Atteinte à l’AOP champagne par une boisson fruitée
Atteinte à l’AOP champagne par une boisson fruitée
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Tout usage du vocable « champagne » pour des boissons non alcoolisées est prohibé, Le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (C.I.V.C.) veille scrupuleusement à la protection de l’appellation.  

Affaire « Fruit Champagne »

Une boisson de couleur orange présentée comme « rafraichissante », dénommée « Fruit Champagne » porte nécessairement atteinte à l’appellation d’origine « Champagne ».

En effet, en raison de l’apposition à l’identique de l’appellation d’origine « Champagne » sur les bouteilles litigieuses le consommateur européen moyen est amené à faire un lien direct et univoque avec l’appellation d’origine protégée. 

La très grande notoriété de l’appellation « Champagne »

De la même manière, la très grande notoriété de l’appellation « Champagne » exclut que le fabricant ait ignoré l’inexactitude de la mention portée sur les bouteilles. L’atteinte à l’appellation protégée « Champagne » était donc ici démontrée.

Saisie en douane de 34.968 bouteilles

Les douanes du Havre ont informé le C.I.V.C. de la mise en retenue de 1457 caisses de 24 bouteilles, soit 34.968 bouteilles au total, d’une boisson sucrée dénommée « Couronne fruit champagne ». 

Les services douaniers ont révélé, au titre de la levée du secret professionnel, l’identité de l’expéditeur, la société Canhaidom Trading basée à Haïti, et du destinataire. 

Le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (C.I.V.C.) institué par la loi du 12 avril 1941, modifiée par les lois des 2 juin 1944, 7 juin 1977 et 5 janvier 2006, a notamment pour mission d’assurer la protection des intérêts collectifs des groupements des professionnels participant à la production et la commercialisation des vins de Champagne (vignerons et négociants). 

La protection du terme « Champagne »

Le terme « Champagne » constitue une appellation d’origine contrôlée instituée par le Décret du 29 juin 1936, remplacé par le Décret no2010-1441 du 22 décembre 2010. Il s’agit également d’une appellation d’origine protégée au sens du Règlement (UE) no1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 (appendice 1 « Zones viticoles »). 

Selon le 97ème considérant du règlement no 1308/2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, « Il convient de protéger les appellations d’origine et les indications géographiques contre toute utilisation visant à profiter de la réputation associée aux produits répondant aux exigences correspondantes. Pour favoriser une concurrence loyale et ne pas induire en erreur les consommateurs, il convient que cette protection concerne également des produits et services ne relevant pas du présent règlement, y compris ceux qui ne figurent pas à l’annexe I des traités. » L’article 92 de ce réglement prévoit que “2. Les règles prévues au paragraphe 1 visent à :

a) protéger les intérêts légitimes des consommateurs et des producteurs ;

b) assurer le bon fonctionnement du marché intérieur des produits concernés, ainsi que

c) promouvoir la production de produits de qualité visés dans la présente section, tout en autorisant les mesures nationales en matière de qualité.”

L’article 93 de ce même règlement dispose, à son paragraphe 1, que : « Aux fins de la présente section, on entend par :

a) « appellation d’origine », le nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels et dûment justifiés, d’un pays, qui sert à désigner un produit visé à l’article 92, paragraphe 1, satisfaisant aux exigences suivantes :

i) sa qualité et ses caractéristiques sont dues essentiellement ou exclusivement à un milieu géographique particulier et aux facteurs naturels et humains qui lui sont inhérents ;

ii) il est élaboré exclusivement à partir de raisins provenant de la zone géographique considérée;

iii) sa production est limitée à la zone géographique considérée ; ainsi que

iv) il est obtenu exclusivement à partir de variétés de vigne de l’espèce Vitis vinifera ;(…) »

Aux termes, enfin, de l’article 103 « Protection » du règlement no 1308/2013, “1. Une appellation d’origine protégée et une indication géographique protégée peuvent être utilisées par tout opérateur commercialisant un vin produit conformément au cahier des charges correspondant.

Une appellation d’origine protégée et une indication géographique protégée, ainsi que le vin qui fait usage de cette dénomination protégée en respectant le cahier des charges correspondant, sont protégés contre :

a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte de cette dénomination protégée :

i) pour des produits comparables ne respectant pas le cahier des charges lié à la dénomination protégée ; ou

ii) dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation d’une appellation d’origine ou indication géographique ;

b) toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit ou du service est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite, transcrite, translittérée ou accompagnée d’une expression telle que « genre », « type », « méthode », « façon », « imitation », « goût », « manière » ou d’une expression similaire ;

c) toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, à l’origine, à la nature ou aux qualités substantielles du produit figurant sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit vitivinicole concerné, ainsi que contre l’utilisation pour le conditionnement d’un contenant de nature à créer une impression erronée sur l’origine du produit,

d) toute autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.(…) »

Un instrument de la politique agricole commune

Ce règlement no 1308/2013 constitue un instrument de la politique agricole commune visant essentiellement à assurer aux consommateurs que des produits agricoles revêtus d’une indication géographique enregistrée au titre dudit règlement présentent, en raison de leur provenance d’une zone géographique déterminée, certaines caractéristiques particulières et, partant, offrent une garantie de qualité due à leur provenance géographique, dans le but de permettre aux opérateurs agricoles ayant consenti des efforts qualitatifs réels d’obtenir en contrepartie de meilleurs revenus et d’empêcher que des tiers ne tirent abusivement profit de la réputation découlant de la qualité de ces produits (CJUE, arrêt du 20 décembre 2017, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C-393/16, point 38).

En outre, par un arrêt du 9 septembre 2021 (aff. C-783/19,Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne contre GB), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que “L’article 103, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1308/2013 doit être interprété en ce sens que l’« évocation » visée à cette disposition, d’une part, n’exige pas, à titre de condition préalable, que le produit bénéficiant d’une AOP et le produit ou le service couvert par le signe litigieux soient identiques ou similaires et, d’autre part, est établie lorsque l’usage d’une dénomination produit, dans l’esprit d’un consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, un lien suffisamment direct et univoque entre cette dénomination et l’AOP. L’existence d’un tel lien peut résulter de plusieurs éléments, en particulier, l’incorporation partielle de l’appellation protégée, la parenté phonétique et visuelle entre les deux dénominations et la similitude en résultant, et même en l’absence de ces éléments, de la proximité conceptuelle entre l’AOP et la dénomination en cause ou encore d’une similitude entre les produits couverts par cette même AOP et les produits ou services couverts par cette même dénomination. »

Sur le plan du droit national, il résulte de l’article L. 431-1 du code de la consommation que « Constitue une appellation d’origine la dénomination d’un pays, d’une région ou d’une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains. » 

L’article L. 431-2 de ce même code précise qu’ “Il est interdit : (…)

3o D’utiliser ou de tenter d’utiliser frauduleusement une appellation d’origine ou une indication géographique définie à l’article L. 721-2 du code de la propriété intellectuelle ;

4o D’apposer ou de faire apparaître, par addition, retranchement ou par une altération quelconque, sur des produits, naturels ou fabriqués, mis en vente ou destinés à être mis en vente, une appellation d’origine ou une indication géographique définie à l’article L. 721-2 du code de la propriété intellectuelle, en la sachant inexacte ”


TRIBUNAL

JUDICIAIRE

DE PARIS 

3ème chambre 

3ème section

No RG 21/15451 – 

No Portalis 352J-W-B7F-CVVWJ

No MINUTE : 

Assignation du :

09 Décembre 2021

JUGEMENT 

rendu le 11 Octobre 2022 

DEMANDERESSE

COMITE INTERPROFESSIONNEL DU VIN DE CHAMPAGNE (C.I.V.C.)

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Maître Michel-Paul ESCANDE de la SELEURL CABINET M-P ESCANDE, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #R266

DÉFENDERESSE

S.A.S. LIDY SERVICES

[Adresse 4]

[Localité 3]

défaillante

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe

Arthur COURILLON-HAVY, juge

Linda BOUDOUR, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière,

DÉBATS

A l’audience du 22 Juin 2022 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 11 octobre 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

Réputé contradictoire

En premier ressort

_____________________________

EXPOSÉ DU LITIGE :

1. Le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (C.I.V.C.) institué par la loi du 12 avril 1941, modifiée par les lois des 2 juin 1944, 7 juin 1977 et 5 janvier 2006, a notamment pour mission d’assurer la protection des intérêts collectifs des groupements des professionnels participant à la production et la commercialisation des vins de Champagne (vignerons et négociants). 

2. Le terme « Champagne » constitue une appellation d’origine contrôlée instituée par le Décret du 29 juin 1936, remplacé par le Décret no2010-1441 du 22 décembre 2010. Il s’agit également d’une appellation d’origine protégée au sens du Règlement (UE) no1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 (appendice 1 « Zones viticoles ») . 

3. La société Lidy Services dont le siège est à [Localité 5] a pour activité principale le transport routier de marchandises. 

4. Le 15 octobre 2021, les douanes du Havre ont informé le C.I.V.C. de la mise en retenue de 1457 caisses de 24 bouteilles, soit 34.968 bouteilles au total, d’une boisson sucrée dénommée « Couronne fruit champagne ». Le 18 octobre suivant, les services douaniers ont révélé, au titre de la levée du secret professionnel, l’identité de l’expéditeur, la société Canhaidom Trading basée à Haïti, et du destinataire, la société Lidy Services. 

5. Suivant ordonnances du délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris, le 2 novembre 2021, et de celui du tribunal judiciaire de Lille, le 3 novembre 2021, le C.I.V.C. a fait diligenter, le 9 novembre 2021, des opérations de saisie-contrefaçondans les locaux des services de douane, dans ceux de la société Entreposage Havrais où était stockée la cargaison mise en retenue et dans ceux de la société Lidy Services. Ces opérations ont permis de confirmer la présence de 34.508 bouteilles de la boisson « Couronne fruit champagne » dans les locaux de la société Entreposage Havrais. 

6. C’est dans ces conditions que, par acte d’huissier du 9 décembre 2021, le C.I.V.C. a assigné la société Lidy Services devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçonde l’appellation d’origine contrôlée « Champagne ». Bien que régulièrement citée par remise de l’acte à l’étude de l’huissier (le nom figure sur la boîte aux lettres), la société Lidy Services n’a pas constitué avocat. 

7. Aux termes de son assignation, le C.I.V.C. demande au tribunal, au visa des articles L. 722-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, de l’article L.643-1 du code rural et de la pêche maritime, de l’article 103 du Règlement (UE) no1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013, de : 

— Le RECEVOIR en son action et le déclarer bien fondé ; 

— JUGER que l’importation et la commercialisation de boissons dont la dénomination de vente « COURONNE-FRUIT CHAMPAGNE » fait usage de l’appellation « Champagne » constitue un usage commercial exploitant la réputation de l’appellation d’origine « Champagne » prohibé par les articles L.643-1 du code rural et de la pêche maritime et 103 2) a) (ii) du Règlement (UE) 1308/2013 ; 

En conséquence : 

— INTERDIRE à la société Lidy Services d’importer, d’offrir à la vente et de commercialiser la boisson fruitée sous la dénomination « COURONNE-FRUIT CHAMPAGNE » faisant ainsi illicitement usage du nom de l’appellation d’origine « Champagne » en exploitant la réputation et/ou en détournant ou affaiblissant sa notoriété, sous astreinte de 2.000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement ; 

— INTERDIRE à la société Lidy Services de faire usage du nom de l’appellation d’origine « Champagne » sous quelque forme et à quelque titre que ce soit pour des produits qui ne bénéficient pas du droit d’usage de cette appellation ;

— JUGER que le tribunal se réserve la compétence pour liquider lesdites astreintes en application de la disposition de l’article L.131-3 du Code des procédures civiles d’exécution ; 

— ORDONNER, aux frais de la société Lidy Services, la destruction de l’intégralité des 34.508 bouteilles de « COURONNE FRUIT CHAMPAGNE » placées en retenue douanière le 15 octobre 2021, saisie le 9 novembre suivant et stockées dans les locaux de la société Entreposage Havrais ; 

— CONDAMNER la société Lidy Services à payer au Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (C.I.V.C.) la somme de dix mille euros (10.000 €), sauf à parfaire, en réparation du préjudice matériel et moral des groupements de base qu’il représente, résultant de l’atteinte portée à l’appellation d’origine « Champagne » ; 

— ORDONNER la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux ou revues, au choix du C.I.V.C. et aux frais de la défenderesse, à raison de cinq mille euros (5.000 €) par insertion et ce, au besoin, à titre de dommages-intérêts complémentaires ; 

— CONDAMNER la société Lidy Services à payer au C.I.V.C. la somme de quinze mille euros (15.000 €) au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ; 

— JUGER n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit du jugement ; 

— CONDAMNER la société Lidy Services aux entiers dépens, comprenant les frais de saisie-contrefaçon et les frais de stockage, dont distraction au profit de la SELARL M-P ESCANDE et ceci conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. 

9. L’instruction a été clôturée par une ordonnance du 10 mars 2022 et l’affaire plaidée à l’audience du 22 juin 2022. 

MOTIFS DE LA DÉCISION

1o) Sur la contrefaçon

Moyens des parties

10. Au soutien de ses prétentions, le C.I.V.C. rappelle que l’appellation « Champagne » constitue aussi bien une appellation d’origine protégée qu’une appellation d’origine contrôlée. Or, le C.I.V.C. explique que, conformément à l’article L.722-1 du code de la propriété intellectuelle, constitue un acte de contrefaçon toute atteinte à une telle indication géographique. Plus précisément, le demandeur expose qu’aux termes de l’article L.643-1 du code rural et de la pêche maritime, toute utilisation d’une appellation d’origine contrôlée qui en détourne ou en affaiblit la notoriété est illicite. Enfin, au niveau européen, le demandeur rappelle que l’article 103.2 du Règlement (UE) no1308/2013 prohibe toute utilisation commerciale directe de l’appellation, y compris pour un produit différent, dès lors que ladite utilisation exploite la réputation de l’appellation d’origine protégée. Dès lors, le demandeur considère que porte atteinte à l’appellation « Champagne » le fait d’y avoir recours pour désigner une boisson ne respectant pas le cahier des charges prescrit et ainsi d’y associer la réputation de cette appellation. Le C.I.V.C. en déduit qu’en important la boisson litigieuse, la société Lidy Services a commis des actes de contrefaçon lui causant un préjudice. 

Appréciation du tribunal

11. Selon le 97ème considérant du règlement no 1308/2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, « Il convient de protéger les appellations d’origine et les indications géographiques contre toute utilisation visant à profiter de la réputation associée aux produits répondant aux exigences correspondantes. Pour favoriser une concurrence loyale et ne pas induire en erreur les consommateurs, il convient que cette protection concerne également des produits et services ne relevant pas du présent règlement, y compris ceux qui ne figurent pas à l’annexe I des traités. » L’article 92 de ce réglement prévoit que “2. Les règles prévues au paragraphe 1 visent à :

a) protéger les intérêts légitimes des consommateurs et des producteurs ;

b) assurer le bon fonctionnement du marché intérieur des produits concernés, ainsi que

c) promouvoir la production de produits de qualité visés dans la présente section, tout en autorisant les mesures nationales en matière de qualité.”

12. L’article 93 de ce même règlement dispose, à son paragraphe 1, que : « Aux fins de la présente section, on entend par :

a) « appellation d’origine », le nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels et dûment justifiés, d’un pays, qui sert à désigner un produit visé à l’article 92, paragraphe 1, satisfaisant aux exigences suivantes :

i) sa qualité et ses caractéristiques sont dues essentiellement ou exclusivement à un milieu géographique particulier et aux facteurs naturels et humains qui lui sont inhérents ;

ii) il est élaboré exclusivement à partir de raisins provenant de la zone géographique considérée;

iii) sa production est limitée à la zone géographique considérée ; ainsi que

iv) il est obtenu exclusivement à partir de variétés de vigne de l’espèce Vitis vinifera ;(…) »

13. Aux termes, enfin, de l’article 103 « Protection » du règlement no 1308/2013, “1. Une appellation d’origine protégée et une indication géographique protégée peuvent être utilisées par tout opérateur commercialisant un vin produit conformément au cahier des charges correspondant.

2. Une appellation d’origine protégée et une indication géographique protégée, ainsi que le vin qui fait usage de cette dénomination protégée en respectant le cahier des charges correspondant, sont protégés contre :

a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte de cette dénomination protégée :

i) pour des produits comparables ne respectant pas le cahier des charges lié à la dénomination protégée ; ou

ii) dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation d’une appellation d’origine ou indication géographique ;

b) toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit ou du service est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite, transcrite, translittérée ou accompagnée d’une expression telle que « genre », « type », « méthode », « façon », « imitation », « goût », « manière » ou d’une expression similaire ;

c) toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, à l’origine, à la nature ou aux qualités substantielles du produit figurant sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit vitivinicole concerné, ainsi que contre l’utilisation pour le conditionnement d’un contenant de nature à créer une impression erronée sur l’origine du produit,

d) toute autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.(…) »

14. Il y a lieu de rappeler que ce règlement no 1308/2013 constitue un instrument de la politique agricole commune visant essentiellement à assurer aux consommateurs que des produits agricoles revêtus d’une indication géographique enregistrée au titre dudit règlement présentent, en raison de leur provenance d’une zone géographique déterminée, certaines caractéristiques particulières et, partant, offrent une garantie de qualité due à leur provenance géographique, dans le but de permettre aux opérateurs agricoles ayant consenti des efforts qualitatifs réels d’obtenir en contrepartie de meilleurs revenus et d’empêcher que des tiers ne tirent abusivement profit de la réputation découlant de la qualité de ces produits (CJUE, arrêt du 20 décembre 2017, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C-393/16, point 38).

15. En outre, par un arrêt du 9 septembre 2021 (aff. C-783/19,Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne contre GB), la Cour de justice de l’Union euroépenne a dit pour droit que “L’article 103, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1308/2013 doit être interprété en ce sens que l’« évocation » visée à cette disposition, d’une part, n’exige pas, à titre de condition préalable, que le produit bénéficiant d’une AOP et le produit ou le service couvert par le signe litigieux soient identiques ou similaires et, d’autre part, est établie lorsque l’usage d’une dénomination produit, dans l’esprit d’un consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, un lien suffisamment direct et univoque entre cette dénomination et l’AOP. L’existence d’un tel lien peut résulter de plusieurs éléments, en particulier, l’incorporation partielle de l’appellation protégée, la parenté phonétique et visuelle entre les deux dénominations et la similitude en résultant, et même en l’absence de ces éléments, de la proximité conceptuelle entre l’AOP et la dénomination en cause ou encore d’une similitude entre les produits couverts par cette même AOP et les produits ou services couverts par cette même dénomination.”

16. Sur le plan du droit national, il résulte de l’article L. 431-1 du code de la consommation que « Constitue une appellation d’origine la dénomination d’un pays, d’une région ou d’une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains. » L’article L. 431-2 de ce même code précise qu’ “Il est interdit : (…)

3o D’utiliser ou de tenter d’utiliser frauduleusement une appellation d’origine ou une indication géographique définie à l’article L. 721-2 du code de la propriété intellectuelle ;

4o D’apposer ou de faire apparaître, par addition, retranchement ou par une altération quelconque, sur des produits, naturels ou fabriqués, mis en vente ou destinés à être mis en vente, une appellation d’origine ou une indication géographique définie à l’article L. 721-2 du code de la propriété intellectuelle, en la sachant inexacte ;(…)”

17. En l’occurrence, les constatations de l’huissier au cours des opérations de saisie-contrefaçon diligentées à la demande du C.I.V.C. établissent la livraison à la société Lidy Service de 34.968 bouteilles en plasique transparent contenant une boisson de couleur orange présentée comme « rafraichissante », dénommée « Fruit Champagne » sous la marque « Couronne » (Brasserie de la Couronne« ), provenant d’Haïti. Il ressort de ces pièces, en particulier des photographies annexées au procès-verbal de saisie-contrefaçon, que la boisson en cause n’est pas un vin de Champagne produit selon les modalités et au sein de la zone géographique visées par le Décret no2010-1441 du 22 novembre 2010 relatif à l’appellation d’origine contrôlée »Champagne”. 

18. En outre, en raison de l’apposition à l’identique de l’appellation d’origine « Champagne » sur les bouteilles litigieuses le consommateur européen moyen est amené à faire un lien direct et univoque avec l’appellation d’origine protégée. De la même manière, la très grande notoriété de l’appellation « Champagne » exclut que la société Lidy Services ait ignoré l’inexactitude de la mention portée sur les bouteilles. L’atteinte à l’appellation protégée « Champagne » est donc ici démontrée.

2o) Sur les mesures de réparation 

Moyens des parties

19. Au soutien de ses prétentions indemnitaires, d’interdiction et de destruction, le C.I.V.C. expose que le comité ainsi que l’ensemble des vignerons producteurs de vin de Champagne ont subi un préjudice moral et matériel conséquent lié à l’atteinte à l’image causé par l’usage de l’appellation « Champagne » pour désigner le soda « Couronne Fruit Champagne ». Le C.I.V.C. affirme en effet que le recours à cette appellation pour désigner ce produit contribue à diluer le pouvoir d’attraction de l’appellation « Champagne ». Au soutien de sa demande de mesures de publication, le C.I.V.C. fait valoir qu’une grande partie de son activité consiste à sensibiliser le public à la protection dont bénéficie l’appellation « Champagne ». Or, il estime que les actes de contrefaçon en cause réduisent à néant ces efforts et tendent à donner l’impression d’une absence de protection. En conséquence, le demandeur estime qu’une mesure de publication est nécessaire afin de réaffirmer le caractère protégé de l’appellation « Champagne » auprès du grand public. 

Appréciation du tribunal

20. Selon l’article L. 722-1 du code de la propriété intellectuelle, “Toute atteinte portée à une indication géographique en violation de la protection qui lui est accordée par le droit de l’Union européenne ou la législation nationale constitue une contrefaçon engageant la responsabilité de son auteur.

Pour l’application du présent chapitre, on entend par « indication géographique » :

a) Les appellations d’origine définies à l’article L. 115-1 du code de la consommation ; (…)

c) Les appellations d’origine et les indications géographiques protégées en vertu du droit de l’Union européenne ; (…)” Il en résulte que sont applicables à la réparation du préjudice causé par l’atteinte à une appellation d’origine les articles L.722-6 et L.722-7 du code de la propriété intellectuelle.

21. S’agissant du préjudice allégué, le demandeur ne démontre pas l’existence d’un quelconque préjudice matériel. Il ressort en effet des pièces versées aux débats que l’intégralité des produits litigieux ont été placés en retenue par les services de douane français et n’ont par conséquent jamais été commercialisés sur le territoire national ou européen. Il s’en infère que la société Lidy Services n’a pu réaliser aucun bénéfice de cette infraction. Pour la même raison, le C.I.V.C. ne démontre pas en quoi les actes de la société Lidy Services ont eu un impact économique négatif sur le comité ou les entités qu’il représente.

22. S’agissant en revanche du préjudice moral, il apparait effectivement que la mise sur le marché des bouteilles litigieuses revêtues de l’appellation « Champagne » est de nature à avilir l’appellation en cause. Il reste toutefois que, la totalité de la cargaison de boisson « Couronne Fruit Champagne » ayant été retenue par les services de douane du Havre, aucun produit contrefaisant n’a été commercialisé en France ou en Europe par la société Lidy Services. Il en résulte que le produit contrefaisant n’a pas été diffusé auprès des consommateurs nationaux et européens et n’a donc porté qu’une atteinte limitée à l’image de l’appellation « Champagne ». La société Lidy Services sera ainsi condamnée au versement de la somme de 1.000 euros en réparation du préjudice causé au C.I.V.C. 

24. Il sera en outre fait interdiction à la société Lidy Services de poursuivre ses agissements contrefaisants et il y a lieu de faire droit à la demande de destruction des produits saisis.

25. Les autres dispositions du présent jugement réparant suffisamment le préjudice subi, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de publication présentée par le CIVC.

26. Partie perdante au sens des dispositions de l’article 696 du code de procédure ci vile, la société Lidy Services sera condamnée aux dépens, ainsi qu’à payer au CIVC la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

27. Aucune circonstance ne justifiant de l’écarter, il y a lieu de rappeler que le présent jugement est de plein droit revêtu de l’exécution provisoire, y compris en ce qui concerne la mesure de destruction des produits contrefaisants retenus.

PAR CES MOTIFS, 

Le tribunal,

FAIT INTERDICTION à la société Lidy Services d’importer, d’offrir à la vente et de vendre la boisson « Couronne Fruit Champagne » et ce, sous astreinte de 150 euros par infraction (c’est à dire par bouteille contrefaisante) constatée, courant à l’expiration d’un délai de 15 jours suivant la signification du présent jugement et pendant 180 jours ; 

ORDONNE, aux frais de la société Lidy Services, la destruction de l’intégralité du stock de boisson « Couronne Fruit Champagne » placé en retenue par les services de douane le 15 octobre 2021 et entreposé dans les locaux de la société Entreposage Havrais ; 

CONDAMNE la société Lidy Services à payer au Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne (C.I.V.C.) la somme de 1.000 euros en réparation du préjudice moral causé par l’atteinte à l’appellation d’origine « Champagne » ; 

DEBOUTE le C.I.V.C. de sa demande de publication du jugement ; 

CONDAMNE la société Lidy Services aux dépens qui comprendront les frais de saisie-contrefaçon et de retenue, et autorise la Selarl M-P Escande à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l’avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ; 

CONDAMNE la société Lidy Services à payer au C.I.V.C. la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; 

RAPPELLE que la présente est exécutoire de droit à titre provisoire, y compris en ce qui concerne la destruction des produits contrefaisants.

Fait et jugé à Paris le 11 Octobre 2022.

La Greffière La Présidente



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