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Un salarié assistant-réalisateur qui n’a collaboré à la réalisation que d’une seule émission, «’Les Guignols de l’Info’», diffusée 5 jours sur 7, 10 mois sur 12, durant près de 30 ans est en droit d’obtenir la requalification de sa collaboration en CDI.
L’employeur (SNC NPA Prod) ne justifiait d’aucune circonstance particulière ayant généré un besoin spécifique et temporaire expliquant le recours aux services de l’assistant-réalisateur dans le cadre des contrats à durée déterminée d’usage conclus entre les parties.
Enfin, l’employeur ne communiquait pas plus d’éléments probants démontrant l’existence, sur les 10 premières années de la période d’emploi du salarié, d’incertitudes quant à la pérennité de cette émission au succès et à la longévité exceptionnelle.
Pour rappel, selon l’article L.1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ;
L’article L.1242-2 du même code dispose que, sous réserve des contrats spéciaux prévus à l’article L.1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les cinq cas qu’il énumère, parmi lesquels figurent le remplacement d’un salarié (1°), l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise (2°) et les emplois saisonniers ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif étendu, il est d’usage de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois (3°) ;
Il est acquis que l’article D. 1242-1 vise l’audiovisuel parmi les secteurs d’activité dans lesquels, en application du 3° de l’article L.1242-2, des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.
Par ailleurs, il est constant que la convention collective de la production audiovisuelle du 13 juin 2006 étendue le 24 juillet 2007 notamment, a fixé le principe du recours au contrat à durée déterminée d’usage pour certains emplois dont ceux de second et de premier assistant réalisateur occupé par le salarié.
Cependant, si cette condition d’usage constant est nécessaire, elle n’est toutefois pas suffisante et il y a lieu de vérifier si l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs était justifiée par l’existence d’éléments concrets et précis établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi occupé par le salarié en tenant compte des fonctions effectivement exercées dans l’entreprise.
L’avenant de branche n°6 du 1er juillet 2016 prévoit que « dès lors qu’un salarié employé en CDD d’usage, a réalisé au titre d’une même fonction plus de 180 jours de travail, d’au moins 7 heures, par année, et constaté sur trois années civiles consécutives auprès d’une même entreprise, cette dernière devra proposer une offre d’emploi en contrat à durée indéterminée sur les mêmes fonctions ».
Ces stipulations ne font pas obstacle à la requalification de contrat à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée lorsque la collaboration n’a pas atteint le niveau d’intensité visé par le texte. En effet, l’ampleur du recours aux services du salarié n’est qu’un des éléments objectifs permettant d’apprécier le caractère par nature temporaire de l’emploi occupé par le salarié.
En l’espèce, les emplois de second et de premier assistant réalisateur occupés par le salarié étaient inhérents à l’activité normale et pérenne de la SAS NPA Prod de conception, réalisation et production de programmes audiovisuels et l’employeur ne justifiait pas de compétences techniques ou artistiques spécifiques excédant les compétences habituelles d’un assistant réalisateur, ayant justifié le recours aux services du salarié.
________________________________________________________
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE VERSAILLES
11e chambre
ARRET DU 21 OCTOBRE 2021
N° RG 20/00212 – N° Portalis DBV3-V-B7E-TWRT
AFFAIRE :
Y X
C/
SNC NULLE PART AILLEURS PRODUCTION
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Novembre 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT
N° Section : E
N° RG : 18/01331
LE VINGT ET UN OCTOBRE DEUX MILLE VINGT ET UN,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur Y X
né le […] à […]
de nationalité Française
[…]
92600 ASNIERES-SUR-SEINE
Représentant : Me Jérémie ASSOUS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0021
APPELANT
****************
SNC NULLE PART AILLEURS PRODUCTION
N° SIRET : 402 950 943
[…]
[…]
Représentant : Me Eric MANCA de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0438 – Représentant : Me Sophie CORMARY de la SCP HADENGUE et Associés, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 10 Septembre 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Bérangère MEURANT, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Hélène PRUDHOMME, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,
Entre le 28 février 2005 et le 21 décembre 2017, M. Y X était engagé par la SNC Nulle Part Ailleurs Production, ci-après dénommée la SNC NPA Prod, sous la forme de contrats à durée déterminée d’usage en qualité de 2nd puis 1er assistant réalisateur à compter du 2 mai 2011.
Les contrats de travail étaient régis par la convention collective nationale de la production audiovisuelle et par l’accord Canal + relatif aux intermittents.
Le 29 octobre 2018, M. Y X saisissait le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt. Il demandait notamment la requalification de ses contrats à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée.
Vu le jugement du 28 novembre 2019 rendu en formation paritaire par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt qui a’:
— Débouté M. Y X de l’intégralité de ses demandes,
— Débouté la SNC Nulle part ailleurs production de sa demande relative à l’article 700 du code de procédure civile,
— Condamné M. Y X aux entiers dépens.
Vu la notification de ce jugement le 7 janvier 2020.
Vu l’appel régulièrement interjeté par M. Y X le 21 janvier 2020.
Vu les conclusions de l’appelant, M. Y X, notifiées le 26 mai 2021 et soutenues à l’audience par son avocat auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, et par lesquelles il est demandé à la cour d’appel de :
— Déclarer M. Y X recevable et bien fondé en ses demandes
— Infirmer le jugement rendu par le conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt
— Requalifier les contrats de travail conclus entre M. Y X et la société NPA Production en contrat à durée indéterminée
— Fixer le salaire de référence du salarié à la somme de 1 049 euros bruts
En conséquence,
— Dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse
— Condamner la société NPA Production à verser au salarié les sommes suivantes, avec intérêt au taux légal et anatocisme :
— 5 245 euros au titre de l’indemnité de requalification, correspondant à 5 mois de salaire ;
— 1 049 euros au titre du non-respect de la procédure de licenciement ;
— 12 588 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, correspondant à 12 mois de salaire ;
— 4 021,10 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
— 2 098 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 209,80 euros de congés payés y afférents ;
— 5 000 euros au titre de l’indemnité pour irrespect des mentions impératives imposées lors de la conclusion de tout contrat à durée déterminée d’usage ;
— 2 611,23 euros à titre de rappel de prime de 13e mois, outre la somme de 261.12 euros au titre des congés payés afférant
— 30 000 euros à titre de la perte de chance de bénéficier du Plan de Sauvegarde de l’Emploi.
— 5 245 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral.
— Prononcer l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;
— Condamner la société NPA Production au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
— Condamner la société aux entiers dépens de l’instance.
Vu les écritures de l’intimée, la SNC NPA Prod, notifiées le 28 mai 2021 et développées à l’audience par son avocat auxquelles il est aussi renvoyé pour plus ample exposé, et par lesquelles il est demandé à la cour d’appel de’:
— Confirmer purement et simplement le jugement injustement critiqué rendu le 28 novembre 2019 par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, en ce qu’il a :
— Dit et jugé régulier, au regard de l’usage constant propre au secteur de l’audiovisuel autorisé par les articles L.1242-2 et D.1242-1 du code du travail, le recours à l’emploi intermittent pour l’emploi occupé par M. X,
— Et en conséquence, débouté M. X de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions au titre de la requalification,
Y ajoutant :
— Condamner M. X à payer la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire (en cas de requalification)
— Fixer à 1 049 euros le salaire de référence de M. X ;
— Fixer à 1 049 euros l’indemnité de requalification,
— Fixer à 2 098 euros l’indemnité de préavis, augmentée de 209,80 euros à titre de congés-payés ;
— Fixer à 2 098 euros le rappel sur 13e mois, et débouter M. X de sa demande de congés payés sur 13e mois ;
— Fixer l’indemnité de licenciement à 3 661,01 euros ;
— Fixer à 3 207 euros l’indemnité prévue à l’article L.1235-5 du code du travail ;
En tout état de cause,
— Débouter M. X de sa demande en dommages-intérêts pour défaut de mentions sur les lettres d’engagement ;
— Débouter M. X de sa demande en indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement ;
— Débouter M. X de sa demande en dommages-intérêts pour préjudice moral ;
— Débouter M. X de sa demande en dommages-intérêts sur perte de chance sur PSE (nouvelle demande devant la cour d’appel).
Vu l’ordonnance de clôture du 31 mai 2021.
SUR CE,
Sur l’exécution du contrat de travail’:
M. X fait valoir que l’employeur lui a imposé de conclure des centaines de contrats à durée déterminée d’usage alors même que l’emploi occupé était lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Il soutient que la validité du recours à des contrats à durée déterminée d’usage successifs n’est pas uniquement subordonné au rattachement de l’entreprise à un secteur d’activité visé par le législateur d’abord et à l’existence d’un usage constant, mais qu’il incombe à l’employeur de justifier d’éléments concrets établissant, dans le cas précis, le caractère par nature temporaire de l’emploi occupé par le salarié. Il conteste le caractère temporaire de son emploi, compte tenu du fait :
— qu’il a occupé cet emploi de manière régulière et systématique, uniquement pour les besoins des « Guignols de l’Info », émission qui a été diffusée pendant de nombreuses années et qui a connu un large succès,
— qu’il a exercé ses fonctions sur une très longue période, puisqu’il a exercé le métier d’assistant réalisateur pour l’émission pendant 14 années, concluant à ce titre près d’une centaine de contrat à durée déterminée d’usage ;
— que le poste pour lequel il était engagé recouvrait exactement les mêmes missions, et qu’il était astreint aux mêmes directives et chartes de programme, interagissait avec les mêmes personnes, dans les mêmes locaux.
— que les fonctions d’assistant réalisateur font parties de l’activité normale et permanente d’une société de production.
M. X affirme que le caractère permanent d’un emploi ne se mesure pas à l’intensité de la collaboration, mais bien à raison la continuité du besoin, qui peut être à temps partiel. Il soutient que les stipulations de l’avenant n°6 du 1er juillet 2016 prévoyant l’obligation pour l’employeur de proposer un contrat à durée indéterminée au salarié qui, dans le cadre de contrat à durée déterminée d’usage, a travaillé plus de 180 jours, d’au moins 7 heures, par an, ne s’oppose pas à la requalification sollicitée. Il sollicite le paiement d’une indemnité de requalification équivalent à 5 mois de salaire et demande à la cour de faire produit à la rupture de la relation de travail les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il invoque par ailleurs, le non-respect des mentions impératives imposées par la loi et la convention collective applicable concernant le salaire minimum applicable, la mention du lieu de consultation du règlement intérieur, et le statut occupé dans la classification de la Convention collective et la date de la dernière visite médicale obligatoire, qui a accru la précarité de sa situation et l’a privée d’un suivi médical adapté ; il réclame la somme de 5’000 euros de dommages et intérêts.
Il sollicite par ailleurs le paiement de la prime de 13e mois prévue par chapitre III, II accessoires de salaires de la convention collective Canal + pour les années 2016 à 2018, outre 30 000 euros au titre de la perte de chance de bénéficier du plan de sauvegarde de l’emploi mis en oeuvre à l’annonce de l’arrêt de l’émission « Les Guignols de l’info ». Enfin, il réclame 5 245 euros en réparation de son préjudice moral.
La SNC NPA Prod répond que l’office du juge saisi d’une demande de requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, est seulement de rechercher, par une appréciation souveraine, si, pour l’emploi concerné, et sauf si une convention collective prévoit en ce cas le recours au contrat à durée indéterminée, il est effectivement d’usage constant de ne pas recourir à un tel contrat. L’employeur soutient qu’en l’espèce, le recours aux contrats à durée déterminée d’usage était légitime, dès lors qu’il s’agit d’un usage constant dans le secteur de l’audiovisuel auquel il appartient, conformément aux dispositions de l’article D 1242-1 du code du travail, à la convention collective de la production audiovisuelle ou encore à la convention collective des intermittents techniques de l’audiovisuel, qui visent spécifiquement les fonctions de M. X. Il estime donc que l’argumentation de l’appelant liée à son rattachement à une activité durable et permanente repose sur une démonstration inopérante. Il souligne que les partenaires sociaux du secteur de la production audiovisuelle, ont encadré le recours au contrat à durée déterminée d’usage, par la conclusion d’un avenant de branche, le 1er juillet 2016 qui prévoit que le rattachement à l’activité durable et permanente de l’entreprise est caractérisé par 180 jours de travail par année, constatés sur trois années civiles consécutives auprès d’une même entreprise, cas dans lequel un contrat à durée indéterminée doit être proposé au salarié. Il considère que le volume de recours au contrat à durée déterminée d’usage constitue un élément concret établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi, M. X n’ayant collaboré, sur toute la période d’emploi, que 47 jours par an en moyenne, soit 4 jours par mois. L’employeur explique qu’il pèse sur la production d’un programme, en l’espèce « Les Guignols de l’info» auquel collaborait M. X, des incertitudes quant à sa pérennité, cette dernière étant remise en jeu à chaque saison en fonction notamment du succès rencontré. Il souligne que l’émission s’est d’ailleurs trouvée en proie à l’érosion de l’attention téléspectateurs / abonnés, pour finalement s’arrêter. Il rappelle que les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de convention ou d’accord collectif, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des salariés et l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées, de sorte qu’au regard de l’accord interbranches du 12 octobre 1998 qui légitime le recours au contrat à durée déterminée d’usage, il appartient au salarié de rapporter la preuve contraire. Subsidiairement, l’employeur demande à la cour de limiter les effets de la requalification en l’absence de démonstration par le salarié de son préjudice.
Il souligne de surcroît que :
— il ne justifie sur la période non prescrite du 30 octobre 2015 au 21 décembre 2017, que de deux ans et 7 mois de présence dans l’entreprise, de sorte qu’il ne peut prétendre qu’à deux primes de 13e mois et non trois,
— les mentions impératives du contrat à durée déterminée d’usage ont bien été portées aux contrats,
— en application de l’article L.1235-2 du code du travail il est bien interdit de cumuler indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et indemnité pour irrégularité de la procédure,
— M. X ne justifie pas des préjudices dont l’indemnisation est sollicitée,
— le projet de plan de sauvegarde de l’emploi est intervenu plusieurs mois après l’arrêt de la collaboration avec M. X.
Sur l’exécution du contrat de travail’:
Sur le non-respect des mentions obligatoires propres au contrat de travail à durée déterminée d’usage
Il ressort de l’examen des contrats à durée déterminée d’usage conclus par les parties que nonobstant les stipulations de l’article V.2.2 de la convention collective de la production audiovisuelle, l’employeur a omis de mentionner le salaire minimum applicable, le lieu de consultation du règlement intérieur, le statut occupé dans la classification de la convention collective et la date de la dernière visite médicale obligatoire.
Cependant, la convention collective n’assortit cette obligation d’aucune sanction et M. X ne rapporte pas la preuve d’un préjudice en lien avec l’absence de ces informations aux contrats.
Dans ces conditions, il doit être débouté de sa demande indemnitaire.
Sur la requalification des contrats à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée
Sur le bien-fondé de la requalification
Selon l’article L.1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ;
L’article L.1242-2 du même code dispose que, sous réserve des contrats spéciaux prévus à l’article L.1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les cinq cas qu’il énumère, parmi lesquels figurent le remplacement d’un salarié (1°), l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise (2°) et les emplois saisonniers ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif étendu, il est d’usage de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois (3°) ;
Il est acquis que l’article D. 1242-1 vise l’audiovisuel parmi les secteurs d’activité dans lesquels, en application du 3° de l’article L.1242-2, des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.
Par ailleurs, il est constant que la convention collective de la production audiovisuelle du 13 juin 2006 étendue le 24 juillet 2007 notamment, a fixé le principe du recours au contrat à durée déterminée d’usage pour certains emplois dont ceux de second et de premier assistant réalisateur occupé par M. X.
Cependant, si cette condition d’usage constant est nécessaire, elle n’est toutefois pas suffisante et il y a lieu de vérifier si l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs était justifiée par l’existence d’éléments concrets et précis établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi occupé par le salarié en tenant compte des fonctions effectivement exercées dans l’entreprise.
Comme le soutient l’intimée, l’avenant de branche n°6 du 1er juillet 2016 prévoit que « dès lors qu’un salarié employé en CDD d’usage, a réalisé au titre d’une même fonction plus de 180 jours de travail, d’au moins 7 heures, par année, et constaté sur trois années civiles consécutives auprès d’une même entreprise, cette dernière devra proposer une offre d’emploi en contrat à durée indéterminée sur les mêmes fonctions ».
Cependant, ces stipulations ne font pas obstacle à la requalification de contrat à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée lorsque la collaboration n’a pas atteint le niveau d’intensité visé par le texte.
En effet, l’ampleur du recours aux services du salarié n’est qu’un des éléments objectifs permettant d’apprécier le caractère par nature temporaire de l’emploi occupé par le salarié.
En l’espèce, les emplois de second et de premier assistant réalisateur occupés par M. X sont inhérents à l’activité normale et pérenne de la SAS NPA Prod de conception, réalisation et production de programmes audiovisuels et l’employeur ne justifie pas de compétences techniques ou artistiques spécifiques excédant les compétences habituelles d’un assistant réalisateur, ayant justifié le recours aux services de M. X.
Il ressort par ailleurs des bulletins de salaire versés aux débats que la collaboration avec le salarié a été très régulière et longue, puisque les parties ont conclu, à compter de 2005 et jusqu’en 2017 avec la SNC NPA Prod, des dizaines de contrat à durée déterminée d’usage, presque tous les mois, aboutissant à une relation de travail de plus de 12 ans.
En outre, il doit être relevé que M. X n’a collaboré à la réalisation que d’une seule émission, «’Les Guignols de l’Info’», diffusée 5 jours sur 7, 10 mois sur 12, durant près de 30 ans. Sur ce point, la cour constate que la SNC NPA Prod ne justifie d’aucune circonstance particulière ayant généré un besoin spécifique et temporaire expliquant le recours aux services de M. X dans le cadre des contrats à durée déterminée d’usage conclus entre les parties.
Enfin, l’employeur ne communique pas plus d’éléments probants démontrant l’existence, sur les 10 premières années de la période d’emploi de M. X, d’incertitudes quant à la pérennité de cette émission au succès et à la longévité exceptionnelle.
Il apparaît ainsi que la preuve d’éléments concrets et précis établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi occupé par M. X de manière régulière pendant 12 ans dans le cadre d’un programme diffusé quasi-quotidiennement durant près de 30 ans.
Dans ces conditions, il convient de faire droit à la demande de requalification formulée par la salariée, à compter du mois de février 2005, au cours duquel le premier contrat à durée déterminée d’usage a été conclu avec la SNC NPA Prod. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur les conséquences financières
En application de l’article L.1245-1 du code du travail, lorsqu’il est fait droit à la demande du salarié de requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, il lui est accordé une indemnité, à la charge de l’employeur, ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.
Au vu des pièces produites et du salaire perçu par M. X avant la saisine du conseil de prud’hommes, il lui sera alloué en réparation du préjudice que lui a causé la situation précaire dans laquelle il a été maintenu la somme de 2 000 euros à ce titre.
Le jugement sera infirmé et la société condamnée à payer cette somme au salarié.
Sur le rappel de la prime de 13e mois
Le chapitre III, II, 1 de l’accord d’entreprise applicable prévoit que :
« Tous les salariés titulaires d’un CDI ou CDD, reçoivent pour une année complète de présence une gratification égale au montant des appointements bruts de base au taux en vigueur au mois de décembre de l’année considérée.
Pour les salariés ne possédant pas une année complète de présence la gratification est calculée proportionnellement au temps de présence sur le ou les semestres considérés ».
M. X dont la relation de travail a été requalifiée en contrat à durée indéterminée est donc bien-fondé à réclamer un rappel de prime de 13e mois.
L’article L.3245-1 du code du travail dispose que « L’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat ».
M. X ayant saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne Billancourt par requête du 29 octobre 2018, sa demande de rappel de prime de 13e mois pour les années 2015 à 2017 est recevable.
Cependant, M. X ne peut prétendre au paiement de la prime pour l’année 2017, dans la mesure où la relation de travail a pris fin le 21 décembre 2017 alors qu’il s’évince des stipulations précitées que le salarié doit justifier d’une année complète de présence et être en poste au 31 décembre de l’année considérée’: «”une gratification égale au montant des appointements bruts de base au taux en vigueur au mois de décembre de l’année considérée’».
En conséquence, la SNC NPA Prod sera condamnée au paiement de la somme de 1’926,10 euros au titre du rappel de prime de 13e mois. Le jugement sera infirmé sur ce point.
En revanche, M. X sera débouté de sa demande au titre des congés payés, dès lors que cette prime ne génère pas de droit à congés payés.
Sur la perte de chance de bénéficier du plan de sauvegarde de l’emploi
Il ressort des éléments de la procédure qu’à l’occasion de l’arrêt de l’émission «’Les Guignols de l’info’», le groupe Canal + a établi un plan de sauvegarde de l’emploi afin de favoriser le reclassement des salariés.
Les collaborateurs ont notamment pu bénéficier de mesures de financement de formations, de congés de reclassement ou encore de propositions de reclassement au sein du groupe.
Il est incontestable que M. X a subi une perte de chance de bénéficier des mesures de ce plan. Il importe peu que la relation de travail ait cessé avant la diffusion de l’information’relative au PSE, au regard d’une part, de la proximité de dates de ces événement (décembre 2017/juillet 2018) et d’autre part, de la requalification opérée.
Il convient donc de condamner la SNC NPA Prod au paiement de la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice.
Sur la rupture du contrat de travail’:
L’employeur a cessé de fournir du travail et de verser un salaire à M. X à l’expiration du dernier contrat à durée déterminée d’usage qui a été requalifié. Il a ainsi mis fin aux relations de travail au seul motif de l’arrivée du terme d’un contrat improprement qualifié par lui de contrat de travail à durée déterminée.
Cette rupture est donc à son initiative et s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ouvre droit au profit de l’appelant au paiement des indemnités de rupture et de dommages-intérêts.
Par l’effet de la requalification, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de son engagement par le premier contrat à durée déterminée conclu avec la SNC NPA Prod et est donc en droit de se prévaloir à ce titre d’une ancienneté remontant à cette date, soit 12 ans. Si M. X soutient que sa collaboration avec la SNC NPA Prod a débuté en 2004, la cour constate qu’il n’a été engagé qu’en qualité de stagiaire du 2 février au 5 mars 2004, puis du 27 septembre au 8 novembre 2004. Or, le salarié ne justifie pas du fondement légal ou conventionnel de la reprise d’ancienneté alléguée.
S’agissant du salaire de référence, il y a lieu de l’évaluer à la somme mensuelle de 1 049 euros.
M. X peut dès lors prétendre aux sommes suivantes :
— 2’098 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de préavis (article V.1.2.1. de la convention collective nationale de l’audiovisuel), outre celle de 209,80 euros au titre des congés payés afférents,
— 3’661,01 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement.
M. X avait au moment de la rupture de son contrat de travail plus de deux ans d’ancienneté et la SNC NPA Prod comptait au moins onze salariés.
A la date de la rupture de la relation de travail, M. X percevait un salaire mensuel moyen de 1 049 euros. Il était âgé de 36 ans et bénéficiait d’une ancienneté de 12 ans au sein de l’entreprise. Il reconnaît avoir retrouvé un emploi auprès de la société ALP sur l’émission «’Les Minikeums’», mais précise que la collaboration est moins régulière qu’avec la SNC NPA Prod, de sorte qu’il subit une baisse de ses revenus. Dans ces conditions, il convient de condamner la SNC NPA Prod au paiement de la somme de 8 000 euros de dommages et intérêts au titre de l’article L.1235-3 du code du travail.
Enfin, comme le soutient l’employeur, en application des dispositions de l’article L.1235-2 du code du travail, la demande indemnitaire de M. X au titre de l’irrégularité de la procédure de licenciement ne peut aboutir, dès lors qu’il a été fait droit à sa demande de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle.
Sur le préjudice moral
Si M. X invoque l’existence d’un préjudice moral, la cour constate qu’il ne communique aucun élément probant permettant d’en démontrer l’existence, alors que les dommages et intérêts alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse recouvrent le préjudice moral résultant du licenciement abusif de sorte qu’il doit être débouté de sa demande indemnitaire.
Sur le remboursement par l’employeur à l’organisme des indemnités de chômage
En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur à l’organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l’arrêt dans la limite de six mois d’indemnités.
Sur l’exécution provisoire
Le présent arrêt n’étant pas susceptible de recours suspensif d’exécution, la demande formulée au titre de l’exécution provisoire est sans objet.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée de ces deux chefs et par application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de la SNC NPA Prod.
La demande formée par M. X au titre des frais irrépétibles sera accueillie, à hauteur de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
statuant publiquement et contradictoirement
Infirme le jugement entrepris, sauf en celles de ses dispositions relatives à l’irrespect des mentions obligatoires propres au contrat de travail à durée déterminée d’usage, au préjudice moral et à l’irrégularité de la procédure de licenciement ;
Requalifie en contrat à durée indéterminée les contrats à durée déterminée d’usage conclus entre la SNC Nulle Part Ailleurs Production et M. Y X à compter du mois de mai 2010 ;
Dit que la rupture de la relation de travail doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la SNC Nulle Part Ailleurs Production à payer à M. Y X les sommes suivantes :
— 2 000 euros au titre de l’indemnité de requalification,
— 3’661,01euros au titre de l’indemnité légale de licenciement.
— 2 098 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de préavis,
— 209,80 euros au titre des congés payés afférents,
— 8 000 euros de dommages et intérêts au titre de l’article L.1235-3 du code du travail,
— 8 000 euros au titre de la perte de chance de bénéficier du PSE,
— 1’926,10 euros au titre du rappel de prime de 13e mois,
Déboute M. Y X de sa demande au titre des congés payés afférents à la prime de 13e mois ;
Ordonne le remboursement par la SNC Nulle Part Ailleurs Production aux organismes concernés, des indemnités de chômage versées à M. Y X dans la limite de 6 mois d’indemnités en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail’;
Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ;
Condamne la SNC Nulle Part Ailleurs Production aux dépens de première instance et d’appel’;
Condamne la SNC Nulle Part Ailleurs Production à payer à M. Y X la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et Mme’Sophie RIVIÈRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER Le PRESIDENT