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En révélant des détails sur les activités, les instants quotidiens et l’état d’esprit de Laura Smet et son compagnon en vacances, sans que cela ne soit justifié par un débat d’intérêt général ou un sujet d’actualité, et sans que cela soit en lien avec leur vie professionnelle, un article du Magazine Public a porté atteinte avec évidence à leur vie privée.
Y compris pour les personnalités publiques, au regard d’une atteinte à la vie privée, le comportement d’un demandeur, fut-il complaisant à l’égard de la presse sur sa propre vie privée, ne le déchoit pas de son droit de voir constater ces atteintes, sauf à ce qu’il ait fait rentrer dans le champ médiatique l’information dont il entend précisément dénoncer la divulgation, cette complaisance passée ne pouvant influencer que sur l’appréciation de la mesure de son préjudice. Au surplus, si les limites de la protection instaurée par l’article 9 du code civil peuvent s’interpréter moins strictement au profit d’une personne que la naissance, la fonction, l’activité qu’elle a choisi d’exercer, expose à la notoriété et dès lors à une certaine curiosité du public, il n’en reste pas moins qu’une personne, quelle que soit sa notoriété, est en droit de préserver l’intimité de sa vie privée. Il résulte de l’article 835 du code de procédure civile que le juge des référés peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse. De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation. Ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la même convention. Ils peuvent céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression, ladite publication étant appréciée dans son ensemble et au regard du contexte dans lequel elle s’inscrit. Le droit à l’information du public s’agissant des personnes publiques, s’étend ainsi d’une part aux éléments relevant de la vie officielle, d’autre part aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général. A l’inverse, les personnes peuvent s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de leur vie professionnelle ou de leurs activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur leur vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir. Enfin, la diffusion d’informations déjà notoirement connues du public n’est pas constitutive d’atteinte au respect de la vie privée. |
→ Résumé de l’affaireL’affaire oppose la société CMI FRANCE aux demandeurs [W] [J], [C] [M] et [D] [M], qui estiment que leur droit à la vie privée et à l’image a été violé par la publication d’un article et de photographies dans le magazine Public. Les demandeurs réclament des dommages-intérêts ainsi que des frais irrépétibles et demandent à la société CMI FRANCE d’être condamnée aux dépens. La société CMI FRANCE conteste les demandes des demandeurs et demande à être déboutée de toutes les demandes ou, à titre subsidiaire, que les dommages et intérêts soient limités à un euro. La décision sera rendue le 7 mai 2024.
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→ Les points essentielsContexte de l’affaire[W] [J], actrice et mannequin française, son conjoint [C] [M] et leur fils [D] [M] font l’objet d’un article dans l’hebdomadaire Public, publié le 22 décembre 2023, décrivant leurs vacances à l’île Maurice. Atteintes à la vie privée et au droit à l’imageLes demandeurs estiment que l’article révèle des informations privées, spécule sur leurs états psychologiques et publie des photographies sans leur autorisation, portant ainsi atteinte à leur vie privée et à leur droit à l’image. Mesures sollicitéesLes demandeurs demandent une indemnité provisionnelle pour le préjudice subi. Le juge des référés doit évaluer l’étendue du dommage et décider des mesures à prendre. Décision du jugeLe juge reconnaît l’atteinte à la vie privée et au droit à l’image des demandeurs. Il accorde des provisions d’indemnités pour [W] [J], [C] [M] et [D] [M] et condamne la société défenderesse aux dépens et à verser une somme au titre des frais irrépétibles. Les montants alloués dans cette affaire: – 4 000 euros à [W] [J]
– 2 000 euros à [C] [M] – 1 000 euros à [W] [J] et [C] [M] en tant que représentants légaux de [D] [M] – 2 000 euros à [W] [J] et [C] [M] – Somme globale de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile |
→ Réglementation applicable– Article 835 du code de procédure civile
– Article 9 du code civil – Article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales – Article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales – Article 696 du code de procédure civile – Article 700 du code de procédure civile Texte de l’Article 835 du code de procédure civile: Texte de l’Article 9 du code civil: Texte de l’Article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales: Texte de l’Article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales: Texte de l’Article 696 du code de procédure civile: Texte de l’Article 700 du code de procédure civile: |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Romain FOURNIER de la SELAS BLEU SAMOURAI, avocats au barreau de PARIS – #C1125
– Me Patrick SERGEANT, avocat au barreau de PARIS – #B1178 |
→ Mots clefs associés & définitions– Vie privée
– Droit à l’image – Liberté d’expression – Atteinte à la vie privée – Atteinte au droit à l’image – Préjudice moral – Surveillance – Médias – Magazine Public – Article litigieux – Photographies – Réseaux sociaux – Actualité – Intérêt général – Liberté d’informer – Dommages et intérêts – Indemnité provisionnelle – Dépens – Article 700 du code de procédure civile – Exécution provisoire – Vie privée: droit pour une personne de contrôler les informations la concernant et de décider de les partager ou non
– Droit à l’image: droit pour une personne de contrôler l’utilisation de son image par autrui – Liberté d’expression: droit fondamental permettant à chacun de s’exprimer librement – Atteinte à la vie privée: violation du droit à la vie privée d’une personne – Atteinte au droit à l’image: utilisation non autorisée de l’image d’une personne – Préjudice moral: dommage subi par une personne sur le plan moral – Surveillance: action de surveiller et de contrôler les activités d’une personne – Médias: ensemble des moyens de communication de masse – Magazine Public: magazine people spécialisé dans la vie des célébrités – Article litigieux: article sujet à un litige ou à une contestation – Photographies: images capturées par un appareil photo – Instagram: réseau social permettant de partager des photos et des vidéos – Réseaux sociaux: plateformes en ligne permettant de partager du contenu avec d’autres utilisateurs – Actualité: ensemble des événements récents – Intérêt général: intérêt commun à l’ensemble de la société – Liberté d’informer: liberté pour les médias de diffuser des informations – Dommages et intérêts: réparation financière accordée à une personne ayant subi un préjudice – Indemnité provisionnelle: somme d’argent versée à titre provisoire en attendant une décision définitive – Dépens: frais engagés lors d’une procédure judiciaire – Article 700 du code de procédure civile: article permettant de demander le remboursement des frais de justice – Exécution provisoire: mise en œuvre d’une décision de justice avant qu’elle ne soit définitive |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
■
N° RG 24/51960 – N° Portalis 352J-W-B7I-C4I7J
N° : 3/MM
Assignation du :
06 Mars 2024
[1]
[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 07 mai 2024
par Jeanne DOUJON, Juge placée, déléguée au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDEURS
Madame [W] [J]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Maître Romain FOURNIER de la SELAS BLEU SAMOURAI, avocats au barreau de PARIS – #C1125
Monsieur [C] [M]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représenté par Maître Romain FOURNIER de la SELAS BLEU SAMOURAI, avocats au barreau de PARIS – #C1125
Monsieur [D] [M], représenté par ses administrateurs légaux
[Adresse 4]
[Localité 2]
représenté par Maître Romain FOURNIER de la SELAS BLEU SAMOURAI, avocats au barreau de PARIS – #C1125
DEFENDERESSE
S.A.S. CMI FRANCE, société éditrice de l’hebdomadaire PUBLIC
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Patrick SERGEANT, avocat au barreau de PARIS – #B1178
DÉBATS
A l’audience du 27 Mars 2024, tenue publiquement, présidée par Jeanne DOUJON, Juge, assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,
Après avoir entendu les conseils des parties,
Vu l’assignation en référé délivrée par acte d’huissier le 6 mars 2024 à la société CMI FRANCE, éditrice du magazine Public, à la requête de [W] [J], [C] [M] et [D] [M], représenté par ses administrateurs légaux, lesquels estimant qu’il avait été porté atteinte à leur droit à la vie privée et leur droit à l’image dans le numéro 1067 du magazine en date du 22 décembre 2023 demandent, au visa des articles 9 du code civil, 834 et 835 du code de procédure civile de :
– Condamner la société CMI FRANCE à payer à [W] [J] la somme de 20 000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages-intérêts qui lui sont dus en réparation du préjudice que lui a causé la publication de l’article et des photographies ci-dessous décrites, portant atteinte à sa vie privée et à son droit à l’image ;
– Condamner la société CMI FRANCE à payer à [C] [M] la somme de 10 000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages-intérêts qui lui sont dus en réparation du préjudice que lui a causé la publication de l’article et des photographies ci-dessous décrites, portant atteinte à sa vie privée et à son droit à l’image ;
– Condamner la société CMI FRANCE à payer à [W] [J] et [C] [M], en leur qualités d’administrateurs légaux de leur fils mineur [D] [M], la somme de 5 000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages-intérêts qui lui sont dus en réparation du préjudice que lui a causé la publication de l’article et des photographies ci-dessous décrites, portant atteinte à son droit à l’image ;
– Condamner la société CMI FRANCE à verser à [W] [J], [C] [M] et [D] [M], la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles par application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société CMI FRANCE aux dépens ;
Vu les conclusions en défense de la société CMI FRANCE, déposées et soutenues à l’audience, qui demande, au visa des articles 9 du code civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, de :
– A titre principal, débouter [W] [J], [C] [M] et [D] [M] de toutes leurs demandes ;
– A titre subsidiaire, n’allouer aux demandeurs d’autre réparation que de principe, évaluée à la somme d’un euro ;
– Les condamner à payer à la société CMI FRANCE la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
À l’issue de l’audience du 27 mars 2024, au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus en leurs observations, il leur a été indiqué que la présente décision serait rendue le 7 mai 2024, par mise à disposition au greffe.
Sur la publication litigieuse
[W] [J] est une actrice et mannequin française, fille de [T] [I] et de [G] [X]. [C] [M], entrepreneur, est son conjoint et [D] [M], né le 7 octobre 2020, leur fils commun.
Dans son numéro 1067, l’hebdomadaire Public paru le 22 décembre 2023 consacre un article de trois pages à [W] [J], [C] [M] et [D] [M]. Il est illustré de huit photographies les représentant dont une apparaît en page de couverture, représentant [W] [J] et [C] [M] en maillot de bain sur l’avant d’un bateau.
L’article est annoncé en page de couverture sous le titre « [W] [J] / Les vacances de l’amour ! », en caractères blanc et rose. L’annonce s’inscrit sur la photographie ci-dessus décrite, celle-ci occupant les deux tiers de la page. Un sous-titre précise « Alors que [E] lui refait la guerre, [C] emmène sa femme au bout du monde ». Un encart « SCOOP » et la mention « ILE MAURICE 14/12/2023 » sont apposés sur la photographie.
L’article, développé en pages 8 à 10, a pour titre « [W] [J] / Elle met du soleil dans sa vie ». Un chapeau introductif annonce : « Attaquée frontalement par ses deux demi-sœurs et leur mère, la fille aînée de [G] aurait beaucoup de mal à supporter ce nouvel étalage de son intimité. Du coup, elle a pris le large… avec mari et bébé ».
L’article litigieux se fonde sur la prise de parole « dans les médias des deux filles adoptives de [G] » pour faire le récit du « voyage » de [W] [J] à « l’île Maurice […] avec son mari [C] et leur bébé ». Il explique que la demanderesse n’avait pas envisagé « qu’elle serait à ce point jugée, trainée dans la boue » et précise que son voyage est un moyen de « lâcher-prise » et d’« étouffer les cris qui remplissent son esprit ».
L’article se poursuit en rapportant des propos tenus par [E] [X] dans l’émission C l’Hebdo dans lesquels elle évoque la relation de [W] [J] avec ses deux demi-sœurs [S] et [N] [X]. L’article spécule sur l’état d’esprit de [W] [J], indiquant qu’elle « pensait vraiment que l’héritage étant réglé, les tensions se seraient apaisées » et que « de tout ça, elle ne veut plus entendre parler ».
Le magazine indique ensuite que [W] [J] cherche à « préserver son bonheur », rappelant ses « grandes difficultés durant ses jeunes années », ce qui explique son voyage « sur l’île Maurice » avec « son bébé et son mari rien que pour elle ».
Enfin, qualifiant de « tourmenté » l’esprit de la demanderesse, l’article conclut en faisant le récit des vacances de [W] [J] avec son fils, indiquant que « [D] est dans cet âge trop craquant où il commence à parler. L’écouter et le regarder se fendre la poire à chaque vague est le plus beau son qu’elle pouvait entendre ».
L’article est illustré en pages intérieures de huit photographies probablement prises au téléobjectif.
La page 8 comprend deux photographies. La première, occupant l’intégralité de la page, représente [W] [J] et [C] [M] en maillot de bain et un enfant porteur d’un gilet de sauvetage dont le visage est flouté. Les trois personnes sont sur un bateau. Une seconde photographie, plus petite et incrustée sur la première, représente [W] [J] marchant sur une plage en maillot de bain. La légende suivante accompagne les deux clichés : « Les petites sœurs qui disent du mal ? Elle les mettrait bien en (deux) pièces… ». En haut à droite de la page est apposée la mention « SCOOP » et un encart précise « ILE MAURICE, 14/12/2023 ».
La page 9 comprend trois photographies. Le premier cliché, situé en haut à gauche de la page, représente [W] [J] et [C] [M] debout en maillot de bain sur une plage. Le second cliché, placé en haut à droite, représente [W] [J] au premier plan en maillot de bain qui se dirige vers la mer, un enfant en maillot de bain derrière elle dont le visage est flouté, et en arrière-plan [C] [M] en maillot de bain debout sur la plage, regardant vers sa compagne et l’enfant. Entre les deux photographies se trouve la légende suivante : « [D], son fils de 3 ans, a été pour elle comme une bouée de secours. ». Enfin, une troisième photographie se situe dans une pastille au cœur du corps de l’article et représente [W] [J] en maillot de bain tenant la main de l’enfant, lui-même porteur d’un maillot et de brassards de bain, son visage étant toujours flouté. La photographie est accompagnée de la légende suivante : « A 40 ans, elle se demande si elle pourrait encore devenir maman… ».
La page 10 du magazine comprend trois photographies. La première occupe la moitié de la page et représente [W] [J] en maillot de bain et porteuse d’un gilet de sauvetage en train de pratiquer du ski nautique. Le cliché est légendé comme il suit : « [W] s’est mise au ski nautique… Quitte à être en terrain glissant ! ». Une seconde photographie plus petite la représente debout au bord de l’eau en maillot de bain et porteuse d’un gilet de sauvetage. La dernière photographie représente la demanderesse en tenue de bain deux pièces allongée sur une chaise longue sur la plage en train de regarder son téléphone.
C’est dans ces conditions qu’a été délivrée la présente assignation.
Sur les atteintes à la vie privée et au droit à l’image
Il résulte de l’article 835 du code de procédure civile que le juge des référés peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse. De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.
Ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la même convention. Ils peuvent céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression, ladite publication étant appréciée dans son ensemble et au regard du contexte dans lequel elle s’inscrit.
Le droit à l’information du public s’agissant des personnes publiques, s’étend ainsi d’une part aux éléments relevant de la vie officielle, d’autre part aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général. A l’inverse, les personnes peuvent s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de leur vie professionnelle ou de leurs activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur leur vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.
Enfin, la diffusion d’informations déjà notoirement connues du public n’est pas constitutive d’atteinte au respect de la vie privée.
[W] [J] et [C] [M] font grief à l’article litigieux de révéler des informations, tels que le lieu et la date de leurs vacances, qui entrent pleinement dans le cadre de l’intimité de leur vie privée, et qui ne contribuent aucunement à un débat d’intérêt général. Ils estiment en outre que le magazine spécule sur leurs états psychologiques. Les demandeurs font également valoir que les clichés les représentant ont incontestablement été pris à leur insu et publiés sans leur autorisation, portant ainsi atteinte à leur droit à l’image. S’agissant du droit à l’image de [D] [M], ils soutiennent que le floutage de son visage ne neutralise pas l’atteinte qui y est portée, dès lors qu’il est parfaitement identifiable au travers de toutes les autres parties de son corps, qu’il est précisément nommé à plusieurs reprises et qu’il est à proximité physique de ses parents.
La société défenderesse fait valoir que les demandes se heurtent à des contestations sérieuses. Elle indique en premier lieu que [W] [J] a dévoilé elle-même publiquement sur ses réseaux sociaux la date et son lieu de villégiature avant la parution de l’article. La société défenderesse soutient par ailleurs qu’elle était légitime à commenter l’actualité et le contentieux concernant la famille de [W] [J], cette dernière s’étant exprimée plusieurs fois publiquement à ce sujet. S’agissant des photographies, elle fait valoir que [W] [J] et [C] [M], représentés dans l’espace public, ne peuvent se prévaloir d’une espérance légitime de se croire à l’abri des médias et que [D] [M] n’est nullement reconnaissable.
*
Il convient de rappeler à titre liminaire qu’au regard d’une atteinte à la vie privée, le comportement d’un demandeur, fut-il complaisant à l’égard de la presse sur sa propre vie privée, ne le déchoit pas de son droit de voir constater ces atteintes, sauf à ce qu’il ait fait rentrer dans le champ médiatique l’information dont il entend précisément dénoncer la divulgation, cette complaisance passée ne pouvant influencer que sur l’appréciation de la mesure de son préjudice.
Au surplus, si les limites de la protection instaurée par l’article 9 du code civil peuvent s’interpréter moins strictement au profit d’une personne que la naissance, la fonction, l’activité qu’elle a choisi d’exercer, expose à la notoriété et dès lors à une certaine curiosité du public, il n’en reste pas moins qu’une personne, quelle que soit sa notoriété, est en droit de préserver l’intimité de sa vie privée.
En l’espèce, l’article litigieux prend appui sur la prise de parole « dans les médias des deux filles adoptives de [G] » pour faire le récit du « voyage » de [W] [J] à « l’île Maurice […] avec son mari [C] et leur bébé ». L’article relate les moments familiaux partagés par les demandeurs durant leurs congés (« [C] emmène sa femme au bout du monde », « elle a pris le large… avec mari et bébé », « [D] est dans cet âge trop craquant où il commence à parler. L’écouter et le regarder se fendre la poire à chaque vague est le plus beau son qu’elle pouvait entendre », « [W] s’est mise au ski nautique… ») révélant que ces derniers se trouvaient à « l’île Maurice », le « 14/12/2023 ».
En outre, l’article spécule à de nombreuses reprises sur les sentiments de [W] [J] : « la fille aînée de [G] aurait beaucoup de mal à supporter ce nouvel étalage de son intimité », « étouffer les cris qui remplissent son esprit », « pensait vraiment que l’héritage étant réglé, les tensions se seraient apaisées », « de tout ça, elle ne veut plus entendre parler », « [D], son fils de 3 ans, a été pour elle comme une bouée de secours », « A 40 ans, elle se demande si elle pourrait encore devenir maman… ».
Il est exact, comme le souligne la société défenderesse, que [W] [J] a révélé son lieu de villégiature sur son compte Instagram le 17 et le 19 décembre 2023 (pièce 52 en défense), ainsi antérieurement à la publication de l’article. [W] [J] a ainsi entendu elle-même faire sortir du champ protégé de sa vie privée en rendant publiques les informations relatives au lieu et à la date de ses congés. En cela, l’évocation de ces informations dans l’article poursuivi, ne constitue pas une atteinte à la vie privée de [W] [J], ces faits étant notoirement connus.
Pour autant, il ne saurait en être déduit que [C] [M] ne souhaite pas, pour lui-même, une plus grande discrétion. De surcroit, l’article ne se contente pas de reprendre les seules informations partagées par [W] [J] puisqu’il y ajoute la révélation de détails sur les raisons de ces congés, sur les activités des demandeurs et spécule allègrement sur l’état d’esprit de [W] [J], informations qui elles n’ont pas fait l’objet de déclarations publiques des intéressés et ne peuvent être considérées comme notoires.
Ainsi, en révélant des détails sur les activités, les instants quotidiens et l’état d’esprit de [W] [J] et [C] [M], sans que cela ne soit justifié par un débat d’intérêt général ou un sujet d’actualité, et sans que cela soit en lien avec leur vie professionnelle, l’article a porté atteinte avec évidence à leur vie privée.
Concernant l’atteinte portée au droit à l’image de [W] [J] et [C] [M], la société défenderesse ne justifie, ni ne se prévaut, d’aucune autorisation donnée par ces derniers pour voir les photographies les représentant, probablement prises au téléobjectif alors qu’ils se trouvaient sur un bateau privé et une plage, publiées en illustration de l’article litigieux.
Concernant [D] [M], s’il est exact que, sur les photographies litigieuses, son visage a été rendu méconnaissable par un traitement graphique, il reste néanmoins identifiable dès lors qu’il est formellement désigné dans les légendes accompagnant les clichés ainsi que dans la partie de l’article qui suit directement leur publication, et du fait qu’il se trouve, sur les photographies, à proximité de ses parents, également nommés.
Ainsi, en publiant des photographies représentant [W] [J], [C] [M] et [D] [M] sans leurs autorisations et sans que cela soit rendu nécessaire par un sujet d’actualité ou un débat d’intérêt général, la publication litigieuse a porté atteinte à leur droit à l’image avec l’évidence requise en référé.
Sur les mesures sollicitées
Sur la demande d’indemnité provisionnelle
En application de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le juge des référés ne peut accorder une provision au créancier que dans les cas où l’obligation n’est pas sérieusement contestable.
Si la seule constatation de l’atteinte au respect à la vie privée et au droit à l’image par voie de presse ouvre droit à réparation, le préjudice étant inhérent à ces atteintes, il appartient toutefois au demandeur de justifier de l’étendue du dommage allégué ; l’évaluation du préjudice est appréciée de manière concrète, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes, ainsi que des éléments invoqués et établis.
Par ailleurs, l’atteinte au respect dû à la vie privée et l’atteinte au droit à l’image constituent des sources de préjudice distinctes, pouvant ouvrir droit à des réparations différenciées, à condition qu’elles soient dissociables.
L’allocation de dommages et intérêts ne se mesure pas à la gravité de la faute commise, ni au chiffre d’affaires réalisé par l’éditeur de l’organe de presse en cause. Cependant, la répétition des atteintes, comme l’étendue de la divulgation et l’importance du lectorat de ce magazine à fort tirage, sont de nature à accroître le préjudice.
Par ailleurs, dans le cas où le demandeur s’est largement exprimé sur sa vie privée, cette attitude, de nature à attiser la curiosité du public, ne le prive pas de toute protection de sa vie privée mais justifie une diminution de l’appréciation du préjudice.
Au soutien de sa demande indemnitaire, [W] [J] fait valoir que si, de par sa naissance, elle est consciente de susciter l’intérêt du public, elle est néanmoins attachée au respect de sa vie privée ainsi que le démontre les actions judiciaires engagées contre les publications de la presse people. Elle considère que l’association régulière de son image d’actrice avec des magazines de la presse people nuit à sa carrière, indiquant que ces publications ont fait obstacle à l’obtention de rôles au cinéma. En outre, elle soutient que le préjudice est aggravé par le nombre de photographies volées, laissant supposer que la surveillance s’est étendue sur plusieurs heures, voire plusieurs jours, par le fait que des informations concernant le lieu et la date des clichés sont révélées, par le fait que sont présentés des moments d’intimité avec son fils, ainsi que par le sentiment de harcèlement qu’elle ressent de la part de la société défenderesse qui continue de violer sa privée et son droit à l’image malgré de nombreuses condamnations.
[C] [M] se prévaut quant à lui de sa discrétion médiatique, rappelant qu’il ne s’est jamais exprimé publiquement au sujet de sa relation avec [W] [J] ou de la naissance de leur fils [D] [M] et qu’il est absent des réseaux sociaux. La réitération des articles par la société défenderesse, malgré les nombreuses condamnations prononcées, lui donne un sentiment de harcèlement de la part de l’hebdomadaire.
Concernant [D] [M], ses représentants légaux font valoir que son préjudice est particulièrement conséquent par le fait d’être exposé de la sorte alors qu’il ne remplit aucune fonction ou activité publique, qu’il est âgé de seulement trois ans et qu’il n’a pas pu donner son accord à une telle médiatisation. Ils soulignent également la réitération de ce type de publication dans un temps très proche.
La société défenderesse estime ces demandes disproportionnées, considérant l’absence de révélation au sein de l’article, la bienveillance des propos et la complaisance de [W] [J] à l’égard des médias sur des sujets relevant de sa vie privée. Elle souligne également l’absence d’éléments venant attester in concreto du préjudice résultant de l’article poursuivi. S’agissant des photographies, la société défenderesse soutient qu’elles ne montrent pas les demandeurs sous un jour désagréable ou dévalorisant et ne sont pas de nature à porter atteinte à l’image publique ou professionnelle de [W] [J].
Concernant [D] [M], elle considère que celui-ci ne peut ressentir un quelconque préjudice au vu de son jeune âge.
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En l’espèce, pour évaluer l’étendue du préjudice moral des demandeurs, il convient de prendre en compte le fait qu’ils subissent l’exposition au public d’éléments de leur vie privée dans un article annoncé en page de couverture et occupant trois pages du magazine, ce qui aggrave leur préjudice.
Le nombre et la taille des photographies publiées sous la promesse de l’exclusivité des informations, propres à attirer l’attention d’un public plus large que celui des seuls acheteurs du magazine, une d’entre elle figurant même en couverture, aggravent encore le préjudice subi pour [W] [J] et [C] [M].
Il convient aussi de prendre en considération pour [W] [J] et [C] [M] le fait que ladite atteinte a été commise par la société éditrice en dépit de précédentes condamnations à raison d’atteintes de même nature (pièces 7, 8, 16 à 18 en demande), ce qui vient alimenter le sentiment de « harcèlement » qu’ils évoquent.
Il y a lieu, en l’espèce, de retenir que les demandeurs ont été photographiés à distance, probablement avec un téléobjectif, alors qu’ils se trouvaient sur une plage et un bateau privé, ce qui démontre une surveillance préjudiciable de leurs activités de loisirs.
Certains éléments commandent toutefois une appréciation plus modérée du préjudice subi.
S’il convient de tenir compte de l’importance que [W] [J] accorde à son image, en sa qualité d’actrice et de comédienne, les clichés publiés ne sont en l’espèce ni dégradants ni dévalorisants et ne portent pas atteinte à sa dignité.
Ainsi que le soutient la société défenderesse, il sera relevé la complaisance de [W] [J] vis-à-vis des médias, celle-ci produisant de nombreuses interviews au cours desquelles la demanderesse s’est largement exprimée sur sa vie privée en évoquant notamment sa vie sentimentale (pièces 9 à 18, 28, 44, 49 en défense), sa maternité (pièces 35, 40, 41, 44, 45, 49, 50 en défense) et son état psychologique (pièces 6 à 8, 28, 29, 49 en défense). Encore récemment, la demanderesse a pu déclarer au magazine Le Figaro Madame paru en octobre 2023 à propos de son fils [D] [M] : « Quand on a la chance de vivre avec quelqu’un qui vous regarde avec amour, que vous êtes la plus belle dans les yeux de votre enfant, que vous êtes apaisée, cela se voit sur le visage » (pièce 50 en défense).
Cette complaisance à l’égard des médias est de nature à attiser la curiosité du public et à nuancer la sensibilité de [W] [J] à l’évocation d’éléments relevant de sa vie privée par un magazine ainsi que l’importance qu’elle accorde à la protection de celle-ci.
S’agissant de [C] [M], s’il n’est pas une personne publique, il ne peut ignorer qu’il suscite un certain intérêt médiatique au regard de la communication faite par son épouse sur les évènements de leur vie personnelle, à laquelle il ne s’est manifestement pas opposé, communication entrainant, de facto, une grande curiosité du public à l’égard de leur vie sentimentale et familiale.
S’agissant de [D] [M], il convient de rappeler que la seule constatation de l’atteinte au droit à l’image par voie de presse ouvre droit à réparation, y compris pour un très jeune enfant, le préjudice étant inhérent à cette atteinte, mais que son jeune âge commande de l’apprécier avec modération, dès lors qu’il n’est pas à même d’en ressentir tous les effets.
Enfin, il convient de noter que les demandeurs ne produisent aucun élément de nature à préciser le préjudice résultant spécifiquement pour eux de la publication de l’article.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il conviendra d’allouer aux demandeurs, à titre de provision à valoir sur la réparation de leur préjudice, les sommes de :
– 4 000 euros pour [W] [J] ;
– 2 000 euros pour [C] [M] ;
– 1 000 euros pour [D] [M].
Sur les autres demandes
L’article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est en principe condamnée aux dépens. Il y a en conséquence lieu de condamner la société défenderesse, qui succombe, aux dépens.
L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Il serait inéquitable de laisser aux demandeurs la charge des frais irrépétibles qu’ils ont dû exposer pour la défense de leurs intérêts et il y aura lieu en conséquence de condamner la société défenderesse à payer à [W] [J] et [C] [M], agissant en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux de leur fils [D], la somme globale de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Il sera rappelé que l’exécution provisoire est de droit.
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,
Condamnons la société CMI FRANCE à payer à [W] [J] la somme provisionnelle de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant des atteintes portées à sa vie privée et à son droit à l’image dans le numéro 1067 du magazine Public publié le 22 décembre 2023 ;
Condamnons la société CMI FRANCE à payer à [C] [M] la somme provisionnelle de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant des atteintes portées à sa vie privée et à son droit à l’image dans le numéro 1067 du magazine Public publié le 22 décembre 2023 ;
Condamnons la société CMI FRANCE à payer à [W] [J] et [C] [M], en leur qualité de représentants légaux de [D] [M] la somme provisionnelle de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant des atteintes portées à son droit à l’image dans le numéro 1067 du magazine Public publié le 22 décembre 2023 ;
Condamnons la société CMI FRANCE à payer à [W] [J] et à [C] [M], en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux de [D] [M], la somme globale de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons la société CMI FRANCE aux dépens ;
Déboutons les parties du surplus de leurs demandes ;
Rappelons que le présent jugement est exécutoire de plein droit nonobstant appel.
Fait à Paris le 07 mai 2024
Le Greffier,La Présidente,
Minas MAKRISJeanne DOUJON