Atteinte à la vie privée des personnalités : l’évaluation du préjudice moral

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Atteinte à la vie privée des personnalités : l’évaluation du préjudice moral

En présence d’une atteinte à la vie privée d’une personnalité, l’étendue du préjudice moral causé doit être appréciée en considération de :

-l’objet même des atteintes relevées, qui portent sur la naissance d’une relation sentimentale, le lieu de leur rencontre, les circonstances dans lesquelles il se voient ;

-l’ampleur donnée à leur exposition du fait de :

*l’annonce tapageuse de l’article en page de couverture du magazine, avec utilisation d’une police de caractère colorée et de la mention « Photos Exclu », destinées à capter l’attention du public ;

*la surface éditoriale consacrée aux atteintes constatées ;

*l’importance de la diffusion du magazine litigieux (Voici), qui jouit d’une large visibilité et touche un public nombreux, étant précisé à ce titre que si l’allocation de dommages et intérêts ne se mesure pas au chiffre d’affaires réalisé par l’éditeur de l’organe de presse en cause, l’étendue de la divulgation et l’importance du lectorat d’un magazine sont de nature à accroître le préjudice ;

-l’exclusivité de l’information revendiquée par la société éditrice, la divulgation première étant celle qui génère le dommage au sommet de son intensité ;

-la captation de clichés photographiques d’illustration le représentant, en lui-même générateur d’un trouble par l’intrusion qu’il opère dans un moment de vie privée, le caractère public du lieu de fixation ne pouvant être regardé comme propre à annihiler le préjudice en résultant ;

-l’existence de condamnations précédentes prononcées à l’encontre de la société éditrice à raison d’atteintes de même nature.

Toutefois, certains éléments commandent une appréciation plus modérée du préjudice subi, particulièrement :

-l’exposition publique régulière, par l’intéressé lui-même, d’éléments se rapportant à sa vie privée, notamment sur sa vie sentimentale, y compris lors de sa relation avec une membre de la famille princière qui avait alors attiré l’attention des médias, sa vie familiale et sa paternité, sa première expérience sexuelle et qui, s’ils ne sont pas de nature à le priver de la protection inhérente au respect dû à ses droits de la personnalité, ni à légitimer les intrusions constatées, révèlent néanmoins une moindre aptitude de l’intéressé à souffrir des effets d’une telle publicité ;

-l’absence d’élément de preuve, notamment d’attestation, sur la répercussion in concreto de la publication litigieuse.

Résumé de l’affaire :

Contexte de l’affaire

M. [J] [T] a intenté une action en justice contre la société Prisma Média, éditrice du magazine Voici, en raison d’une atteinte à sa vie privée et à son droit à l’image, suite à la publication d’un article dans le numéro 1909 du magazine, daté du 5 au 11 juillet 2024. L’assignation a été faite par acte d’huissier le 23 août 2024 devant le tribunal judiciaire de Nanterre.

Demandes de M. [T]

Lors de l’audience du 3 octobre 2024, M. [T] a formulé plusieurs demandes au juge des référés, incluant des provisions financières pour réparer les atteintes à sa vie privée et à son droit à l’image, ainsi qu’une publication d’un communiqué judiciaire. Il a demandé un total de 11 000 euros en réparation et a sollicité que la société Prisma Média soit condamnée aux dépens.

Réponse de Prisma Média

La société Prisma Média a contesté les demandes de M. [T], demandant son déboutement et n’allouant aucune réparation autre que de principe. Elle a également demandé que M. [T] soit condamné aux dépens.

Atteintes à la vie privée et au droit à l’image

Le tribunal a examiné les atteintes alléguées, notant que l’article en question contenait des informations sur la vie personnelle de M. [T], notamment sa relation amoureuse avec une dénommée [B]. Les photographies publiées, considérées comme volées, ont été jugées attentatoires à sa vie privée et à son droit à l’image, sans justification d’un intérêt public.

Évaluation du préjudice

Le tribunal a évalué le préjudice moral subi par M. [T] en tenant compte de divers facteurs, tels que la nature des atteintes, l’ampleur de la publication, et la notoriété de M. [T]. Bien que le préjudice ait été reconnu, certains éléments ont conduit à une appréciation modérée de celui-ci, notamment l’exposition publique antérieure de M. [T] et l’absence de preuves concrètes de l’impact de la publication sur lui.

Décision du tribunal

Le tribunal a accordé à M. [T] des provisions pour un total de 5 500 euros, réparties entre les atteintes à sa vie privée et à son droit à l’image, tant pour la couverture que pour l’article intérieur. La demande de publication judiciaire a été rejetée, considérant que les provisions octroyées suffisaient à réparer le préjudice.

Dépens et frais

La société Prisma Média a été condamnée aux dépens, avec faculté de recouvrement direct au profit de l’avocat de M. [T]. De plus, elle a été condamnée à verser 2 000 euros à M. [T] au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour couvrir les frais non compris dans les dépens.

Exécution provisoire

La décision a été déclarée exécutoire à titre provisoire, conformément aux dispositions du code de procédure civile.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les atteintes à la vie privée et au droit à l’image reconnues dans ce litige ?

Les atteintes à la vie privée et au droit à l’image de M. [T] sont clairement établies dans le cadre de cette affaire. Selon l’article 9 du Code civil, « Chacun a droit au respect de sa vie privée ».

Cette disposition est renforcée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale.

Dans le cas présent, la publication d’un article dans le magazine Voici, accompagné de photographies de M. [T] dans des moments de sa vie personnelle, constitue une immixtion dans sa vie privée.

Les éléments publiés, tels que la nature de sa relation amoureuse et des détails sur sa vie personnelle, ne relèvent pas d’un débat d’intérêt général, ce qui renforce le caractère attentatoire de la publication.

De plus, l’article 10 de la Convention européenne stipule que la liberté d’expression doit être exercée dans le respect des droits des tiers, ce qui inclut le droit à l’image et à la vie privée.

Ainsi, la combinaison de ces textes législatifs et conventionnels permet de conclure que les atteintes aux droits de M. [T] sont non seulement reconnues, mais également justifiées par les normes en vigueur.

Quelles sont les mesures réparatrices demandées par M. [T] ?

M. [T] a formulé plusieurs demandes de mesures réparatrices à l’encontre de la société Prisma Média.

Tout d’abord, il a demandé des provisions financières pour compenser les atteintes à sa vie privée et à son droit à l’image.

Conformément à l’article 835 du Code de procédure civile, le juge des référés peut accorder une provision lorsque l’obligation n’est pas sérieusement contestable.

M. [T] a ainsi sollicité des sommes de 3 000 euros et 2 000 euros pour la couverture du magazine, ainsi que 6 000 euros et 2 000 euros pour l’article en pages intérieures.

Il a également demandé la publication d’un communiqué judiciaire, assorti d’une astreinte de 5 000 euros par numéro de retard, afin de faire cesser l’atteinte à ses droits.

Enfin, il a requis la condamnation de la société aux dépens, ainsi qu’une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, qui permet de couvrir les frais non compris dans les dépens.

Ces demandes visent à obtenir une réparation adéquate pour le préjudice moral subi en raison des atteintes à sa vie privée et à son image.

Comment le tribunal a-t-il évalué le préjudice subi par M. [T] ?

Le tribunal a évalué le préjudice subi par M. [T] en tenant compte de plusieurs facteurs.

L’article 9 alinéa 2 du Code civil permet au juge de prendre toutes mesures nécessaires pour faire cesser une atteinte à la vie privée, et l’article 835 du Code de procédure civile lui confère le pouvoir d’accorder des provisions.

Dans ce cas, le tribunal a considéré l’objet des atteintes, qui portaient sur la vie sentimentale de M. [T], ainsi que l’ampleur de la publication, notamment la couverture tapageuse du magazine.

Il a également pris en compte la large diffusion du magazine, qui a contribué à accroître le préjudice moral.

Le tribunal a noté que la captation de photographies dans un lieu privé, sans autorisation, constitue une intrusion dans la vie personnelle de M. [T], générant ainsi un trouble.

Cependant, le tribunal a aussi relevé certains éléments atténuants, tels que l’exposition publique régulière de M. [T] à des éléments de sa vie privée, ce qui a conduit à une appréciation plus modérée du préjudice.

Finalement, le tribunal a alloué des provisions spécifiques pour compenser les atteintes à la vie privée et au droit à l’image, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire.

Quelles sont les conséquences de la décision du tribunal sur les dépens et les frais ?

La décision du tribunal a des conséquences claires sur les dépens et les frais engagés par les parties.

Selon l’article 696 du Code de procédure civile, la partie perdante est en principe condamnée aux dépens.

Dans ce cas, la société Prisma Média, ayant succombé dans ses demandes, a été condamnée à payer les dépens, avec faculté de recouvrement direct au profit de l’avocat de M. [T], conformément à l’article 699 du même code.

De plus, l’article 700 du Code de procédure civile stipule que le juge peut condamner la partie perdante à verser une somme à l’autre partie pour couvrir les frais non compris dans les dépens.

Le tribunal a ainsi ordonné à la société Prisma Média de verser à M. [T] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700, tenant compte de l’équité et de la situation économique de la partie condamnée.

Ces décisions visent à garantir que M. [T] soit indemnisé pour les frais engagés dans le cadre de cette procédure, tout en respectant les dispositions légales en matière de dépens et de frais de justice.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

14 novembre 2024
Tribunal judiciaire de Nanterre
RG
24/02297
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE

RÉFÉRÉS

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ RENDUE LE 14 NOVEMBRE 2024

N° RG 24/02297 – N° Portalis DB3R-W-B7I-ZW7P

N° de minute : 24/02041

Monsieur [J] [T]

c/

S.N.C. PRISMA MEDIA

DEMANDEUR

Monsieur [J] [T]
[Adresse 2]
[Localité 3]

représenté par Maître Vincent TOLEDANO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0859

DEFENDERESSE

S.N.C. PRISMA MEDIA
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Olivier D’ANTIN de la SCP S.C.P d’ANTIN – BROSSOLLET – BAILLY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0336

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président : Quentin SIEGRIST, Vice-président, tenant l’audience des référés par délégation du Président du Tribunal,

Greffière : Divine KAYOULOUD ROSE, Greffière,

Statuant publiquement en premier ressort par ordonnance contradictoire mise à disposition au greffe du tribunal, conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

Nous, Président , après avoir entendu les parties présentes ou leurs conseils, à l’audience du 03octobre 2024, avons mis l’affaire en délibéré à ce jour.

EXPOSÉ DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Estimant avoir subi une atteinte au respect dû à sa vie privée et à son droit à l’image causée par un article paru dans le numéro 1909, édition du 5 au 11 juillet 2024, du magazine Voici, M. [J] [T], par acte d’huissier du 23 août 2024, a fait assigner la société Prisma Média, société éditrice dudit magazine, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre.

Dans ses écritures soutenues oralement à l’audience du 3 octobre 2024, M. [T] demande au juge des référés de :

-condamner la société Prisma Média à lui verser, à titre de provision, les sommes de 3 000 euros en réparation de l’atteinte portée à sa vie privée et 2 000 euros en réparation de l’atteinte portée à son droit à l’image, résultant de la couverture du magazine,

-condamner la société Prisma Média à lui verser, à titre de provision, les sommes de 6 000 euros en réparation de l’atteinte portée à sa vie privée et 2 000 euros en réparation de l’atteinte portée à son droit à l’image, résultant de l’article figurant dans le magazine,

-ordonner la publication d’un communiqué judiciaire, sous astreinte provisoire de 5 000 euros par numéro de retard,

-se réserver la liquidation des astreintes,

-condamner la société Prisma Média aux dépens avec faculté de recouvrement direct au profit de Maître Vincent Tolédano conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
-condamner la société Prisma Média à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses écritures soutenues oralement à l’audience du 3 octobre 2024, la société Prisma Média demande au juge des référés de :

-débouter M. [T] de ses demandes,

-n’allouer à M. [T] d’autre réparation que de principe,

-condamner M. [T] aux dépens.

Conformément aux articles 446-1 et 455 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé et des prétentions des parties, il est renvoyé à l’assignation et aux écritures déposées et développées oralement à l’audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I. Sur les atteintes à la vie privée et au droit à l’image

L’article 835 du code de procédure civile dispose :

« Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».

En outre et surtout, les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil garantissent à toute personne, quelles que soient sa notoriété, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, le respect de sa vie privée et de son image, et l’article 10 de ladite convention garantit l’exercice du droit à l’information des organes de presse dans le respect du droit des tiers.

Les droits ainsi énoncés ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre eux et de privilégier, le cas échéant, la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.

Pour procéder à leur mise en balance, il y a lieu, suivant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de la publication ainsi, le cas échéant, que les circonstances de la prise des photographies.

La combinaison de ces deux principes à valeur normative conduit à limiter le droit à l’information du public d’une part, pour les personnes publiques, aux éléments relevant de la vie officielle, et d’autre part, aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général. Ainsi chacun peut s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de sa vie professionnelle ou de ses activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur sa vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.

A. Sur la caractérisation des atteintes

L’article litigieux est annoncé en couverture du numéro 1909 du magazine Voici, sous le titre : « [J] [T] Il a retrouvé l’amour », inscrit en surimpression d’une photographie représentant M. [T] en train de marcher en compagnie d’une femme, et d’un plus petit cliché sur lequel on voit celle-ci embrasser M. [T] sur la joue. Agrémenté de la mention « Photos Exclu », le cliché principal occupe les deux tiers de la page de couverture. Une zone de texte précise : « Fini le célibat et les excès ! Après un gros passage à vide, l’humoriste vit une belle histoire avec une séduisante américaine ».

Occupant les pages intérieures 14 à 17, l’article est titré : « [J] [T] Love in [Localité 7] ». Son chapô précise : « Après une longue période de célibat, l’humoriste a retrouvé l’amour auprès d'[B], une jolie New-Yorkaise. Une histoire inattendue, qui lui fait un bien fou ».

Il relate que M. [T] s’était surtout concentré sur son métier depuis sa rupture avec Mme [G] [F] en 2015 ; que l’amour a frappé à sa porte alors qu’il ne s’y attendait pas ; que « l’heureuse élue s’appelle [B], il est fou d’elle et il a envie de le crier à la terre entière. [J] avait presque oublié cette sensation, si douce, des papillons dans le ventre » ; que les deux se sont retrouvés à l’hôtel [5], mi-juin, pour un week-end romantique ; qu’ils se sont promenés « dans les rues de [Localité 7], main dans la main, s’arrêtant tous les trois pas pour s’embrasser fougueusement comme deux ados… ».

L’article précise des éléments relatifs à la dénommée [B] (enfants, fondatrice d’une société) et ajoute qu’ils se sont rencontrés au Maroc ; que ceux-ci arrivent à se voir malgré leurs déplacements professionnels et qu’ils se retrouvent « dans les palaces, ici ou ailleurs » ; que « M. [T] semble apaisé, lui qui a eu du mal à trouver le juste équilibre dans ses histoires sentimentales (…) à tel point qu’il avait fini par flirter avec l’alcoolisme pour être capable d’assurer ».

L’article se conclut ainsi : « Alors, pour lui, fini les actrices, fini les animatrices… Vive l’évidence, à un moment de la vie où l’on a plus envie de tricher. Et comme le suggère le titre de son nouveau spectacle, depuis qu’il a rencontré [B], [J] [T] n’est plus que jamais devenu « lui-même » ».

Le texte est illustré de cinq photographies sur lesquelles on peut voir M. [T] et la dénommée [B] en train de se promener, lors d’une soirée, dans les rues de [Localité 7]. L’un des clichés est une version élargie de celui figurant en couverture sur lequel on voit la dénommée [B] embrasser M. [T] sur la joue.

Les informations et clichés ainsi diffusés entrent dans le champ de la protection de la vie privée et de l’image instituée par les textes précités.

La société défenderesse ne conteste pas le caractère attentatoire de cette publication aux droits de la personnalité de M. [T]. Les atteintes alléguées doivent dès lors être considérées, en leur principe, comme acquises aux débats, le tribunal relevant de surcroît que la publication de ces informations et images, dont rien n’établit qu’elle aurait été autorisée par la partie demanderesse ou résulterait d’une divulgation antérieure de sa part, ne peut tirer sa justification de la nécessaire information du public sur un fait d’actualité, non plus que d’un quelconque débat d’intérêt général.

Dans ces conditions, l’immixtion opérée par la publication litigieuse dans la vie privée de M. [T] ne saurait être regardée comme légitime.

L’illustration de l’article litigieux par six clichés volés, représentant M. [T] dans un lieu dont le caractère public n’autorisait pas la captation, prolonge cette atteinte tout en violant le droit qu’il a sur son image.

Enfin, destinée à susciter l’achat et visible très au-delà du lectorat habituel, la couverture du magazine peut être le siège d’une atteinte autonome aux droits de la personnalité et forme un ensemble distinct de celui de l’article publié en pages intérieures, peu important que les informations contenues dans celui-ci soient ou non distinctes des révélations livrées par celle-là.

Dès lors, le demandeur peut pleinement former des prétentions distinctes pour la couverture et l’article figurant en pages intérieures, quand bien même cette décomposition, lorsque tant la couverture que l’article traitent des mêmes informations et sont tous les deux attentatoire aux droits invoqués, peut paraître artificielle.

B. Sur le préjudice et les mesures réparatrices

La forme de la réparation est laissée à la libre appréciation du juge qui tient, tant de l’article 835 du code de procédure civile que de l’article 9 alinéa 2 du code civil, le pouvoir de prendre en référé toutes mesures propres à empêcher ou à faire cesser l’atteinte et accorder une provision au titre de ses conséquences dommageables, l’évaluation du préjudice étant appréciée au jour où il statue.

Sur la provision

En application de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le juge des référés peut accorder une provision au créancier dans la mesure du caractère non sérieusement contestable de l’obligation.

La seule constatation de l’atteinte au droit à la vie privée et au droit à l’image par voie de presse ouvre droit à réparation du préjudice inhérent à ces atteintes, étant précisé à ce titre que l’allocation de dommages-intérêts en réparation d’une atteinte au droit à l’image et à la vie privée n’a pas pour objet de sanctionner un comportement ou d’avoir un effet dissuasif mais de réparer le préjudice subi par la victime.

En l’espèce, l’étendue du préjudice moral causé à M. [T] doit être appréciée en considération de :

-l’objet même des atteintes relevées, qui portent sur la naissance d’une relation sentimentale avec une dénommée [B], le lieu de leur rencontre, les circonstances dans lesquelles il se voient et une promenade commune réalisée dans les rues de [Localité 7] ;

-l’ampleur donnée à leur exposition du fait de :

*l’annonce tapageuse de l’article en page de couverture du magazine, avec utilisation d’une police de caractère colorée et de la mention « Photos Exclu », destinées à capter l’attention du public ;

*la surface éditoriale consacrée aux atteintes constatées ;

*l’importance, non contestée, de la diffusion du magazine litigieux, qui jouit d’une large visibilité et touche un public nombreux, étant précisé à ce titre que si l’allocation de dommages et intérêts ne se mesure pas au chiffre d’affaires réalisé par l’éditeur de l’organe de presse en cause, l’étendue de la divulgation et l’importance du lectorat d’un magazine sont de nature à accroître le préjudice ;

-l’exclusivité de l’information revendiquée par la société éditrice, la divulgation première étant celle qui génère le dommage au sommet de son intensité ;

-la captation de clichés photographiques d’illustration le représentant, en lui-même générateur d’un trouble par l’intrusion qu’il opère dans un moment de vie privée, le caractère public du lieu de fixation ne pouvant être regardé comme propre à annihiler le préjudice en résultant ;

-l’existence de condamnations précédentes prononcées à l’encontre de la société éditrice à raison d’atteintes de même nature (cf. pièces n°1 et 4 du demandeur).

Toutefois, certains éléments commandent une appréciation plus modérée du préjudice subi, particulièrement :

-l’exposition publique régulière, par l’intéressé lui-même, d’éléments se rapportant à sa vie privée, démontrés par les nombreuses pièces versées aux débats (pièces n°12 à 20 en défense), notamment sur sa vie sentimentale, y compris lors de sa relation avec une membre de la famille princière de [Localité 6] qui avait alors attiré l’attention des médias, sa vie familiale et sa paternité, sa première expérience sexuelle et qui, s’ils ne sont pas de nature à le priver de la protection inhérente au respect dû à ses droits de la personnalité, ni à légitimer les intrusions constatées, révèlent néanmoins une moindre aptitude de l’intéressé à souffrir des effets d’une telle publicité ;

-l’absence d’élément de preuve, notamment d’attestation, sur la répercussion in concreto sur M. [T] de la publication litigieuse.

Enfin, il ne saurait être déduit par principe du caractère erroné de l’information diffusée, en l’absence de circonstances particulières dont la preuve n’est ici pas rapportée, une aggravation ou une diminution du préjudice ressenti par l’intéressé, étant au demeurant précisé qu’aucune des pièces versées aux débats ne permet de porter une appréciation sur la véracité de ladite information.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il convient d’allouer à M. [T], à titre de provision, les sommes de :

-1 500 euros à valoir sur la réparation du préjudice moral subi à la suite de l’atteinte portée à sa vie privée, et de 1 250 euros à valoir sur la réparation de l’atteinte de son droit à l’image, résultant de la couverture,

-1 500 euros à valoir sur la réparation du préjudice moral subi à la suite de l’atteinte portée à sa vie privée, et de 1 250 euros à valoir sur la réparation de l’atteinte de son droit à l’image, résultant de l’article en pages intérieures,

les obligations de la société défenderesse n’apparaissant pas sérieusement contestables à hauteur de ces montants.

Sur la publication judiciaire sollicitée

Il convient de rappeler que la liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que constituent les réparations civiles que dans les cas où celles-ci, prévues par la loi et poursuivant un but légitime dans une société démocratique, constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et ne portent pas une atteinte disproportionnée à l’exercice de cette liberté.

En l’espèce, M. [T] sollicite en premier lieu deux provisions pécuniaires pour réparer l’atteinte faite à sa vie privée et à son droit à l’image, sur lesquelles il a été statué, de sorte que la mesure sollicitée constitue une réparation complémentaire du préjudice subi.

Dès lors, et sans qu’il y ait lieu de procéder à l’analyse du caractère proportionné d’une telle mesure, il y a lieu de juger en l’espèce que le préjudice non sérieusement contestable est suffisamment réparé par les sommes octroyées à titre de provisions à valoir sur les dommages et intérêts et qu’en conséquent cette demande ne sera pas ordonnée, n’étant pas nécessaire.

II. Sur les dépens

L’article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est en principe condamnée aux dépens. Il y a en conséquence lieu de condamner la société Prisma Média, qui succombe, aux dépens avec faculté de recouvrement direct au profit de Maître Vincent Tolédano conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

III. Sur la somme réclamée au titre de l’article 700 du code de procédure civile

L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il doit à ce titre tenir compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée et peut écarter pour les mêmes considérations cette condamnation. En l’espèce, il convient de condamner la société Prisma Média à verser à M. [T] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

IV. Sur l’exécution provisoire

Il sera rappelé qu’il résulte des articles 514 et 514-1 du code de procédure civile que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire.

PAR CES MOTIFS,

Nous, Quentin Siegrist, juge des référés, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire et en premier ressort, prononcée par mise à disposition au greffe,

Condamnons la société Prisma Média à payer à M. [J] [T] une indemnité provisionnelle de 1 500 euros à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant des atteintes portées à sa vie privée par la couverture du numéro 1909 du magazine Voici,

Condamnons la société Prisma Média à payer à M. [J] [T] une indemnité provisionnelle de 1 250 euros à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant des atteintes portées à son droit à l’image par la couverture du numéro 1909 du magazine Voici,

Condamnons la société Prisma Média à payer à M. [J] [T] une indemnité provisionnelle de 1 500 euros à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant des atteintes portées à sa vie privée dans le numéro 1909 du magazine Voici (article en pages 14 à 17),

Condamnons la société Prisma Média à payer à M. [J] [T] une indemnité provisionnelle de 1 250 euros à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant des atteintes portées à son droit à l’image dans le numéro 1909 du magazine Voici (article en pages 14 à 17),

Rejetons la demande de publication judiciaire formée par M. [J] [T],

Condamnons la société Prisma Média aux dépens avec faculté de recouvrement direct au profit de Maître Vincent Tolédano conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Condamnons la société Prisma Média à verser à M. [J] [T] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboutons les parties du surplus de leurs demandes,

Rappelons que la présente décision est exécutoire par provision.

FAIT À NANTERRE, le 14 novembre 2024.

LA GREFFIÈRE

Divine KAYOULOUD ROSE, Greffière

LE PRÉSIDENT

Quentin SIEGRIST, Vice-président


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