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La société PRISMA MEDIA a été condamnée à verser à [F] [G] et [L] [U] la somme de 3.000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral pour atteinte à leur vie privée et à leur droit à l’image. De plus, la société a été condamnée à leur payer la somme de 1.500 euros chacun au titre des frais irrépétibles, ainsi que les entiers dépens.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
MINUTE N° :
17ème Ch. Presse-civile
N° RG 23/07661 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZ7L6
SC
Assignation du :
5 Juin 2023
[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
République française
Au nom du Peuple français
JUGEMENT
rendu le 14 Février 2024
DEMANDEURS
[F] [G]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Virginie LAPP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1974
[L] [U]
domicile élu au cabinet de Me Virginie LAPP
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Virginie LAPP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1974
DEFENDERESSE
S.A.S. PRISMA MEDIA
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Maître Olivier D’ANTIN de la SCP S.C.P d’ANTIN – BROSSOLLET – BAILLY, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0336
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Magistrats ayant participé au délibéré :
Delphine CHAUCHIS, Première vice-présidente adjointe
Président de la formation
Sophie COMBES, Vice-Présidente
Delphine CHAUFFAUT, Juge
Assesseurs
Greffiers :
Viviane RABEYRIN, Greffier lors des débats, Virginie REYNAUD, Greffier à la mise à disposition
DEBATS
A l’audience du 6 décembre 2023 tenue publiquement devant Sophie COMBES, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les parties, en a rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du code de procédure civile.
JUGEMENT
Mis à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
Vu l’assignation devant ce tribunal délivrée le 5 juin 2023 à la société PRISMA MEDIA, éditrice du magazine VOICI, à la requête de [F] [G] et de [L] [U], au visa de l’article 9 du code civil, au motif qu’il avait été porté atteinte au respect dû à leur vie privée et à leur droit à l’image dans un article intitulé “[X] [U] et [F] [G] Un mariage pour de vrai” paru dans le numéro 1846 du magazine VOICI daté du 21 avril 2023 ;
Vu les dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 2 novembre 2023 (il convient ici de préciser qu’en application de l’article 850 du code de procédure civile imposant la communication électronique des actes dans le cadre de la procédure écrite ordinaire, il ne sera pas tenu compte des conclusions annoncées comme signifiées par RPVA le 8 novembre 2023, jointes au dossier de plaidoirie des demandeurs, dès lors que le tribunal ne dispose pas de leur notification électronique et qu’il n’en est pas justifié par les demandeurs), auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, par lesquelles [F] [G] et de [L] [U] demandent au tribunal :
– de condamner la société PRISMA MEDIA à leur verser à chacun la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte à leur vie privée,
– de condamner la société PRISMA MEDIA à leur verser à chacun la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte à leur droit à l’image,
– de condamner la société défenderesse à verser à chacun des demandeurs la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens qui seront recouvrés par Maître Virginie LAPP, avocate, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile,
Vu les dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 7 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, par lesquelles la société PRISMA MEDIA demande au tribunal :
– de n’allouer aux demandeurs d’autre réparation que de principe,
– de les condamner aux dépens.
Vu l’ordonnance de clôture en date du 15 novembre 2023 ;
Les parties ont oralement soutenu leurs écritures lors de l’audience du 6 décembre 2023.
L’affaire a été mise en délibéré au 14 février 2024, par mise à disposition au greffe.
MOTIFS
Sur la publication litigieuse
[F] [G] est humoriste et comédienne, au théâtre et au cinéma. Elle a notamment participé à plus de 12 films, dont “La Ch’tite famille” écrit et réalisé par [L] [U], diffusé en 2018, dans lequel elle interprétait la compagne de ce dernier.
[L] [U], dit [X] [U], est un auteur, réalisateur, artiste-interprète, humoriste. Il a réalisé huit films dont “Bienvenue chez les Ch’tis” en 2008.
L’hebdomadaire VOICI n°1846, daté du 21 avril 2023, consacre aux demandeurs ses pages intérieures 12 à 14, l’article étant en majeure partie constitué de photographies les représentant marchant et s’embrassant sur la voie publique (magazine communiqué en pièce n°1 en demande).
L’article est annoncé en couverture sous le titre “[X] [U] et [F] [G] Ils vont se marier!”. Il est ainsi sous-titré : “Cinq ans après leur coup de foudre, le Ch’ti a demandé la main de la jolie actrice. La cérémonie est prévue pour cet été…”. Cette annonce est accompagnée d’une photographie grand format représentant [F] [G] et [L] [U], dans la rue, sur le point de s’embrasser, [F] [G] tenant [L] [U] par le cou. Une autre photographie, en format médaillon, les montre, portant les mêmes vêtements, marchant côte à côte.
L’article, intitulé “ Cinq ans après leur coup de foudre, ils vont se dire oui cet été [X] [U] et [F] [G] Un mariage pour de vrai” à l’intérieur du magazine, est ainsi annoncé : “Persuadés d’être faits l’un pour l’autre et plus amoureux que jamais, le réalisateur et la comédienne ont décidé de passer à la vitesse supérieure”.
Il comporte notamment les propos suivants :
“Entre [X] [U] et [F] [G], c’est une évidence. Ensemble depuis bientôt cinq ans, le réalisateur de 56 ans et la comédienne de 41 ans se sont parfaitement trouvés et ne peuvent plus faire un pas l’un sans l’autre. Conscients que leur couple est fait pour durer, ils ont donc décidé d’aller encore plus loin dans leur histoire et de se marier. Et dès l’été prochain, ils se diront oui devant Monsieur le maire (…) Pour preuve, alors que depuis des semaines, [X] enchaîne les interviews (…), il trouve le moyen de bousculer son agenda pour retrouver celle qu’il aime. Le 15 avril (…), le Ch’ti a profité d’une pause dans son emploi du temps pour déjeuner avec [F] au [8], le restaurant de [O] [J] situé dans le quartier de [Localité 10], à [Localité 9]. Heureux de se retrouver, les deux amoureux se sont embrassés fougueusement dans la rue, multipliant les sourires et gestes de tendresse.
(…) Mais si l’humoriste semble aussi heureux et sûr de lui, c’est aussi parce que sa relations avec la comédienne l’a profondément changé. Grâce à elle, il a fait la paix avec lui-même. (…) Bien dans sa vie, se partageant toujours entre [Localité 9], où vit le fils de [F], et la Belgique, qui correspond mieux à ses envies de quiétude, [X] mène sa barque. (…) Il était donc logique qu’après des années de conte de fées, il soit prêt à lui dire oui pour la vie…”.
L’article est illustré de cinq photographies, prises dans le même trait de temps au vu des vêtements portés par les intéressés, montrant le couple dans la rue, se retrouvant et s’embrassant puis marchant avec un chien.
Sur les atteintes à la vie privée et au droit à l’image
Les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil garantissent à toute personne, quelles que soient sa notoriété, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, le respect de sa vie privée et de son image.
L’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit l’exercice du droit à l’information des organes de presse dans le respect du droit des tiers.
La combinaison de ces deux principes conduit à limiter le droit à l’information du public d’une part, pour les personnes publiques, aux éléments relevant de la vie officielle, et d’autre part, aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général. Ainsi chacun peut s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de sa vie professionnelle ou de ses activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur sa vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.
Les demandeurs reprochent principalement à l’article de les avoir traqués lors d’un déplacement pour les photographier, et d’avoir diffusé une fausse information relevant de la vie privée, sur un prétendu mariage. Ils insistent sur l’importance du préjudice causé par ces atteintes à leur vie privée et à leur droit à l’image, notamment sur celui naissant de l’anxiété causée par la traque dont ils ont fait l’objet ainsi que sur celui résultant de l’importante diffusion de la fausse information relative à leur mariage dans la presse people.
La société défenderesse ne conteste pas le principe de l’atteinte au droit respect à la vie privée et au droit à l’image des demandeurs. Elle soutient en revanche qu’ils ne justifient pas de l’étendue de leur préjudice dès lors qu’ils se sont déjà exprimés dans les médias sur leur relation, qu’ils ne produisent aucune pièce justifiant de l’incidence spécifique de l’article pour eux, et que le préjudice d’anxiété, en principe indemnisé en cas d’angoisse de mort imminente ou d’angoisse liée à la prise d’un médicament potentiellement mortel, n’est ici pas démontré.
S’il est en l’espèce établi que [L] [U] et [F] [G] ont eux-mêmes évoqué leur relation de couple avant la parution de l’article litigieux (pièces n°3 à 5, 8 en défense), le récit détaillé et illustré de leurs retrouvailles pour un déjeuner le 15 avril 2023, les extrapolations sur leurs sentiments réciproques ainsi que sur leur supposée intention de se marier à court terme relèvent de la vie privée familiale et affective des demandeurs.
La publication de ces éléments n’est rendu nécessaire par aucun débat d’intérêt général et est sans rapport avec un événement d’actualité.
Au vu de ces éléments, alors qu’il appartient à chacun de fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur sa vie privée, laquelle comprend aussi, voire surtout, des moments anodins comme ceux relatés dans l’article litigieux, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir, l’atteinte à la vie privée des demandeurs apparaît constituée.
Les photographies illustrant l’article représentant [F] [G] et [L] [U] ont été prises à leur insu et publiées sans leur autorisation. L’atteinte à leur vie privée est ainsi prolongée par l’utilisation de ces photographies qui attentent également aux droits que les demandeurs détiennent sur leur image, dès lors qu’elles illustrent des informations illicites et sans que là non plus, cela ne soit rendu nécessaire par un débat d’intérêt général ou un rapport avec l’actualité.
Sur les mesures sollicitées
Si la seule constatation de l’atteinte à la vie privée et au droit à l’image par voie de presse ouvre droit à réparation, le préjudice étant inhérent à ces atteintes, il appartient au demandeur de justifier de l’étendue du dommage allégué, le préjudice étant apprécié concrètement, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes et des éléments versés aux débats.
Par ailleurs, dans les cas où le demandeur s’est largement exprimé sur sa vie privée, cette attitude, de nature à attiser la curiosité du public, ne le prive pas de toute protection de sa vie privée mais justifie une diminution de l’appréciation de son préjudice.
Il sera ici précisé que le dommage résultant pour [F] [G] et [L] [U] de l’article litigieux sera évalué de façon globale, le préjudice causé par l’atteinte à la vie privée étant indissociable de celui causé à leur droit à l’image, les photographies étant le strict reflet du contenu de l’article évoquant les retrouvailles des demandeurs pour un déjuner et le fait qu’ils s’embrassent.
En l’espèce, pour évaluer l’étendue du préjudice moral des demandeurs consécutif à la publication litigieuse, il convient de prendre en considération le fait qu’ils subissent l’exposition de leur intimité affective, dans un article agrémenté de photographies prises et diffusées sans leur accord, et annoncé en page de couverture d’un magazine connu, cette présentation étant propre à attirer l’attention d’un public plus large que celui des seuls acheteurs du magazine et, ainsi, aggrave encore le préjudice subi.
Il convient en outre de prendre en compte le fait que les photographies de [F] [G] et de [L] [U] les montrent, en plan rapproché, se retrouvant, s’enlaçant puis s’embrassant, le caractère particulièrement intime du moment ainsi capté et rendu public renforçant l’importance de l’atteinte.
Certains éléments commandent néanmoins de modérer l’étendue du préjudice allégué par les demandeurs.
Il convient d’abord de prendre en considération le fait que l’article est consacré au bonheur des demandeurs et ne les présente aucunement sous un jour dévalorisant.
Il apparaît ensuite, au vu des vêtements portés par ces derniers, que les photographies ont été prises dans le même trait de temps sur la voie publique, ce qui, sans remettre en cause le fait que les demandeurs aient été épiés à leur insu lors d’un moment de loisir, exclut une traque de nature à générer un préjudice d’anxiété tel que décrit dans leurs écritures, préjudice qui n’est d’ailleurs étayé par aucune pièce.
Il sera ici souligné que, plus généralement, les demandeurs n’ont communiqué aucun élément permettant d’apprécier les conséquences spécifiques sur leur quotidien de l’article litigieux.
Il apparaît en outre que les demandeurs se sont déjà exprimés sur leur vie de couple et leurs sentiments réciproques dans les médias, et ce encore récemment (pièces n°3 à 9 bis en défense). Ils ont par exemple évoqué les circonstances de leur rencontre, certains traits de caractère comme l’hypocondrie, la façon de désamorcer les conflits, leur tendance “à se vanner l’un et l’autre”, ou encore des aspects de leur vie durant le confinement. Comme souligné par la défense, [L] [U] a par ailleurs participé récemment à l’émission “Les rencontres du papotin” où une personnalité est interrogée par de “jeunes journalistes non professionnels porteurs de troubles du spectre autistique” ce qui implique son accord pour s’exposer publiquement à des questions pouvant être très personnelles. Bien que cette complaisance à l’égard des médias demeure modérée, elle est de nature à attiser l’intérêt du public sur la vie sentimentale des demandeurs et à relativiser leur souci de discrétion.
Il sera enfin indiqué que, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs afin de démontrer l’importance du préjudice subi, la société éditrice ne saurait être responsable du choix fait par deux autres sites internet, [R] et LeGossip.net (pièces n°11 et 12 en demande), de citer l’article litigieux et le projet de mariage dont au surplus le magazine VOICI ne fait que reprendre l’annonce déjà faite quelques jours avant sur le site www.public.fr et dans le magazine ICI [Localité 9] qui évoquaient un prochain mariage à [Localité 7] (pièces n°13 et 14 en demande).
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il conviendra d’allouer à [F] [G] et à [L] [U], à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral, la somme de 3.000 euros chacun au titre de l’atteinte faite au droit au respect de leur vie privée et à leur droit à l’image au sein du magazine VOICI n°1846.
Sur les demandes accessoires
Il serait inéquitable de laisser aux demandeurs la charge des frais irrépétibles qu’ils ont dû exposer pour la défense de leurs intérêts vis-à-vis de la société PRISMA MEDIA et il y aura lieu en conséquence de condamner la société défenderesse à leur payer la somme de 1.500 euros chacun en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La société PRISMA MEDIA sera condamnée aux entiers dépens, avec autorisation pour Maître Virginie LAPP, avocate, de recouvrer directement ceux qu’elle aura exposés, en application de l’article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant, après débats publics, par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort :
Condamne la société PRISMA MEDIA à verser à [F] [G] la somme de TROIS MILLE EUROS (3.000 €) en réparation du préjudice moral résultant de l’atteinte faite au droit au respect de sa vie privée et à son droit à l’image au sein du magazine VOICI n°1846, outre les intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
Condamne la société PRISMA MEDIA à verser à [L] [U] la somme de TROIS MILLE EUROS (3.000 €) en réparation du préjudice moral résultant de l’atteinte faite au droit au respect de sa vie privée et à son droit à l’image au sein du magazine VOICI n°1846, outre les intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la société PRISMA MEDIA à verser à [F] [G] et [L] [U], la somme de MILLE CINQ CENTS EUROS (1.500 €) chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société PRISMA MEDIA aux dépens avec autorisation pour Maître Virginie LAPP, avocate, de recouvrer directement ceux qu’elle aura exposés, en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 14 Février 2024
Le GreffierLa Présidente