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MINUTE N° 394/22
Copie exécutoire à
– Me Loïc RENAUD
– Me Julie HOHMATTER
– Me Guillaume HARTER
Le 13.07.2022
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
PREMIERE CHAMBRE CIVILE – SECTION A
ARRET DU 13 Juillet 2022
Numéro d’inscription au répertoire général : 1 A N° RG 20/01068 – N° Portalis DBVW-V-B7E-HJ7J
Décision déférée à la Cour : 06 Février 2020 par la Chambre commerciale du Tribunal judiciaire de COLMAR
APPELANTE – INTIMEE INCIDEMMENT :
ASSOCIATION POUR LA DEFENSE DES ACTIONNAIRES MINORITAIRES DU GROUPE KERMEL
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
Représentée par Me Loïc RENAUD, avocat à la Cour
Avocat plaidant : Me BECHT, avocat au barreau de MULHOUSE
INTIMEES – APPELANTES INCIDEMMENT :
S.A.S. KEMIDE prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
Représentée par Me Julie HOHMATTER, avocat à la Cour
Avocat plaidant : Me LEFORT, avocat au barreau de PARIS
S.A.S. QUALIUM INVESTISSEMENT
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
Représentée par Me Guillaume HARTER, avocat à la Cour
Avocat plaidant : Me FAGUER, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 13 Décembre 2021, en audience publique, un rapport ayant été présenté, devant la Cour composée de :
Mme PANETTA, Présidente de chambre
M. ROUBLOT, Conseiller
Mme ROBERT-NICOUD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme VELLAINE
ARRET :
– Contradictoire
– rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
– signé par Mme Corinne PANETTA, présidente et Mme Régine VELLAINE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
L’activité du Groupe Kermel est exercée au travers d’une société opérationnelle, la société Kermel, qui est producteur de fibres particulières principalement utilisées pour des vêtements professionnels de haute protection contre le feu et la chaleur extrême.
La SAS Kermel est détenue à 100 % par la SAS Colimide, elle-même détenue à 100 % par la SAS Kemide.
En 2012, les fonds d’investissement FCPR Investissement Long et FCPI Qualium Fund, gérés par la société de gestion Qualium Investissement, ont acquis 77,14 % du capital de la société Kemide.
A travers la société Alsamide, des salariés et dirigeants du Groupe Kermel ont conservé une participation de 22,85 % dans le capital social de la société Kemide, cette dernière précisant que la société Alsamide est un véhicule d’intéressement des dirigeants du Groupe Kermel spécifiquement créé à l’occasion de l’opération.
Le 17 février 2016, le président et le directeur général des sociétés Kemide et Colimide ont été révoqués ad nutum.
Par ordonnance du 24 février 2016, a été nommé un mandataire ad hoc des sociétés Kemide et Colimide.
Par ordonnance du 24 juin 2016, une procédure de conciliation a été ouverte.
En juillet 2016, un term-sheet de restructuration, validé par le Comité de surveillance, a arrêté les principales mesures de restructuration du groupe.
Le protocole de conciliation du 18 octobre 2016 a été homologué par jugement du 17 novembre 2016.
L’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel a agi à l’encontre de la SAS Qualium Investissement et de la SAS Kemide.
Par jugement du 6 février 2020, le tribunal judiciaire de Colmar a :
– écarté des débats les notes en délibéré adressées le 8 novembre 2019 en ce qui concerne l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel, et le 19 novembre 2019 s’agissant de la SAS Qualium Investissement, en sa qualité de société de gestion et de représentante des fonds communs de placement à risque FPCR Qualium Fund et FCPR Investissement Long Terme,
– déclaré recevable la demande de l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel fondée sur l’abus de majorité,
– déclaré irrecevable la demande de l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel fondée tant sur un abus de droit en ce qui concerne la révocation des dirigeants du Groupe Kermel, ainsi que des actes anormaux de gestion, erreurs commerciales et techniques, et ce, pour défaut de qualité pour défendre de la SAS Qualium Investissement, en sa qualité de société de gestion et de représentante des fonds communs de placement à risque FPCR Qualium Fund et FCPR Investissement Long Terme,
– débouté l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel de l’intégralité de ses demandes,
– débouté SAS Qualium Investissement, en sa qualité de société de gestion et de représentante des fonds communs de placement à risque FPCR Qualium Fund et FCPR Investissement Long Terme, et la SAS Kemide, de leur demande reconventionnelle de dommages-intérêts,
– condamné l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel à supporter les entiers dépens,
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel,
– condamné l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel à payer à la FPCR Qualium Fund, la FCPR Investissement Long Terme et la SAS Kemide chacune la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeté la demande d’octroi du bénéfice de l’exécution provisoire.
Le 9 mars 2020, l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel en a interjeté appel.
Le 14 avril 2020, la SAS Qualium, en sa qualité de société de gestion et de représentante des fonds communs de placement à risque FPCR Qualium Fund et FCPR Investissement Long Terme, s’est constituée intimée.
Le 15 mai 2020, la SAS Kemide s’est constituée intimée.
Par acte d’huissier de justice délivré le 18 mai 2020, l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel a fait signifier à la SAS Kemide la déclaration d’appel du 9 mars 2020, le récapitulatif de la déclaration d’appel, l’avis de désignation du conseiller de la mise en état du 9 mars 2020 et les conclusions d’appel avec bordereau de pièces du 23 mars 2020.
Par ordonnance du 31 mai 2021, le magistrat chargé de la mise en état a déclaré irrecevable la demande présentée par l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel dans ses conclusions du 15 juillet 2020, réclamant à la Cour de ‘statuer sur la nullité des assemblées extraordinaires de la SAS Kemide des 28 novembre et 1er décembre 2016 au motif notamment du non-respect de l’article 21.2 des statuts sociaux de la SAS Kemide et de l’abus de majorité consistant pour Qualium à en retirer un avantage minimum de 10 196 838 euros’ comme n’ayant pas été présentée dans ses premières conclusions d’appel du 23 mars 2020.
Par ses dernières conclusions du 5 octobre 2021, auxquelles était joint un bordereau de communication de pièces, qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour, l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel demande à la cour de :
– déclarer l’appel recevable et bien fondé
En conséquence,
– infirmer le jugement attaqué
Statuant à nouveau :
– juger recevable l’association dans son intérêt et qualité à agir.
– juger qu’un protocole de conciliation ne pouvait avoir pour effet de porter atteinte aux droits des actionnaires minoritaires.
– juger qu’il y a une différence juridique, comptable et fiscale entre une ‘perte’ et une ‘provision’ et que par conséquent le protocole de conciliation a été dévié de son texte.
– juger que les provisions fictives et disproportionnées ne reflètent pas l’exactitude et la sincérité des bilans du Groupe au 28.2.2016 au moment où ils ont été soumis aux assemblées des actionnaires et qu’il y a fraude à la réalité des comptes.
– juger que l’augmentation de capital au profit de Qualium s’est effectuée sur des valeurs d’actifs sous-évaluées et que cette fraude est au sens de la jurisprudence contraire à l’intérêt social
– juger sur le fondement de faits graves et convergents qu’il y a rupture d’égalité entre actionnaires.
– juger qu’il y a eu abus de majorité et des abus de droit de la part de la SAS QUALIUM au détriment des actionnaires minoritaires représentés par l’appelante.
– juger que les actionnaires minoritaires ont subi d’importants préjudices liés à cet abus de majorité – à des abus de droit et de non-respect de plusieurs engagements du pacte d’actionnaires.
Et ainsi,
– débouter les SAS QUALIUM et KEMIDE de toutes leurs demandes
– condamner la SAS QUALIUM à verser à l’Association appelante :
– le montant minimum du préjudice subi par les actionnaires minoritaires soit la somme de 4.672.800 € à charge du reversement par les soins de la demanderesse des sommes dues à chaque actionnaire.
– en raison de la fraude, le montant total de la perte de chance subie par les actionnaires minoritaires soit la somme de 4.200.000 € à charge du reversement par les soins de la demanderesse des sommes dues à chaque actionnaire.
– en raison de la fraude, le montant total du préjudice psychologique subi par les actionnaires minoritaires soit la somme de 800.000 € à charge du reversement par les soins de la demanderesse des sommes dues à chaque actionnaire.
– condamner la SAS QUALIUM au remboursement des frais d’avocats et de procédure résultant de la violation du pacte d’actionnaires et ce, en vertu de l’article 14.2 de ce pacte.
– condamner la SAS QUALIUM à lui payer la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 CPC
– condamner la SAS QUALIUM aux entiers dépens de première instance et d’appel
A titre subsidiaire,
– juger notamment sur le fondement de l’article 1231-1 du Code Civil que la SAS QUALIUM est fautive de plusieurs abus de droit et non-respect d’engagements contractuels ayant généré d’importants préjudices aux actionnaires minoritaires représentés par l’Association ‘ appelante
Et en conséquence,
– débouter les SAS QUALIUM et KEMIDE de toutes leurs demandes
– condamner la SAS QUALIUM à verser à l’Association appelante :
– le montant minimum du préjudice subi par les actionnaires minoritaires soit la somme de 4.672.800 € à charge du reversement par les soins de la demanderesse des sommes dues à chaque actionnaire.
– le montant total de la perte de chance subie par les actionnaires minoritaires soit la somme de 4.200.000 € à charge du reversement par les soins de la demanderesse des sommes dues à chaque actionnaire.
– le montant total du préjudice psychologique subi par les actionnaires minoritaires soit la somme de 800.000 € à charge du reversement par les soins de la demanderesse des sommes dues à chaque actionnaire.
– condamner la SAS QUALIUM au remboursement des frais d’avocats et de procédure résultant de la violation du pacte d’actionnaires et ce, en vertu de l’article 14.2 de ce pacte.
– condamner la SAS QUALIUM à lui payer la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du CPC
– condamnner la SAS QUALIUM aux entiers dépens
A titre plus subsidiaire,
– juger que, même si formellement les assemblées extraordinaires de la SAS Kemide des 28 Novembre et 1er Décembre 2016 relevaient du protocole de conciliation, celui ne pouvait couvrir le non-respect de l’article 21.2 des statuts sociaux de la SAS Kemide et de l’abus de majorité consistant pour Qualium à en retirer un avantage minimum de 10.196.838 € sur la base d’un actif sous-évalué au détriment des actionnaires minoritaires.
Et en conséquence,
– débouter les SAS QUALIUM et KEMIDE de toutes leurs demandes
– condamner la SAS QUALIUM à verser à l’Association appelante :
– le montant minimum du préjudice subi par les actionnaires minoritaires soit la somme de 4.672.800 € à charge du reversement par les soins de la demanderesse des sommes dues à chaque actionnaire.
– le montant total de la perte de chance subie par les actionnaires minoritaires soit la somme de 4.200.000 € à charge du reversement par les soins de la demanderesse des sommes dues à chaque actionnaire.
– le montant total du préjudice psychologique subi par les actionnaires minoritaires soit la somme de 800.000 € à charge du reversement par les soins de la demanderesse des sommes dues à chaque actionnaire.
– condamner la SAS QUALIUM au remboursement des frais d’avocats et de procédure résultant de la violation du pacte d’actionnaires et ce, en vertu de l’article 14.2 de ce pacte.
– condamner la SAS QUALIUM à verser à l’appelante la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 CPC,
– condamner la SAS QUALIUM aux entiers dépens.
Sur l’intérêt à agir, elle soutient que les membres de l’Association sont tous actionnaires de la société Alsamide, laquelle est neutralisée par un droit de veto de Qualium, de sorte que les actionnaires minoritaires ne pouvaient plus agir par Alsamide. Elle ajoute que son intérêt est reconnu par le pacte d’actionnaire.
S’agissant de sa qualité pour agir, elle fait valoir qu’une association peut représenter ses membres dans l’exercice d’action appartenant à chacun d’eux et que l’Association regroupe l’ensemble des actionnaires de la société Alsamide, qui ont donné expressément pouvoir à l’Association d’intenter une action en justice pour la défense de leurs intérêts spoliés.
Elle reproche au tribunal d’avoir limité son intérêt à agir et, par conséquent, sa qualité à agir à l’examen de l’abus de majorité. Elle précise que sa demande n’a jamais porté sur des fautes de gestion ou sur un abus de droit lié à la révocation des dirigeants.
Elle ajoute que même à supposer qu’elle ne soit pas recevable en sa qualité ‘d’actionnaire’, un tiers à un contrat, tel un pacte d’actionnaire, peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel (obligation de loyauté, de bonne foi et engagement à assumer les risques de l’investissement, engagement de non-dilution) qui lui a causé un dommage.
Elle soutient que l’ordonnance d’homologation ne peut porter atteinte aux droits des associés minoritaires.
Au soutien de son affirmation de l’existence d’un abus de majorité, elle invoque :
– les décisions des assemblées générales du 28 novembre 2016 et du 1er décembre 2016,
– des manipulations comptables et financières,
– la spoliation des actionnaires minoritaires, dès lors que leur part au capital de la SAS Kemide est passée de 22,85 % à 0,45 %,
– la réintégration de la provision fictive, après cette spoliation, par décision de l’assemblée générale du 27 juillet 2018, alors même que les résultats du Groupe ne s’étaient pas améliorés de façon spectaculaire,
– l’atteinte à l’intérêt social, compte tenu de la spoliation d’un salarié de ses actions, du fait d’avoir fait croire que la SAS Kermel était en danger et de solliciter des mesures de sauvegarde, outre qu’elle n’était pas tenue des dettes de sa société-mère, du fait d’avoir procédé à une augmentation de capital sans apport d’argent frais, de ce que les actionnaires majoritaires ont souscrit des actions à une valeur 60 fois inférieure à leur valeur intrinsèque et en ont retiré un avantage discriminatoire, mais aussi de l’éviction de l’ensemble des cadres et salariés de l’entreprise, en leur qualité d’actionnaire,
– la fraude, en invoquant l’arrêt de la Cour de cassation du 7 mai 2019, et soulignant que lors de la rédaction de l’ordonnance d’homologation, la Présidente de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Colmar n’avait connaissance d’aucun des chiffres et circonstances applicables aux six critères retenus par la Cour de cassation pour qualifier ce type d’opération frauduleuse.
Au soutien de son affirmation de l’existence d’autres abus de droit, invoqués pour rechercher la responsabilité de la société Qualium sur le fondement de l’article 1240 du code civil, elle invoque :
– le fait d’avoir imposé au Groupe Kermel en 2012, le recours à des prêteurs luxembourgeois avec un taux usuraire de 10 %, en faisant abstraction de leur devoir de conseil,
– le fait d’avoir souscrit l’augmentation de capital du 1er décembre 2016 à la valeur nominale de 0,01 euros,
– le fait que Qualium ait tenu la plume du rédacteur du protocole,
– la compensation avec des ‘créances d’intérêts’, c’est-à-dire des créances non certaines, ni liquides, ni exigibles et non certifiées par un commissaire aux comptes,
– le fait d’être légitime à penser que les dirigeants de la SAS Qualium ont agi dans leur intérêt personnel,
– le refus de prendre en charge les risques liés à l’investissement en dépit de l’engagement figurant au pacte d’actionnaire,
– la gestion de fait de l’entreprise,
– l’abus de confiance
Elle soutient que le préjudice imputable à ces abus de majorité et abus de droit imputables aux décisions de l’actionnaire majoritaire est constitué de :
– la double dévalorisation des actions de la société Alsamide par la réduction de leur valeur nominale, et par la dilution du pourcentage de sa participation au capital de Kemide, soit un préjudice actuel minimum de 4 672 800 euros,
– la perte de chance des actionnaires minoritaires d’une plus-value quasi-certaine à l’horizon 2020/21, soit 100 % de la valeur nominale, soit 4 200 000 euros, un autre calcul montrant que ‘la perte de chance sur la marge bénéficiaire des augmentations prévisibles de tonnage jusqu’en 2020 serait de 4 238 000 euros,’
– le préjudice psychologique caractérisé par l’atteinte à l’image de marque des dirigeants, directeurs et salariés du Groupe Kermel, actionnaires minoritaires, causé par la conférence de presse du 6 septembre 2016 ayant rendu publique des griefs non fondés et non justifiés, évalué à 50 000 euros par actionnaire, soit un total de 800 000 euros,
– les frais d’avocat et dépens au titre de l’indemnisation prévue au pacte d’actionnaire évalués à 50 000 euros.
Elle conclut au rejet de la demande reconventionnelle au titre d’une procédure abusive.
Par ses dernières conclusions du 8 novembre 2021, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces, qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour, la SAS QUALIUM Investissement demande à la cour de :
A titre principal :
I. Sur l’irrecevabilité de l’action de l’ADAM :
– déclarer l’ADAM irrecevable à agir sur le fondement de ce qu’elle qualifie de ‘plusieurs abus de droit’ ;
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé l’ADAM recevable à agir en abus de majorité contre la société QUALIUM INVESTISSEMENT ;
– Statuant à nouveau : déclarer l’ADAM irrecevable en ses demandes ;
Subsidiairement :
II. Sur le fond
– Dire et Juger que l’ADAM ne démontre pas que les délibérations critiquées auraient été contraires à l’intérêt social et prises dans le seul but de favoriser les intérêts des majoritaires au détriment de ceux des minoritaires ;
– Dire et Juger que l’ADAM ne démontre pas que la société QUALIUM INVESTISSEMENT aurait eu la qualité de dirigeant de fait en ayant, de façon continue et régulière, exercé des activités positives de gestion et de direction engageant la société sous couvert ou au lieu et place de ses représentants légaux ni davantage commis un ‘abus de droit’ préjudiciable ;
En conséquence :
– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté l’ADAM de l’ensemble de ses prétentions ;
A titre subsidiaire :
– Dire et Juger que les prétentions formulées au titre des prétendus préjudices sont irrecevables et portent en tout état de cause sur des dommages ni juridiquement indemnisables, ni démontrés ;
– En conséquence : Débouter l’ADAM de l’ensemble de ses prétentions ;
IV. Sur la procédure abusive :
– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de la société QUALIUM INVESTISSEMENT sur le fondement de la procédure abusive ;
Statuant à nouveau :
– Condamner l’ADAM à verser à la société QUALIUM INVESTISSEMENT la somme de 100.000 euros au titre de la procédure abusive ;
V. En tout état de cause :
– Donner acte à la société QUALIUM INVESTISSEMENT qu’elle se réserve le droit d’agir en responsabilité à l’encontre de Messieurs [Z] et [E] au titre des fautes commises dans le cadre de leur gestion ;
– Condamner l’ADAM à verser à la société QUALIUM INVESTISSEMENT la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– Condamner l’ADAM aux entiers dépens des deux instances
Au soutien de la fin de non-recevoir, elle fait valoir que, sauf habilitation législative, seul un actionnaire peut avoir un intérêt et une qualité à agir dans le cadre d’une action intentée sur le fondement de l’abus de majorité ou d’une prétendue fraude en relation avec une assemblée générale, et qu’en l’espèce, l’ADAM n’est pas elle-même actionnaire de Kemide et n’agit pas sur le fondement de l’article L.452-1 du Code Monétaire et Financier. Elle ajoute que les sociétaires de l’ADAM ne sont pas eux-mêmes actionnaires de Kemide. Elle ajoute que le fait, pour un membre d’une association, d’agir au travers d’une association ne donne pas plus de droit que s’ils n’étaient pas membres de l’association.
Elle conteste l’application de l’article L.225-120 du code de commerce au cas présent, mais aussi l’existence d’un droit de veto qui empêcherait Alsamide d’agir, Alsamide étant une personne morale distincte de Kemide et n’en est pas une filiale, étant au contraire elle-même actionnaire de Kemide.
Elle considère que le pacte d’actionnaire n’autorise pas, au regard du droit des sociétés, à considérer fictivement les associés d’Alsamide comme associés de Kemide.
Elle ajoute qu’à supposer même que la dénaturation du Pacte par l’ADAM soit pertinente, ce qui n’est pas le cas, les seuls qui auraient alors éventuellement intérêt et qualité à agir sur le fondement de l’abus de majorité ou de la fraude seraient alors les associés personnes physiques d’Alsamide, et non pas l’ADAM qui n’est associée d’aucune entité du Groupe.
Enfin, elle soutient que le fait qu’un manquement contractuel est susceptible d’être invoqué par un tiers sur un fondement délictuel, n’autorise pas à agir sur le terrain de l’abus de majorité, lequel ne résulte pas d’un manquement d’ordre contractuel. Elle ajoute qu’en droit des sociétés, l’action en responsabilité engagée par un tiers à l’encontre d’un actionnaire ne peut intervenir qu’au titre de la commission d’une faute intentionnelle d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des prérogatives attachées à la qualité d’associé.
Elle conteste l’existence d’un abus de majorité, soutenant que les décisions des assemblées générales des 28 novembre et 1er décembre 2016 n’étaient pas contraires à l’intérêt social, compte tenu des difficultés de trésorerie auxquelles était confronté le Groupe Kermel et de la nécessité de trouver un accord avec les prêteurs. Elle ajoute que la solution trouvée était dans l’intérêt social, puisque l’exécution de l’accord de conciliation a permis de sauver le Groupe. Elle fait aussi valoir que ni les anciens dirigeants, ni Alsamide n’ont proposé de solutions alternatives et le représentant d’Alsamide au Conseil de surveillance a donné son accord sur les conditions proposées lors du comité de surveillance du 27 juillet 2017. Elle ajoute qu’ADAM a reconnu que les anciens dirigeants et salariés avaient renoncé à former tierce opposition à ce protocole de conciliation dans l’intérêt exclusif de la sauvegarde de l’entreprise et de ses salariés, ce qui montre qu’ils reconnaissaient qu’il était conforme à l’intérêt social.
Elle ajoute que l’opération n’a pas été conclue dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité, observant qu’Alsamide aurait pu souscrire à l’augmentation de capital, ses droits préférentiels ayant été maintenus. Elle fait valoir que faute d’avoir participé à l’augmentation de capital, Alsamide était mécaniquement diluée et ne saurait faire grief aux Fonds Qualium d’avoir accepté d’y participer et de sauver la société.
Elle ajoute que l’article 12.1 ne s’applique pas, la disposition spéciale concernant l’émission de nouveaux titres étant prévue par l’article 12.2
Elle conteste qu’Alsamide ait été ‘spoliée’ de ses droits de minoritaires et soutient que ce sont surtout les Fonds Qualium, majoritaires, qui ont concédé des droits au profit des Prêteurs.
Elle conteste également toute valorisation frauduleuse des comptes sociaux, faisant notamment valoir que les valorisations réalisées à l’issue du texte de dépréciation relèvent du montant retenu par un expert indépendant d’Accuracy, que la valorisation figurait en annexe du Protocole de conciliation présenté au tribunal dans le cadre de la procédure d’homologation, qu’elle résultait d’un arrêté de comptes validé par des experts-comptables et deux cabinets de commissaires aux comptes. Elle ajoute qu’Alsamide ne s’est pas opposée à l’approbation des comptes lors de l’assemblée générale du 28 novembre 2016. Elle invoque en outre les rapports des commissaires aux comptes.
Elle soutient que l’article L.611-10-1 du code de commerce n’interdit pas de manière générale de capitaliser des intérêts, laquelle est autorisée par l’article 1343-2 du code civil en dehors de toute période d’exécution d’un accord amiable prévu par le premier de ces textes.
Elle soutient que l’ADAM ne démontre pas l’existence d’une sous-évaluation, ni de volonté intentionnelle de frauder. Elle conteste que la situation de l’arrêt de la Cour de cassation du 7 mai 2019 soit transposable à la présente situation.
Elle ajoute que le fait que les augmentations de capital de nature à restaurer les fonds propres devaient logiquement intervenir immédiatement, soient intervenues par compensation de créances et que la valeur des actions Kemide ait été fixée à un centime d’euro dans le cadre de la réduction de capital, figuraient expressément dans l’Accord de Conciliation qui a été homologué.
S’agissant des autres griefs, elle soutient, d’abord, ne pas aborder les questions du prétendu ‘abus de confiance’ et du ‘refus de prendre en charge les risques de l’investissement’, qui ne sont ni articulés, ni compréhensibles.
Elle soutient, ensuite que, l’ADAM est irrecevable à agir à son encontre, et notamment sur le fondement de l’article 225-262 du code de commerce, dès lors qu’elle n’est pas actionnaire de Kemide et que Qualium Investissement n’est pas dirigeant de droit.
Elle conteste avoir été dirigeant de fait, et à titre subsidiaire, avoir pris des décisions fautives.
S’agissant du recours au prêt invoqué, elle soutient que M. [Z] est lui-même signataire du contrat de souscription et de prise ferme du 27 juillet 2012, que celui-ci et M. [E] auraient pu ne pas y recourir. Elle ajoute ne pas le leur avoir imposé et qu’elle n’avait pas de devoir de conseil à cet égard. Elle fait encore valoir qu’il n’est pas démontré que les conditions de ce prêt seraient défavorables en comparaison à des emprunts obligataires Unitranche, et qu’il n’avait pas pour objet de favoriser un actionnaire au détriment d’un autre.
A titre subsidiaire, sur le préjudice, elle soutient que l’ADAM est irrecevable et défaillante dans l’administration de la preuve d’un préjudice réparable ayant un lien de causalité avec les manquements allégués.
Enfin, elle soutient que l’action de l’ADAM est abusive.
Par ses dernières conclusions du 3 décembre 2020, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces, qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour, la société KEMIDE demande à la cour de :
– déclarer l’appel interjeté par l’Association pour la Défense des Actionnaires Minoritaires du Groupe Kermel mal fondé,
En conséquence,
– débouter l’Association pour la Défense des Actionnaires Minoritaires du Groupe Kermel de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
– recevoir l’appel incident de la société Kemide,
En conséquence :
1° A titre principal : Sur l’irrecevabilité de l’action :
– constater que ni l’Association pour la Défense des Actionnaires Minoritaires du Groupe Kermel ni ses membres ne sont actionnaires de Kemide ;
– dire et juger que l’Association pour la Défense des Actionnaires Minoritaires du Groupe Kermel n’a pas intérêt ni qualité à agir sur le fondement de l’abus de majorité ;
En conséquence,
– infirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Colmar du 6 février 2020 en ce qu’il a déclaré recevable la demande de l’Association pour la Défense des Actionnaires Minoritaires du Groupe Kermel sur le fondement de l’abus de majorité ;
– déclarer l’Association pour la Défense des Actionnaires Minoritaires du Groupe Kermel irrecevable en ses demandes fondées sur l’abus de majorité ;
2° A titre subsidiaire, sur le fond :
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté l’Association pour la Défense des Actionnaires Minoritaires du Groupe Kermel de l’intégralité de ses demandes ;
– constater que les délibérations de l’Assemblée Générale Mixte du 28 novembre 2016 et de l’Assemblée Générale Extraordinaire du 1er décembre 2016 relèvent de la simple mise en oeuvre du Protocole de Conciliation homologué le 19 novembre 2016 ;
– constater que les comptes sociaux approuvés au cours de l’Assemblée Générale Mixte du 28 novembre 2016 sont exempts de toutes ‘manipulations comptables et financières’ ;
– dire et juger que les décisions d’Assemblée Générale Mixte et Extraordinaire de Kemide des 28 novembre et 1er décembre 2016 sont conformes à l’intérêt social de Kemide et qu’elles n’ont pas été prises dans le seul but de favoriser les intérêts des actionnaires majoritaires de Kemide au détriment de ceux des actionnaires minoritaires ;
En conséquence,
– débouter l’Association pour la Défense des Actionnaires Minoritaires du Groupe Kermel de l’intégralité de ses demandes ;
3° Au titre de l’appel incident : concernant la procédure abusive
– dire et juger que l’action intentée par l’Association pour la Défense des Actionnaires Minoritaires du Groupe Kermel est abusive ;
En conséquence,
– infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Colmar le 6 février 2020 en ce qu’il a débouté Kemide des demandes formulées sur le fondement de la procédure abusive ;
– condamner l’Association pour la Défense des Actionnaires Minoritaires du Groupe Kermel à payer à la société Kemide la somme de ‘1050.000″ euros pour procédure abusive ;
En tout état de cause : condamner l’Association pour la Défense des Actionnaires Minoritaires du Groupe Kermel à payer à la société Kemide la somme de ‘1020.000″ euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Au soutien de la fin de non-recevoir, elle soutient que la qualité à agir sur le fondement de l’abus de majorité est réservée aux personnes détenant la qualité d’actionnaire de la société, qu’il s’agit d’une action attitrée, alors que l’Association n’est pas actionnaire de la société Kemide. Elle ajoute qu’aucun des membres de l’Association n’a la qualité d’actionnaire de la société Kemide.
Elle fait valoir que les jurisprudences invoquées ne confèrent pas à une personne qui n’est pas actionnaire de la société un intérêt ou une qualité à agir sur le fondement délictuel pour sanctionner un abus de majorité, qui est un manquement d’ordre délictuel et ne suppose pas la caractérisation d’un manquement contractuel.
Elle ajoute que les conditions de l’article L.225-120 du code de commerce ne sont pas réunies, et ne s’appliquent pas à la société Kemide, qui est une SAS, dont les actions ne sont pas admises aux négociations sur un marché réglementé et alors que les membres de l’Association ne détiennent pas directement ou indirectement 5 % du capital de Kemide.
Elle considère que l’Association dénature le pacte d’actionnaire, soutenant qu’il ne leur confère pas intérêt et qualité à agir sur le fondement de l’abus de majorité. Elle en déduit que rien ne justifie que les membres de l’Association, actionnaires d’Alsamide, soient assimilés aux actionnaires de Kemide pour ce qui concerne l’exercice d’une action en justice réservé aux seuls actionnaires de Kemide.
Elle conteste l’existence d’un droit de veto de Qualium qui empêcherait Alsamide d’agir en justice.
A titre subsidiaire, elle conteste que les décisions des assemblées générales des 28 novembre 2016 et 1er décembre 2016 soient empreintes d’abus de majorité. Elle soutient que le tribunal a démontré que ces décisions étaient conformes à l’intérêt social et n’avaient pas pour objet de favoriser l’actionnaire majoritaire au détriment des minoritaires, soit aucune des deux conditions cumulatives nécessaires pour caractériser un abus de majorité.
Elle fait notamment valoir que les décisions sont conformes à l’intérêt social, les opérations sur le capital ainsi décidées étant des mesures essentielles à la restructuration du Groupe Kermel, destinées à assurer sa pérennité, constituant des mesures d’exécution du protocole de conciliation homologué, et ayant pour objet d’assainir sa situation financière et renforcer ses fonds propres. Elle conteste dès lors toute fraude.
Elle ajoute que l’appelante a expressément reconnu le caractère indispensable des opérations de restructuration du protocole de conciliation et lui oppose cet aveu.
Elle fait valoir que les décisions des assemblées générales précitées ne comportent aucune mesure favorisant les actionnaires majoritaires au détriment des actionnaires minoritaires.
A cet égard, elle conteste toute manipulation comptable et financière, soutenant que les méthodes de valorisation des titres sont conformes aux principes comptables, que la provision constituait une obligation comptable et que les méthodes de valorisation et les dépréciations subséquentes ont été validées par le commissaire aux comptes de la société et qu’Alsamide ne s’est pas opposée à l’approbation des comptes lors de l’assemblée générale du 28 novembre 2016. Elle ajoute que les dépréciations comptables ne sont en tout état de cause pas des mesures qui auraient pour objet ou pour effet d’avantager les actionnaires majoritaires au détriment des minoritaires, dès lors qu’elles impactent la situation de tous les actionnaires dans les mêmes conditions.
Elle ajoute que la décision du 1er décembre 2016 a porté sur l’augmentation de capital avec maintien du droit préférentiel de souscription, de sorte qu’Alsamide avait aussi la faculté d’y souscrire.
Au soutien de son appel incident, elle soutient que l’action intentée par l’Association est abusive dès lors que son action est manifestement irrecevable ce qu’elle ne pouvait ignorer, puisque ni elle, ni ses membres ne sont actionnaires de Kemide, et que la décision sociale qu’elle critique est parfaitement conforme à l’intérêt social, ce qu’elle reconnaît, et ne peut être le siège d’un abus de majorité, puisqu’elle ne porte aucune mesure défavorable aux minoritaires. Elle ajoute que l’Association tente ainsi de remettre illégalement en cause l’opération de restructuration homologuée par le tribunal le 17 novembre 2016 et qu’elle a renoncé à contester.
Par ordonnance du 17 novembre 2021, la clôture de la procédure a été ordonnée et l’affaire renvoyée à l’audience de plaidoirie du 13 décembre 2021.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux dernières conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS DE LA DECISION :
L’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du groupe Kermel (l’Association) indique que ses membres sont tous actionnaires de la société Alsamide.
Selon ses statuts, l’Association a pour but ‘de défendre les intérêts des salariés ou anciens salariés actionnaires minoritaires du Groupe Kermel. Elle a notamment pour but d’intenter une action en justice pour réclamer la réparation du préjudice subi par chaque membre de l’association ainsi qu’au nom de leurs intérêts collectifs. Elle a également pour objectifs toute démarche et/ou procédure de saisine d’instances politiques, financières et judiciaires. Et d’une manière générale de prendre toute initiative et mener toute action ayant un rapport direct ou indirect avec l’objet social’.
Ses statuts précisent qu’elle se compose de membres actifs, qui sont ‘tout salarié ou ancien salarié – cadre ou non cadre, et conjoint qui détient une ou plusieurs actions dans l’une des sociétés du Groupe Kermel et qui verse une cotisation (…)’ et des membres honoraires, qui sont des personnes physiques et dont la définition est donnée par les statuts.
L’Association agit pour obtenir la réparation du préjudice subi par les actionnaires minoritaires qu’elle représente, causé par les décisions de l’actionnaire majoritaire qu’est la société Qualium.
Elle demande ainsi réparation du préjudice subi par les actionnaires minoritaires au capital de la SAS Kemide à travers la SAS Alsamide (cf. P. 62 de ses conclusions).
Cependant, comme le soutient la société Kemide, l’Association n’est pas actionnaire de la société Kemide ; ses membres, qu’elle indique être actionnaires de la société Alsamide, ne sont pas non plus actionnaires de la société Kemide, seule la société Alsamide étant actionnaire minoritaire de la société Kemide.
L’Association réplique que la société Alsamide, dont ses membres sont actionnaires, est ‘neutralisée par un droit de veto de Qualium, les actionnaires minoritaires ne pouvaient donc plus agir par Alsamide’.
Pour justifier l’existence d’un tel droit de veto, elle invoque l’annexe 5.1 du pacte d’actionnaire.
La cour relève que l’article 5.1 du ‘pacte d’associés relatif à la société Kemide’ (pièce 1 de l’Association) prévoit que ‘le Président du Comité de Direction (…), le Comité de Direction et ses membres et les organes sociaux des Filiales ne pourront prendre aucune des décisions listées en Annexe 5.1 concernant tant la Société qu’une ou plusieurs Filiales, ni aucune mesure conduisant en pratique aux mêmes conséquences que celles résultant de l’une des décisions suivantes, sans avoir obtenu l’autorisation préalable du Comité de surveillance’.
L’annexe 5.1 concerne la ‘Liste des décisions soumises à l’autorisation préalable du Comité de surveillance’ et vise notamment ‘toute décision relative à un litige ou à une procédure arbitrale portant sur un montant supérieur à un seuil de 250 000 euros (…)’.
Ainsi, ce pacte ne prévoit une telle limitation que pour les actions en justice qui serait engagée au nom et pour le compte de la société Kemide.
Il n’est ainsi pas démontré que la société Alsamide, actionnaire minoritaire, serait privée d’un droit d’agir en justice ou qu’un veto pourrait l’empêcher d’agir. Les violations invoquées des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 1 du Protocole n°1 à cette Convention ne sont donc pas caractérisées.
L’Association invoque, en outre, le pacte d’actionnaire, pour soutenir qu’il caractérise le consentement des parties à la substitution des dirigeants et cadres – actionnaires minoritaires – à la société Alsamide pour les besoins de la cause.
La cour relève que le pacte d’associés précité indique, dans une partie liminaire, en son point E, page 5, : ‘Les Parties ont souhaité déterminer dans le présent pacte d’associés (le ‘Pacte’) les règles devant s’appliquer entre elles pour organiser leurs rapports au sein de la Société, la manière dont le Groupe Kermel sera dirigé et les conditions qu’elles entendent respecter lors de la cession de tout ou partie de leur participation dans le capital de la Société.
Il est précisé que les Dirigeants et Cadres Clés sont regroupés, pour les besoins de leur investissement dans la Société, au sein de la Société des Dirigeants et Cadres Clés. [sur ce la cour relève que l’Association indique qu’il s’agit de la société Alsamide]. Les parties reconnaissent que l’investissement des Dirigeants et Cadres Clés par l’intermédiaire de la Société des Dirigeants et Cadres Clés doit être traité dans les mêmes termes et conditions que s’ils avaient investi directement au capital de la Société. Dans ce cadre, il est de l’intention des Parties, comme exposé plus avant dans le cadre du présent Pacte, de privilégier, dans le cadre d’une Sortie, le Transfert par les Dirigeants et Cadres Clés des Titres qu’ils détiennent dans la Société des Dirigeants et Cadres Clés en lieu et place du Transfert, par la Société es Dirigeants et Cadres Clés, des Titres que cette dernière détient dans la Société.’
Il ne résulte pas de ces dispositions que ce pacte d’actionnaire donne la qualité d’actionnaire aux Dirigeants et Cadres Clés, ou un droit de vote à ces derniers.
En tout état de cause, il ne donne aucune qualité d’actionnaire à l’Association, ni aucun intérêt, ni qualité à former la présente action en justice.
D’ailleurs, les membres de l’Association, pas plus que l’Association, n’étaient parties au pacte d’actionnaire, ne l’ayant pas signé. De surcroît, outre qu’il n’est pas soutenu qu’ils avaient la qualité de ‘Parties’, il ne résulte pas de la définition du terme ‘Partie’ ou ‘Parties’ contenue dans ledit pacte, qu’ils avaient une telle qualité.
Si MM. [Z] et [E] sont intervenus au pacte, le pacte précise qu’ils sont ‘ci-après désignés individuellement par leur nom patronymique ou un ‘Dirigeant’ et, collectivement ‘les Dirigeants’, qu’ils sont désignés individuellement une ‘Partie’ et collectivement les ‘Parties’, ‘étant précisé que les Dirigeants ont la qualité de Partie au présent Pacte pour les besoins des articles relatifs à la gouvernance du Groupe Kermel et aux engagements spécifiques souscrits par les Dirigeants.’
En outre, le pacte précise que M. [Z] représentait la SAS Kemide et la SAS Colimide.
Ainsi, comme le soutient la société Kemide, il n’est pas justifié que les membres ou des membres de l’Association, actionnaires d’Alsamide, puissent être assimilés aux actionnaires de la société Kemide pour l’exercice d’une action en justice réservée aux seuls actionnaires de la société Kemide.
L’Association fait encore valoir qu’elle regroupe l’ensemble des actionnaires de la société Alsamide, qui lui ont donné pouvoir pour intenter une action en justice pour la défense de leurs intérêts spoliés.
Alors qu’elle invoque les dispositions de l’article L.225-120 du code de commerce, elle ne justifie pas détenir une qualité à agir sur le fondement de ces dispositions qui prévoient que ‘dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, les actionnaires justifiant d’une inscription nominative depuis au moins deux ans et détenant ensemble au moins 5 % des droits de vote peuvent se regrouper en associations destinées à représenter leurs intérêts au sein de la société’.
En effet, il n’est pas démontré que les actions de la société Kemide soient admises aux négociations sur un marché réglementé, ni que les membres de l’Association détiennent directement ou indirectement, ensemble, 5 % des actions de la société Kemide.
En outre, selon l’article L.227-1 du code de commerce, ‘dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières prévues par le présent chapitre, les règles concernant les sociétés anonymes, à l’exception de l’article (…), des articles (…) L. 225-103 à L. 225-126, (…), sont applicables à la société par actions simplifiée.’ Il en résulte que l’article L.225-120 dudit code n’est pas applicable à la SAS Kemide.
Par ailleurs, il convient de constater que l’Association indique ne pas agir sur le fondement de l’article L.225-252 du code de commerce.
L’Association fait encore valoir qu’une association peut défendre collectivement la somme des intérêts de ses membres, dès lors que ceux-ci sont atteints dans leurs intérêts individuels déterminés et auraient pu agir.
Elle fait notamment valoir que l’action collective peut pallier les inconvénients qui résultent parfois des déséquilibres économiques au regard du droit d’accès au juge et que d’autres actionnaires minoritaires étaient encore salariés et risquaient de subir les foudres de ‘Qualium’ s’ils avaient procédé par action individuelle.
Cependant, comme il a déjà été observé, ni les membres de l’Association, ni l’Association n’étaient actionnaires de la société Kemide.
Comme le soutient la société Qualium Investissement, dès lors que les membres de l’association n’étaient pas actionnaires de la société Kemide, l’Association qui les regroupe n’a pas intérêt, ni qualité pour agir sur le fondement de l’abus ou de la fraude aux droits des actionnaires minoritaires de la société Kemide.
Il en résulte que l’action de l’Association, fondée notamment sur l’abus de majorité de la part de la SAS Qualium au détriment de l’intérêt social du groupe Kermel, sur la rupture d’égalité entre les actionnaires et sur des abus de droit imposé au groupe Kermel, ou encore une fraude, pour obtenir réparation du préjudice subi par ses propres membres, qui ne sont pas, comme il a été dit, actionnaires minoritaires au capital de la SAS Kemide, n’est pas recevable.
L’Association fait encore valoir qu’à supposer qu’elle ne soit pas recevable en qualité d’actionnaire, elle est recevable en tant que tiers à un contrat, qui invoque, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel (obligation de loyauté, de bonne foi et engagement à assumer les risques de l’investissement, engagement de non-dilution) qui lui a causé un dommage.
Elle agit ainsi sur le fondement de l’article 1240 du code civil pour demander la réparation du préjudice subi par les actionnaires minoritaires.
Si elle a bien la qualité de tiers, il n’en demeure pas moins qu’elle demande la réparation du préjudice subi par les actionnaires minoritaires. Or, ses membres n’ont pas la qualité d’actionnaires minoritaires de la société Kemide et il n’existe qu’un associé minoritaire, la société Alsamide, qui n’est pas membre de l’Association.
L’Association n’a donc pas intérêt, ni qualité pour demander la réparation du préjudice subi par une personne qui n’est pas l’un de ses membres et qu’elle n’a pas non plus personnellement subi. Ses demandes seront dès lors déclarées irrecevables.
L’Association demande, en outre, le remboursement des frais d’avocats et de procédure résultant du pacte d’actionnaire et ce en vertu de l’article 14.2 du pacte.
Cependant, outre que cette demande n’est pas chiffrée, ni l’Association, ni ses membres ne sont parties au Pacte, de sorte que cette demande est également irrecevable.
Les demandes de l’Association sont dès lors irrecevables, à l’exception de celle fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive :
Les intimés ne démontre pas que l’action engagée par l’Association revêt les caractères d’une procédure abusive, aucune intention de nuire n’étant notamment caractérisée et l’action n’étant pas manifestement irrecevable. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages-intérêts de la société Kemide et de la société Qualium Investissement.
Sur les frais et dépens :
L’Association succombant, il convient de confirmer le jugement ayant statué sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Elle sera condamnée à supporter les dépens d’appel et à payer à la société Kemide, d’une part, et à la société Qualium Investissement, d’autre part, la somme de 3 000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile, sa propre demande étant rejetée.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Colmar du 6 février 2020, en ce qu’il a :
– écarté des débats les notes en délibéré adressées le 8 novembre 2019 en ce qui concerne l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel, et le 19 novembre 2019 s’agissant de la SAS Qualium Investissement, en sa qualité de société de gestion et de représentante des fonds communs de placement à risque FPCR Qualium Fund et FCPR Investissement Long Terme,
– déclaré irrecevable la demande de l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel fondée tant sur un abus de droit en ce qui concerne la révocation des dirigeants du Groupe Kermel, ainsi que des actes anormaux de gestion, erreurs commerciales et techniques,
– condamné l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel à supporter les entiers dépens,
– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel,
– condamné l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel à payer à la FPCR Qualium Fund, la FCPR Investissement Long Terme et la SAS Kemide chacune la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Déclare irrecevables pour le surplus les demandes de l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel, à l’exception de celle fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel à supporter les dépens d’appel,
Rejette la demande de l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne l’Association pour la défense des actionnaires minoritaires du Groupe Kermel à payer, d’une part, à la société Kemide, et, d’autre part, à la société Qualium Investissement, la somme de 3 000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La Greffière :la Présidente :