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République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 12/01/2023
****
N° de MINUTE :
N° RG 19/05867 – N° Portalis DBVT-V-B7D-SVO7
Ordonnance de référé (N° 19/00731)
rendue le 11 octobre 2019 par le tribunal de grande instance de Lille
APPELANTES
Madame [H] [N]
demeurant [Adresse 7]
[Localité 5]
La SELAFA [B]
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 8]
[Localité 9]
appelante improprement dénommée ‘[B] Xpert’ suite à une erreur matérielle (déclaration d’appel numéro 19/06675)
intimée à titre principal – appelante à titre incident (déclaration d’appel numéro 19/06796)
représentées par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistées de Me Jean-Daniel Bretzner, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant, substitué à l’audience par Me Tom Vauthier, avocat au barreau de Paris
INTIMÉES
La société civile [G]
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Etienne Rocher, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
La SELARL Cerballiance Hauts-de-France
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 3]
à laquelle la déclaration d’appel a été signifiée le 13 décembre 2019 à personne habilitée
n’ayant pas constitué avocat
La SELARL R & D représentée par Maître [V] [X] en qualité de mandataire
ad’hoc de la société Cerballiance
ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Bernard Franchi, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Celine Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
———————
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
DÉBATS à l’audience publique du 17 octobre 2022 tenue en double rapporteur par Bruno Poupet et Camille Colonna après accord des parties et après rapport oral de l’affaire par Bruno Poupet.
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT REPUTÉ CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 12 janvier 2023 après prorogation du délibéré en date du 15 décembre 2022 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président, et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 07 février 2022
****
La société Cerballiance Hauts-de-France exploite un laboratoire de biologie médicale ayant plusieurs sites à [Localité 3].
Elle a ou a eu pour associés :
– des médecins biologistes exerçant dans la structure, dont :
* Mme [H] [N], qui en est en outre la présidente,
* M. [L] [J], qui en a été directeur général de 2009 à 2018,
– la société [B], ayant pour activité la biologie médicale mais n’exerçant pas dans la structure,
– depuis 2012, la société civile [G], dont le gérant est M. [J] et les associés des membres de sa famille.
En 2009, un pacte d’associés soumis à une clause de confidentialité a été signé entre [B] et les associés biologistes, pour une durée de 10 ans, renouvelable de manière triennale par tacite reconduction sauf dénonciation par l’une des parties.
Il prévoit dans certaines hypothèses rencontrées par un associé, notamment la démission ou la révocation d’un mandat social, une promesse de cession par celui-ci de ses titres au profit de [B].
Au cours de l’assemblée générale du 19 novembre 2018, M. [J] a été révoqué de ses fonctions de directeur général.
[B] a alors mis en oeuvre la procédure de levée de promesses de cession (autrement dit la cession forcée) des titres de M. [J] et de la société civile [G].
Le 18 juin 2019, [G] a assigné Cerballiance, [B] et Mme [N] en référé devant le président du tribunal de grande instance de Lille afin de faire cesser, au visa de l’article 809 du code de procédure civile, le trouble manifestement illicite résultant, selon elle, de la mise en oeuvre de cette procédure à son encontre.
Par ordonnance du 11 octobre 2019, le juge des référés, faisant droit à ses demandes, a désigné la SELARL R & D, prise en la personne de Me [V] [X], en qualité de mandataire ad hoc de la société Cerballiance, avec mission de :
– se faire remettre par [B] et/ou Cerballiance ou par tout teneur de compte désigné par l’une ou l’autre le registre de mouvements de titres et comptes d’actionnaire de la société Cerballiance,
– contre-passer toute écriture dans ces registres ayant pour objet la cession forcée des actions de la société [G] de sorte que celle-ci soit remise en état sur ses droits d’associé.
Mme [H] [N] a interjeté appel de cette décision en intimant [G], [B], Cerballiance et la SELARL R & D ès qualités de mandataire ad hoc de Cerballiance.
Par leurs dernières conclusions remises le 16 mars 2020, Mme [N] et [B], appelante à titre incident, demandent à la cour, abstraction faite de demandes de « dire et juger’» qui ne sont pas des prétentions au sens au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile mais le simple rappel de leurs principaux arguments, de réformer l’ordonnance entreprise et, statuant à nouveau, de dire n’y avoir lieu à référé, de débouter [G] de toutes ses demandes et de la condamner à payer à chacune d’elles la somme de 10’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel dont distraction, pour ceux d’appel, au profit de Me Le Roy, membre de la SELARL Lexavoué Douai-Amiens.
Par des écritures remises le 3 février 2020, la société civile [G] conclut à la confirmation de l’ordonnance, au débouté « des appelants’» de leurs demandes et à la condamnation de chacun d’eux à lui payer la somme de 8’000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens dont distraction au profit de Me’Levasseur.
La SELARL R & D, par conclusions du 11 mai 2021, soulève l’irrecevabilité de l’appel dirigé contre elle, au visa de l’article 547 du code de procédure civile, et sollicite la condamnation de Mme [N] à lui régler la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 susvisé ainsi qu’aux dépens.
La société Cerballiance, à laquelle ont été régulièrement signifiés la déclaration d’appel et l’avis de fixation, n’a pas constitué avocat.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l’appel dirigé contre la SELARL R & D
L’article 547 du code de procédure civile dispose qu’en matière contentieuse, l’appel ne peut être dirigé que contre ceux qui ont été parties en première instance.
La SELARL R & D, seulement désignée par l’ordonnance entreprise comme mandataire ad hoc de la société Cerballiance, n’était pas partie en première instance, de sorte que l’appel dirigé contre elle est effectivement irrecevable.
Sur le fond
L’article 809 du code de procédure civile, dans sa rédaction en vigueur à la date de la saisine du juge des référés, disposait que « le président [du tribunal de grande instance] peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite’».
La société [G] fait essentiellement valoir qu’elle est, juridiquement, une personne distincte de M. [J], qu’elle n’est pas partie au pacte d’associés, que l’acquisition d’actions de Cerballiance ne confère pas automatiquement cette qualité et que de surcroît les formalités d’adhésion au pacte prévues par l’article 12.2 de celui-ci n’ont pas été effectuées en ce qui la concerne, que Mme [N] et [B] n’apportent pas la preuve du contraire, qu’au demeurant, la promesse de vente prévue dans des circonstances déterminées par les articles 5 et suivants n’engage que les associés biologistes, que dans ces conditions, la cession forcée de ses actions mise en oeuvre au profit de [B] constitue un trouble manifestement illicite.
Mme [N] et [B] soutiennent pour leur part que [G] n’apporte pas la preuve de ce qu’elle n’est pas partie au pacte et que le juge des référés a inversé la charge de la preuve, qu’en vertu de l’article 12 dudit pacte, le tiers acquéreur de titres de Cerballiance est tenu d’adhérer au pacte, de sorte que [G] y est nécessairement partie, que celle-ci ne saurait se prévaloir du non respect par elle-même de formalités prévues par cet article et les suivants qui lui incombaient mais qu’en outre, ces textes ne subordonnent pas l’existence ni la validité de l’adhésion au respect de ces formalités, que la preuve de son adhésion résulte de ce qu’elle dispose d’un exemplaire du pacte puisque celui-ci n’est remis qu’aux adhérents, que quoi qu’il en soit,'[G] fait corps avec M.'[J] et se confond avec lui, que la mise en oeuvre de la promesse de vente était donc tout à fait licite. Elles ajoutent, subsidiairement, que la mesure sollicitée suppose une appréciation du fond du litige qui ne relève pas des pouvoirs du juge des référés, ce qui exclut la reconnaissance par celui-ci d’un trouble manifestement illicite, et que, de surcroît, la mesure sollicitée ne constitue pas une mesure conservatoire ou de remise en état et que le juge des référés n’a pas examiné si la mesure sollicitée était proportionnée au fait litigieux et ne revêtait pas un caractère définitif et irréversible.
L’article 9 du code de procédure civile dispose qu’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Si les appelantes reprochent à [G] de ne pas apporter la preuve de ce que, comme elle le prétend, les formalités d’adhésion au pacte prévues par l’article 12.2 de celui-ci n’ont pas été effectuées, il ne peut être exigé de cette dernière d’apporter la preuve de « non faits’», autrement appelée preuve négative, d’autant moins qu’elle soutient à titre principal qu’elle n’avait pas à adhérer.
Les appelantes, pour leur part, se contentent de relever que [G] n’apporte pas la preuve de ce que les formalités n’ont pas été effectuées mais ne prétendent pas pour autant qu’elles l’on été, considérant que de toutes façons, l’effectivité de l’adhésion n’est pas subordonnée à ces formalités, et ne sont donc pas tenues d’apporter la preuve de cette exécution.
Les dispositions de l’article 12 du pacte, en ses différents paragraphes, relatives à l’adhésion audit pacte, peuvent donner lieu à interprétation comme le révèlent le débat qui s’est instauré entre les parties à leur sujet, résumé ci-dessus, et l’observation, par la cour, que la première phrase dudit article 12 prévoit que tout tiers acquéreur de titres cédés par l’une des parties sera tenu d’y adhérer alors que Mme [N] et [B] indiquent (en page 5 de leurs conclusions) que [G] est devenue actionnaire de Cerballiance à la faveur d’une augmentation de capital. Cette interprétation est une question de fond qui excède les pouvoirs du juge des référés.
Mais, ainsi que cela résulte des termes de l’article 809, l’existence d’une contestation sérieuse sur un point n’exclut pas l’éventualité d’un trouble manifestement illicite caractérisé autrement.
Or, d’une part, l’article 5.3.2 du pacte stipule précisément que c’est chaque associé «’biologiste’» qui s’engage d’ores et déjà et irrévocablement, en cas de survenance de certaines situations, notamment la révocation ou le non-renouvellement d’un mandat social pour une raison autre qu’une faute grave ou lourde, à céder à [B] ou tout tiers associé l’ensemble des titres qu’il détiendrait à cette date. [G] n’est pas un associé biologiste.
D’autre part, si aux yeux des appelantes, «'[G] fait corps avec M.'[J] et se confond avec lui’», il s’agit juridiquement de deux personnes distinctes comme le souligne l’intimée. Or, c’est M. [J] dont le mandat social a été révoqué.
La mise en oeuvre de l’article 5.3.2 à l’encontre de [G] et la cession forcée de ses actions apparaissent donc comme la source d’un trouble manifestement illicite.
La mesure sollicitée par [G] et ordonnée par le juge des référés, à savoir la désignation d’un mandataire ad hoc investi d’une mission précise, la contre-passation de l’écriture constitutive de la cession forcée, est bien une mesure de remise en état de nature à faire cesser ce trouble sans qu’il soit démontré en quoi elle s’avérerait disproportionnée et entraînerait des conséquences néfastes irréversibles.
Il y a donc lieu de confirmer l’ordonnance querellée.
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour
déclare irrecevable l’appel dirigé contre la société R & D,
confirme l’ordonnance entreprise,
déboute Mme [H] [N] et la société [B] (SELAFA) de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
les condamne in solidum à payer à la société [G] une indemnité de 3 000 euros par application dudit article 700,
condamne Mme [H] [N] à payer à la SELARL R & D une indemnité de 1 500 euros sur le même fondement,
condamne in solidum Mme [H] [N] et la SELAFA [B] aux dépens qui pourront être recouvrés par Me Levasseur selon les modalités prévues par l’article 699 du même code.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet