Votre panier est actuellement vide !
Toute exploitation de l’image d’une personne hors du périmètre concédé expose à une condamnation. L’écrit présente l’avantage de bien encadrer le périmètre de la cession.
Dans cette affaire, il a été jugé qu’en exploitant une vidéo ou en concédant à des tiers le droit de la diffuser au-delà des seuls salons professionnels et après le 31 décembre 2014, sans s’assurer qu’elle disposait d’un droit d’exploitation commerciale de l’image de Mme [B] permettant cette large diffusion, la société TCL a commis une faute délictuelle au sens de l’article 1382 ancien, devenu 1240, du code civil.
Pour rappel, selon l’article 9, alinéa 1er, du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée.
Cet article confère le droit de s’opposer à la publication et à l’utilisation de son image (2e Civ., 30 juin 2004, pourvoi n° 03-13.416, bull. II n 340), sous réserve du droit à la liberté d’expression et du droit à l’information.
Cependant, une personne peut autoriser, expressément ou tacitement, une telle utilisation (1re Civ., 7 mars 2006, pourvoi n° 04-20.715, Bull. 2006, I n° 139 ; 1 Civ., 13 novembre 2008, pourvoi n° 06-16.278, Bull. 2008, I n° 259), laquelle peut faire l’objet d’un contrat, à titre gratuit ou onéreux.
Les dispositions de l’article 9 précitées, seules applicables en matière de cession de droit à l’image, relèvent de la liberté contractuelle et ne font pas obstacle à celle-ci dès lors que les parties ont stipulé de façon suffisamment claire les limites de l’autorisation donnée quant à sa durée, son domaine géographique, la nature des supports et l’exclusion de certains contextes (1re Civ., 11 décembre 2008, pourvoi n° 07-19.494, Bull. 2008, I n° 282 et 1re Civ., 20 octobre 2021, pourvoi n° 20-16.343).
Dès lors que l’autorisation est suffisamment spéciale, la clause de cession incluse dans un contrat signé entre un mannequin et un photographe professionnel est valable (1er Civ., 28 janvier 2010, pourvoi n° 08-70248). En revanche, constitue une atteinte à la vie privée la publication de photographies ne respectant pas la finalité visée dans l’autorisation donnée par l’intéressé (1re Civ., 30 mai 2000, pourvoi n° 98-14.610, Bull. civ. I, n 167).
En l’espèce, il est constant qu’aucun contrat écrit de cession de droit à l’image n’a été conclu par Mme [B], que ce soit avec la société Pixel’s Revenge ou avec la société TCL.
Si le tribunal a pu considérer que Mme [B] avait valablement donné son autorisation pour la captation et la diffusion de son image, ce qu’elle ne conteste d’ailleurs pas, reconnaissant avoir fourni une autorisation tacite à la société Pixel’s Revenge concernant son droit à l’image pour l’exploitation restreinte de la vidéo, c’est en revanche à tort qu’il a considéré que l’autorisation donnée s’entendait d’une diffusion large de son image, aux motifs que l’intéressée avait cédé ses droits sans réserves antérieurement à la réalisation du film, qu’elle avait eu connaissance d’une diffusion large de celui-ci sans s’y opposer avant le 24 juillet 2014, date de la première lettre adressée à la société TCL, et qu’elle l’avait elle-même diffusé très largement via Internet.
En effet, alors qu’aucun contrat précisant les supports d’exploitation des images, les zones géographiques de diffusion et la durée de cette exploitation n’a été signé entre les parties et que la société TCL ne produit aux débats aucune pièce à l’appui de ses allégations selon lesquelles, d’une part, le contrat conclu avec la société Pixel’s Revenge définissait précisément les contours de l’utilisation du film, d’autre part, Mme [B] était parfaitement consciente de la diffusion de ce film sur les téléviseurs de marque Thomson dans les magasins de vente au public, il résulte au contraire du mail adressé le 3 juin 2013 par M. [V], représentant de la société Pixel’s Revenge, à M. [W], représentant de la société de casting, que la rémunération du mannequin « s’entend[ait] cession de droits incluse [et qu’] il n’y aura[it] pas de diff[usion] télé, ce n’est pas une pub, mais un film ‘démo’ qui sera diffusé sur les écrans du constructeur, lors de salons professionnels ».
Au vu de ce qui précède, la société TCL n’est pas fondée à soutenir qu’elle bénéficiait d’une cession du droit à l’image de Mme [B], qu’elle soit expresse ou tacite, pour une exploitation à grande échelle du film, incluant une diffusion large dans de nombreux magasins ouverts au public, en France et en Europe. Elle ne peut pas davantage valablement affirmer qu’elle n’a jamais dépassé les limites fixées, à savoir la « démonstration » pour la promotion d’une nouvelle technologie, au motif que le film n’a jamais été utilisé à des fins publicitaires et n’a jamais été diffusé à la télévision, alors que la seule autorisation tacite dont elle peut se prévaloir est limitée à une diffusion dans des salons professionnels, ce qui exclut les magasins ouverts au public.
La cour a confirmé la recevabilité des demandes formées contre la société Pixel’s Revenge par la société TCL, reconnaissant que la société TCL avait repris l’activité de la société TCL Belgium et avait conclu un contrat avec Pixel’s Revenge pour la réalisation du film litigieux. En ce qui concerne l’atteinte au droit à l’image de Mme [B], la cour a jugé que la société TCL avait commis une faute en exploitant la vidéo au-delà des limites fixées initialement, sans avoir obtenu une autorisation adéquate de Mme [B]. En conséquence, la société TCL a été condamnée à verser des dommages-intérêts à Mme [B] pour le préjudice financier et moral subi. La cour a également rejeté l’appel en garantie de la société TCL contre Pixel’s Revenge, estimant que cette dernière n’avait pas commis de faute dans la conclusion du contrat de cession de droits à l’image avec Mme [B]. Enfin, la société TCL a été condamnée à payer les dépens de première instance et d’appel, ainsi que des sommes au titre des frais irrépétibles à Mme [B] et à Pixel’s Revenge.
La cour a confirmé la recevabilité des demandes formées contre la société Pixel’s Revenge par la société TCL. En effet, la société TCL a démontré avoir repris l’activité de la société TCL Belgium, qui avait conclu un contrat avec Pixel’s Revenge pour la réalisation du film litigieux. Malgré le libellé inexact sur le devis et la facture, la cour a maintenu la société Pixel’s Revenge en cause.
La cour a analysé les arguments des parties concernant l’atteinte au droit à l’image de Mme [B]. En l’absence d’un contrat écrit de cession de droit à l’image, la cour a conclu que la société TCL avait commis une faute en exploitant la vidéo au-delà des limites fixées initialement. La société TCL n’a pas pu prouver une cession valable du droit à l’image de Mme [B] pour une exploitation à grande échelle, justifiant ainsi une faute délictuelle.
La cour a accordé à Mme [B] une indemnité de 7 000 euros pour le préjudice financier causé par l’exploitation non autorisée de son image, ainsi qu’une indemnité de 1 000 euros pour le préjudice moral subi. La demande de publication de la décision a été rejetée.
La cour a rejeté l’appel en garantie de la société TCL contre Pixel’s Revenge. La société TCL n’a pas pu prouver que le contrat conclu impliquait une large diffusion du film et une obligation de cession de droits à l’image. Ainsi, la société TCL a été déboutée de son recours en garantie.
La société TCL a été condamnée aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à verser des sommes au titre de l’article 700 du code de procédure civile à Mme [B] et à la société Pixel’s Revenge.
Les problématiques associées à cette affaire :
1. Recevabilité
2. Droit à l’image
3. Demandes indemnitaires
4. Appel en garantie
Bravo aux Avocats ayant plaidé cette affaire:
– Me Eric DUMOULIN de la SCP DUMOULIN – ADAM, avocat au barreau de LYON, toque : 1411
– Me Yann LORANG de la SARL LORANG AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 811
– Me Laura D’OVIDIO, avocat au barreau de LYON, toque : 2052
– Me Emmanuelle BOMPARD de la SELEURL SELURL Emmanuelle BOMPARD, avocat au barreau de PARIS
– Me Fabienne MARECHAL de la SELARL SELARL YDES, avocat au barreau de LYON, toque : 722
Les sociétés impliquées dans cette affaire sont la S.A.S. TCL EUROPE et l’E.U.R.L. PIXEL’S REVENGE.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° RG 22/00492 – N° Portalis DBVX-V-B7G-OCBH
Décision du
Tribunal Judiciaire de Lyon
Au fond
du 07 décembre 2021
RG : 17/00763
ch 4
[B]
C/
S.A.S. TCL EUROPE
E.U.R.L. PIXEL’S REVENGE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 30 Janvier 2024
APPELANTE :
Mme [U] [B]
née le [Date naissance 1] 1987 à [Localité 8] (78)
Chez Maître Yann LORANG, Avocat
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Eric DUMOULIN de la SCP DUMOULIN – ADAM, avocat au barreau de LYON, toque : 1411
ayant pour avocat plaidant Me Yann LORANG de la SARL LORANG AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 811
INTIMEES :
La société TCL EUROPE
[Adresse 6]
[Localité 7]
Représentée par Me Laura D’OVIDIO, avocat au barreau de LYON, toque : 2052
ayant pour avocat plaidant Me Emmanuelle BOMPARD de la SELEURL SELURL Emmanuelle BOMPARD, avocat au barreau de PARIS
La société PIXEL’S REVENGE
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Fabienne MARECHAL de la SELARL SELARL YDES, avocat au barreau de LYON, toque : 722
* * * * * *
Date de clôture de l’instruction : 01 Décembre 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 24 Octobre 2023
Date de mise à disposition : 19 Décembre 2023 prorogée au 30 Janvier 2024, les avocats dûment avisés conformément à l’article 450 dernier alinéa du code de procédure civile
Audience tenue par Olivier GOURSAUD, président, et Stéphanie LEMOINE, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier
A l’audience, un des membres de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré :
– Olivier GOURSAUD, président
– Stéphanie LEMOINE, conseiller
– Bénédicte LECHARNY, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
Au mois de juin 2013, Mme [U] [B], mannequin professionnel, a participé au tournage d’un film de démonstration pour une gamme de téléviseurs de la marque Thomson, fabriqués et commercialisés par la société TCL. Le film a été réalisé par la société de production Pixel’s Revenge.
En 2015, Mme [B] s’est plainte de ce que la diffusion du film aurait excédé l’usage initialement prévu et a réclamé à la société TCL Multimédia la formalisation d’un contrat de cession de droits.
En l’absence d’accord des parties, Mme [B] a assigné la société TCL Belgium, aux droits de laquelle vient la société TCL Europe (ci-après, la société TCL), en indemnisation de ses préjudices financier et moral.
La société TCL a appelé la société Pixel’s Revenge en intervention forcée.
Par jugement du 7 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Lyon a :
– reçu l’intervention forcée initiée par la société TCL à l’encontre de la société Pixel’s Revenge,
– débouté Mme [B] de l’intégralité de ses prétentions,
– condamné Mme [B] à verser à la société TCL la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance,
– rejeté les autres demandes formulées au titre des frais irrépétibles.
Par déclaration du 14 janvier 2022, Mme [B] a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 10 octobre 2022, elle demande à la cour d’infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de :
A titre principal :
– juger son action recevable et bien fondée,
– juger que l’exploitation de la vidéo n’a jamais été précisément fixée par la société TCL,
– juger que la société Pixel’s Revenge n’a jamais contracté avec elle pour le compte de la société TCL,
– juger l’absence de contrat portant sur la cession de son droit à l’image au profit de la société Pixel’s Revenge,
– juger l’absence de contrat portant sur la cession de son droit à l’image de la société Pixel’s Revenge au profit de la société TCL,
– juger l’absence de contrat portant sur la cession de son droit à l’image au profit de la société TCL,
– juger qu’en se procurant et en exploitant une vidéo promotionnelle représentant pendant plus de cinq minutes son image auprès de la société Pixel’s Revenge sans s’assurer que cette dernière avait régulièrement acquis les droits à l’image et qui lui étaient transmis ensuite, la société TCL a commis une faute,
– juger qu’en diffusant à des fins promotionnelles dans des magasins français et sur le réseau internet accessible depuis la France une vidéo promotionnelle des téléviseurs 4K dans plus de 1500 points de vente sans son autorisation expresse, la Société TCL a gravement porté atteinte au droit à son image,
– juger que ses demandes indemnitaires ne sont pas excessives ou exorbitantes,
Par conséquent,
– condamner la société TCL à lui verser la somme de 75 000 euros en réparation de son préjudice financier,
– condamner la Société TCL à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral,
– autoriser la publication du dispositif de la décision à intervenir dans trois revues ou magazines de son choix aux frais de la société TCL dans la limite de 10 000 euros HT par insertion ainsi que la publication du dispositif de la décision à intervenir en haut de la page d’accueil du site https://www.mythomson.com/ pendant une durée de trois mois, le texte devant s’afficher en caractères lisibles et être précédé du titre « Avertissement judiciaire » en lettres capitales et en typographie Arial taille 11, noirs sur fond blanc et occuper le premier quart supérieur de la page d’accueil sans qu’il y est besoin de faire défiler vers le bas,
– condamner la société TCL à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 12 juillet 2022, la société TCL demande à la cour de :
A titre principal,
– confirmer le jugement du tribunal judiciaire,
Et statuant à nouveau,
– débouter Mme [B] de l’intégralité de ses demandes et prétentions,
A titre subsidiaire,
– juger que les demandes indemnitaires de Mme [B] sont exorbitantes et injustifiées,
En conséquence,
– juger que les condamnations doivent être ramenées à de plus justes proportions,
En tout état de cause,
– condamner la société Pixel’s Revenge à la garantir de l’ensemble des condamnations prononcées à son encontre,
– condamner la société Pixel’s Revenge au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur de 3 000 euros,
– condamner Mme [B] au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur de 3 000 euros.
Au termes de ses dernières conclusions notifiées le 12 juillet 2022, la société Pixel’s Revenge demande à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il a :
reçu l’intervention forcée initiée par la société TCL à son encontre,
rejeté ses demandes au titre des frais irrépétibles,
Statuer à nouveau,
– rejeter l’ensemble des demandes formées contre elle, comme étant irrecevables,
– la mettre hors de cause,
– condamner la société TCL à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance,
– condamner la société TCL aux entiers dépens de la première instance,
Subsidiairement, et dans le cas où la cour confirmerait le jugement entrepris en ce qu’il a reçu son intervention forcée,
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
débouté Mme [B] de l’intégralité de ses prétentions,
condamné Mme [B] aux entiers dépens de l’instance,
En cas d’infirmation du jugement entrepris sur ces derniers chefs de motifs critiqués par l’appelante principale, Mme [B] :
– constater qu’elle a réalisé un film démo conforme aux instructions initiales et au budget fixés par la société TCL,
– débouter la société TCL de son appel en garantie,
A titre subsidiaire,
– réduire les demandes indemnitaires de Mme [B] comme étant excessives,
En tout état de cause,
– débouter la société TCL et Mme [B] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions dirigées à son encontre,
– condamner Mme [B] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, correspondant aux frais irrépétibles dépensés à hauteur d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens de la procédure d’appel.
La clôture a été notifiée le 1er décembre 2022.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur la recevabilité des demandes formées contre la société Pixel’s Revenge
La société Pixel’s Revenge soulève l’irrecevabilité des demandes formées contre elle par la société TCL et demande sa mise hors de cause. Elle soutient que la société TCL est dépourvue de qualité et d’intérêt à agir, au motif qu’alors qu’elle fonde son recours en garantie sur le fait que la société TCL Belgium aurait contracté en 2013 avec la société Pixel’s Revenge pour la réalisation et la production du film en litige, elle ne justifie aucunement de ce lien contractuel, le devis et la facture correspondant à la réalisation de la vidéo litigieuse étant libellés au nom de la société « TCL-Thomson ».
La société TCL réplique qu’elle a bénéficié d’un apport de l’activité de la société TCL Belgium, par la société TCL France, via un contrat d’apport daté du 21 décembre 2016 et a, par conséquent, qualité et intérêt à agir.
Réponse de la cour
Ainsi que l’a retenu le tribunal, la société TCL démontre avoir repris l’activité de la société TCL Belgium en décembre 2016 et il ressort des pièces versées aux débats que cette dernière avait bien conclu un contrat avec la société Pixel’s Revenge pour la réalisation du film dont la diffusion est contestée par Mme [B], nonobstant le libellé inexact mentionné par la société Pixel’s Revenge sur son devis et sa facture.
Il en ressort que la société TCL justifie d’une qualité et d’un intérêt à agir contre la société Pixel’s Revenge qui doit être maintenue en la cause.
Le jugement est donc confirmé en ce qu’il a reçu l’intervention forcée initiée par la société TCL à l’encontre de la société Pixel’s Revenge.
2. Sur l’atteinte au droit à l’image
Mme [B] rappelle qu’elle dispose de son droit à l’image et soutient que si les sociétés Pixel’s Revenge et TCL ont respecté ce droit s’agissant de l’exploitation du film à des fins de présentation des téléviseurs haute définition de la marque Thomson lors de salons professionnels, ils y ont, en revanche, porter atteinte s’agissant de toutes les autres exploitations du film non autorisées, notamment sur des téléviseurs n’étant pas de la marque du constructeur et dans des lieux n’étant pas des salons professionnels, tels que des magasins, et pour une durée bien plus longue que celle prévue initialement. Elle fait valoir essentiellement que :
– le tournage du film publicitaire a été réalisé sans qu’aucun contrat portant sur la captation et la diffusion de son image n’ait été signé ;
– si elle a fourni une autorisation tacite à la société Pixel’s Revenge concernant son droit à l’image pour l’exploitation restreinte de la vidéo, elle ne lui a fourni ni autorisation tacite ni autorisation expresse pour une exploitation à grande échelle ;
– par ailleurs, il n’existe aucun lien contractuel entre elle et la société TCL ; elle n’a fourni aucune autorisation expresse à la société TCL concernant son droit à l’image pour l’exploitation restreinte de la vidéo et la société Pixel’s Revenge ne le lui a pas cédé de manière expresse ;
– la société TCL ne dispose pas non plus d’une autorisation concernant le droit à son image pour l’exploitation à grande échelle de la vidéo, que ce soit directement ou via la société Pixel’s Revenge, puisqu’elle n’a cédé ce droit ni à la société TCL directement ni à la société Pixel’s Revenge, qui n’a donc pu elle-même le céder à la société TCL ;
– il ne peut être déduit de son comportement ou de ses écrits qu’elle a consenti tacitement à l’exploitation de son image et il ne peut être considéré qu’intégrer la vidéo à son book de mannequin équivaut à une cession au profit de TCL, à titre gratuit qui plus est, de son droit à l’image pour une diffusion à grande échelle ; en outre, contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, le fait d’« être informée » n’équivaut pas à donner une autorisation ;
– en ne s’assurant pas de l’étendue du droit d’exploitation cédé oralement à la société Pixel’s Revenge puis transféré à la société TCL, celle-ci a commis une faute sur le plan délictuel au sens de l’article 1382, devenu 1240, du code civil.
La société TCL réplique que :
– les droits à l’image de Mme [B] ont été dûment cédés par cette dernière, en vertu d’un contrat conclu avec la société Pixel’s Revenge définissant précisément les contours de l’utilisation du film ;
– à la suite du mail en date du 7 juin 2013, Mme [B] a donné son autorisation expresse à la société Pixel’s Revenge pour la cession de ses droits à l’image et il en a découlé non seulement le paiement de la facture mais également sa participation au tournage ; ainsi, en adressant sa facture et en participant au tournage du film, elle a incontestablement donné son autorisation préalable et expresse pour la cession de ses droits à l’image ;
– Mme [B] était parfaitement informée du fait que la somme de 1 200 euros qu’elle a perçue rémunérait sa prestation et la cession des droits à l’image, d’autant plus qu’elle n’a émis aucune réserve à l’émission de sa facture sur la limitation de la cession de ses droits; elle était parfaitement consciente de la diffusion du film sur les téléviseurs de marque Thomson dans les magasins de vente au public, dans la mesure où, dès l’origine, le souhait de la société TCL n’a jamais été de limiter la diffusion aux salons professionnels ;
– elle n’a commis aucune faute puisqu’elle a respecté l’usage du film déterminé préalablement avec Mme [B] ; elle n’aurait pas accepté de contracter avec la société Pixel’s Revenge pour un film dépourvu d’une cession régulière du droit à l’image, rendant le film inutilisable ; l’échange de mails entre les représentants des sociétés Pixel’s Revenge et 2017Films n’a aucune valeur contractuelle et ne peut permettre de déterminer les conditions de diffusion du film ;
– en tout état de cause, le film n’a jamais dépassé les limites fixées, à savoir la « démonstration » pour la promotion d’une nouvelle technologie, puisqu’il n’a jamais été utilisé à des fins publicitaires et n’a jamais été diffusé à la télévision ;
– elle n’est pas à l’origine, ni responsable d’une diffusion sur le réseau internet.
La société Pixel’s Revenge fait valoir que c’est la société TCL qui a décidé d’étendre la diffusion du film en l’intégrant dans des téléviseurs de démonstration Thomson présentés en magasins et que Mme [B] y a consenti tacitement, sans supplément de prix.
Réponse de la cour
Selon l’article 9, alinéa 1er, du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée.
Cet article confère le droit de s’opposer à la publication et à l’utilisation de son image (2e Civ., 30 juin 2004, pourvoi n° 03-13.416, bull. II n 340), sous réserve du droit à la liberté d’expression et du droit à l’information. Cependant, une personne peut autoriser, expressément ou tacitement, une telle utilisation (1re Civ., 7 mars 2006, pourvoi n° 04-20.715, Bull. 2006, I n° 139 ; 1 Civ., 13 novembre 2008, pourvoi n° 06-16.278, Bull. 2008, I n° 259), laquelle peut faire l’objet d’un contrat, à titre gratuit ou onéreux.
Les dispositions de l’article 9 précitées, seules applicables en matière de cession de droit à l’image, relèvent de la liberté contractuelle et ne font pas obstacle à celle-ci dès lors que les parties ont stipulé de façon suffisamment claire les limites de l’autorisation donnée quant à sa durée, son domaine géographique, la nature des supports et l’exclusion de certains contextes (1re Civ., 11 décembre 2008, pourvoi n° 07-19.494, Bull. 2008, I n° 282 et 1re Civ., 20 octobre 2021, pourvoi n° 20-16.343).
Dès lors que l’autorisation est suffisamment spéciale, la clause de cession incluse dans un contrat signé entre un mannequin et un photographe professionnel est valable (1er Civ., 28 janvier 2010, pourvoi n° 08-70248). En revanche, constitue une atteinte à la vie privée la publication de photographies ne respectant pas la finalité visée dans l’autorisation donnée par l’intéressé (1re Civ., 30 mai 2000, pourvoi n° 98-14.610, Bull. civ. I, n 167).
En l’espèce, il est constant qu’aucun contrat écrit de cession de droit à l’image n’a été conclu par Mme [B], que ce soit avec la société Pixel’s Revenge ou avec la société TCL.
Si le tribunal a pu considérer que Mme [B] avait valablement donné son autorisation pour la captation et la diffusion de son image, ce qu’elle ne conteste d’ailleurs pas, reconnaissant avoir fourni une autorisation tacite à la société Pixel’s Revenge concernant son droit à l’image pour l’exploitation restreinte de la vidéo, c’est en revanche à tort qu’il a considéré que l’autorisation donnée s’entendait d’une diffusion large de son image, aux motifs que l’intéressée avait cédé ses droits sans réserves antérieurement à la réalisation du film, qu’elle avait eu connaissance d’une diffusion large de celui-ci sans s’y opposer avant le 24 juillet 2014, date de la première lettre adressée à la société TCL, et qu’elle l’avait elle-même diffusé très largement via Internet.
En effet, alors qu’aucun contrat précisant les supports d’exploitation des images, les zones géographiques de diffusion et la durée de cette exploitation n’a été signé entre les parties et que la société TCL ne produit aux débats aucune pièce à l’appui de ses allégations selon lesquelles, d’une part, le contrat conclu avec la société Pixel’s Revenge définissait précisément les contours de l’utilisation du film, d’autre part, Mme [B] était parfaitement consciente de la diffusion de ce film sur les téléviseurs de marque Thomson dans les magasins de vente au public, il résulte au contraire du mail adressé le 3 juin 2013 par M. [V], représentant de la société Pixel’s Revenge, à M. [W], représentant de la société de casting, que la rémunération du mannequin « s’entend[ait] cession de droits incluse [et qu’] il n’y aura[it] pas de diff[usion] télé, ce n’est pas une pub, mais un film ‘démo’ qui sera diffusé sur les écrans du constructeur, lors de salons professionnels ».
Au vu de ce qui précède, la société TCL n’est pas fondée à soutenir qu’elle bénéficiait d’une cession du droit à l’image de Mme [B], qu’elle soit expresse ou tacite, pour une exploitation à grande échelle du film, incluant une diffusion large dans de nombreux magasins ouverts au public, en France et en Europe. Elle ne peut pas davantage valablement affirmer qu’elle n’a jamais dépassé les limites fixées, à savoir la « démonstration » pour la promotion d’une nouvelle technologie, au motif que le film n’a jamais été utilisé à des fins publicitaires et n’a jamais été diffusé à la télévision, alors que la seule autorisation tacite dont elle peut se prévaloir est limitée à une diffusion dans des salons professionnels, ce qui exclut les magasins ouverts au public.
Par ailleurs, il ressort du mail adressé le 27 octobre 2017 par Mme [T], salariée de la société TCL, à M. [C], chef des ventes national de la société [C], que la cession de droit à l’image était valable pour les années 2013 et 2014 uniquement.
Par conséquent, en exploitant la vidéo ou en concédant à des tiers le droit de la diffuser au-delà des seuls salons professionnels et après le 31 décembre 2014, sans s’assurer qu’elle disposait d’un droit d’exploitation commerciale de l’image de Mme [B] permettant cette large diffusion, la société TCL a commis une faute délictuelle au sens de l’article 1382 ancien, devenu 1240, du code civil.
3. Sur les demandes indemnitaires
Mme [B] fait valoir que ;
– le simple fait de ne pas respecter le droit à l’image d’une personne ouvre droit à celle-ci à réparation ;
– la faute de la société TCL lui a causé un préjudice réel, puisqu’elle n’a pu bénéficier de retours financiers sur l’exploitation de son image, alors qu’en tant que mannequin professionnel, il est évident que son droit à l’image non rémunéré est un préjudice important, puisqu’il s’agit d’une partie de son cachet, en sus du temps passé lors de la prestation de mannequinat ; elle est en droit d’obtenir une indemnité compensatrice proportionnelle à l’utilisation réelle de la vidéo et qui aurait été le montant qu’elle aurait demandé si elle avait connu les conditions d’exploitation de la vidéo ;
– elle a subi en outre un préjudice moral, résultant de ce qu’elle n’a pas pu s’exprimer sur la gestion de sa propre carrière et de la stupeur avec laquelle elle a constaté l’utilisation de son image.
Elle sollicite également, à titre de réparation en nature et pour faire cesser la cause du dommage, la publication du dispositif de la décision à intervenir dans trois revues ou magazines de son choix aux frais de la société TCL, ainsi que la publication du dispositif de la décision à intervenir en haut de la page d’accueil du site https://www.mythomson.com/ pendant une durée de trois mois.
La société TCL réplique que :
– la demande d’indemnisation de Mme [B] est exorbitante alors qu’elle avait donné son accord sur le prix de 1 200 euros, cession de droits à l’image incluse, et qu’elle n’apporte pas le moindre élément pour justifier de son préjudice et du quantum, et qu’elle a publié la vidéo sur son propre site et sur internet ;
– elle a retiré la vidéo litigieuse de l’ensemble des magasins au sein desquels elle était diffusée en 2015 ;
– Mme [B] ne justifie d’aucune notoriété et elle n’est pas mannequin professionnel, ce qui justifie une réduction de son préjudice.
La société Pixel’s Revenge estime que les demandes indemnitaires sont totalement disproportionnées au regard de l’exploitation du film litigieux, des usages de la profession de mannequin et de la réparation habituellement accordée par les juridictions en matière d’atteinte au droit à l’image.
réponse de la cour
L’exploitation et la diffusion de la vidéo dans de très nombreux magasins ouverts au public et sur une période excédant la durée initialement prévue entre les parties ont causé à Mme [B], mannequin professionnel dont les revenus proviennent notamment de la cession de son droit à l’image, un préjudice financier qui sera justement réparé par l’allocation d’une somme de 7 000 euros à titre de dommages-intérêts, compte tenu de sa notoriété, ainsi que des modalités et de la durée de la diffusion non autorisée, laquelle a excédé la seule année 2015 ainsi qu’il ressort de la pièce n°16 produite par la société TCL.
Mme [B] a par ailleurs subi un préjudice moral qui justifie l’allocation d’une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts.
L’importance du préjudice ne justifie pas, en revanche, qu’il soit fait droit à la demande de publication de la décision.
4. Sur l’appel en garantie formé par la société TCL
A l’appui de son appel en garantie, la société TCL fait valoir que :
– la société Pixel’s Revenge a pris en charge le casting du mannequin et tous les échanges et négociations se sont faits exclusivement par la société Pixel’s Revenge, elle-même n’ayant jamais traité contractuellement avec Mme [B] ;
– la société Pixel’s Revenge ne l’a pas informée du montant des droits payés à Mme [B] et ne l’a pas alertée sur l’existence d’une difficulté, alors qu’elle aurait dû le faire en sa qualité de professionnelle habituée à négocier et gérer les prestations et cessions de droits à l’image de mannequins, de sorte qu’elle ne pouvait ignorer la législation relative au droit à l’image ;
– elle n’a jamais entendu limiter l’exploitation du film aux salons professionnels lors de la commande qu’elle a passée auprès de la société Pixel’s Revenge ; il appartenait donc à cette dernière de s’assurer d’acquérir les droits à l’image de Mme [B] ; à défaut, elle a commis une faute en laissant croire la société TCL que la rémunération versée à Mme [B] incluait la cession des droits à l’image et a engagé sa responsabilité justifiant le recours en garantie.
La société Pixel’s Revenge réplique que :
– elle n’est pas habituée à gérer les prestations et cessions de droits à l’image de mannequins personnes physiques et ni le devis ni la facture qu’elle a édités ne prévoyaient la prise en charge des droits à l’image de Mme [B] ;
– c’est la société TCL qui a contrôlé le contenu du film et elle n’a agi que sur instruction de celle-ci, laquelle avait expressément indiqué une destination très précise pour le film de démonstration qu’elle lui a commandé (le salon IFA de Berlin) ;
– elle a parfaitement rempli ses obligations puisqu’elle a livré à la société TCL, dans les limites du budget qu’elle lui avait imposé, un film propre à l’usage auquel il était destiné, à savoir un film de démonstration pour une diffusion sur des téléviseurs dans des salons professionnels, après avoir obtenu du mannequin une autorisation pour cet usage ;
– la société TCL qui a fait le choix, après le mois de septembre 2013, d’une diffusion plus large que celle qui lui avait été initialement annoncée, est seule responsable de ce choix, la responsable de la communication de la société TCL ne pouvant ignorer, en tant que professionnelle de ce métier, la législation relative au droit à l’image des mannequins.
Réponse de la cour
Contrairement à ce qu’elle soutient, la société TCL ne démontre pas que le contrat conclu avec la société Pixel’s Revenge portait sur la réalisation d’un film destiné à une large diffusion et impliquait l’obligation pour la société réalisatrice de conclure avec le mannequin retenu pour le tournage un contrat de cession de droits à l’image autorisant une telle exploitation.
Au contraire, ainsi qu’il a été exposé plus avant, il ressort du mail adressé le 3 juin 2013 à la société de casting, que M. [V], représentant de la société Pixel’s Revenge, présentait le projet comme portant sur « un film ‘démo’ qui sera diffusé sur les écrans du constructeur, lors de salons professionnels ».
En l’absence de toute pièce contraire de nature à démontrer que les parties avaient convenu d’une large diffusion de la vidéo, la société TCL n’est pas fondée à reprocher à la société Pixel’s Revenge une faute dans la conclusion du contrat verbal de cession de droit à l’image avec Mme [B].
Aussi convient-il de la débouter de son recours en garantie.
5. Sur les frais irrépétibles et les dépens
Compte tenu de la solution donnée au litige en cause d’appel, le jugement est infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.
La société TCL, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d’appel et à payer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civil, une somme de 5 000 euros à Mme [B] et de 4 000 euros à la société Pixel’s Revenge.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a reçu l’intervention forcée initiée par la société TCL Europe à l’encontre de la société Pixel’s Revenge,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant
Condamne la société TCL Europe à payer à Mme [U] [B] la somme de 7 000 euros en réparation de son préjudice financier et celle de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral,
Déboute la société TCL Europe de son recours en garantie contre la société Pixel’s Revenge,
Condamne la société TCL Europe à payer à Mme [U] [B] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société TCL Europe à payer à la société Pixel’s Revenge la somme de 4 000 euros sur le même fondement,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne la société TCL Europe au dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT