-41 du code de commerce et 809 du code de procédure civile, aux fins de voir condamner M. [E] à payer au liquidateur les sommes de 42.475 euros, outre intérêts légaux à compter du 27 décembre 2018, date de la mise en demeure et 2.800 au titre des frais irrépétibles.
Par ordonnance de référé du 20 juin 2019, le président du tribunal de grande instance de Saint Denis de la Réunion a fait droit à l’exception d’incompétence soulevée par M. [E] et renvoyé la procédure devant le président du tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion.
Le liquidateur a maintenu ses demandes.
M. [E] a conclu au débouté des prétentions du liquidateur. Subsidiairement, il a sollicité des délais de paiement.
C’est dans ces conditions que, par ordonnance de référé en date du 23 juin 2021, le président du tribunal de commerce de Saint Denis de la Réunion a :
-condamné M. [P] [E] à payer à la SELARL Hirou, ès qualités de liquidateur de la SARL Be-Hive Réunion à titre de provision la somme de 42.475 euros, outre intérêts légaux à compter du 27 décembre 2018
-débouté M. [P] [E] de l’ensemble de ses demandes
-condamné M. [P] [E] à payer à la SELARL Hirou, ès qualités de liquidateur de la SARL Be-Hive Réunion la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
-condamné M. [P] [E] aux dépens. Lesdits dépens afférents aux frais de jugement taxés et liquides à la somme de 36,76 € TTC, en ceux non compris les frais de signification du présent jugement et de ses suites s’ il y a lieu.
Par déclaration au greffe en date du 5 juillet 2021, M. [E] a interjeté appel de cette décision.
L’affaire a été fixée à bref délai selon avis en date du 10 août 2021.
L’appelant a signifié la déclaration d’appel et l’avis à bref délai au liquidateur par acte du 19 août 2021 (remise à personne morale).
L’intimée s’est constituée par acte du 15 octobre 2021.
M. [E] a déposé ses premières conclusions d’appel par RPVA le 9 septembre 2021 qu’il a signifiées au liquidateur par acte du 30 septembre 2021 (remise à personne morale).
Le liquidateur a déposé ses conclusions d’intimée par RPVA le 29 octobre 2021.
Dans ses conclusions transmises par voie électronique le 10 décembre 2021, M. [E] demande à la cour, au visa des articles 526 (ancien) et 872 du code de procédure civile, 1343-5 et 1347 et suivants du code civil et L622-7 et L641-3 du code de commerce, de :
-déclarer le liquidateur irrecevable en sa demande de radiation du rôle de l’affaire
-infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a :
.condamné M. [P] [E] à payer à la SELARL Hirou, ès qualités de liquidateur de la SARL Be-Hive Réunion à titre de provision la somme de 42.475 euros, outre intérêts légaux à compter du 27 décembre 2018
.débouté M. [P] [E] de l’ensemble de ses demandes
.condamné M. [P] [E] à payer à la SELARL Hirou, ès qualités de liquidateur de la SARL Be-Hive Réunion la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
.condamné M. [P] [E] aux dépens. Lesdits dépens afférents aux frais de jugement taxés et liquides à la somme de 36,76 € TTC, en ceux non compris les frais de signification du présent jugement et de ses suites s’ il y a lieu.
Statuant à nouveau
A titre principal :
-dire n’y avoir lieu à référé sur la demande de condamnation provisionnelle formée par le liquidateur
-débouter le liquidateur de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
A titre subsidiaire
-reporter le paiement de toute condamnation pécuniaire qui devrait être prononcée à l’égard de M. [E] dans la limite de deux années, en 23 échéances mensuelles de 500 euros, le solde des condamnations devant être versé lors de la dernière échéance
En tout état de cause
-condamner le liquidateur à régler la somme de 4.000 euros à M. [E] sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
-condamner le liquidateur aux dépens.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 29 octobre 2021, le liquidateur demande à la cour, au visa des articles 55, 526 et 809 du code de procédure civile, L223-21, L223-32, L622-7, L622-20, L624-20 et R624-17 du code de commerce et 1643-3 du code civil, de :
-ordonner la radiation du rôle de cette affaire instruite sous le N° RG 21/0119
En tout état de cause
-confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance entreprise
-débouter M. [E] de toutes ses demandes
-condamner M. [E] à payer au liquidateur la somme de 4.800 euros ainsi qu’aux entiers frais et dépens qui comprendront ceux de l’article A444-32 du code de commerce.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l’exposé de leurs prétentions et moyens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 12 octobre 2022 et l’affaire a reçu fixation pour être plaidée à l’audience circuit court du 19 octobre 2022. Le prononcé de l’arrêt, par mise à disposition du greffe, a été fixé au 14 décembre 2022.
SUR CE, LA COUR
A titre liminaire
Il convient de rappeler qu’en application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif. Ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir ‘constater’ ou ‘donner acte’ ou encore ‘considérer que’ voire ‘dire et juger que’ et la cour n’a dès lors pas à y répondre.
Il convient de relever que si, dans le corps de ses conclusions, le liquidateur fait état de l’irrecevabilité des moyens tirés de prétendues contestations sérieuses rendant le juge des référés commerciaux incompétent, il n’en tire aucune conséquence juridique, le dispositif de ses conclusions se bornant à solliciter la confirmation de l’ordonnance (hormis la radiation), de sorte que la cour n’en est pas saisie en application de l’article 954 alinéa 2 du code de procédure civile.
Sur la radiation
Le liquidateur expose que l’ordonnance dont appel a été signifiée le 19 octobre 2021 et un commandement aux fins de saisie-vente a été délivré le jour même à M. [E]. Il soutient que les causes de l’ordonnance exécutoire de plein droit n’ont pas été exécutées et que dès lors, par application de l’article 526 du code de procédure civile, il est bien fondé à solliciter la radiation du rôle. Il ajoute que M. [E] ne bénéficie pas de l’aide juridictionnelle lui permettant d’invoquer la perception de faibles revenus, mais, au contraire, a choisi pour défendre ses intérêts deux conseils dont l’un, avocat plaidant, est inscrit au barreau de Paris, ce qui laisse augurer une solvabilité certaine.
Sur le fondement des articles 526, 905 et 907 du code de procédure civile, M. [E] soutient que la demande de radiation du rôle du liquidateur est irrecevable car seul le premier président ou le conseiller de la mise en état, à compter de sa désignation, peuvent être saisie d’une demande de radiation formée au visa de l’article 526 du code de procédure civile, à l’exclusion de la juridiction d’appel elle même.
Sur quoi,
Aux termes de l’article 526 dans sa rédaction et numérotation applicable au litige (modifié par le décret n°2017-891 du 6 mai 2017, applicable aux instances introduites devant les juridictions du premier degré du 1er septembre 2017 au 1er janvier 2020) (abrogé par le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019)
« Lorsque l’exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d’appel, décider, à la demande de l’intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l’affaire lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l’article 521, à moins qu’il lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision.
La demande de l’intimé doit, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, être présentée avant l’expiration des délais prescrits aux articles 905-2, 909, 910 et 911.
La décision de radiation est notifiée par le greffe aux parties ainsi qu’à leurs représentants par lettre simple. Elle est une mesure d’administration judiciaire.
La demande de radiation suspend les délais impartis à l’intimé par les articles 905-2, 909, 910 et 911.
Ces délais recommencent à courir à compter de la notification de la décision autorisant la réinscription de l’affaire au rôle de la cour ou de la décision rejetant la demande de radiation.
La décision de radiation n’emporte pas suspension des délais impartis à l’appelant par les articles 905-2, 908 et 911. Elle interdit l’examen des appels principaux et incidents ou provoqués.
Le délai de péremption court à compter de la notification de la décision ordonnant la radiation. Il est interrompu par un acte manifestant sans équivoque la volonté d’exécuter. Le premier président ou le conseiller de la mise en état peut, soit à la demande des parties, soit d’office, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, constater la péremption.
Le premier président ou le conseiller de la mise en état autorise, sauf s’il constate la péremption, la réinscription de l’affaire au rôle de la cour sur justification de l’exécution de la décision attaquée. »
Seul le premier président ou le conseiller de la mise en état, à l’exclusion de la juridiction d’appel elle-même, peuvent procéder à la radiation.
Il ressort de ce qui précède que la demande du liquidateur tendant à la radiation du rôle est irrecevable pour être formée devant la cour.
Sur la demande de condamnation provisionnelle
En premier lieu, M. [E] soutient que la créance alléguée par le liquidateur ne présente aucun caractère certain : le liquidateur ne détaille pas l’historique du compte courant d’associé ouvert à son nom.
En deuxième lieu, M. [E] soutient qu’il justifie de la créance qu’il détient à l’égard de la société Be-Hive : elle est liquide car évaluée en argent, certaine dès lors qu’elle est fondée en son principe et exigible dès lors qu’aucune convention de blocage n’a été contractée entre lui et la société Be-Hive de sorte qu’aucun terme ne vient différer l’exigibilité de sa créance. Il en déduit que les conditions de la compensation entre les créances réciproques de la société Be-Hive et lui étaient réunies dès avant le prononcé de la liquidation judiciaire. Il considère que le simple fait que sa créance ait pu être contestée est sans emport sur la compensation intervenue de plein droit entre les obligations réciproques des parties antérieurement au jugement d’ouverture.
En troisième lieu, M. [E] rappelle qu’il a régulièrement déclaré sa créance au passif de la société Be-Hive et qu’à la date des présentes, le juge-commissaire à la liquidation judiciaire de la société Be-Hive n’a toujours pas statué sur l’admission de sa créance et ce, alors qu’il a seul compétence pour en connaître (article L624-2). Il en déduit qu’il reviendra donc au juge-commissaire, soit de décider de l’admission de sa créance, soit de constater l’existence d’une contestation sérieuse et, le cas échéant, de renvoyer vers la juridiction compétente pour connaître du fond du litige, tout en ordonnant le sursis à statuer dans l’attente de la juridiction du fond (article R624-5) : en tout état de cause, il n’appartient pas au juge des référés de préjuger du sort de sa créance. S’agissant de la compensation, M. [E] estime qu’il justifie du bien fondé de sa créance et a fortiori de son caractère vraisemblable. Il considère que sa créance, qui n’a fait l’objet d’aucun débat devant le juge-commissaire, ne fait pas obstacle à ce qu’il oppose la compensation de sa créance avec celle que le liquidateur prétend détenir à son égard. Il estime qu’il en résulte incontestablement que le président du tribunal n’avait pas compétence pour se prononcer sur le sort de sa créance, laquelle a vocation à se compenser avec la créance de compte courant alléguée. Il ajoute qu’il est constant que les créances et les dettes inscrites dans un même compte courant sont connexes : à supposer qu’il ait valablement souscrit à l’augmentation de capital de la société Be-Hive, l’appel de fonds du gérant a rendu immédiatement exigible la fraction du capital social souscrite non libérée, de sorte que cette dernière a été portée au débit de son compte courant d’associé, or, la créance qu’il détient à l’égard de la liquidation judiciaire s’analyse en une créance de compte-courant d’associé dès lors qu’elle porte sur des prestations effectuées pour le compte de la société et des frais avancés pour le compte de la société : ces deux opérations concourent ainsi à une même finalité économique tendant à assurer le financement de la personne morale, de sorte qu’elle résulte de l’exécution d’un ensemble contractuel unique.
Le liquidateur considère que M. [E] ne justifie pas de la réalité de sa créance et que sa prétendue créance n’est ni liquide, ni certaine, ni exigible.
S’agissant de la compensation invoquée par M. [E], le liquidateur rappelle que la compensation est définie à l’article 1347 du code civil et consiste en un double paiement automatique mais que, toutefois, dans le cadre de la procédure collective ouverte à l’égard d’une des parties, cette compensation se heurte au principe d’ordre public d’interdiction de payer les créances antérieures au jugement déclaratif, sauf l’exception de connexité prévue à l’article L622-7 du code de commerce qui concerne les créances issues de l’exécution ou de l’inexécution d’un même contre ou des créances nées d’une convention cadre ou encore nées de plusieurs conventions constituant les éléments d’un ensemble contractuel unique. Il en déduit que, dès lors, la seule question que doit trancher la cour, à supposer qu’elle estime que M. [E] disposerait d’une créance apparaissant fondée en son principe, ce qui est loin d’être le cas, est de savoir si l’exception de connexité soulevée par M. [E] apparaît fondée, or, tel n’est pas le cas : la dette d’un associé au titre de la libération de sa part de capital ne se compense pas avec le crédit de son compte courant qui résulte d’un prêt consenti par l’associé à la société.
Concernant la volonté de retrait de M. [E], le liquidateur soutient que ce moyen n’a pas d’emport dans la mesure où, dans une SARL, aucune faculté de retrait direct n’est offerte à l’associé : un associé de SARL qui souhaite quitter la société doit impérativement céder ses parts sociales, il ne peut se retirer en sollicitant le remboursement de ses titres.
Sur quoi,
D’une part,
Selon l’article 872 du code de procédure civile, « Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend. »
Aux termes de l’article 873 du code de procédure civile (modifié par les décrets n°85-1330 du 17 décembre 1985 et n°87-434 du 17 juin 1087)
« Le président peut, dans les mêmes limites et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. »
La charge de la preuve du trouble ou du dommage pèse sur le demandeur.
Le dommage imminent s’entend du dommage qui n’est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer.
Le trouble manifestement illicite peut se définir comme «toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit». Il procède de la méconnaissance d’un droit, d’un titre ou corrélativement d’une interdiction les protégeant, sans qu’il ait à présenter une gravité exceptionnelle.
Constitue un trouble manifestement illicite la violation évidente d’une règle de droit résultant d’un fait matériel ou juridique
Il s’ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté avec l’évidence qui s’impose à la juridiction des référés, l’imminence d’un dommage, d’un préjudice ou la méconnaissance d’un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines. Un dommage purement éventuel ne saurait donc être retenu pour fonder l’intervention du juge des référés.
D’autre part,
Aux termes de l’article L223-32 du code de commerce (modifié par la loi n°2012-387 du 22 mars 2012) :
En cas d’augmentation de capital par souscription de parts sociales, en numéraire, les dispositions du dernier alinéa de l’article L223-7 sont applicables. Ces parts sont obligatoirement libérées, lors de la souscription, d’un quart au moins de leur valeur nominale. La libération du surplus doit intervenir, en une ou plusieurs fois, dans le délai de cinq ans à compter du jour où l’augmentation de capital est devenue définitive.
Le retrait des fonds provenant de souscription peut être effectué par un mandataire de la société après l’établissement du certificat du dépositaire.
Si l’augmentation du capital n’est pas réalisée dans le délai de six mois à compter du premier dépôt de fonds, il peut être fait application des dispositions du deuxième alinéa de l’article L223-8. »
L’article L624-20 précise : « Le jugement d’ouverture rend immédiatement exigible le montant non libéré du capital social. »
Les règles applicables à la libération du capital social valent pour la libération d’une augmentation du capital social.
Ce texte est applicable en sauvegarde, en redressement et en liquidation judiciaire.
En effet, Tout associé doit contribuer aux pertes, selon l’article 1832 alinéa 3 du code civil. Or la liquidation judiciaire emportant dissolution de la société, il en résulte, à cette date, l’obligation pour l’associé de contribuer aux pertes, ce qui l’oblige à libérer ses apports. S’il ne le fait pas spontanément, le liquidateur peut l’y contraindre.
Ainsi, aux termes de l’article L622-20 du code de commerce (modifié par l’ordonnance n°2014-326 du 12 mars 2014) :
« Le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers. Toutefois, en cas de carence du mandataire judiciaire, tout créancier nommé contrôleur peut agir dans cet intérêt dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.
Le mandataire judiciaire a qualité pour mettre en demeure un associé ou un actionnaire de verser les sommes restant dues sur le montant des parts et actions souscrites par lui.
Le mandataire judiciaire communique au juge-commissaire et au ministère public les observations qui lui sont transmises à tout moment de la procédure par les contrôleur.
Les sommes recouvrées à l’issue des actions introduites par le mandataire judiciaire ou, à défaut, par le ou les créanciers nommés contrôleurs entrent dans le patrimoine du débiteur et sont affectées en cas de continuation de l’entreprise selon les modalités prévues pour l’apurement du passif. »
Par ailleurs,
Aux termes de l’article L622-7 I du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige (modifié par l’ordonnance n°2014-326 du 12 mars 2014 et antérieurement à l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021)
« I.-Le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception du paiement par compensation de créances connexes. Il emporte également, de plein droit, interdiction de payer toute créance née après le jugement d’ouverture, non mentionnée au I de l’article L. 622-17. Ces interdictions ne sont pas applicables au paiement des créances alimentaires.
De même, il emporte, de plein droit, inopposabilité du droit de rétention conféré par le 4° de l’article 2286 du code civil pendant la période d’observation et l’exécution du plan, sauf si le bien objet du gage est compris dans une cession d’activité décidée en application de l’article L626-1.
Il fait enfin obstacle à la conclusion et à la réalisation d’un pacte commissoire. »
L’interdiction du paiement des créances nées avant le jugement d’ouverture de la procédure collective ne fait donc pas obstacle à la compensation d’une telle créance avec une créance connexe du débiteur née postérieurement.
La compensation fondée sur la connexité des créances, si elle requiert que la créance opposée au débiteur en procédure collective ou à son ayant droit soit certaine dans son principe et ne soit pas éteinte, n’exige pas la réunion des conditions de liquidité et d’exigibilité de cette créance.
La compensation pour dettes connexes ne peut être prononcée que si la créance a été déclarée, à défaut, la demande tendant à sa compensation est irrecevable.
Lorsqu’un créancier invoque la compensation d’une créance antérieure connexe déclarée pour s’opposer à la demande en paiement formée contre lui par un débiteur en procédure collective, le juge du fond saisi de cette demande doit d’abord se prononcer sur le caractère vraisemblable ou non de la créance ainsi invoquée, et, dans l’affirmative, ne peut qu’admettre le principe de la compensation et ordonner celle-ci à concurrence du montant de la créance à fixer par le juge-commissaire, sans que le créancier n’ait à, prouver que sa créance a été admise à ce stade.
Il y a connexité entre des obligations réciproques dérivant de l’exécution d’un même contrat.
Il y a connexité entre des obligations naissant de ventes et d’achats réciproques prévues par un contrat définissant pour ses signataires un cadre pour le développement de leurs relations d’affaires.
Il est de jurisprudence constante que ne sont pas connexes la créance découlant du solde créditeur de son compte d’associé et sa dette entre la société résultant de la fraction non libérée du capital social.
L’article L622-7 est applicable à la liquidation sur renvoi de l’article L641-3.
Enfin,
Conformément aux dispositions des articles 1347 et suivant du code civil, la compensation est l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes. Elle s’opère, sous réserve d’être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies.
Elle n’a lieu qu’entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles. Sont fongibles les obligations de somme d’argent, même en différentes devises, pourvu qu’elles soient convertibles, ou celles qui ont pour objet une quantité de choses de même genre.
En l’espèce, suivant assemblée générale extraordinaire en date du 13 septembre 2015, la SARL Be-Hive Réunion immatriculée au RCS de Saint Denis de la Réunion le 10 septembre 2010, les associés de ladite société (SARL RD Tronic 34 parts, M. [P] [E] 25 parts, SARL Groupe Fages 15 parts, M. Patrice Fages 10 parts, M. [C] [H] 8 parts, M. [X] [F] 8 parts soit 100 parts de 1 euro) ont procédé à une augmentation de capital portant le capital social de 100 euros à 250.000 euros réparti en 250.000 parts sociales à 1 euro, soit :
-SARL RD Tronic 85.000 parts
-M. [P] [E] 62.500 parts
-SARL Groupe Fages 37.500 parts
-M. Patrice Fages 25.000 parts
-M. [C] [H] 20.000 parts
-M. [X] [F] 20.000 parts
250.000 parts
Par jugement en date du 5 juillet 2017, le tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion a ouvert une procédure de liquidation à l’encontre de la société Be-Hive.
Suivant courrier recommandé avec avis de réception du 26 septembre 2017 M. [E] a déclaré une créance d’un montant de 82.332,42 euros correspondant aux frais qu’il a engagé au profit de la société Be-Hive auprès du liquidateur.
Suivant courrier recommandé avec avis de réception du 2 octobre 2017 adressé au liquidateur, le conseil de M. [E], invoquant l’intention de son client de céder l’intégralité de ses parts détenues dans le capital de la société Be-Hive, soit 62.500 parts, et la promesse que les dirigeants de ladite société lui auraient faite de régulariser ladite cession, a demandé au liquidateur de « lui confirmer que les actes afférents à cette cession de parts seront préparés afin de régulariser très prochainement la vente. »
Suivant courrier recommandé avec avis de réception du 28 mars 2018, M. [E] a été informé par le liquidateur que sa créance était contestée et qu’il entendait saisir le juge-commissaire d’une proposition de rejet pour sa totalité au motif suivant : « Absence de convention signée par les co-gérants de Be-Hive Réunion. Votre demande de créance apparaît totalement infondée en l’état en l’absence de tout justificatif probant. »
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 26 avril 2018, M. [E] a maintenu sa position et détaillé sa créance de 82.2332,42 euros, comme suit :
-364 heures de travail facturées à 200 euros de l’heure pour un travail effectué du 12 novembre 2015 au 26 février 2016, soit 72.800 euros
-frais de voyage au Mozambique pour 6.000 euros
-au titre d’indemnités kilométriques pour 3.532,42 euros.
Suivant courrier recommandé avec accusé de réception du 27 décembre 2018, le liquidateur a mis en demeure M. [E] de lui régler la somme de 42.475 euros correspondant à sa part dans le capital social souscrit appelé mais non encore versé, invoquant l’article L624-20 du code de commerce et ce, dans le délai de 15 jours.
M. [E] verse aux débats, notamment :
-un « PLAN D’ACTION HEBDOMADAIRE COMMUNICATION » non daté, non signé, dont on ignore l’auteur, consistant en un tableau de 7 pages difficilement lisible, comprenant une colonne « Date », une colonne « Actions », une colonne « Commentaires ou remarques », complétées, ainsi qu’une colonne « Délai » et une colonne « Réalisé le » toutes deux non complétées
-le « Rapport de gestion sur les opérations de l’exercice clos le 31/12/2015 » établi le 30 juin 2016 par la gérance de la société Be-Hive indiquant au paragraphe « EVEMENTS IMPORTANTS SURVENUS DEPUIS LA CLOTURE DE L’EXERCICE » : « Volonté de [P] [E], actionnaire de Be-Hive de quitter l’actionnariat annoncée mi mai 2016 »
-courrier de M. [F], gérant de la société Be-Hive dont l’objet est « appel de fonds » adressé à M. [E] qui indique l’avoir reçu le 14 juin 2017, non daté, lui demandant de libérer le solde de ses parts sociales avant le 23 juin « prochain »
-les comptes de la société Be-Hive couvrant la période du 1er janvier 2017 au 30 juin 2017 édités le 6 juillet 2017 (6 mois) (actif, passif, compte de résultat, actif détaillé, passif détaillé, compte de résultat détaillé).
Il résulte de ce qui précède que :
-la SARL Be-Hive Réunion, immatriculée au RCS de Saint Denis le 10 septembre 2010, a procédé à une augmentation de capital en septembre 2015, afin d’augmenter le capital social de 100 à 250.000 euros, soit une augmentation de 249.900 euros, à laquelle tous les associés ont participé, dont M. [E] qui possédait 25 parts à 1 euro et qui s’est retrouvé propriétaire de 62.500 parts à 1 euro, soit 62.475 parts supplémentaires, qui n’ont été libérées que du quart, conformément à l’article L223-32. C’est ainsi qu’une somme de 15.625 euros a été débitée sur l’apport en compte courant de M. [E], la fraction non libérée s’élevant à la somme de 46.850 euros, la libération du surplus devant intervenir dans un délai de 5 ans.
Cependant, entre temps, la société Be-Hive a été placée en liquidation judiciaire, rendant, de facto, le montant non libéré du capital social immédiatement exigible en vertu des dispositions de l’article L624-20 du code de commerce.
Sur le fondement de l’article L622-20 du code de commerce, le 27 décembre 2018, le liquidateur a donc mis en demeure M. [E] de lui verser les sommes restant dues sur le montant des parts sociales souscrites par lui et non libérées, à savoir la somme de 42.475 euros, et ce, sous quinzaine.
La demande du gérant étant restée vaine, le compte courant d’associé de M. [E] est passé d’une position créditrice de 4.375 € à une position débitrice de 42.475 €, tel que cela résulte des comptes sociaux au 30 juin 2017.
M. [E] prétend qu’il aurait renoncé à ladite augmentation, arguant du rapport de gestion sur les opérations de l’exercice clos le 31/12/2015 établi le 30 juin 2016 dans lequel il est mentionné sa volonté de « quitter l’actionnariat annoncé mi mai 2016 ».
Or, M. [E] ne justifie pas avoir mis à exécution son projet de quitter la société, ce qu’il ne pouvait faire qu’en cédant ses parts sociales librement à un associé ou avec le consentement de la majorité des associés représentant au moins les trois quarts des parts sociales à un tiers, sauf à ce que les associés décident d’annuler ses parts sociales dans le cadre d’une réduction de capital social.
Il s’en suit que la demande en paiement d’une provision de 42.475 euros n’est pas sérieusement contestable.
Par ailleurs, M. [E] a déclaré auprès du liquidateur une créance d’un montant de 82.2332,42 euros au titre de 364 heures de travail à 200 euros effectuées du 12 novembre 2015 au 26 février 2016, de frais de voyage et d’indemnités kilométriques, ce dont il ne justifie pas, la seule pièce versée aux débats s’y rapportant étant la production d’un tableau dénommé « PLAN D’ACTION HEBDOMADAIRE COMMUNICATION » dont on ignore par qui et quand il a été établi, à l’exclusion de toute autre pièce, telle un contrat de travail ou de mission passé avec la société Be-Hive ou encore des factures relatives à ses frais.
Il s’en déduit que le moyen tiré de la connexité des créances soulevé par M. [E] ne constitue pas une contestation sérieuse, l’existence même de la créance qu’il prétend avoir à l’encontre de la société Be-Hive n’étant pas certaine en son principe.
En conséquence, l’ordonnance déférée doit être confirmée en ce qu’elle a condamné M. [P] [E] à payer à la SELARL Hirou, ès qualités de liquidateur de la SARL Be-Hive Réunion à titre de provision la somme de 42.475 euros, outre intérêts légaux à compter du 27 décembre 2018.
Sur l’octroi de délais de paiement
M. [E] sollicite des délais de paiements arguant que sa situation économique et financière ne lui permet pas de faire face à la condamnation si elle était prononcée et ajoutant que la situation sanitaire consécutive à l’épidémie de COVID 19 a largement contribué à la dégradation de son activité.
Sur quoi,
Aux termes de l’article 1343-5 du code civil :
« Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.
Il peut subordonner ces mesures à l’accomplissement par le débiteurs d’actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.
La décision du juge suspend les procédures d’exécution qui auraient été engagée par le créancier. Les majorations d’intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.
Toute stipulation contraire est réputée ,on écrite.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables au dettes d’aliment. »
En l’espèce, à hauteur de cour comme en première instance, M. [E] ne produit aucune pièce relative à sa situation socio-professionnelle permettant de connaître ses ressources et charges.
L’ordonnance sera par conséquent confirmée en ce qu’elle a débouté M. [E] de sa demande subsidiaire de délai de paiement.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
M. [E] succombant, il convient de :
-le condamner aux dépens d’appel
-le débouter de sa demande au titre des frais irrépétibles pour la procédure d’appel
-confirmer l’ordonnance en ce qu’elle l’a condamné aux dépens
-confirmer l’ordonnance en ce qu’elle l’a débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles pour la procédure de première instance.
L’équité commandant de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en faveur du liquidateur, il convient de lui accorder de ce chef la somme de 3.000 euros pour la procédure d’appel et de confirmer l’ordonnance en ce qu’elle lui a alloué à ce titre la somme de 1.500 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, en matière commerciale, par mise à disposition au greffe conformément à l’article 451 alinéa 2 du code de procédure civile;
DECLARE irrecevable la demande de la SELARL Hirou, ès qualité de liquidateur de la SARL Be-Hive Réunion, tendant à la radiation du rôle de l’affaire instruite sous le numéro RG 21/0119 ;
CONFIRME en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 23 juin 2021 par le président du tribunal mixte de commerce de Saint Denis de la Réunion ;
Y ajoutant
CONDAMNE M. [P] [E] à payer à la SELARL Hirou, ès qualité de liquidateur de la SARL Be-Hive Réunion la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
LE CONDAMNE aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Madame Sophie PIEDAGNEL, Conseillère, et par Madame Nathalie BEBEAU, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE SIGNE LA PRÉSIDENTE