Attentats du Bataclan : 21 décembre 2023 Tribunal judiciaire de Paris RG n° 22/05927

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Attentats du Bataclan : 21 décembre 2023 Tribunal judiciaire de Paris RG n° 22/05927
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21 décembre 2023
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
22/05927

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

PRPC JIVAT

N° RG 22/05927
N° Portalis 352J-W-B7G-CW24C

N° MINUTE :

Assignation du :
12 mai 2022
13 mai 2023

Admission partielle
G.C

JUGEMENT
rendu le 21 Décembre 2023
DEMANDEUR

Monsieur [Y] [N]
[Adresse 3]
[Localité 7]

représenté par Me Claudine BERNFELD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0161

DÉFENDEURS

FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DE TERRORISME ET D’AUTRES INFRACTIONS (FGTI)
[Adresse 5]
[Localité 8]

représentée par Me Diane ROUSSEAU, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0124

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE PAU PYRÉNÉES
[Adresse 2]
[Localité 6]

défaillante

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Pascal LE LUONG, Premier Vice-Président
Maurice RICHARD, Magistrat à titre temporaire
Géraldine CHABONAT, Juge

assistés de Véronique BABUT, Greffier
Décision du 21 Décembre 2023
PRPC JIVAT
N° RG 22/05927
N° Portalis 352J-W-B7G-CW24C

DEBATS

A l’audience du 09 Novembre 2023 tenue en audience publique.
Après clôture des débats, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 21 Décembre 2023.

JUGEMENT

– Réputé contradictoire,
– En premier ressort,
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [Y] [N], âgé de 47 ans (pour être né le [Date naissance 1] 1968) et exerçant la profession de directeur commercial en qualité d’associé co-gérant non salarié d’une société lors des faits, a été victime de l’attentat terroriste commis le 13 novembre 2015 dans la salle de spectacle du Bataclan à Paris avec Madame [P], sa compagne avec laquelle il s’est marié après les faits, le [Date mariage 4] 2016.

Ils se situaient au niveau de la coursive droite lorsque l’attaque a commencé.

Monsieur [Y] [N] comprenant rapidement qu’il s’agissait d’un attentat terroriste, a poussé sa compagne au sol et s’est couché sur cette dernière pour la protéger.

Profitant d’une pause entre plusieurs tirs, le couple s’est relevé et Monsieur [Y] [N] et Madame [P] ont couru ensemble et sont parvenus à se réfugier dans un local technique avec de nombreuses autres victimes.

Dans l’attente de l’intervention de la BRI, Monsieur [Y] [N] a apporté les premiers soins à des blessés présents, et communiquait avec les secours et les forces de police.

A l’arrivée de ces derniers, Monsieur [N] et Madame [P] ont été orientés dans une cour d’immeuble de la [Adresse 12] avec d’autres personnes. Ils n’ont pas souhaité se rendre à la mairie du 11ème arrondissement où avait été mise en place une cellule de crise et sont ainsi rentrés chez eux.

Le FGTI leur a versé une première provision de 10.000 € le 14 janvier 2016.

Monsieur [Y] [N] a été expertisé, à sa demande, par le Docteur [Z], psychiatre, lequel a établi un rapport le 1er juin 2017.

Le FGTI a missionné le docteur [C], psychiatre, afin qu’il procède à l’examen de Monsieur [Y] [N], dans le cadre d’une expertise médicale amiable contradictoire. Ce dernier a déposé son rapport définitif le 22 août 2018, aux termes duquel il a conclu comme suit :
«Dépenses de santé actuelle : prise en charge par une psychologue clinicienne ; Déficit fonctionnel temporaire partiel : A 50% : du 13 novembre 2015 au 31 janvier 2016, A 25% : du 1er février au 13 juillet 2016, A 50% : du 14 juillet 2016 au 31 janvier 2017, A 20% : du 1er février au 17 novembre 2017 ;Consolidation : le 17 novembre 2017 (49 ans) Incidence professionnelle : du fait de l’évitement du conflit et des troubles cognitifs ; Déficit fonctionnel permanent : 8% ; Souffrances endurées : 5,5/7 ; Préjudice d’angoisse : majeur ; Préjudice d’agrément : Evite de sortir aux terrasses des cafés, évite la foule, arrêt de la plongée ; Préjudice d’établissement : surprotection de ses enfants, difficultés avec ses enfants, peur pour eux pour certaines activités.»
A la suite du dépôt de ce rapport, le Docteur [C] a répondu à un Dire adressé par Monsieur [Y] [N] s’agissant de l’incidence professionnelle.

Suite à ce rapport, le FGTI a adressé plusieurs offres au demandeur, respectivement en date du 22 octobre 2018, 9 août 2019 et le 5 décembre 2019.

Le montant total des provisions versées par le FGTI s’élève à la somme de 72.200 €.

******

Par exploit d’huissier en date du 13 mai 2022, suivi de conclusions récapitulatives signifiées le 4 novembre 2022, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, Monsieur [Y] [N] demande au tribunal de :

DIRE ET JUGER que le Fonds de Garantie des Victimes d’actes de Terrorisme et autres Infractions est tenu de d’indemniser intégralement Monsieur [N], en raison de son préjudice en lien avec l’attentat du 13 novembre 2015 ;

CONDAMNER le Fonds de Garantie des Victimes d’actes de Terrorisme et autres Infractions, après déduction des sommes d’ores et déjà versées par la sécurité sociale, à régler à Monsieur [N] les sommes suivantes :
Dépenses de santé actuelles 720,00 €, Frais divers 100,00 €, Incidence professionnelle 50.000,00 €, Déficit fonctionnel temporaire 7.200,00 €,Préjudice d’angoisse de mort imminente 65.000,00 €,Souffrances endurées 40.000,00€,Déficit fonctionnel permanent 17.600,00 €,Préjudice d’agrément 15.000,00 €, Préjudice d’établissement 10.000,00 €, PESVT 50.000,00 € ; CONDAMNER en conséquence le Fonds de Garantie des Victimes d’actes de Terrorisme et autres Infractions, à régler à Monsieur [N] la somme de 255.620,00€ ;

CONDAMNER le Fonds de Garantie des Victimes d’actes de Terrorisme et autres Infractions à verser Monsieur [N] la somme de 5.000,00 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

DIRE ET JUGER que les sommes qui seront allouées porteront intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir avec anatocisme ;

DECLARER le jugement à intervenir commun à la CPAM Pau Pyrénées ;

RAPPELER que rien ne s’oppose à ce que la décision à intervenir soit exécutoire à titre provisoire de plein droit, conformément à l’article 514 du code de procédure civile ;

DIRE ET JUGER que les dépens afférents à l’instance seront mis à la charge du FGTI ou subsidiairement de l’état.

******

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 3 février 2023, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, le FGTI sollicite de :

ALLOUER à Monsieur [N] les indemnités suivantes :
Dépenses de santé actuelles : 720 €, Frais divers : 100 €, Incidence professionnelle : 7.000 €, Déficit fonctionnel temporaire : 6.000 €,Souffrances endurées : 30.000 €Préjudice d’angoisse : 20.000 €,Déficit fonctionnel permanent (8%) : 13.120 €,Préjudice d’agrément : 5.000 €Préjudice exceptionnel spécifique des victimes de terrorisme : 30.000 € ;
DEDUIRE du montant des indemnisations les provisions versées au profit de Monsieur [N] à hauteur de 72.200 € ;

DEBOUTER Monsieur [N] du surplus de ses demandes plus amples ou contraires ;

DIRE n’y avoir lieu à exécution provisoire au regard des provisions d’ores et déjà versées et du risque de non-restitution des sommes ou à défaut LIMITER le montant de l’exécution provisoire aux offres contenues dans le corps des présentes ;

DEBOUTER Monsieur [N] de ses demandes fondées sur les dispositions des articles 699 et 700 du CPC.

******

L’ordonnance de clôture a été rendue le 25 mai 2023.

L’audience de plaidoiries s’est tenue le 9 novembre 2023.

A l’issue de l’audience, l’affaire a été mise en délibéré au 21 décembre 2023.

La CPAM de Pau-Pyrénées, régulièrement assignée n’ayant pas constitué avocat, le présent jugement susceptible d’appel, sera réputé contradictoire à l’égard de toutes les parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I- Sur le droit à indemnisation

L’article L126-1 du code des assurances issues de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice dispose que :
“Les victimes d’actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l’étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou militaire, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, seront indemnisés dans les conditions définies aux articles L422-1 à L422-33.”

Selon l’article 421-1 du code pénal, “constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes et notamment les atteintes volontaires à la vie, les atteintes à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration”.

Monsieur [Y] [N] assistait au concert donné au Bataclan le 13 novembre 2015 au cours duquel un acte de terrorisme a été commis et 130 personnes abattues, faits dont il a été témoin pendant toute la durée de l’attaque.

Monsieur [Y] [N] a ainsi été victime directe de l’attentat terroriste du 13 novembre 2015. Le FGTI ne conteste pas cette qualification.

Dans ces conditions, Monsieur [Y] [N] relève d’une indemnisation au titre de la solidarité nationale telle que prévue par les articles L126-1 et L422-1 et suivants du code des assurances.

Par conséquent, le FGTI sera condamné à indemniser Monsieur [Y] [N] des conséquences dommageables de l’attentat et à lui verser les indemnités ci-après allouées.

II- Sur la réparation des préjudices de Monsieur [Y] [N]

Au vu de l’ensemble des éléments produits aux débats, le préjudice subi par Monsieur [Y] [N], âgé de 49 ans lors de la consolidation et directeur commercial en qualité d’associé co-gérant non salarié d’une société lors des faits, sera réparé ainsi que suit, étant observé qu’en application de l’article 25 de la loi n°2006-1640 du 21 décembre 2006, d’application immédiate, le recours subrogatoire des tiers payeurs s’exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’ils ont pris en charge.

– PRÉJUDICES PATRIMONIAUX

– Préjudices patrimoniaux temporaires

– Dépenses de santé actuelles

Les dépenses de santé sont constituées de l’ensemble des frais hospitaliers, de médecins, d’infirmiers, de professionnels de santé, de pharmacie et d’appareillage en lien avec le fait dommageable.

Monsieur [Y] [N] sollicite la somme de 720 € et expose avoir été suivi par une psychologue dans les suites immédiates de l’attentat, puis entre septembre 2016 et janvier 2017.

Il a également réalisé des séances EMDR avec Madame [F], psychologue, pour l’aider à surmonter les angoisses engendrées par cet événement traumatique.

Le Fonds de Garantie ne s’oppose pas à sa demande et offre la même somme.

En conséquence, et constatant l’accord intervenu entre les parties, il sera alloué à Monsieur [Y] [N] la somme de 720 euros à ce titre.

– Frais divers

Il s’agit des frais autres que médicaux pris en charge par la victime. Par exemple, l’assistance de la victime lors des opérations d’expertise par un, ou des, médecin conseil en fonction de la complexité du dossier, en ce qu’elle permet l’égalité des armes entre les parties à un moment crucial du processus d’indemnisation, doit être prise en charge dans sa totalité.

En l’espèce, Monsieur [Y] [N] sollicite la somme de 100 euros, correspondant au reste à charge des frais et honoraires d’assistance du médecin conseil, le docteur [Z], ce qu’accepte le FGTI.

En conséquence, et constatant l’accord intervenu entre les parties, il sera alloué à Monsieur [Y] [N] la somme de 100 euros à ce titre.

– Préjudices patrimoniaux permanents

– Incidence professionnelle

Ce poste d’indemnisation a pour objet d’indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle, ou de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre qu’elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap.

Monsieur [Y] [N] sollicite la somme de 50.000 euros tandis le FGTI offre la somme de 7.000 euros.

A l’appui de sa demande, Monsieur [Y] [N] expose qu’au moment des faits il était directeur commercial d’une société, en qualité de co-gérant non salarié et que compte tenu de ce statut, il n’a pas pu être placé en arrêt de travail et a dû continuer à travailler malgré ses difficultés d’ordre psychologique.

Il précise que sa société a pour mission principale de proposer du matériel informatique, des applications de gestion, d’intervention, de traçabilité et de collecte de données et que, jusqu’en 2015 le marché des armes était notamment une cible commerciale.

A cet égard, il précise également que du fait de ses fonctions, il participait à de nombreux salons professionnels mais qu’il a depuis l’attentat réorienté la stratégie commerciale et évoque que l’attentat a généré des troubles cognitifs (concentration, troubles de la mémoire), des conduites d’évitement du conflit, un manque de motivation ainsi que des difficultés relationnelles avec ses autres associés.

Cependant, si l’expert a retenu l’existence d’une incidence professionnelle, il a considéré que celle-ci était uniquement en lien avec les troubles cognitifs et dûe à l’évitement du conflit mais non en raison du manque de motivation.

Par ailleurs, les faits n’ont pas eu pour conséquence un changement de carrière, lequel n’a pas été médicalement constaté ou jugé nécessaire.

De plus, comme le relève le FGTI, force est de constater que Monsieur [Y] [N] a repris l’exercice de ses fonctions aux mêmes conditions qu’antérieurement et ce, depuis 7 ans sans aucun arrêt de travail, ce qui démontre que ce dernier est à même de l’exercer.

Dès lors, il sera alloué à Monsieur [Y] [N] la somme de 10.000 euros.

– PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX

– Préjudices extra-patrimoniaux temporaires

– Déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice indemnise l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique. Le déficit fonctionnel temporaire inclut pour la période antérieure à la date de consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique.

Monsieur [Y] [N] sollicite la somme de 7.200 euros, et le FGTI offre la somme de 6.000 euros.

En l’espèce, l’expert retient les éléments suivants :
«Déficit fonctionnel temporaire partiel : A 50% : du 13 novembre 2015 au 31 janvier 2016, A 25% : du 1er février au 13 juillet 2016, A 50% : du 14 juillet 2016 au 31 janvier 2017, A 20% : du 1er février au 17 novembre 2017.»
Sur la base d’une indemnisation de 27 euros par jour pour un déficit total, les troubles dans les conditions d’existence subis par Monsieur [Y] [N] jusqu’à la consolidation, justifient l’octroi d’une somme totale de 6.440,85 euros [(79 j x 27 € x 50%)+(163 j x 27€ x 25%)+(201 j x 27 € x 50%)+(289 j x 27 € x20%)].

– Souffrances endurées

Il s’agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c’est-à-dire du jour de l’accident à celui de sa consolidation. A compter de la consolidation, les souffrances endurées vont relever du déficit fonctionnel permanent et seront donc indemnisées à ce titre.

En l’espèce, Monsieur [Y] [N] sollicite la somme de 40.000 euros, et le FGTI formule une offre à hauteur de 30.000 euros.

L’expert a retenu des souffrances endurées cotées à 5.5/7 compte tenu notamment des souffrances subies au moment des faits et de l’impact des symptômes psycho traumatiques.

Le soir des faits, Monsieur [Y] [N] a refusé de se rendre à la cellule psychologique qui lui était proposée et a préféré regagner son domicile avec sa compagne.

Cependant, le lendemain, Monsieur [Y] [N] s’est rendu aux UMJ de [9] où il a été examiné par un médecin, lequel a diagnostiqué un état de stress aigu.

Par ailleurs, aux termes de son attestation en date du 20 novembre 2016, Madame [F], psychologue avec laquelle il suivait des séances d’EMDR, certifie que Monsieur [Y] [N], dans les suites de l’attentat, souffrait de flash-backs récurrents, de séquences vidéo de l’événement avec ou sans son et ce, à tout moment de sa journée.

Elle précise également que ce dernier était alors hyper vigilant à tout mouvement, tout bruit ou événement imprévu, qu’il a présenté des troubles du sommeil, qu’il était constamment à la recherche d’informations permettant de mieux comprendre ce qu’il avait vécu au Bataclan.

Les difficultés psychologiques ont de surcroît ressurgi au moment de l’attentat survenu sur la promenade des anglais à Nice le 14 juillet 2016 ainsi que l’a consigné l’expert dans son rapport.

En conséquence, les souffrances endurées subies par Monsieur [Y] [N] seront réparées par l’allocation de la somme de 40.000 euros.

– Préjudice d’angoisse de mort imminente

Le préjudice d’angoisse de mort imminente est ressenti par la victime directe entre le début du fait traumatique et l’issue de celui-ci constituée soit par la prise en charge par les services de secours de la victime vivante, soit par son décès. Il est lié à la conscience du risque de mort de manière distincte des souffrances morales indemnisables au titre du poste de préjudice temporaire intitulé “souffrances endurées”.

Cette souffrance est, par ailleurs, spécifique du fait du contexte collectif de l’infraction subie qui a amplifié ce sentiment d’angoisse, notamment du fait du nombre de personnes impliquées, de leurs réactions, ainsi qu’en raison de l’importante couverture médiatique en temps réel de cet acte de terrorisme.

En l’espèce, Monsieur [Y] [N] sollicite la somme de 65.000 euros, et le FGTI offre la somme de 20.000 euros.

A l’appui de sa demande, Monsieur [Y] [N] expose qu’en entendant les détonations, il a immédiatement poussé sa compagne au sol qu’il a protégé de son corps.

Il précise que lorsque les lumières se sont rallumées, il a vu les assaillants abattre les autres spectateurs dans la fosse et ce, un par un.

Le Docteur [C] a retenu un préjudice d’angoisse qu’il qualifie de «majeur».

A cet égard, l’expert a noté que Monsieur [Y] [N] avait le souvenir d’un homme abattu de sang-froid alors que ce dernier était blessé et qu’il a été submergé par la peur, pensant que la fin de sa vie et celle de sa compagne étaient très proches.

Lorsque les tirs ont cessé, Monsieur [Y] [N] s’est réfugié avec sa compagne dans une loge avec d’autres personnes, où il est resté enfermé plusieurs heures.

Pendant l’ensemble de ce temps, il a entendu les plaintes, les cris, les pleurs des personnes restées dans la salle et a prodigué les premiers soins aux blessés.

Par ailleurs, et dans ce même laps de temps, Monsieur [Y] [N] était également en contact avec les forces de l’ordre, craignant d’être repéré ou que les terroristes ne tirent à travers la paroi fine de la loge où il se trouvait.

Enfin, lorsqu’il a enfin été évacué avec les autres survivants de l’attentat, il a fait face à une scène qu’il qualifie «d’horreur».

Au regard de ces éléments, il sera alloué la somme de 30.000 euros à Monsieur [Y] [N].

– Préjudices extra-patrimoniaux permanents

– Déficit fonctionnel permanent

Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles définitifs apportés à ces conditions d’existence.

Monsieur [Y] [N] sollicite la somme de 17.600 euros, et le FGTI offre la somme de 13.120 euros soit une selon une valeur de point fixé à 1.640 euros.

Cependant, l’expert a fixé à 8% le taux de déficit fonctionnel permanent de Monsieur [N] au regard des séquelles qu’il conserve de l’attentat terroriste dont il a été la victime et notamment des troubles psychologiques à savoir des troubles de la concentration, des crises d’hypervigilance, des angoisses, si ce dernier remarque des éléments inquiétants dans une foule, outre des troubles du sommeil.

Compte tenu de ces éléments, le Docteur [C] a estimé qu’il y avait lieu de retenir un état de stress post traumatique aigu puis chronique ainsi que des souffrances endurées, elles aussi chroniques.

Par ailleurs, l’expert a également relevé que Monsieur [Y] [N], qui est père de 2 enfants et qui s’est marié avec sa compagne, Madame [P], laquelle est également mère de 3 autres enfants, manifestait une surprotection à l’égard de ces derniers, ce qui constitue une composante particulière du déficit fonctionnel permanent et qui doit être prise en compte dans son indemnisation.

De plus, le barème du concours médical plafonne l’évaluation des séquelles psychiatriques à un taux de 20%, de sorte qu’en l’espèce, le taux retenu à savoir 8%, est presque égal à la moitié du taux maximum des séquelles psychiatriques.

Dès lors, Monsieur [Y] [N] étant âgée de 49 ans lors de la consolidation de son état, il lui sera alloué une indemnité de calculée sur la base d’un point d’incapacité de 2.025 euros.

Par conséquent, il sera alloué à Monsieur [Y] [N] la somme de 16.200 euros (2.025×8).

– Préjudice d’agrément

Ce préjudice vise à réparer le préjudice spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs ainsi que les limitations ou difficultés à poursuivre ces activités.

Ce préjudice particulier peut être réparé, en sus du déficit fonctionnel permanent, sous réserve de la production de pièces justifiant de la pratique antérieure de sports ou d’activités de loisirs particuliers.

En l’espèce, Monsieur [Y] [N] sollicite la somme de 15.000 euros tandis que le FGTI offre la somme de 5.000 euros.

En l’espèce, l’expert a retenu au titre du préjudice d’agrément le fait que Monsieur [Y] [N] évite désormais d’effectuer les activités impliquant la présence d’une foule et qu’il a, par ailleurs, arrêté de pratiquer la plongée.

S’agissant de l’évitement de la foule, Monsieur [Y] [N] expose ressentir une vive angoisse lorsqu’il y a beaucoup de personnes autour de lui et notamment s’il remarque des détails qui l’inquiètent.

A cet égard, il précise qu’il ne peut plus se rendre dans des parcs d’attraction en famille (avec ses propres enfants et ceux de sa compagne) et fort difficilement au cinéma.

Concernant la plongée sous-marine, Monsieur [Y] [N] expose qu’il pratiquait ce sport depuis plus de 10 ans, qu’il avait acquis un niveau 2 et voyageait autour du monde pour découvrir les fonds marins.

Monsieur [Y] [N] indique qu’il a tenté après les attentats du 13 novembre 2015 de reprendre cette activité mais qu’il y a échoué du fait que ce sport implique de vivre des émotions fortes.

A ce titre, Madame [W] [K], rencontrée lors d’un séjour sur [Localité 10] à [Localité 11], atteste que pour pratiquer la plongée sous-marine dans des conditions optimales de sécurité, il est nécessaire d’être stable émotionnellement et serein.

Enfin, Monsieur [Y] [N] expose également qu’avant les faits, il assistait fréquemment à des concerts (une fois par mois) et que si cette activité a pu être reprise, c’est avec une appréhension importante.

Au regard des justificatifs produits, il lui sera alloué la somme de 8.000 euros.

– Préjudice d’établissement

Le préjudice d’établissement vise à indemniser la perte d’espoir, de chance ou de toute possibilité de réaliser un projet de vie familiale «normale» en raison de la gravité du handicap permanent, dont reste atteint la victime après sa consolidation.

Il s’agit de la perte d’une chance de se marier, de fonder une famille, d’élever des enfants et plus généralement des bouleversements dans les projets de vie de la victime qui l’obligent à effectuer certaines renonciations sur le plan familial.

Monsieur [Y] [N] sollicite la somme de 10.000 euros.

Le Fonds s’oppose à toute indemnisation au motif que ce dernier, qui avait déjà 2 enfants d’un premier lit, s’est marié le [Date mariage 4] 2016, soit postérieurement aux faits avec Madame [P], laquelle était également mère de 3 enfants issus d’une première union.

A l’appui de sa demande, Monsieur [Y] [N] expose ressentir des angoisses pour ses enfants voir selon ses termes, les «étouffer», et chercher en permanence à les joindre téléphoniquement notamment lorsque les ainés sortent à Paris.

Il est constant que l’expert a retenu, concernant le préjudice d’établissement en raison de cette surprotection et de cette peur.

Cependant, la perturbation de la parentalité évoquée par Monsieur [Y] [N] ne correspond pas à la définition du préjudice d’établissement telle que retenue.

A cet égard, les séquelles consistant en une altération du rôle au sein de la cellule familiale ou des difficultés rencontrées avec la famille consécutivement aux faits, sont des motifs impropres à caractériser l’existence d’un préjudice d’établissement distinct du déficit fonctionnel permanent.

Ces perturbations ont été prises en compte et indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent (perte de la qualité de vie et troubles dans les conditions d’existence), mais ne sauraient être indemnisés au titre du préjudice d’établissement.

Partant, la demande de Monsieur [Y] [N] doit être rejetée, à ce titre.

– Préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme

Ce poste de préjudice a été retenu par le FGTI à la suite d’une délibération de son conseil d’administration du 19 mai 2014 et est destiné à prendre en compte la spécificité de la situation des victimes directes ou indirectes d’un acte de terrorisme et notamment de l’état de stress post traumatique et des troubles liés au caractère particulier de cet événement.

La nomenclature Dintilhac n’a pas prévu ce poste de préjudice en tant que tel mais a néanmoins retenu la possibilité de reconnaître l’existence de préjudices permanents exceptionnels en raison des circonstances particulières de commission des faits et de leur résonance.

Monsieur [Y] [N] sollicite une somme de 50.000 euros et il est offert la somme de 30.000 euros par le FGTI.

En l’espèce, il est constant que l’attentat terrorisme du 13 novembre 2015 a été commis dans des circonstances particulières du fait à la fois de sa nature, s’agissant d’un acte d’intimidation et de terreur d’une Nation entière, et de sa dimension collective, cet acte ayant été commis dans le but de gravement déstabiliser ou détruire ses structures et de porter atteinte à l’ensemble de ses citoyens. Ces faits dramatiques ont, en outre, eu une résonance majeure et durable dans l’opinion publique et dans les médias.

Il est également constant que les faits à la dimension nationale et même internationale causent à Monsieur [Y] [N] de manière permanente un préjudice moral exceptionnel lié au caractère collectif de l’acte subi, aux motivations de ses auteurs, à la médiatisation des faits, et à la réitération de passages à l’acte de même nature.

Cependant, il convient de souligner que ce poste de préjudice est une aide forfaitaire allouée par le Fonds de Garantie, ne reposant pas sur l’expertise médico-légale, mais fondée sur la prévalence du syndrome de stress post-traumatique chez les victimes d’actes terroristes.

A cet égard, Monsieur [Y] [N] ne justifie pas d’un préjudice qui n’aurait pas été pris en compte au titre des autres postes.

En conséquence, il lui sera alloué la somme de 30.000 euros conformément à l’offre présentée par le Fonds de Garantie.

III- Sur les autres demandes

Les sommes allouées produiront intérêts à compter du présent jugement conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil.

Le FGTI prendra à sa charge les dépens de l’instance.

En outre, le FGTI sera condamné à payer à Monsieur [Y] [N] la somme de 1.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Rien ne justifie d’écarter l’exécution provisoire dont la présente décision bénéficie de plein droit, conformément aux dispositions des articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, s’agissant en effet d’une instance introduite après le 1er janvier 2020.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL, statuant publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en premier ressort,

DIT que Monsieur [Y] [N] a été victime d’un acte de terrorisme le 13 novembre 2015 et qu’il a droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale en application des articles L126-1 et L422-1 et suivants du code des assurances ;

CONDAMNE le FGTI à payer à Monsieur [Y] [N], en deniers ou quittances, provisions non déduites, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour, les sommes suivantes en réparation des préjudices subis en tant que victime directe de l’attentat terroriste :
– dépenses de santé actuelles : 720 euros,
– frais divers : 100 euros,
– incidence professionnelle : 10.000 euros,
– déficit fonctionnel temporaire :6.440,85 euros,
– souffrances endurées : 40.000 euros,
– préjudice d’angoisse de mort imminente : 30.000 euros,
– déficit fonctionnel permanent :16.200 euros,
– préjudice d’agrément :8.000 euros,
– préjudice spécifique des victimes d’actes de terrorisme : 30.000 euros ;

DÉBOUTE Monsieur [Y] [N] de ses demandes formulées au titre du préjudice d’établissement ;

CONDAMNE le FGTI à payer à Monsieur [Y] [N] la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE le FGTI aux dépens de l’instance ;

DIT que les avocats en la cause en ayant fait la demande, pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l’avance sans avoir reçu provision en application de l’article 699 du code de procédure civile ;

DÉCLARE le présent jugement opposable à la CPAM de Pau-Pyrénées ;

RAPPELLE que la présente décision est assortie de l’exécution provisoire ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 21 Décembre 2023

Le GreffierLe Président

 


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