Veuillez activer JavaScript dans votre navigateur pour remplir ce formulaire.
Nom
(*) Vos données sont traitées conformément à notre Déclaration de Protection des Données Vous disposez d’un droit de rectification, de limitation du traitement, d’opposition et de portabilité.

Attestation de vigilance : 17 janvier 2018 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 15/13696

·

·

Attestation de vigilance : 17 janvier 2018 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 15/13696

17 janvier 2018
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
15/13696

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

14e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 17 JANVIER 2018

N°2018/16

Rôle N° 15/13696

URSSAF [Localité 1]

C/

SARL MEDITERRANEE EVASAN ORGANISATION

MNC – MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D’AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE

Grosse délivrée le :

à :

Me Jean victor BOREL, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Me Christine IMBERT, avocat au barreau de MARSEILLE

Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des BOUCHES DU RHONE en date du 11 Juin 2015,enregistré au répertoire général sous le

n° 21104863.

APPELANTE

URSSAF [Localité 1], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Jean victor BOREL, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Mathieu VICTORIA, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

SARL MEDITERRANEE EVASAN ORGANISATION, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Christine IMBERT, avocat au barreau de MARSEILLE

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

MNC – MISSION NATIONALE DE CONTROLE ET D’AUDIT DES ORGANISMES DE SECURITE SOCIALE, demeurant [Adresse 3]

non comparant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 22 Novembre 2017 en audience publique devant la Cour composée de :

M. Gérard FORET-DODELIN, Président

Madame Florence DELORD, Conseiller

Madame Marie-Pierre SAINTE, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Mme Nadège LAVIGNASSE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Janvier 2018

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Janvier 2018

Signé par M. Gérard FORET-DODELIN, Président et Mme Nadège LAVIGNASSE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Courant 1985, quatre médecins généralistes exerçant en libéral dans le département des [Localité 2] ont créé une société civile de moyens ayant pour objet une activité d’assistance aux personnes, soit dans le cadre d’un contrat d’assurance (AXA Assistance France, pour l’évacuation sanitaire, par exemple), soit sur le lieu du travail (médicalisation de certains sites industriels comme SHELL Pétrochimie, par exemple) soit dans le cadre d’un contrat de gré à gré avec des clients privés.

Au cours de l’année 1990, ces quatre médecins ont modifié le cadre juridique de cette activité d’assistance en créant, d’une part la SARL Méditerranée Evasan Organisation (M.E.O.) pour co-gérer la partie commerciale (soumise à la TVA) que ne pouvait plus assumer une société civile de moyens, et d’autre part la Société en Participation Méditerranée Evasan Médical (M.E.M.) pour assumer la partie médicale de cette même activité d’assistance, les honoraires des intervenants médicaux et paramédicaux, associés par cooptation, étant versés en « débours » non soumis à la TVA, leur activité d’assistance et de transport sanitaire n’étant, pour aucun d’entre eux, leur activité principale.

Courant mai 2009, le Parquet de Marseille, saisi, le 16 novembre 2006, d’une plainte contre X. émanant de la société Provence Médical Service (PMS) pour travail dissimulé, a transmis à l’URSSAF une demande de recherche d’infractions aux interdictions de travail dissimulé susceptible d’avoir été commises par la SARL Méditerranée Evasan Organisation (MEO).

L’URSSAF a ainsi procédé à un contrôle de l’application des législations de sécurité sociale au sein de la SARL Méditerranée Evasan Organisation (MEO) et de la société MEM pour la période allant du 1er janvier 2005 au 30 juin 2010.

Le 15 octobre 2010, l’URSSAF a transmis au Parquet de Marseille un procès-verbal de constatation de travail dissimulé.

A cette même date du 15 octobre, une lettre d’observations relevant neuf chefs de redressement et procédant à une annulation des « réductions Fillon » a été notifiée à la société MEO.

Par lettre du 19 novembre 2010, la société MEO y a répondu en contestant le redressement.

Par lettre du 20 novembre, l’URSSAF a répliqué en maintenant la totalité du redressement.

Les 21 décembre 2010 et 13 janvier 2011, l’URSSAF a notifié à la société MEO deux mises en demeure, d’avoir à payer les sommes respectives de 2 771 154 euros et 2 786 520 euros, majorations de retard incluses.

La société MEO a saisi la commission de recours amiable pour contester ces deux mises en demeure.

La commission de recours amiable a laissé passer le délai pour répondre à chacune des deux contestations, puis elle a rendu une décision rejetant la totalité du recours par une décision unique du 12 décembre 2011.

Par jugement avant dire droit du 26 juin 2014, le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône a procédé à la jonction des trois recours (contre les deux rejets implicites et contre le rejet explicite), a ordonné à l’URSSAF de procéder à la délivrance d’une attestation de vigilance à la société MEO pour lui permettre de continuer ses activités, et a renvoyé l’affaire sur le fond.

Le 20 mars 2014, le Parquet de Marseille a procédé au classement sans suite de la plainte « pour infraction aux conditions de travail ».

Le 24 avril 2014, l’URSSAF a déposé une plainte pour travail dissimulé par dissimulation d’emplois salariés, auprès du Parquet de Marseille, contre la société MEO et contre quatre de ses dirigeants.

Le 5 juin 2014, le Parquet de Marseille a procédé au classement sans suite de cette plainte.

Le 12 juin 2014, l’URSSAF a saisi le juge d’instruction de Marseille d’une plainte avec constitution de partie civile.

Le juge d’instruction a déclaré la plainte irrecevable pour défaut de consignation dans les délais.

Par arrêt du 22 avril 2015, la chambre d’accusation a infirmé l’ordonnance du juge d’instruction et a renvoyé l’affaire devant le doyen des juges d’instruction.

Le 30 septembre 2015, une information a été ouverte devant un juge d’instruction de Marseille.

Elle est toujours en cours à la date du présent arrêt.

En 2002, 2012 et 2015, l’administration fiscale a procédé à trois contrôles de la société MEO, au titre de la TVA et de l’impôt sur les sociétés, portant sur les années 2009, 2010, 2011, puis sur les années 2012, 2013 et 2014, contrôles fondés sur le fait que la société MEO avait comptabilisé en débours donc sans TVA, les prestations et honoraires des médecins dans le cadre des mandats, liés aux transports.

Les deux premiers contrôles n’ont pas donné lieu à rectification.

Le troisième contrôle a donné lieu à rectification mais, d’après l’intimée, à la date de la clôture des débats, aucune mise en recouvrement n’aurait été décidée par l’administration fiscale.

*******

Par jugement du 11 juin 2015, le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône a « accueilli favorablement la contestation explicite de rejet de la commission de recours amiable du 12 décembre 2011 à l’issue de la procédure de contrôle (‘) s’étant traduite par une notification de chefs de redressements le 15 octobre 2010 et les deux mises en demeure (‘) des 21 décembre 2010 et 13 janvier 2011 à hauteur cumulée de 5 557 674 euros (‘), a dit que cette décision a pour effet de ne pas confirmer la position de la commission de recours amiable du 12 décembre 2011, et a dit que cette décision doit se traduire par la délivrance d’une nouvelle attestation de vigilance (‘). ».

L’URSSAF a fait appel de ce jugement.

C’est cette décision qui est déférée à la Cour.

Par ses dernières conclusions développées à l’audience de plaidoirie du 22 novembre 2017, l’URSSAF a demandé à la Cour de surseoir à statuer dans l’attente des décisions à intervenir, tant sur le plan pénal que sur le plan fiscal.

Subsidiairement, l’URSSAF a demandé à la Cour d’infirmer le jugement, de rejeter toutes les contestations relatives à la régularité du contrôle, ainsi que tout moyen fondé sur l’existence d’accords tacites antérieurs, de dire que le redressement était justifié et de condamner la société intimée à lui payer la somme de 10000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions développées à l’audience, la SARL Méditerranée Evasan Organisation (M.E.O.) a demandé à la Cour de ne pas surseoir à statuer, de reconnaître l’existence d’irrégularités lors des opérations de contrôle, de les annuler, et d’annuler la totalité du redressement.

Subsidiairement, elle a demandé à la Cour de reconnaître l’accord tacite antérieur au contrôle clôturé en 2010, et encore plus subsidiairement, de confirmer le jugement, de débouter l’appelante de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 500 000 euros à titre de dommages-intérêts et la somme de 100 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de sursis à statuer

L’Urssaf demande à la Cour de surseoir à statuer dans l’attente de la décision pénale à intervenir à la suite de sa plainte avec constitution de partie civile, ainsi que cette Cour l’avait décidé le 11 octobre 2017 dans une autre affaire, et dans l’attente de la décision à intervenir du tribunal administratif dans le cadre des poursuites fiscales engagées contre la société MEO.

La société MEO s’oppose à tout sursis à statuer.

La Cour rappelle que les fondements juridiques d’une action pénale engagée du chef des délits intentionnels de travail dissimulé et d’une action engagée devant une juridiction de sécurité sociale pour faire annuler un redressement tendant au recouvrement de cotisations sociales éludées sont distincts.

Le présent litige ne concerne pas le statut des bénévoles d’une association sans but lucratif et ne présente pas les difficultés de preuve que seule la juridiction pénale pourrait trancher, contrairement au litige ayant donné lieu à l’arrêt de cette Cour versé aux débats par l’Urssaf à l’appui de sa demande de sursis à statuer.

Dès lors, l’issue de la plainte avec constitution de partie civile de l’Urssaf, qui, au surplus, est en cours depuis plus de deux ans, est indifférente à la solution du présent litige soumis à la Cour.

Par ailleurs, et sur le plan fiscal, il sera rappelé que le litige dont la Cour est saisie porte sur les années 2005 à 2010 et que le contrôle fiscal de 2012 qui concernait une partie de cette période n’a donné lieu à aucune rectification fiscale.

Il ne ressort pas du dossier qu’une action serait en cours devant la juridiction administrative suite au contrôle opéré en 2015, et qui, au surplus, portait sur les années 2012, 2013 et 2014.

Pour l’ensemble de ces motifs, la Cour rejette les demandes de sursis à statuer présentées par l’Urssaf.

Sur la régularité du contrôle

La société MEO fait valoir d’une part que l’inspecteur de l’Urssaf avait exercé des pressions sur ses clients pour, finalement, pouvoir conclure à la requalification des contrats de mandat en contrats d’entreprise et justifier ainsi les redressements subséquents, et d’autre part qu’il avait violé le principe du contradictoire inscrit dans la Charte du cotisant contrôlé en transmettant le procès-verbal d’infractions de travail dissimulé au Parquet de Marseille avant qu’elle ait eu le temps de répondre à la lettre d’observations du 15 octobre 2010.

L’Urssaf a contesté ces arguments et a considéré que la procédure de contrôle n’encourait aucune annulation.

La Cour constate que l’existence de pressions ne peut se déduire des seuls documents émanant des intervenants et des clients de la société MEO et que la preuve de ces prétendues pressions n’est pas rapportée.

Par ailleurs, la Cour rappelle que l’envoi du procès-verbal d’infractions de travail dissimulé au Parquet peut se faire à tout moment et n’est pas soumis aux différents délais de réponse à la lettre d’observations, tels que prévus par l’article R343-59 du code de la sécurité sociale.

La Cour rejette la demande d’annulation du contrôle de l’application des législations de sécurité sociale réalisé en 2009-2010, ainsi que la demande de dommages-intérêts, faute de preuve d’une faute commise par l’inspecteur de l’Urssaf pendant son contrôle en 2009-2010.

Sur l’accord tacite de l’Urssaf

Dès sa lettre du 19 novembre 2010, la société MEO s’est prévalu de l’accord tacite de l’Urssaf en rappelant que son activité avait fait l’objet de deux contrôles en 1998 et en 2003 qui n’avaient donné lieu à aucun redressement.

Au surplus, cette activité et sa pratique suivie depuis 1990 avaient été validées par l’inspecteur de l’Urssaf en 2005, au cours d’une réunion dans les locaux de l’Urssaf.

Pour écarter cet argument, l’inspecteur de l’Urssaf a répondu à la société MEO, dès le 20 novembre 2010 : « le contrôle effectué par mes soins l’a été à la suite d’une plainte déposée par l’un de vos concurrents auprès du procureur de la République. Cette plainte contenait des informations relatives à la société de fait Méditerranée Evasan Médical dont ne disposaient pas les inspecteurs ayant effectué les précédents contrôles ».

La Cour constate que cette réponse n’est par circonstanciée puisqu’il n’est pas précisé de quelles « informations » l’Urssaf aurait fait la découverte, courant mai 2009, en prenant connaissance d’une plainte contre X. datant de 2006 et qui émanait d’une société qui se présentait clairement comme exerçant une activité concurrente.

La Cour considère, en conséquence, que cette réponse n’était pas fondée, en 2010.

Dans sa décision du 12 décembre 2011, la commission de recours amiable a rejeté l’argument relatif à l’accord tacite en se fondant sur les éléments suivants :

la plainte d’un concurrent de la société MEO contre la société MEM, à l’origine d’un contrôle d’assiette « transformé en contrôle de travail dissimulé », a « légitimé le contrôle de travail dissimulé » ; « la procédure pénale et la plainte peuvent être consultés auprès du greffe du tribunal correctionnel ».

le niveau d’information et les moyens d’investigations donnés à partir de 2004-2007 (article L114-19 du code de la sécurité sociale) n’étaient pas les mêmes qu’auparavant ;

la société MEM n’était pas immatriculée en qualité d’employeur auprès de l’Urssaf ;

la société MEO a fait une fausse utilisation du contrat de mandat qui révèle le passage de sommes versées au personnel médical et paramédical dans les livres des comptes fournisseurs au lieu du compte de charge, alors que « le contrôle des comptes fournisseurs ne sont pas systématiquement vérifiés exhaustivement lors des contrôles d’assiette et permettent une dissimulation de toute une partie de la comptabilité ».

La Cour constate que la mention relative à la possibilité de consulter la procédure pénale auprès du greffe du tribunal correctionnel était manifestement erronée puisque la plainte était déposée contre X.. (pièce 44) et que le tribunal correctionnel n’était pas encore saisi par le Parquet de Marseille : son greffe ne pouvait donc procéder à aucune communication de quelque document que ce soit. Si cette observation de la commission était destinée à répondre à une contestation sérieuse émanant de la société MEO, elle était donc sans intérêt.

D’ailleurs, il ressort de la suite donnée à son procès-verbal du 15 octobre 2010 que le Parquet de Marseille qui, seul, avait le pouvoir de déclencher des poursuites devant le tribunal correctionnel, sur la base des constatations de l’Urssaf, et qui avait préalablement demandé des éclaircissements à l’Urssaf, notamment à propos des contrôles antérieurs sur lesquels son inspecteur était resté taisant (soit-transmis du 10 avril 2012 : pièce n°62), a décidé, en dépit de la réponse donnée le 27 novembre 2012 (pièce 63), de procéder à un classement sans suite, le 20 mars 2014, au motif que « l’infraction aux conditions de travail (contrats, salaires, congés repos) n’était pas suffisamment constituée ou caractérisée » (pièce 65).

La Cour considère peu sérieux l’argument relatif au fait qu’au moment des contrôles de 1998 et de 2003, la société MEM « n’était pas immatriculée en qualité d’employeur auprès de l’Urssaf », puisqu’elle ne l’était pas davantage lors du contrôle de 2009-2010.

Devant le tribunal puis devant la Cour, l’Urssaf a d’abord maintenu l’argument relatif aux apports de la loi du 13 août 2004 (article L324-12, devenu L8271-11, du code du travail) et de la loi du 19 décembre 2007 (article L114-19 du code de la sécurité sociale), en faisant valoir que c’était grâce à ces nouveaux textes que son inspecteur avait pu « interroger les cocontractants de la société MEO aux fins de vérifier la régularité des mandats dont se prévalait la société MEO », ce qui n’avait pas été possible auparavant. (§-A)

L’Urssaf a également soutenu que les inspecteurs ayant réalisé les contrôles avant 2009-2010 n’avaient pas pu découvrir la situation réelle de la société MEO « en raison de la comptabilisation en débours des honoraires versés au personnel médical par les sociétés MEO et/ou MEM », et « en raison de l’existence de la société de fait MEM chargée de faire écran entre la société MEO et les médecins qu’elle faisait travailler, située hors du périmètre contrôlé ».(§-B)

A) – Concernant l’argument relatif aux textes applicables, et aux possibilité d’investigations données à l’Urssaf après 2007, la Cour rappelle que l’article L114-19 du code de la sécurité sociale créé en 2007 avait prévu que « le droit de communication permet d’obtenir, sans que s’y oppose le secret professionnel, les documents et informations nécessaires :

1° Aux agents des organismes de sécurité sociale pour contrôler la sincérité et l’exactitude des déclarations souscrites ou l’authenticité des pièces produites en vue de l’attribution et du paiement des prestations servies par lesdits organismes ;

2° Aux agents chargés du contrôle mentionnés aux articles L. 243-7 du présent code et L. 724-7 du code rural pour accomplir leurs missions de contrôle définies aux mêmes articles et leur mission de lutte contre le travail dissimulé définie à l’article L. 324-12 du code du travail. ».

La Cour ne peut que constater que l’Urssaf n’a pas démontré en quoi son inspecteur aurait pu avoir accès, en 2009-2010, à des documents qui n’auraient donc pas été « communicables » auparavant, car éventuellement couverts par le « secret professionnel », tels que les contrats liant la société MEO à ses clients et toutes les factures justifiant des honoraires versés aux intervenants médicaux et paramédicaux.

Or, dans sa version en vigueur dès 1985, l’article R243-59 du code de la sécurité sociale prévoyait déjà que « Les employeurs et les travailleurs indépendants sont tenus de présenter aux fonctionnaires et agents de contrôle mentionnés aux articles L. 243-7 et L. 243-8 tous documents qui leur seront demandés comme nécessaires à l’exercice de leur contrôle.

Les fonctionnaires et agents de contrôle susmentionnés peuvent interroger les salariés, notamment pour connaître leur nom, adresse, rémunérations, y compris les avantages en nature dont ils bénéficient et le montant des retenues effectuées sur leur salaire pour les assurances sociales. ».

Et, dans sa version en vigueur au moment des contrôles de 1998 et de 2003, ce même texte prévoyait déjà que « Les employeurs, personnes privées ou publiques, et les travailleurs indépendants sont tenus de présenter aux agents chargés du contrôle mentionnés à l’article L. 243-7, dénommés inspecteurs du recouvrement, tout document et de permettre l’accès à tout support d’information qui leur sont demandés par ces agents comme nécessaires à l’exercice du contrôle.

Ces agents peuvent interroger les personnes rémunérées notamment pour connaître leurs nom et adresse ainsi que la nature des activités exercées et le montant des rémunérations y afférentes, y compris les avantages en nature. ».

Enfin, l’article L324-12 du code du travail issu de la loi du 13 août 2004 prévoyait les mêmes possibilité de communications de tous documents (cf. son alinéa 2), et d’auditions (« Les agents cités au premier alinéa sont en outre habilités à entendre, en quelque lieu que ce soit et avec son consentement, toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunérée par l’employeur ou par un travailleur indépendant afin de connaître la nature de ses activités, ses conditions d’emploi et le montant des rémunérations s’y rapportant, y compris les avantages en nature. Ces auditions peuvent faire l’objet d’un procès-verbal signé des agents précités et des intéressés. Ces agents sont en outre habilités à demander aux employeurs, aux travailleurs indépendants, aux personnes occupées dans l’entreprise ou sur le lieu de travail ainsi qu’à toute personne dont ils sont amenés à recueillir les déclarations dans l’exercice de leur mission, de justifier de leur identité et de leur adresse. »), qu’au moment des contrôles de 1998 et de 2003 (« Les agents agréés susmentionnés des organismes de sécurité sociale et des caisses de mutualité sociale agricole et les agents de la direction générale des impôts sont en outre habilités à entendre, en quelque lieu que ce soit et avec son consentement, toute personne rémunérée par l’employeur ou par un travailleur indépendant afin de connaître la nature de ses activités, ses conditions d’emploi et le montant des rémunérations s’y rapportant, y compris les avantages en nature. »).

Le seul apport de la loi du 13 août 2004 est la possibilité d’établir un procès-verbal et de se faire communiquer l’identité et de l’adresse de toutes les personnes « occupées dans l’entreprise ou sur le lieu de travail » ou de toute autre personne auditionnée.

L’Urssaf n’a pas démontré en quoi ces nouvelles dispositions lui ont permis de réaliser son contrôle en 2009-2010 puisque les personnes auditionnées en 2010 étaient certains médecins et infirmiers qui pouvaient déjà être auditionnés en 1998 et en 2003 sur le fondement de l’article R243-59 du code de la sécurité sociale, s’agissant de « personnes rémunérées ».

En conséquence, la Cour déclare infondé le double argument de l’Urssaf qui prétend que les inspecteurs de 1998 et 2003 n’auraient pas pu interroger « les personnes rémunérées » ou les « travailleurs indépendants » (médecins, infirmiers) ni se faire communiquer les documents utiles à leur contrôle, notamment les contrats conclus avec les sociétés d’assistance, les factures, les décomptes de débours et la preuve de l’affiliation au régime des travailleurs non salariés des intervenants médicaux et paramédicaux.

La loi du 13 août 2004 et la loi du 19 décembre 2007 n’ont donc pas eu, sur le contrôle de 2009-2010, l’incidence prétendue par l’Urssaf, appelante.

B) – Concernant le deuxième argument relatif au fait qu’avant 2009-2010 l’Urssaf ne pouvait pas découvrir la situation réelle de la société MEO « en raison de la comptabilisation en débours des honoraires versés au personnel médical par les sociétés MEO et/ou MEM », (§-1) et « en raison de l’existence de la société de fait MEM chargée de faire écran entre la société MEO et les médecins qu’elle faisait travailler, située hors du périmètre contrôlé » (§-2).

§-1 : L’Urssaf reconnaît explicitement qu’en 1998 et en 2003, ces débours figuraient bien dans les livres comptables de la société MEO.

D’ailleurs, l’existence de ces « débours » ne pouvait pas passer inaperçue dans la mesure où ils représentaient en moyenne 76% du montant total du flux comptable, comme en témoigne la pièce 49 établie en novembre 2010 par le cabinet comptable CEC, et son annexe récapitulant, année par année depuis 1995 jusqu’à 2009 les débours et le chiffre d’affaires.

L’Urssaf n’a pas contesté ces documents devant la Cour.

Or, un simple rapprochement comptable permettait de voir que ces débours ne pouvaient pas avoir d’autre justification que le paiement des diverses factures figurant en comptabilité sur la base des contrats conclus entre la société MEO et ses clients, et des paiements d’honoraires.

Et, en effet, l’attestation de M.[R] (pièce 48), ancien expert-comptable de la société MEO, datée du 23 mai 2012 a révélé que lors du contrôle de 1998, l’inspecteur [O] avait déclaré agir à la demande de l’Urssaf [Localité 3] (pour un contrôle général des sociétés de transport sanitaire), et également pour faire suite au contrôle mené dans une société concurrente.

Ce contrôle était donc particulièrement ciblé et portait sur les rémunérations des médecins et des infirmiers.

L’inspecteur [O] s’était donc fait expliquer, par le docteur [Z], co-gérant de la société MEO et par M.[R], le fonctionnement comptable des deux sociétés et le mode de rémunération des médecins et des infirmiers sous forme de débours, tout comme le paiement des transporteurs ambulanciers et compagnies d’aviation. Il avait pu faire un sondage des factures et vérifier la concordance entre ces factures et les montants des débours.

Il n’avait notifié aucune observation pour l’avenir et aucun redressement.

Le contrôle de 2003, effectué par une autre personne (Mme [D]), s’était clôturé sans observations ni redressement.

L’Urssaf n’a pas communiqué les deux rapports de contrôles adressés par M.[O] et Madame [D] à leur hiérarchie, comme le demandait la société MEO, et n’a pas contesté les témoignages de M.[R], de M.[Z] et de M.[U], qui avaient assisté à ce contrôle.

La Cour tient donc pour acquis le fait que l’Urssaf connaissait parfaitement, et au moins depuis 1998, l’organisation et le fonctionnement du groupe formé par les sociétés MEO et MEM.

Il résulte, au surplus, de l’examen des pièces du dossier que les pratiques de la société MEO étaient également connues du Conseil de l’Ordre des Médecins, de l’administration fiscale et de la caisse primaire d’assurance maladie, et n’avaient donné lieu à aucune critique ni procédure.

Elles étaient même connues d’au moins une des sociétés concurrentes puisque la plainte contre X… émanant de la société PMS en 2006 décrivait minutieusement le fonctionnement des deux structures mises en place par les dirigeants de la société MEO depuis 1990.

Il est, à ce propos, intéressant de constater que le même inspecteur [O], dont il n’a pas été contesté qu’il était chargé de contrôler les sociétés de transport sanitaire à la demande de l’Urssaf [Localité 3], avait contrôlé la société PMS courant 2000, notamment sur les rémunérations de ses intervenants pendant les années 1996 et 1997, et que ses pratiques étaient irrégulières puisqu’il avait procédé à un redressement en juin 2000, alors qu’aucun redressement n’avait été notifié à la société MEO deux ans avant, en 1998, et qu’il ira de même trois ans après, en 2003.

§- 2 : Par ailleurs, la seule lecture des statuts permettait de savoir que l’activité de cette société MEO était étroitement liée à l’activité de la société MEM, puisque, depuis 1990, l’activité de l’une ne se justifiait que par l’existence de l’autre, et, au surplus, dans un secteur d’activité strictement délimitée par les statuts présentés au contrôle.

En effet, ces statuts indiquent que la société MEO a pour objet « toutes opérations et toutes prestations de services se rapportant aux activités de gestion de toutes entreprises d’organisation, de mise à disposition et de régulation de tous les moyens techniques nécessaires à l’assistance aux personnes et aux biens sans exercice de la médecine » (article 2).

Quant aux statuts de la société en participation MEM, il était prévu qu’elle avait pour objet : « la régulation médicale (‘), l’accompagnement médical de transports sanitaires sous toutes ses formes (…), et la médicalisation de postes de secours ou d’infirmeries (…) ».

La Cour ne peut que constater que, du fait de l’existence de la société en participation reconnue comme société de fait, n’ayant pas de personnalité juridique, il n’existait aucun « écran » entre les deux structures créées en 1990, l’objet social et la comptabilité de l’une étant indissociables de l’objet social et de la comptabilité de l’autre.

Par ailleurs, il est établi que, par les lettres (pièces 46 et 54) avisant la société MEO des contrôles de 1998 et de 2003, l’Urssaf a eu accès à tous les documents comptables, sociaux et statutaires de la société MEO ainsi qu’à tous les contrats conclus entre la société MEO et ses clients : le site pétrochimique SHELL ([Localité 4]), les sociétés AXA Assistance France, etc…

La seule lecture de ces documents confirme les attestations précitées de MM.[R], [Z] et [U] en ce que l’inspecteur [O] qui avait contrôlé la société MEO en 1998 et sa collègue, Madame [D], en 2003, connaissaient parfaitement cette double structure mise en place et fonctionnant depuis 1990.

M.[W] cite, dans sa lettre d’observations, les noms de 41 sociétés : il a donc bien eu accès à tous ces contrats et il n’a pu les trouver que dans les locaux de la société contrôlée MEO : si ces documents étaient librement accessibles en 2009-2010, ils l’étaient évidemment en 1998-2003 et, du moins, l’inspecteur [W] ne fait état d’aucune autre éventualité.

La lecture des contrats détenus par la société MEO suffisait pour que, dès les contrôles de 1998 et de 2003, chaque inspecteur de l’Urssaf puisse se déterminer en toute connaissance de cause quant aux liens unissant la société MEO et les intervenants médicaux et paramédicaux.

Enfin, concernant le « périmètre du contrôle », il est intéressant de constater que, si l’objet du contrôle opéré en 2010 ne devait concerner que la société MEO, l’inspecteur [W] n’a pas été empêché d’examiner les documents sociaux et comptables du « groupe de sociétés MEO et MEM » (voir l’encadré en page 2 de sa lettre d’observations), alors que la société MEM n’entrait pas plus dans le périmètre de sa saisine qu’en 1998 et en 2003, preuve que tous les documents que la Cour vient d’examiner figuraient au nombre des documents accessibles et contrôlés avant 2010, et qu’ils n’avaient jamais été dissimulés, comme le prétend l’Urssaf pour écarter le principe d’un accord tacite.

Concernant les « intervenants », l’Urssaf aurait recensé, en 2010, 10 médecins ( sur le site de SHELL), 177 médecins et infirmiers (sociétés d’assistance), 25 médecins pour Mutuaide Assistance, et 44 intervenants pour des clients privés (lettre de l’avocat de la société PMS-pièce 3), alors qu’il n’en est mentionné que 194 dans les documents examinés par la société MEO qui n’a pas été démentie par la commission de recours amiable (pièce 9 page 5), et que seuls sept témoignages sont été recueillis lors du contrôle de 2010.

Les auditions des sept « intervenants », ont concerné, pour toute la période de 2005 à 2010, cinq médecins seulement (Madame [J], MM.[N], [I], et [R] sur le site pétrochimique de SHELL, le docteur [S] pour certaines sociétés d’assistance), qui ont indiqué qu’ils exerçaient leur activité principale à titre libéral, et que, pour leur activité d’assistance médicale, ils pouvaient justifier d’une affiliation au régime des travailleurs non salariés (TNS).

La situation était identique pour les deux infirmiers interrogés en 2010, MM. [A] et [K].

Il a été établi que ce point n’avait pas soulevé d’interrogations pour l’Urssaf en 1998 et 2003.

Le témoignage de Madame [F], épouse du docteur [F], qui est intervenu pour certaines sociétés d’assistance, a témoigné sur les relations avec la société MEO, « pour son mari empêché » : sur le plan strictement procédural, la Cour écarte ce document car il s’agit d’un témoignage indirect et que ces déclarations ont été recueillies sans que le docteur [F] ait donné à son épouse un quelconque mandat.

Sous cette réserve, la Cour constate que les auditions des sept « intervenants » n’ont pas été déterminantes puisque l’Urssaf ne dit pas en quoi ces sept personnes auraient apporté, en 2010, des éléments qui n’auraient pas été accessibles ou connus de chaque inspecteur de l’Urssaf en 1998 et en 2003, d’autant que l’Urssaf n’a pas apporté la preuve que les intervenants médicaux et paramédicaux auraient enfreint un éventuel nouveau texte législatif ou réglementaire en exerçant leur activité sous le régime social des « travailleurs non salariés » pour assurer la régulation médicale des clients de la société MEO.

En conséquence, les documents versés aux débats permettent à la Cour de dire qu’à chaque contrôle antérieur à 2009-2010, chaque inspecteur de l’Urssaf a examiné toute la comptabilité de la société MEO : les comptes de charges et/ou les comptes fournisseurs ont donc bien été examinés, contrairement à ce qu’avait pu estimer la commission de recours amiable en 2011, argument que l’Urssaf n’a d’ailleurs pas repris devant la Cour.

La reconnaissance d’un accord tacite suppose que l’employeur apporte la preuve de cet

accord tacite ; deux éléments doivent être cumulativement réunis : l’absence d’observations par l’organisme du recouvrement sur des pratiques vérifiées lors du précédent contrôle et la preuve que le contrôleur, qui examiné les points litigieux, a reçu tous les éléments nécessaires à son information et qu’en toute connaissance de cause il n’a formulé aucune observation.

Les pratiques vérifiées lors des précédents contrôles n’ont donné lieu à aucune observation.

L’Urssaf a eu l’occasion, au vu de l’ensemble des documents consultés, de se prononcer en toute connaissance de cause sur ces pratiques.

Chaque inspecteur, en 1998 puis en 2003, a été parfaitement informé de l’activité et des pratiques de la société MEO et a, en parfaite connaissance de cause décidé de ne faire ni observations pour l’avenir ni redressement.

Les circonstances de droit et de fait au regard desquelles ces éléments ont été examinés sont restées inchangées.

Les éléments de fait du dossier permettent à la Cour de dire qu’il y avait un accord tacite, antérieur au contrôle clôturé par la lettre d’observations du 15 octobre 2010.

En conséquence, la Cour annule la totalité du redressement résultant de la lettre d’observations du 15 octobre 2010, avec toutes ses conséquences notamment quant à son point n°10 relatif aux « réductions Fillon ».

Les deux mises en demeure des 21 décembre 2010 et 13 janvier 2011 sont annulées également.

Par le jugement dont appel du 11 juin 2015, le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône avait écarté l’existence d’un accord tacite antérieur, n’avait pas retenu l’existence relation de travail et de subordination juridique entre la société MEO et les intervenants médicaux et paramédicaux, et, pour ces motifs, avait « accueilli favorablement la contestation explicite de rejet de la commission de recours amiable du 12 décembre 2011 à l’issue de la procédure de contrôle (‘) s’étant traduite par une notification de chefs de redressements le 15 octobre 2010 et les deux mises en demeure (‘) des 21 décembre 2010 et 13 janvier 2011 à hauteur cumulée de 5557674 euros (‘), a dit que cette décision a pour effet de ne pas confirmer la position de la commission de recours amiable du 12 décembre 2011, et a dit que cette décision doit se traduire par la délivrance d’une nouvelle attestation de vigilance (‘). ».

Par souci de clarification de ce dispositif, au surplus incomplet, la Cour infirme le jugement dont appel, à l’exception de la remise d’une attestation de vigilance, et statue à nouveau, comme indiqué au dispositif du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant par arrêt contradictoire,

Rejette les demandes de sursis à statuer présentées par l’URSSAF,

Infirme le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches du Rhône du 11 juin 2015, sauf en ce que le tribunal a ordonné à l’URSSAF de remettre à la SARL Méditerranée Evasan Organisation une nouvelle attestation de vigilance,

Et statuant à nouveau :

Annule la totalité du redressement résultant de la lettre d’observations du 15 octobre 2010, avec toutes ses conséquences notamment quant à son point n°10 relatif aux « réductions Fillon »,

Annule les deux mises en demeure des 21 décembre 2010 et 13 janvier 2011,

Déboute l’URSSAF de toutes ses demandes,

Déboute la SARL Méditerranée Evasan Organisation (M.E.O.) de sa demande de dommages-intérêts,

Dispense l’URSSAF de payer le droit prévu par l’article R144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale,

Condamne l’URSSAF à payer à la SARL Méditerranée Evasan Organisation (M.E.O.) la somme de 8000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x