Your cart is currently empty!
En application de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le juge des référés ne peut accorder une provision au créancier que dans les cas où l’obligation n’est pas sérieusement contestable.
Si la seule constatation de l’atteinte au respect à la vie privée et au droit à l’image par voie de presse ouvre droit à réparation, le préjudice étant inhérent à ces atteintes, il appartient toutefois au demandeur de justifier de l’étendue du dommage allégué ; l’évaluation du préjudice est appréciée de manière concrète, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes, ainsi que des éléments invoqués et établis.
L’allocation de dommages et intérêts ne se mesure pas à la gravité de la faute commise, ni au chiffre d’affaires réalisé par l’éditeur de l’organe de presse en cause. Cependant, l’étendue de la divulgation et l’importance du lectorat de ce magazine à fort tirage, sont de nature à influer sur l’ampleur du préjudice.
Au soutien de leur demande indemnitaire, les requérants exposent que l’article s’attache à exposer les détails supposés d’évènements fondamentalement privés qu’ils étaient en droit de vivre en toute confidentialité. Ils soutiennent qu’un tel étalage a un effet extrêmement négatif sur leur psychologie et leur vie maritale, comme en témoigne l’attestation de leur thérapeute. Ils estiment que le préjudice doit s’évaluer au regard de la très large diffusion du magazine et doit prendre en considération le fait qu’il est annoncé en page de couverture, ce qui est de nature à attirer l’attention d’un public plus large. Par ailleurs, ils indiquent souffrir du fait que leurs deux jeunes enfants puissent être pris à partis dans le milieu scolaire afin de répondre à ces fausses révélations.
[V] [S] indique qu’il est discret sur sa vie privée et ne fait preuve d’aucune complaisance. Il fait valoir que cette publication vient considérablement accroitre sa détresse psychologique dans laquelle il est plongé depuis l’accusation de viol dont il fait l’objet.
[U] [Y] soutient qu’elle se tient à l’écart de la vie publique et que son mariage avec [V] [S] ne doit en aucun cas la priver de la possibilité de vivre une vie de couple
à l’abri des regards. Cette publication, lui attribuant des souffrances et humiliations totalement imaginaires, fait une incursion particulièrement violente dans sa vie privée.
La société défenderesse fait valoir que la publication est rédigée de manière prudente, sans aucun détail intime et qu’aucune photographie intrusive n’accompagne l’article. Elle note que la publication ne fait l’objet que d’une petite accroche sur la page de couverture et n’occupe qu’une page intérieure, réduisant sa visibilité. Elle souligne le comportement complaisant de [V] [S] sur tous les aspects les plus intimes de sa vie privée tant dans ses livres qu’au travers de déclarations à la presse. S’agissant de [U] [Y], la société défenderesse soutient que cette dernière accepte que son mari parle autant d’elle et de leur vie privée dans les médias et qu’elle s’expose régulièrement auprès de lui. Enfin, elle fait valoir que les demandeurs ne justifient pas de l’étendue de leur préjudice moral, l’attestation de la thérapeute du couple et la prescription d’un anxiolytique étant sans lien avec la publication litigieuse.
S’agissant du préjudice subi par [V] [S] :
En l’espèce, pour évaluer l’étendue du préjudice moral de [V] [S] consécutif à la publication litigieuse, il convient de prendre en considération le fait que celui-ci subit l’exposition au public d’éléments de son intimité familiale et affective, dans un article annoncé en page de couverture, accentué par la mention « NOS INFOS », attirant de fait l’attention d’un public plus large que celui de ses seuls acheteurs. Il sera également relevé que l’article se rapporte à un sujet douloureux et que certains propos de l’article sont démentis par [V] [S].
Certains éléments commandent toutefois une appréciation plus modérée du préjudice subi.
Il y a lieu de prendre en considération, comme le relève la société défenderesse, que [V] [S] a l’habitude de s’exprimer largement sur sa vie privée, notamment s’agissant de sa vie affective. PUBLIC PUBLISHING produit à cet égard des interviews du demandeur, dans lesquelles il évoque sa vie amoureuse (pièces 4, 5, 9, 13 en défense). Encore récemment, au cours de l’année 2023, [V] [S] a publié un livre autobiographique intitulé “Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé” (pièce 15 en défense) dans lequel il livre des détails intimes sur son rapport aux femmes.
Le souci de discrétion que [V] [S] revendique doit ainsi être relativisé, puisqu’il consent à évoquer dans les médias des éléments de sa vie amoureuse, cette complaisance étant de nature à attiser la curiosité du public et à nuancer la sensibilité de [V] [S] à l’évocation d’éléments relevant de sa vie privée.
Il convient également de relativiser le lien qu’établissent les éléments apportés par le demandeur entre son préjudice et l’article querellé. En effet, l’ordonnance d’anxiolytiques (pièce n°7), étant antérieur à l’article, celui-ci ne peut en conséquence avoir été à l’origine de cette prescription. Par ailleurs, si l’attestation de [R] [X], conseillère conjugale et familiale, produite aux débats (pièce 3 en demande) indique que“la publication d’articles spéculant sur leur vie conjugale et la désinformation publique exposant leur intimité menace leur union et le travail de reconstruction engagé.” et que,“les mensonges colportés par la presse “people” sont de nature à augmenter leur stress.”, elle ne cite aucun article en particulier, ne permettant pas de distinguer l’effet propre de l’article ici en cause.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu d’allouer à [V] [S], à titre de réparation de son préjudice, la somme de 3 000 € pour les atteintes portées à sa vie privée.
S’agissant du préjudice subi par [U] [Y] :
En l’espèce, pour évaluer l’étendue du préjudice moral de [U] [Y] consécutif à la
publication litigieuse, il convient de prendre en considération le fait que celle-ci subit l’exposition au public d’un épisode pénible de sa vie privée s’agissant de difficultés conjugales rencontrées suite à l’ouverture d’une enquête judiciaire à l’encontre de son époux [V] [S], dans un article annoncé en page de couverture, accentué par la mention « NOS INFOS », attirant de fait l’attention d’un public plus large que celui de ses seuls acheteurs.
Par ailleurs, [U] [Y], qui n’est pas connue du grand public, est mariée avec un célèbre écrivain qui fait régulièrement mention de sa vie privée, et singulièrement de sa relation avec sa compagne, dans la presse (pièces 4, 5, 9, 13 en défense) et dans son dernier livre (pièce 15 en défense). Pour autant, il ne saurait être déduit de ces éléments et du rare concours qu’elle apporte à sa médiatisation (pièce 23 en défense), qu’elle ne souhaite pas, pour elle-même, une plus grande discrétion, les choix de communication de son époux ne lui étant pas imputables.
Pour autant, il convient de relativiser l’apport des pièces fournies pour étayer le préjudice subi par la demanderesse. En effet, si l’attestation de [R] [X], conseillère conjugale et familiale, produite aux débats (pièce 3 en demande) indique que“la publication d’articles spéculant sur leur vie conjugale et la désinformation publique exposant leur intimité menace leur union et le travail de reconstruction engagé.” et que,“les mensonges colportés par la presse “people” sont de nature à augmenter leur stress.”, elle ne cite aucun article en particulier, ne permettant pas de distinguer l’effet propre de l’article ici en cause.
Dans cette affaire, l’écrivain [V] [S] et sa femme [U] [Y] ont assigné en justice l’hebdomadaire Public pour atteinte à leur vie privée. L’article critiqué exposait des détails intimes de leur vie conjugale, en lien avec une enquête pour viol visant [V] [S]. Les demandeurs ont soutenu que ces informations n’étaient pas d’intérêt public et portaient atteinte à leur vie privée.
Les demandeurs ont invoqué le respect de leur vie privée, protégé par la loi, et ont souligné que l’article litigieux dépassait les limites de l’information légitime. La société défenderesse a argué que l’article s’inscrivait dans un contexte d’actualité entourant l’écrivain, mais le tribunal a jugé que les détails sur la vie privée des demandeurs n’étaient pas justifiés par un intérêt public.
Les demandeurs ont demandé une indemnité provisionnelle pour le préjudice subi. Le tribunal a accordé des dommages et intérêts à [V] [S] et [U] [Y] pour l’atteinte à leur vie privée, en tenant compte de leur exposition médiatique antérieure. [V] [S] a reçu 3 000 € et [U] [Y] a reçu 6 000 €. La société défenderesse a été condamnée aux dépens et à verser 2 000 € au titre des frais irrépétibles.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
N° RG 24/50658 – N° Portalis 352J-W-B7I-C33XA
N° : 1/MM
Assignation du :
25 Janvier 2024
[1]
[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 15 mars 2024
par Delphine CHAUFFAUT, Juge au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDEURS
Monsieur [V] [S]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Maître Romain FOURNIER de la SELAS BLEU SAMOURAI, avocats au barreau de PARIS – #C1125
Madame [U] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Romain FOURNIER de la SELAS BLEU SAMOURAI, avocats au barreau de PARIS – #C1125
DEFENDERESSE
S.A.S. PUBLIC PUBLISHING
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Patrick SERGEANT, avocat au barreau de PARIS – #B1178
DÉBATS
A l’audience du 09 Février 2024, tenue publiquement, présidée par Delphine CHAUFFAUT, Juge, assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties,
Vu l’assignation délivrée par acte d’huissier le 25 janvier 2024 à la société PUBLIC PUBLISHING, éditrice du magazine Public, à la requête de [V] [S] et [U] [Y], lesquels, estimant qu’il avait été porté atteinte au respect dû à leur vie privée dans le numéro 1069 du magazine en date du 5 janvier 2024 nous demandent, au visa des articles 9 du code civil, 834 et 835 du code de procédure civile de :
• Condamner la société PUBLIC PUBLISHING à payer à [V] [S] la somme de 15 000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts qui lui sont dus en réparation du préjudice que lui a causé la publication de l’article portant atteinte à sa vie privée ;
• Condamner la société PUBLIC PUBLISHING à payer à [U] [Y] la somme de 30 000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts qui lui sont dus en réparation du
préjudice que lui a causé la publication de l’article portant atteinte à sa vie privée ;
• Condamner la société PUBLIC PUBLISHING à verser aux requérants la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles par application de l’article 700 du code de procédure civile ;
• Condamner la société PUBLIC PUBLISHING aux dépens.
À l’audience du 9 février 2024, le conseil de [V] [S] et [U] [Y] reprenait oralement les demandes formulées dans l’assignation.
Vu les conclusions en défense de la société PUBLIC PUBLISHING, déposées et soutenues à l’audience, qui nous demande, au visa des articles 9 du code civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, de :
• Débouter [V] [S] et [U] [Y] de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
• Subsidiairement, n’allouer à [V] [S] et [U] [Y] d’autre réparation que de principe, évaluée à la somme d’un euro ;
• Condamner [V] [S] et [U] [Y] à verser à la société PUBLIC
PUBLISHING la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’en tous frais et dépens.
À l’issue de l’audience, au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus en leurs observations, il leur a été indiqué que la présente décision serait rendue le 15 mars 2024, par mise à disposition au greffe.
MOTIFS
Sur la publication litigieuse
[V] [S] est un écrivain, critique littéraire et scénariste français. Il est l’époux de [U] [Y], photographe franco-suisse.
Dans son numéro 1069 paru le 5 janvier 2024, l’hebdomadaire Public leur consacre un article d’une page intitulé « [V] [S] / Prêt à tout pour récupérer sa femme », illustré d’une photographie les représentant posant côte à côte lors d’un évènement.
L’article est annoncé en page de couverture dans un encadré en bas à droite de la page sous le titre « [V] [S] / Prêt à tout pour récupérer [U] », accompagné de la même photographie reproduite au sein de l’article. L’annonce est assortie de la mention « NOS
INFOS ».
L’article, développé en page 10 du magazine, porte en exergue la mention suivante « [U] [Y] a accepté que l’écrivain, accusé de viol sur mineure, passe les fêtes en famille. Et ce dernier ferait son maximum pour rester » ainsi que, dans le corps de l’article, « Les fêtes en famille, et après ? ». Au-dessus du titre, est placée la mention « NOS INFOS ».
L’article litigieux débute en affirmant que « Le 12 décembre dernier » [U] [Y] apprenait la garde à vue de [V] [S] « à la suite d’une plainte déposée pour viol », et la liaison de ce dernier qui aurait duré « plusieurs mois » avec la plaignante « mineure au moment des faits relatés ». Ayant subi « un coup de poignard », l’article précise que [U] [Y] « aurait demandé à son époux de quitter le domicile conjugal ».
L’article explique qu’alors que [V] [S] « trainait sa peine dans les rues de la capitale », [U] [Y] « a finalement accepté qu’il revienne passer les fêtes à [Localité 4] pour le bien de leurs enfants ». Il indique que le requérant « aurait même tout fait pour rester une fois le sapin défait ».
L’article relate les propos d’un « proche » du couple. Selon cette « source », [U] [Y] « était persuadée » que [V] [S] était « fidèle depuis qu’ils s’étaient mariés » et que désormais elle réfléchissait « à la suite de leur couple ». Elle indique que [U] [Y] « ne pense qu’à ses enfants » et « n’est pas forcément prête à faire tout exploser pour une liaison ». Toujours citant une source, l’article disgresse en indiquant que [U] [Y] pourrait « pardonner celui qui fait battre son cœur […] contre la promesse qu’il n’y aura plus d’autres tromperies ». Suivant la source, [U] [Y] « demeure très choquée : elle aurait été sans doute moins heurtée s’il l’avait trompée avec une trentenaire. Le fait que ce soit avec une personne si jeune l’a vraiment fait vaciller ».
L’article conclut en indiquant que « suspendu aux décisions de justice », [V] [S]
« va devoir ramer pour montrer à [U] qu’il ne se contente pas de beaux mots ».
C’est dans ces conditions qu’a été délivrée la présente assignation.
Sur les atteintes à la vie privée
Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse. De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.
Ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la même convention. Ils peuvent céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression, ladite publication étant appréciée dans son ensemble et au regard du contexte dans lequel elle s’inscrit.
Le droit à l’information du public s’agissant des personnes publiques, s’étend ainsi d’une part aux éléments relevant de la vie officielle, d’autre part aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général. A l’inverse, les personnes peuvent s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de leur vie professionnelle ou de leurs activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur leur vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.
Au soutien de leur action, [V] [S] et [U] [Y] font valoir que la société PUBLIC PUBLISHING a publié, sans leur autorisation, un article qui s’étend sur leurs difficultés conjugales.
[V] [S] soutient que la révélation de son lieu de résidence lors des fêtes de Noël et les spéculations sur l’état de son mariage et ses émotions appartiennent incontestablement à la sphère exclusive de sa vie familiale et amoureuse et n’ont aucun rapport avec un éventuel sujet d’actualité ou d’intérêt général relatif à son placement en garde à vue.
[U] [Y] fait valoir que l’article lui attribue des réflexions sur l’infidélité de son époux, l’avenir de son couple, l’âge de l’amante de son mari, et que ces éléments, relevant de sa vie maritale, amoureuse et familiale et n’ayant aucun lien avec le sujet d’actualité que pourrait constituer la mesure dont [V] [S] fait l’objet, portent atteinte au respect dû à sa vie privée.
Soulignant à titre liminaire la complaisance de [V] [S] à propos de sa vie privée, la société PUBLIC PUBLISHING soutient que l’article litigieux s’inscrit dans un contexte d’actualité entourant l’écrivain et s’intéresse aux répercussions de la procédure et des révélations sur le couple formé par ce dernier avec [U] [Y]. Elle fait valoir que les éléments reprochés ne sont pas de nature à porter une atteinte grave à la vie privée des demandeurs en ce qu’ils semblent convenus et attendus dans le contexte d’actualité.
Il convient de rappeler que le comportement d’un demandeur, fut-il complaisant à l’égard de la presse sur sa propre vie privée, ne le déchoit pas de son droit de voir constater ces atteintes sauf à ce qu’il ait fait entrer dans le champ médiatique l’information dont il entend précisément demander réparation.
En l’espèce, l’article, se fondant sur la « plainte déposée pour viol » à l’encontre de [V] [S] en décembre 2023, évoque l’état des relations conjugales entre ce dernier et son épouse [U] [Y].
Les parties conviennent en l’espèce que les informations publiées au sein de l’article critiqué ont trait à la vie privée de [V] [S] et [U] [Y]. Ce fait est effectivement établi dès lors que les détails donnés sur leurs états d’esprit et les sentiments qui leur sont prêtés (« Prêt à tout pour récupérer sa femme », « Elle était persuadée qu’il était fidèle », « [U] a confié à ses amis réfléchir à la suite de leur couple », « elle n’est pas forcément prête à faire tout exploser pour une liaison », « elle demeure très choquée », « Le fait que ce soit avec une personne si jeune l’a vraiment fait vaciller »), comme l’état de leurs relations et le lieu de résidence de chacun (« demandé à son époux de quitter le domicile conjugal », « il trainait sa peine dans les rues de la capitale », « [U] [Y] a finalement accepté qu’il revienne passer les fêtes à [Localité 4] pour le bien de leurs enfants », « il s’est empressé de rejoindre le Sud-Ouest », « ce dernier ferait son maximum pour rester »), sont autant d’éléments qui relèvent avec évidence de l’intimité de leur vie privée.
Il n’est pas davantage contestable que cet article intervient dans un contexte d’actualité, lié au placement en garde à vue de [V] [S] suite à l’ouverture à son encontre d’une enquête préliminaire pour viol sur mineur.
Néanmoins, si la mesure de garde à vue et l’enquête concernant [V] [S] sont notoires à raison d’une déclaration du Procureur de la République (pièce 20 en défense) et d’un communiqué de presse de l’intéressé (pièce 21 en défense), tel n’est pas le cas des sentiments du couple sur lesquels l’article disgresse.
En effet, s’il est exact que [V] [S] a pu par le passé, dans un livre intitulé “Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé” paru en avril 2023 (pièce 15 en défense) ainsi que dans plusieurs interviews (pièces 9 et 13 en défense), évoquer ses sentiments vis-à-vis de sa compagne, il convient de relever que ces évocations n’ont pas pour effet de rendre notoires les sentiments éprouvés par les demandeurs au jour de la publication de l’article.
La société défenderesse n’établit pas en quoi les propos de l’article sont de nature à apporter un élément d’information d’intérêt général qui justifierait que le droit à l’intimité de la vie privée de [V] [S] et [U] [Y] s’éclipse. La révélation du lieu de résidence des demandeurs et les disgressions sur les sentiments du couple suite aux mesures judiciaires que connait [V] [S] ne peuvent être considérées comme présentant un sujet d’intérêt légitime pour le public.
Il ressort clairement du titre de l’article que l’angle choisi par la publication litigieuse n’est pas celui d’une information sur l’enquête visant [V] [S] mais le récit des difficultés conjugales des demandeurs, dont les détails livrés au public ne constituent pas un sujet d’actualité.
Ainsi, en révélant des détails sur leur vie conjugale et leur lieu de résidence, et en procédant à des disgressions sur leurs sentiments, sans l’autorisation de [V] [S] et [U] [Y], alors que cela n’était pas justifié par un sujet d’actualité ni un débat d’intérêt général, l’atteinte à la vie privée des demandeurs se trouve caractérisée, avec l’évidence requise en référé.
Sur les mesures sollicitées
Sur la demande d’indemnité provisionnelle
En application de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le juge des référés ne peut accorder une provision au créancier que dans les cas où l’obligation n’est pas sérieusement contestable.
Si la seule constatation de l’atteinte au respect à la vie privée et au droit à l’image par voie de presse ouvre droit à réparation, le préjudice étant inhérent à ces atteintes, il appartient toutefois au demandeur de justifier de l’étendue du dommage allégué ; l’évaluation du préjudice est appréciée de manière concrète, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes, ainsi que des éléments invoqués et établis.
L’allocation de dommages et intérêts ne se mesure pas à la gravité de la faute commise, ni au chiffre d’affaires réalisé par l’éditeur de l’organe de presse en cause. Cependant, l’étendue de la divulgation et l’importance du lectorat de ce magazine à fort tirage, sont de nature à influer sur l’ampleur du préjudice.
Au soutien de leur demande indemnitaire, les requérants exposent que l’article s’attache à exposer les détails supposés d’évènements fondamentalement privés qu’ils étaient en droit de vivre en toute confidentialité. Ils soutiennent qu’un tel étalage a un effet extrêmement négatif sur leur psychologie et leur vie maritale, comme en témoigne l’attestation de leur thérapeute. Ils estiment que le préjudice doit s’évaluer au regard de la très large diffusion du magazine et doit prendre en considération le fait qu’il est annoncé en page de couverture, ce qui est de nature à attirer l’attention d’un public plus large. Par ailleurs, ils indiquent souffrir du fait que leurs deux jeunes enfants puissent être pris à partis dans le milieu scolaire afin de répondre à ces fausses révélations.
[V] [S] indique qu’il est discret sur sa vie privée et ne fait preuve d’aucune complaisance. Il fait valoir que cette publication vient considérablement accroitre sa détresse psychologique dans laquelle il est plongé depuis l’accusation de viol dont il fait l’objet.
[U] [Y] soutient qu’elle se tient à l’écart de la vie publique et que son mariage avec [V] [S] ne doit en aucun cas la priver de la possibilité de vivre une vie de couple
à l’abri des regards. Cette publication, lui attribuant des souffrances et humiliations totalement imaginaires, fait une incursion particulièrement violente dans sa vie privée.
La société défenderesse fait valoir que la publication est rédigée de manière prudente, sans aucun détail intime et qu’aucune photographie intrusive n’accompagne l’article. Elle note que la publication ne fait l’objet que d’une petite accroche sur la page de couverture et n’occupe qu’une page intérieure, réduisant sa visibilité. Elle souligne le comportement complaisant de [V] [S] sur tous les aspects les plus intimes de sa vie privée tant dans ses livres qu’au travers de déclarations à la presse. S’agissant de [U] [Y], la société défenderesse soutient que cette dernière accepte que son mari parle autant d’elle et de leur vie privée dans les médias et qu’elle s’expose régulièrement auprès de lui. Enfin, elle fait valoir que les demandeurs ne justifient pas de l’étendue de leur préjudice moral, l’attestation de la thérapeute du couple et la prescription d’un anxiolytique étant sans lien avec la publication litigieuse.
S’agissant du préjudice subi par [V] [S] :
En l’espèce, pour évaluer l’étendue du préjudice moral de [V] [S] consécutif à la publication litigieuse, il convient de prendre en considération le fait que celui-ci subit l’exposition au public d’éléments de son intimité familiale et affective, dans un article annoncé en page de couverture, accentué par la mention « NOS INFOS », attirant de fait l’attention d’un public plus large que celui de ses seuls acheteurs. Il sera également relevé que l’article se rapporte à un sujet douloureux et que certains propos de l’article sont démentis par [V] [S].
Certains éléments commandent toutefois une appréciation plus modérée du préjudice subi.
Il y a lieu de prendre en considération, comme le relève la société défenderesse, que [V] [S] a l’habitude de s’exprimer largement sur sa vie privée, notamment s’agissant de sa vie affective. PUBLIC PUBLISHING produit à cet égard des interviews du demandeur, dans lesquelles il évoque sa vie amoureuse (pièces 4, 5, 9, 13 en défense). Encore récemment, au cours de l’année 2023, [V] [S] a publié un livre autobiographique intitulé “Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé” (pièce 15 en défense) dans lequel il livre des détails intimes sur son rapport aux femmes.
Le souci de discrétion que [V] [S] revendique doit ainsi être relativisé, puisqu’il consent à évoquer dans les médias des éléments de sa vie amoureuse, cette complaisance étant de nature à attiser la curiosité du public et à nuancer la sensibilité de [V] [S] à l’évocation d’éléments relevant de sa vie privée.
Il convient également de relativiser le lien qu’établissent les éléments apportés par le demandeur entre son préjudice et l’article querellé. En effet, l’ordonnance d’anxiolytiques (pièce n°7), étant antérieur à l’article, celui-ci ne peut en conséquence avoir été à l’origine de cette prescription. Par ailleurs, si l’attestation de [R] [X], conseillère conjugale et familiale, produite aux débats (pièce 3 en demande) indique que“la publication d’articles spéculant sur leur vie conjugale et la désinformation publique exposant leur intimité menace leur union et le travail de reconstruction engagé.” et que,“les mensonges colportés par la presse “people” sont de nature à augmenter leur stress.”, elle ne cite aucun article en particulier, ne permettant pas de distinguer l’effet propre de l’article ici en cause.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu d’allouer à [V] [S], à titre de réparation de son préjudice, la somme de 3 000 € pour les atteintes portées à sa vie privée.
S’agissant du préjudice subi par [U] [Y] :
En l’espèce, pour évaluer l’étendue du préjudice moral de [U] [Y] consécutif à la
publication litigieuse, il convient de prendre en considération le fait que celle-ci subit l’exposition au public d’un épisode pénible de sa vie privée s’agissant de difficultés conjugales rencontrées suite à l’ouverture d’une enquête judiciaire à l’encontre de son époux [V] [S], dans un article annoncé en page de couverture, accentué par la mention « NOS INFOS », attirant de fait l’attention d’un public plus large que celui de ses seuls acheteurs.
Par ailleurs, [U] [Y], qui n’est pas connue du grand public, est mariée avec un célèbre écrivain qui fait régulièrement mention de sa vie privée, et singulièrement de sa relation avec sa compagne, dans la presse (pièces 4, 5, 9, 13 en défense) et dans son dernier livre (pièce 15 en défense). Pour autant, il ne saurait être déduit de ces éléments et du rare concours qu’elle apporte à sa médiatisation (pièce 23 en défense), qu’elle ne souhaite pas, pour elle-même, une plus grande discrétion, les choix de communication de son époux ne lui étant pas imputables.
Pour autant, il convient de relativiser l’apport des pièces fournies pour étayer le préjudice subi par la demanderesse. En effet, si l’attestation de [R] [X], conseillère conjugale et familiale, produite aux débats (pièce 3 en demande) indique que“la publication d’articles spéculant sur leur vie conjugale et la désinformation publique exposant leur intimité menace leur union et le travail de reconstruction engagé.” et que,“les mensonges colportés par la presse “people” sont de nature à augmenter leur stress.”, elle ne cite aucun article en particulier, ne permettant pas de distinguer l’effet propre de l’article ici en cause.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu d’allouer à [U] [Y], à titre de réparation de son préjudice, la somme de 6 000 € pour les atteintes portées à sa vie privée.
Sur les autres demandes
L’article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est en principe condamnée aux dépens. Il y a en conséquence lieu de condamner la société défenderesse, qui succombe, aux dépens.
L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il doit à ce titre tenir compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée et peut écarter pour les mêmes considérations cette condamnation.
Il serait inéquitable de laisser aux demandeurs la charge des frais irrépétibles qu’ils ont dû exposer pour la défense de leurs intérêts et il y aura lieu en conséquence de condamner la société défenderesse à leur payer la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,
Condamnons la société PUBLIC PUBLISHING à payer à [V] [S] la somme provisionnelle de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant des atteintes portées au respect dû à sa vie privée dans le numéro 1069 du magazine Public publié le 5 janvier 2024 ;
Condamnons la société PUBLIC PUBLISHING à payer à [U] [Y] la somme provisionnelle de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant des atteintes portées au respect dû à sa vie privée dans le numéro 1069 du magazine Public publié le 5 janvier 2024 ;
Condamnons la société PUBLIC PUBLISHING aux dépens ;
Condamnons la société PUBLIC PUBLISHING à payer à [V] [S] et [U] [Y] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboutons les parties du surplus de leurs demandes,
Rappelons que le présent jugement est exécutoire de plein droit nonobstant appel.
Fait à Paris le 15 mars 2024
Le Greffier,Le Président,
Minas MAKRISDelphine CHAUFFAUT