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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Chambre commerciale internationale
POLE 5 – CHAMBRE 16
ARRET DU 10 JANVIER 2023
(n° 5 /2023 , 15 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/07854 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDRNT
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mars 2021 – Tribunal de Commerce de PARIS RG n° 2019019866
APPELANTE
Société MAYHOOLA FOR INVESTMENTS LLC
Société de droit du Qatar
ayant son siège social : [Adresse 4] (QATAR)
prise en la personne de ses représentants légaux,
Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Asssistée par Me Alexandre VERMYNCK et Me Georges TERRIER, du cabinet DAVIS POLK & WARDWELL, avocats plaidants du barreau de PARIS, toque : NJ020
INTIMÉES
Société JESA
société anonyme de droit luxembourgeois,
ayant son siège social : [Adresse 1], Grand-Duché du Luxembourg
prise en la personne de ses représentants légaux,
Société BLUEWATER INVESTMENT
société anonyme de droit luxembourgeois,
ayant son siège social : [Adresse 2], Grand-Duché du Luxembourg
prise en la personne de ses représentants légaux,
Madame [S] [E]
née le 7 juillet 1941,
demeurant : [Adresse 3] TAIWAN
Représentés par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : K0111
Assistés par Me Christophe AYELA de l’AARPI SZPINER TOBY AYELA SEMERDJIAN, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : R049
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 14 Novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Daniel BARLOW, Président
Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère
Mme Laure ALDEBERT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur M. Daniel BARLOW, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
*
I/ FAITS ET PROCÉDURE
1. Mayhoola for Investments LLC (ci-après : « Mayhoola ») est une société d’investissement qatarie.
2. Femme d’affaires de nationalité chinoise, Mme [E] [S] est actionnaire majoritaire de la société Arpège, holding de tête de la société [P] [W], qui exploite la maison de couture éponyme.
3. Le capital d’Arpège est détenu par Mme [E] à hauteur de 75 %, par l’intermédiaire des sociétés de droit luxembourgeois JESA SA et Bluewater Investment (ci-après : « JESA » et « Bluewater »). Les 25 % restants sont contrôlés par M. [X] [R], qui dispose à ce titre d’un droit de véto lui permettant de s’opposer à l’entrée de tout nouvel actionnaire et de préempter toute augmentation de capital.
4. Confrontée à d’importantes difficultés financières, la société [P] [W] a fait l’objet d’une procédure de conciliation ouverte devant le tribunal de commerce de Paris en 2017, pour les besoins de laquelle un appel d’offres a été lancé afin de trouver un investisseur capable d’apporter les fonds nécessaires à son redressement. Dans le cadre ainsi défini, plusieurs sociétés et fonds d’investissement ont exprimé des marques d’intérêts, parmi lesquels les sociétés Mayhoola et Fosun.
5. Mayhoola a formalisé une première offre le 20 décembre 2017, suivie d’une seconde, le 23 décembre 2017, qui a été acceptée par les actionnaires majoritaires mais refusée par M. [R].
6. En l’absence d’accord, les discussions se sont poursuivies et un processus de vente au plus offrant a été mis en place sous l’égide du conciliateur.
7. Le 25 janvier 2018, un accord d’investissement a été signé entre Mayhoola et M. [Y] [V], représentant des actionnaires majoritaires. Soumis à la condition suspensive de l’adhésion de M. [R] aux opérations d’investissement envisagées, cet accord prévoyait que les parties poursuivraient leurs efforts afin d’obtenir cette adhésion jusqu’à une date butoir fixée au 15 mars 2018.
8. La société de droit chinois Fosun a adressé une offre d’investissement au conciliateur et aux actionnaires le 27 janvier 2018.
9. Les sociétés [P] [W] et Mayhoola ont informé le conciliateur de la signature de l’accord d’investissement précité, respectivement le 30 janvier et le 1er février 2018. À quoi, le conciliateur a répondu qu’il entendait poursuivre la procédure d’appel d’offres contradictoire.
10. Une nouvelle offre a été présentée par Fosun le 5 février 2018.
11. À l’issue d’une réunion tenue en présence du président du tribunal de commerce de Paris le 9 février 2018, les actionnaires d’Arpège et la société Fosun ont conclu un accord, formalisé par un protocole d’investissement auquel le président du tribunal donnera force exécutoire par ordonnance du 5 mars 2018.
12. C’est dans ces circonstance que, par acte du 16 janvier 2019, la société Mayhoola a assigné Mme [E] et les sociétés JESA et Bluewater devant le tribunal de commerce de Paris afin d’obtenir leur condamnation à indemniser le préjudice qu’elle estime avoir subi à raison de la violation de l’accord d’investissement du 25 janvier 2018.
13. Par ordonnance du 11 mars 2019, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris a, sur la requête de cette société, autorisé Mayhoola à procéder à la saisie conservatoire des titres des défenderesses dans Arpège, pour sûreté de sa créance litigieuse, à hauteur de 86 millions d’euros.
14. Par jugement du 18 mars 2021, le tribunal de commerce de Paris (4e chambre) a :
‘ DÉBOUTÉ la société de droit du Qatar Mayhoola for Investments Llc de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
‘ CONDAMNÉ la société de droit du Qatar Mayhoola for Investments Llc à payer à l’ensemble des sociétés JESA SA et Bluewater Investment la somme de 50 000 euros au visa de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ DÉBOUTÉ Mme [E] [S] et les sociétés JESA SA et Bluewater Investment de leurs demandes de paiement de dommages et intérêts pour procédure et saisie abusive ;
‘ ORDONNÉ la mainlevée des saisies conservatoires opérées le 25 mars 2019 par la société de droit du Qatar Mayhoola for Investments LLC et portant sur les actions de la société Arpège détenues par les sociétés JESA SA et Bluewater Investment ;
‘ ORDONNÉ l’exécution provisoire ;
‘ CONDAMNÉ la société de droit du Qatar Mayhoola for Investments LLC aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 151,95 € dont 25,11 € de TVA.
15. La société Mayhoola a interjeté appel de ce jugement le 22 avril 2021.
II/ PRÉTENTION DES PARTIES
16. Dans ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 15 mai 2022, la société Mayhoola demande à la cour, au visa des articles 1103, 1240 et 1304-3 du code civil, et de l’article L. 611-15 du code de commerce et de l’accord d’investissement du 25 janvier 2018, de :
– INFIRMER le jugement du 18 mars 2021 dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté Madame [S] [E], les sociétés Bluewater Investment S.A. et JESA S.A. de leurs demandes de condamnation de Mayhoola for Investments pour procédure et saisie abusive ;
Et statuant à nouveau,
À titre principal,
– JUGER que Madame [S] [E], les sociétés Bluewater Investment S.A. et JESA S.A. ont violé l’Accord d’Investissement du 25 janvier 2018 ;
– CONDAMNER Madame [S] [E], les sociétés Bluewater Investment S.A. et JESA S.A. solidairement à payer à Mayhoola for Investments la somme de 130 135 387 euros, sauf à parfaire ;
À titre subsidiaire,
– JUGER que Madame [S] [E], les sociétés Bluewater Investment S.A. et JESA S.A. ont commis une faute délictuelle lors des négociations conduites avec Mayhoola for Investments en vue de la prise d’une participation majoritaire de Mayhoola for Investments dans la société Arpège ;
– CONDAMNER Madame [S] [E], les sociétés Bluewater Investment S.A. et JESA S.A. solidairement à payer à Mayhoola for Investments la somme de 135 387 euros, sauf à parfaire ;
En tout état de cause,
– CONDAMNER Madame [S] [E], les sociétés Bluewater Investment S.A. et JESA S.A. solidairement à payer à Mayhoola for Investments la somme de 100 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– CONDAMNER Madame [S] [E], les sociétés Bluewater Investment S.A. et JESA S.A. aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction pour ces derniers au profit de Maître François Teytaud, Avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile ;
17. Dans ses dernières conclusions récapitulatives communiquées par voie électronique le 30 août 2022, Mme [E], la société JESA et la société Bluewater demandent à la cour, au visa des articles 1104, 1112, 1217, 1238, 1240, 1304 et suivants du code civil, de:
– CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société Mayhoola de l’ensemble de ses demandes et l’infirmer en ce qu’il a débouté les intimées de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure et saisies abusives, et en conséquence :
À titre principal :
– CONSTATER que l’objet de l’Accord d’Investissement n’était ni déterminé ni déterminable ;
– PRONONCER la nullité de l’Accord d’Investissement du 25 janvier 2018 ;
– DÉBOUTER la société Mayhoola de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires ;
À titre subsidiaire :
– PRONONCER la nullité de l’article 2.2 de l’Accord d’Investissement du 25 janvier 2018 ;
– PRONONCER la caducité de l’Accord d’investissement du 25 janvier 2018 ;
– DÉBOUTER la société Mayhoola de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires ;
À titre plus subsidiaire :
– CONSTATER que la condition suspensive impérative de réalisation de l’Accord d’Investissement du 25 janvier 2018 a définitivement défailli ;
– CONSTATER en conséquence que l’Accord d’investissement était caduc et que les défenderesses se trouvaient libérées de toutes obligations vis-à-vis de Mayhoola ;
– CONSTATER en effet que Monsieur [X] [R], dont l’accord était requis en tant que condition suspensive impérative, n’a pas accepté l’offre de la société Mayhoola mais a accepté l’offre concurrente et mieux disante de Fosun sous l’égide du conciliateur et du Président du tribunal de commerce de Paris ;
– CONSTATER que Mayhoola a refusé d’améliorer son offre alors qu’elle se trouvait en négociations directes avec Monsieur [X] [R], ses avocats et Maître [M], laissant ainsi l’opportunité à Fosun de faire une meilleure offre qui a été acceptée dans le cadre de la procédure de conciliation conduite par le président du tribunal de commerce de Paris et Maître [M] ;
– CONSTATER que Mayhoola, alors qu’elle en a la charge, ne rapporte aucunement la preuve d’une quelconque faute des défenderesses déterminante dans la décision de Monsieur [R] de s’engager avec la société Fosun ;
– CONSTATER que les défenderesses ne peuvent être tenues responsables de la défaillance de la condition suspensive ;
– CONSTATER que les propositions de la société Mayhoola faites à Monsieur [X] [R] ne respectaient pas les termes de l’Accord d’Investissement au préjudice des concluantes ;
– DIRE ET JUGER que les défenderesses n’ont pas commis de fautes en acceptant l’offre de la société Fosun alors que Monsieur [X] [R] décidé de signer avec cette dernière ;
– PRONONCER la caducité de l’Accord d’investissement du 25 janvier 2018 ;
– DÉBOUTER la société Mayhoola de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires ;
À titre très subsidiaire :
– DIRE ET JUGER que la société Mayhoola ne démontre ni n’a subi aucun préjudice indemnisable du fait des prétendus manquements des défenderesses ;
– DÉBOUTER la société Mayhoola de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires ;
À titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la demande en réparation d’un préjudice au titre des gains manqués était jugée recevable et bien-fondée :
– ORDONNER la nomination d’un expert avec pour mission de se prononcer sur le préjudice réellement subi par la société Mayhoola du fait des prétendus manquements des défenderesses ;
En tout état de cause :
– CONFIRMER le jugement en ce qu’il a débouté la société Mayhoola de ses demandes ;
– INFIRMER le jugement en ce qu’il a débouté les intimées de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure et saisies abusives ;
Et statuant à nouveau sur ce point,
– CONDAMNER la société Mayhoola à verser aux intimées la somme de 1 000 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure et saisies abusives ;
– DÉBOUTER la société Mayhoola de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires ;
– CONDAMNER la société Mayhoola à payer aux sociétés JESA et Bluewater la somme de la somme de 150 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau en application de l’article 699 du code de procédure civile.
III/ MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la loi applicable au litige
18. Le présent litige revêt un caractère international pour opposer devant le juge français une société de droit Quatari à une ressortissante de nationalité chinoise et deux sociétés de droit Luxembourgeois au sujet de la mise en ‘uvre d’un protocole d’accord conclu entre ces parties le 25 janvier 2018.
19. Il relève, comme tel, des dispositions du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008, dit Rome I, sur la loi applicable aux obligations contractuelles.
20. Selon l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement, le contrat est régi par la loi choisie par les parties, ce choix pouvant être exprès ou résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause.
21. En l’espèce, la société Mayhoola entend rechercher la responsabilité civile de Mme [E] et des sociétés JESA et Bluewater à raison de manquements allégués dans l’exécution du protocole d’accord précité.
22. L’article 22 de cette convention stipule, sous le titre : « Governing Law and Jurisdiction [droit applicable et compétence juridictionnelle] » :
« This Agreement is governed by and shall be conducted in accordance with French Law [Le présent accord est régi et doit être exécuté conformément au droit français] »
23. Combinées aux dispositions précitées du règlement européen, ces stipulations commandent l’application des règles du droit français pour trancher la présente affaire.
Sur les demandes principales
24. La société Mayhoola demande la réformation du jugement entrepris, en ce qu’il a, d’une part, jugé que les actionnaires d’Arpège n’ont pas violé l’accord d’investissement du 25 janvier 2018 et, d’autre part, débouté la demanderesse de ses prétentions indemnitaires.
25. Elle invoque, sur le premier point, le non-respect par Mme [E] et les sociétés JESA et Bluewater de leurs obligations d’exclusivité et de coopération renforcée, les actionnaires d’Arpège ayant négocié et conclu un accord avec Fosun le 9 février 2018, soit avant la date limite du 15 mars prévue par l’accord d’investissement, sans en référer à Mayhoola, qui poursuivait de son côté les négociations avec l’actionnaire minoritaire.
26. Elle fait grief au juge de première instance de n’avoir pas pris en considération le fait que les actionnaires minoritaires portent la responsabilité de la défaillance de la condition suspensive, pour avoir permis au minoritaire de conclure avec Fosun, de sorte qu’ayant empêché sa réalisation, cette condition doit être réputée accomplie à leur encontre, conformément à l’article 1304-3 du code civil.
27. Elle considère les moyens de défense opposés par les intimées comme erronés, retenant que :
– l’accord d’investissement ne peut être regardé comme nul dès lors que son objet est déterminé et déterminable, les prétentions de M. [R] étant connues de tous, aucun nouvel accord n’étant nécessaire à son exécution ;
– la nullité revendiquée, à la supposer admise, ne pourrait pas s’étendre à l’ensemble de l’accord puisque sa cause n’affecte qu’une clause du contrat dont il n’est pas démontré qu’elle constituait un élément déterminant de l’engagement des parties ;
– l’accord d’investissement ne peut davantage être considéré comme caduc, un accord ayant été trouvé par Mayhoola avec M. [R], le 9 février au matin, en présence de M. [V] ;
– la condition suspensive doit en toute hypothèse être regardée comme réalisée à l’égard des majoritaires du fait de l’empêchement mis par eux à son accomplissement.
28. Elle soutient, sur ses demandes indemnitaires, que la violation de l’accord d’investissement lui a causé un préjudice résultant, d’une part, de la perte des frais engagés pour la négociation et, d’autre part, de la perte des gains que devait lui procurer son investissement dans Arpège, gain manqué dont elle propose une évaluation à dires d’expert.
29. Elle invoque, à titre subsidiaire, l’indemnisation des pertes subies, sur un fondement délictuel, à raison de la déloyauté des actionnaires majoritaires à son endroit.
30. Mme [E] et les sociétés JESA et Bluewater concluent, en réponse, à la nullité de l’accord d’investissement pour défaut d’objet déterminé ou déterminable, son article 2.2 prévoyant que l’ensemble des modalités convenues entre les parties peut être modifiées dans des proportions non déterminables, sans que les actionnaires majoritaires s’y puissent opposer. Elles ajoutent que l’accord était également soumis à la nécessité d’un nouvel accord entre les parties, ce qui emporte également la nullité du contrat pour indétermination.
31. Elles invoquent par ailleurs la caducité de l’accord, par défaillance de sa condition suspensive, faisant valoir la réalisation de l’opération conditionnée à l’accord de l’actionnaire minoritaire, du fait de la signature par M. [R] d’un accord avec un tiers. Elle retient que le minoritaire avait clairement formulé son refus des propositions de la société Mayhoola de sorte que la condition suspensive ne pouvait se réaliser.
32. Elles soutiennent que l’appelante ne peut solliciter que la condition suspensive soit réputée accomplie, faute de rapporter la preuve de l’accord qu’elle prétend avoir obtenu de M. [R] le 9 février au matin, alors même que :
– l’actionnaire minoritaire et la société Mayhoola ne sont jamais parvenus à s’entendre ni directement ni par l’intermédiaire du conciliateur, M. [R] ayant choisi de signer avec Fosun, qui était mieux disante ;
– la société Mayhoola a manqué à ses devoirs contractuels et a remis en cause l’accord d’investissement par ses voltes faces, en revenant sur le droit des défenderesses à participer à l’augmentation de capital et en violant le principe d’égalité de traitement entre les actionnaires en place ;
– les défenderesses n’ont commis aucune faute en signant avec la société Fosun, les négociations conduites avec cette dernière, dont Mayhoola était informée, ayant été régulièrement mise en ‘uvre dans la procédure de conciliation ;
– la réalisation de l’investissement proposé par Mayhoola était impossible au regard de la procédure conduite et du contexte d’urgence dans lequel se trouvait la société [P] [W].
33. Elles concluent enfin à l’absence de préjudice, à défaut de violation de l’accord d’investissement de leur part et critiquent l’existence d’un gain manqué ou d’une perte subie, tant dans leur principe qu’en ce qui concerne les évaluations qui leur sont opposées.
SUR CE :
(i) Sur la nullité de la convention
34. Aux termes de l’article 1163 du code civil, l’obligation a pour objet une prestation présente ou future. Celle-ci doit être possible et déterminée ou déterminable. La prestation est déterminable lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire.
35. En l’espèce, l’accord d’investissement conclu le 25 janvier 2018 entre, d’une part, la société Mayhoola, désignée comme l’« investisseur », de l’autre, Mme [E] et les sociétés JESA et Bluewater, qualifiées d’« actionnaires majoritaires », prévoit l’engagement pris par ces dernières de voter en faveur d’une augmentation du capital de la société Arpège de 100 millions d’euros, réservée à l’investisseur pour un montant de 90 millions, les actionnaires existants pouvant souscrire à cette opération pour 10 millions, sur la base d’une valorisation « pre-money » de la société [P] [W] à hauteur de 25 millions d’euros (art. 1.1 à 1.9 de la convention).
36. L’article 1.3 précise, s’agissant des modalités de souscription par les actionnaires d’Arpège à l’augmentation de capital envisagée, que :
« The Current Shareholders’ potential participation right shall be calculated pro-rata their current shareholding in the Company unless otherwise agreed between the Majority Shareholders and [X] [R].
[Le droit de participation potentiel des actionnaires actuels sera calculé au prorata de leur participation actuelle dans la Société, sauf accord contraire entre les actionnaires majoritaires et [X] [R].] »
37. Contrairement à ce que soutiennent les intimés, le renvoi ainsi opéré à la possibilité d’un accord entre les actionnaires majoritaires et M. [R], actionnaire minoritaire non signataire de l’accord d’investissement, quant à la répartition de leurs droits respectifs pour la souscription à l’augmentation de capital envisagée, n’a pas pour effet de rendre indéterminable l’objet de la convention litigieuse, dès lors que l’accord mentionné par cette stipulation, qui présente un caractère subsidiaire par rapport au principe d’une répartition au prorata des participations existantes entre les actionnaires concernés, n’implique pas les parties à l’accord d’investissement, dont les obligations respectives sont clairement déterminées s’agissant des modalités de l’opération, mais un tiers au contrat, dont l’adhésion au montage constitue une condition suspensive de leurs engagements, condition pour la réalisation de laquelle les parties s’obligent par ailleurs à coopérer et faire diligence, en se tenant mutuellement informées des avancées.
38. L’article 2.1 de l’accord d’investissement subordonne en effet la mise en ‘uvre des opérations d’augmentation de capital précitées à l’acceptation par M. [R] du montage envisagé et, par voie de conséquence, à sa renonciation irrévocable à l’exercice de ses droits de veto et de préemption.
39. L’article 2.2 stipule à cette fin que :
« The Majority Shareholders hereby confirm that they will agree to any modified terms of the Investment Transactions (including the terms and conditions of this Agreement and the Shareholders’ Agreement) to be agreed between the Investor and [X] [R], as long as the Majority Shareholders are equally treated with [X] [R].
[Les Actionnaires Majoritaires confirment par la présente qu’ils accepteront toute modification des conditions des Opérations d’Investissement (y compris les conditions de la présente Convention et du Pacte d’Actionnaires) à convenir entre l’Investisseur et [X] [R], pour autant que les Actionnaires Majoritaires soient traités à égalité avec [X] [R].] »
40. Si, comme le relèvent les intimés, cette clause permet une révision des termes de l’opération d’investissement énoncée aux articles 1.1 à 1.9 de l’accord d’investissement, en fonction du résultat des discussions engagées entre la société Mayhoola et l’actionnaire minoritaire, cette considération n’apparaît pas de nature à rendre indéterminable l’objet de la convention.
41. Les pièces versées aux débats établissent en effet que, dès avant la conclusion de l’accord d’investissement litigieux, les positions de M. [R] concernant l’offre formulée par la société Mayhoola, ainsi que les marges de négociation de l’intéressé concernant le montage proposé par cette société, étaient connues des parties.
42. Dans une lettre adressée à Mayhoola le 29 décembre 2017, dont les intimées ne soutiennent pas qu’elle n’aurait pas été portée à leur connaissance, M. [R] indiquait ainsi être prêt à accorder à cette société le contrôle opérationnel du groupe en renonçant à la plupart de ses droits de véto et en les limitant à des droits de véto résiduels énumérés par ce document, précisant les points ayant fait l’objet de discussions et restant en suspens. Cette lettre mentionnait notamment la volonté de son signataire de voir consacrer un droit anti-dilution, en vertu duquel toute augmentation de capital devrait être proposée à tous les actionnaires, ceux-ci devant bénéficier d’un droit de souscription proportionnel, ainsi que son souhait d’augmenter sa participation à 20 millions d’euros, le montant total du capital étant alors porté à 110 millions d’euros.
43. Les termes de la négociation entre la société Mayhoola et M. [R] étaient donc connus des parties, rendant ainsi les obligations contractées déterminables.
44. La société appelante relève en outre, à juste titre, que la clause énoncée à l’article 2.2 de l’accord d’investissement préservait, en toute hypothèse, les droits des majoritaires en subordonnant la modification des conditions de l’opération à l’exigence qu’ils « soient traités à égalité » avec M. [R], de sorte que toute concession consentie par Mayhoola à ce dernier devait leur bénéficier, sans qu’elle puisse leur porter préjudice, étant ici relevé que les modifications ainsi envisagées ne présentaient pas un caractère potestatif, pour dépendre, non de la seule volonté de Mayhoola mais de la négociation engagée avec l’actionnaire minoritaire dont les positions et demandes étaient connues de tous.
45. En quoi, les moyens tirés de la nullité de l’accord d’investissement doivent être rejetés.
(ii) Sur la réalisation de la condition suspensive et la caducité de l’accord d’investissement
46. Selon l’article 1304 du code civil, l’obligation est conditionnelle lorsqu’elle dépend d’un événement futur et incertain. La condition est suspensive lorsque son accomplissement rend l’obligation pure et simple.
47. L’article 1304-3 du même code dispose que la condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l’accomplissement.
48. En cas de défaillance de la condition suspensive, l’obligation est, conformément à l’article 1304-6, alinéa 3, réputée n’avoir jamais existé.
49. En l’espèce, l’article 2.1 de l’accord d’investissement institue une condition suspensive en stipulant que :
« The obligation of the Parties to consummate the Closing is subject to the following condition being fulfilled on or prior to the Longstop Date (as defined in Clause 5.1): [X] [R] agrees to the Investment Transactions (including, the terms and conditions of this Agreement and the Shareholders’ Agreement), and consequently irrevocably waives any veto right and/or preemption right, if applicable.
[L’obligation des Parties de procéder à la Clôture est soumise à la condition suivante, qui doit être remplie au plus tard à la Date Butoir (telle que définie à la Clause 5.1) : [X] [R] accepte les Opérations d’Investissement (y compris les termes et conditions de ce Contrat et de la Convention d’Actionnaires), et par conséquent renonce irrévocablement à tout droit de veto et/ou droit de préemption, si applicable.] »
50. Selon l’article 5.1 auquel il est renvoyé :
« The Closing shall take place ten (10) days following the day when the condition referred to in Clause 2.1 is satisfied or waived at the offices of [P] [W] S.A., or on any other date or location as mutually agreed upon by the Parties (the “Closing Date”), it being understood that the Parties shall make their best efforts so that the Closing occurs no later than March 15, 2018 (the “Longstop Date”).
[La Clôture aura lieu dix (10) jours après le jour où la condition visée à la Clause 2.1 est remplie ou fait l’objet d’une renonciation, dans les bureaux de [P] [W] S.A., ou à toute autre date ou lieu convenu mutuellement par les Parties (la “Date de Clôture”), étant entendu que les Parties feront leurs meilleurs efforts pour que la Clôture ait lieu au plus tard le 15 mars 2018 (la ” Date butoir”).] »
51. L’article 2.2 institue par ailleurs une obligation de coopération entre les parties, formulée en ces termes :
« The Parties agree to diligently cooperate to ensure satisfaction of the condition set forth in Clause 2.1.
Each of the Parties shall keep the other Parties reasonably informed of the status of this condition and give the other Party written notice of the satisfaction of the condition within two (2) business days of becoming aware of the same. (‘)
In any case, notwithstanding any refusal from [X] [R] to agree to the Investment Transactions, the Parties will continue their efforts to obtain his adherence to the Investment Transactions until the Longstop Date.
[Les Parties conviennent de coopérer avec diligence pour assurer la satisfaction de la condition énoncée à la Clause 2.1.
Chacune des Parties tiendra les autres Parties raisonnablement informées de l’état de cette condition et donnera à l’autre Partie une notification écrite de la satisfaction de la condition dans les deux (2) jours ouvrables suivant la prise de connaissance de celle-ci. (‘)
En tout état de cause, nonobstant tout refus de [X] [R] d’adhérer aux Opérations d’Investissement, les Parties poursuivront leurs efforts pour obtenir son adhésion aux Opérations d’Investissement jusqu’à la Date Butoir. »
52. Il est acquis aux débats qu’avant l’échéance de la « Date Butoir » consacrée par ces stipulations, les actionnaires de la société Arpège ont, le 9 février 2018, conclu un accord avec la société Fosun.
53. Si la société Mayhoola évoque dans ses écritures l’existence d’un autre accord qu’elle aurait passé avec M. [R] dans la matinée du 9 février, avant la conclusion de celui acté avec Fosun sous l’égide du président du tribunal de commerce, force est de constater qu’elle ne rapporte pas la preuve de la véracité de cette affirmation, qu’aucun élément factuel ne vient conforter. La condition suspensive prévue par l’accord d’investissement litigieux ne saurait dès lors être considérée comme réalisée à ce titre.
54. Les intimés concluent, de leur côté, à la caducité des engagements issus de cet accord d’investissement à raison de la signature par M. [R] du protocole passé avec Fosun dans le cadre de la procédure de conciliation et de l’opposition de principe exprimé par l’actionnaire minoritaire aux termes du montage proposé par Mayhoola.
55. Si la défaillance de la condition suspensive constitue un motif de caducité des obligations auxquelles elle se rapporte, encore faut-il qu’elle ne soit pas le fait de l’une des parties, qui sont tenues d’une obligation de loyauté dans l’exécution du contrat.
56. Au cas présent, la signature d’un accord avec la société Fosun n’a été rendue possible qu’en raison de son acceptation par les actionnaires majoritaires, sans le consentement desquels M. [R], minoritaire, n’aurait pu engager seul la société Arpège.
57. L’opposition exprimée par ce dernier au montage proposé par la société Mayhoola ne saurait, à cet égard, être considérée comme propre à établir la défaillance de la condition suspensive dès lors qu’à la date de signature de l’accord passé avec Fosun, les sociétés JESA et Bluewater et Mme [E] se trouvaient encore liées par les termes de leur engagement de coopération et devaient, conformément à celui-ci, faire diligence et poursuivre leurs efforts en vue d’obtenir l’adhésion de M. [R] aux opérations d’investissement proposées par Mayhoola et ce, jusqu’au 15 mars 2018, ainsi qu’il résulte des articles 2.1, 2.2 et 5.1 de l’accord d’investissement précité, aucun élément versé aux débats ne permettant de conclure que les parties auraient d’une quelconque façon renoncé à ces obligations.
58. La signature par M. [R] de l’accord proposé par Fosun ne saurait, dans ces conditions, constituer un motif de caducité des engagements pris par les intimées, qui ne peuvent par ailleurs se prévaloir de l’existence d’une procédure de conciliation et de la situation critique de la société [P] [W] pour se dégager d’obligations qu’elles ont contractées en toute connaissance de cause, alors que ces données étaient connues d’elles.
(iii) Sur les fautes alléguées
59. Outre l’obligation de coopération citée au paragraphe 51 de la présente décision, l’accord d’investissement mettait à la charge des parties une obligation d’exclusivité, énoncée à l’article 2.3 en ces termes :
« The Majority Shareholders undertake, upon signing of this Agreement, to stop any ongoing discussions with other potential investors regarding any security issuance (be it immediate or in the future) by the Company or any other Group Company, sale or transfer of all or part of the shares of the Company or any other Group Company or more generally any financing (through any kind of instrument) of any of the Group Companies (a “Competing Transaction”).
The Majority Shareholders undertake that from the date hereof until the Longstop Date:
(i)they will not, directly or indirectly: (i) solicit, initiate, encourage or participate in any discussions or negotiations or enter into any agreement with any other party in connection with a Competing Transaction, (ii) give access to or make available to any third party any information on the Company and any other Group Company in connection with a Competing Transaction, or otherwise co-operate with or participate in any approach or offer in connection with agreeing a Competing Transaction, or (iii) enter into any agreement or proceed to the benefit of any third party to the completion of a Competing Transaction, or grant to a third party any right whatsoever over securities issued or a material asset owned by the Company or its subsidiaries;
(ii)if any of them (or any of its affiliates and representatives, including the Company and its subsidiaries) receives from a third party an offer, proposal or attempt to enter into discussions, with a view to a Competing Transaction, they will immediately turn down such offer, proposal or attempt to enter into discussions and promptly inform the Investor, including the identity of the third party and material terms of any such offer, proposal or attempt.
[Les Actionnaires Majoritaires s’engagent, dès la signature du présent Accord, à cesser toute discussion en cours avec d’autres investisseurs potentiels concernant toute émission de titres (immédiate ou future) par la Société ou toute autre Société du Groupe, la vente ou le transfert de tout ou partie des actions de la Société ou de toute autre Société du Groupe ou plus généralement tout financement (par tout type d’instrument) de l’une des Sociétés du Groupe (une ” Opération concurrente “).
Les Actionnaires Majoritaires s’engagent à ce qu’à partir de la date du présent document jusqu’à la date butoir :
(i) ils ne vont pas, directement ou indirectement : (i) solliciter, initier, encourager ou participer à toute discussion ou négociation ou conclure tout accord avec toute autre partie en relation avec une Transaction concurrente, (ii) donner accès ou mettre à disposition d’un tiers toute information sur la Société et toute autre Société du Groupe en relation avec une Transaction concurrente, ou coopérer de toute autre manière avec ou participer à toute approche ou offre en rapport avec la conclusion d’une Transaction concurrente, ou (iii) conclure tout accord ou procéder au bénéfice de tout tiers à la réalisation d’une Transaction concurrente, ou accorder à un tiers un droit quelconque sur des titres émis ou un actif important détenu par la Société ou ses filiales ;
(ii) si l’un d’entre eux (ou l’un de ses affiliés et représentants, y compris la Société et ses filiales) reçoit d’un tiers une offre, une proposition ou une tentative d’entamer des discussions, en vue d’une Transaction concurrente, il refusera immédiatement cette offre, cette proposition ou cette tentative d’entamer des discussions et en informera rapidement l’Investisseur, y compris l’identité du tiers et les conditions matérielles de cette offre, proposition ou tentative. »
60. En négociant et en signant l’accord passé avec la société Fosun le 9 février 2018, soit plus d’un mois avant la date butoir prévue par l’accord d’investissement, Mme [E] et les sociétés JESA et Bluewater ont violé cette obligation d’exclusivité, à laquelle elles s’étaient contractuellement soumises et par laquelle elles se trouvaient liées jusqu’au 15 mars 2018.
61. Elles ont en outre fait obstacle, délibérément et de façon prématurée, à toute possibilité de réalisation de la condition suspensive stipulée par cet engagement, étant au surplus relevé qu’elles ne démontrent pas avoir accompli la moindre diligence en direction de M. [R], contrairement à ce que prévoyait l’obligation de coopération précitée.
62. Ce comportement caractérise autant de fautes commises dans l’exécution de leurs engagements contractuels, propres à engager leur responsabilité civile, sous réserve de la démonstration d’un préjudice indemnisable en lien de causalité avec ces manquements.
(iv) Sur le préjudice revendiqué
63. La société Mayhoola sollicite l’indemnisation de la perte des gains prévisibles que devait, selon elle, lui procurer son investissement dans la société Arpège, gains dont elle apprécie le montant sur la base d’un rapport établi, à sa demande, par un expert privé.
64. Ainsi qu’il a été précédemment relevé, l’appelante ne rapporte pas la preuve de l’accord qu’elle prétend avoir conclu avec M. [R]. Il s’ensuit qu’indépendamment des fautes commises par les actionnaires majoritaires, la possibilité d’un tel investissement, qui restait subordonnée à l’accord du minoritaire, demeure affectée d’un aléa.
65. Dans ces conditions, le préjudice qu’elle revendique ne saurait s’analyser en un gain manqué, mais constitue une perte de chance, laquelle s’entend comme la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable.
66. La prise en considération d’un tel préjudice suppose la preuve du sérieux de la chance perdue, son indemnisation, qui implique un calcul de probabilité de la survenance de l’évènement irrémédiablement impossible, ne pouvant être égale au montant de la chance réalisée.
67. Les pièces versées aux débats établissent à cet égard que la veille de l’accord passé avec la société Fosun, le conseil de M. [R], faisait état de la persistance de « trois gros points [de discussion] avec [Mayhoola] ». Les échanges précédents entre cette dernière et l’actionnaire minoritaire font par ailleurs apparaître d’importants écarts de positions, Mayhoola ayant souligné le caractère inacceptable des conditions posées par M. [R] et fait connaître sa volonté de « posséder 100 % de [W] dans trois ans », projet difficilement compatible avec la volonté exprimée par ce dernier de se maintenir au capital d’Arpège et d’assurer la préservation de ses droits et ce, alors même que l’offre émise par Fosun satisfaisait aux exigences énoncées par M. [R] dès le mois de décembre 2017, pour ce qui regarde notamment le montant global de l’augmentation de capital et la part réservée au minoritaire.
68. Dans ces circonstances, la chance de voir se concrétiser un accord entre l’appelante et l’actionnaire minoritaire ne peut être regardée comme présentant le sérieux requis pour l’indemnisation d’un tel préjudice.
69. La société Mayhoola ne saurait dès lors prétendre au bénéfice d’une quelconque condamnation de Mme [E] et des sociétés JESA et Bluewater à ce titre.
70. Elle sollicite par ailleurs la réparation de pertes subies correspondant aux frais engagés pour la négociation et la conclusion de l’accord d’investissement, mettant en avant la valeur du travail réalisé par ses salariés et les frais engagés pour le recours aux services d’un expert financier afin de définir le montage et les termes des opérations d’investissement projetées.
71. Mais, outre qu’il ne sont justifiés par aucune pièce, la société Mayhoola ne démontre pas en quoi les frais de personnels ainsi revendiqués différeraient des rémunérations dues à ses salariés pour l’exécution de leurs contrats de travail, lesquelles ne peuvent être qualifiées de pertes subies à raison de l’inexécution fautive de l’accord d’investissement.
72. Les frais d’expertise ont quant à eux été engagés par Mayhoola pour les besoins de l’investissement qu’elle entendait réaliser au titre de son entrée au capital d’Arpège. Leur exposition s’imposait donc en considération de ce projet, indépendamment de l’accord d’investissement conclu avec les actionnaires majoritaires, qui ne constitue qu’une tentative de contournement de la procédure régulière d’appel d’offres et de mise en concurrence instituée sous l’égide du tribunal de commerce.
73. Les demandes formées à raison des pertes subies seront donc elles aussi rejetées.
74. Il y a lieu, au vu de l’ensemble de ces éléments et pour les motifs ainsi exposés, de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société Mayhoola de ses demandes d’indemnisation.
Sur le caractère abusif de la procédure
75. Mme [E] et les sociétés JESA et Bluewater, à qui l’appelante ne répond pas sur ce point, concluent au caractère abusif de la procédure engagée par cette dernière, invoquant une volonté de nuire manifestée par Mayhoola à travers l’engagement de la présente procédure.
SUR CE :
76. Conformément à l’article 581 du code de procédure civile, en cas de recours dilatoire ou abusif, son auteur peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés à la juridiction saisie du recours.
77. Une telle condamnation suppose la démonstration d’une faute commise dans l’exercice du droit d’agir, susceptible de faire dégénérer l’action en abus, l’octroi de dommages et intérêts étant subordonné à l’existence d’un préjudice en lien de causalité avec cette faute.
78. Si la société Mayhoola voit ses prétentions rejetées, en l’absence de préjudice indemnisable, l’examen des faits de l’espèce n’en fait pas moins apparaître le comportement fautif des intimées dans l’exécution des obligations qu’elles avaient contractées à son endroit.
79. La procédure engagée par l’appelante ne saurait dans ces conditions être regardée comme abusive de sorte que les demandes formées à ce titre par les sociétés JESA et Bluewater et Mme [E], doivent être rejetées.
Sur les frais et dépens
80. La société Mayhoola, qui succombe, sera condamnée aux dépens, conformément à l’article 696 du code de procédure civile.
81. L’équité commande de rejeter l’ensemble des demandes formées par les parties au titre de l’article 700 du même code, chacune conservant la charge des frais irrépétibles exposés pour les besoins de la procédure.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la Cour :
1) Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 18 mars 2021, sauf en ce qu’il a condamné la société Mayhoola for Investments LLC à payer aux sociétés JESA SA et Bluewater Investment la somme de 50 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
2) Rejette les demandes formées par chacune des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
3) Condamne la société Mayhoola for Investments LLC aux dépens.
LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT,