Assignation nulle : la condamnation du demandeur pour légèreté procédurale

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Assignation nulle : la condamnation du demandeur pour légèreté procédurale

La mauvaise rédaction d’une assignation expose le demandeur à une condamnation pour légereté procédurale fautive.

En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé le réparer, chacun étant responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

L’exercice d’une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance une dette de dommages-intérêts que dans les cas de malice, de mauvaise foi, d’erreur grossière équipollente au dol ou de légèreté blâmable.

En l’espèce, les diverses irrégularités affectant l’acte d’assignation, par ailleurs lacunaire dans ses éléments d’identification des œuvres et contribution sur lesquelles la demanderesse revendique des droits d’auteur, traduisent une légèreté blâmable de la part de Mme [M] ayant causé un préjudice aux défendeurs qu’il convient de réparer en allouant à chacun la somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts.

La demanderesse, qui succombe, a été condamnée aux dépens et à verser à chacun des deux défendeurs la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Résumé de l’affaire : Mme [I] [M], artiste et poétesse chinoise, revendique des droits d’auteur sur l’œuvre « Sa voix – La Bravoure », exposée au Musée [6]. Elle affirme que cette œuvre, présentée comme une création de Mme [S] [W], est identique à celle qu’elle a conçue, intégrant des caractères de l’écriture Nüshu. Après un refus de co-auteurité de la part de Mme [S] et du Musée, Mme [M] a assigné ces derniers en justice, demandant à être reconnue comme co-auteur et à obtenir des dommages-intérêts pour violation de ses droits moraux.

Le Musée [6] conteste la validité de l’assignation pour vices de forme, notamment l’absence de date, de nationalité et de profession de la demanderesse, ainsi que l’absence de description précise de l’œuvre. Il soutient également que Mme [M] ne prouve pas l’originalité de sa contribution et que sa demande est abusive.

Mme [S] [W] demande également la nullité de l’assignation pour des raisons similaires et conteste la qualité de co-auteur de Mme [M], affirmant que son apport créatif n’est pas démontré.

Le tribunal a déclaré nulle l’assignation de Mme [M], la condamnant à verser des dommages-intérêts pour procédure abusive et à payer les dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les irrégularités formelles de l’assignation ?

Dans cette affaire, l’assignation délivrée par Mme [I] [M] présente plusieurs irrégularités formelles qui entraînent sa nullité. Selon l’article 54 du Code de procédure civile, la demande initiale doit mentionner, à peine de nullité, l’objet de la demande ainsi que les informations concernant les parties, notamment pour les personnes physiques, leur nom, prénom, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance.

En l’espèce, l’assignation ne comporte pas de date, ce qui empêche les défendeurs de vérifier si les délais ont été respectés.

De plus, l’assignation ne précise pas les modalités de comparution, indiquant un délai de quinze jours pour constituer avocat, alors qu’en matière de procédure à jour fixe, cette exigence est erronée.

L’absence de mention de la nationalité et de la profession de Mme [M] constitue également une irrégularité, rendant difficile l’identification de la demanderesse.

Enfin, l’assignation ne décrit pas de manière précise l’œuvre revendiquée ni la contribution de Mme [M], ce qui empêche les défendeurs de préparer leur défense de manière adéquate.

Ces manquements sont de nature à causer un grief aux défendeurs, justifiant ainsi la nullité de l’assignation.

Quels sont les critères d’originalité requis pour revendiquer des droits d’auteur ?

Pour revendiquer des droits d’auteur, il est essentiel de démontrer l’originalité de l’œuvre. Selon l’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle, « l’œuvre de l’esprit est protégée par le droit d’auteur dès lors qu’elle est originale ».

L’originalité implique que l’œuvre soit le résultat d’un choix libre et créatif de l’auteur. Cela signifie que la contribution de l’auteur doit être suffisamment distinctive pour être considérée comme une création originale.

Dans le cas présent, le Musée [6] soutient que Mme [M] ne démontre pas son apport créatif personnel à l’œuvre « Sa voix – La Bravoure ».

Il est donc nécessaire que la demanderesse identifie clairement les éléments qui constituent sa contribution originale et explique en quoi celle-ci se distingue des œuvres existantes.

Sans cette démonstration, la revendication de droits d’auteur, notamment le droit moral à la paternité, ne peut être fondée.

Quelles sont les conséquences d’une procédure abusive en matière de droit d’auteur ?

La procédure abusive peut entraîner des conséquences juridiques significatives pour la partie qui l’initie. Selon l’article 1240 du Code civil, « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Dans le cadre d’une procédure abusive, la partie défenderesse peut demander des dommages-intérêts pour le préjudice subi.

En l’espèce, le tribunal a constaté que les irrégularités dans l’assignation et le manque de fondement des demandes de Mme [M] constituaient une légèreté blâmable.

Ainsi, le tribunal a condamné Mme [M] à verser des dommages-intérêts aux défendeurs pour procédure abusive, en raison des préjudices causés par une action en justice jugée non fondée.

Cette décision souligne l’importance pour les demandeurs de s’assurer de la solidité de leur dossier avant d’engager une action en justice, afin d’éviter des sanctions pour abus de droit.

Quels sont les droits moraux d’un auteur en matière de propriété intellectuelle ?

Les droits moraux d’un auteur sont protégés par le Code de la propriété intellectuelle, notamment par les articles L. 121-1 et L. 121-2.

L’article L. 121-1 stipule que « l’auteur a le droit de revendiquer la paternité de son œuvre ». Cela signifie que l’auteur a le droit d’être reconnu comme le créateur de l’œuvre et de s’opposer à toute modification ou déformation de celle-ci qui pourrait porter atteinte à son honneur ou à sa réputation.

L’article L. 121-2 précise que « l’auteur a le droit de s’opposer à la divulgation de son œuvre ». Cela implique que l’auteur doit donner son consentement avant que son œuvre ne soit exposée ou publiée.

Dans le cas de Mme [M], elle soutient avoir subi une violation de ses droits moraux en raison de l’absence de mention de son nom en tant que co-auteur de l’œuvre « Sa voix – La Bravoure ».

Si cette omission est avérée, cela constituerait une atteinte à son droit de paternité, justifiant ainsi ses demandes en justice pour faire reconnaître ses droits.

Les droits moraux sont inaliénables et perpétuels, ce qui signifie qu’ils demeurent avec l’auteur même après la cession de ses droits patrimoniaux.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

11 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
24/07819
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le
Expédition exécutoire délivrée à :
Maître Madi, vestiaire C909
– Maître Pres, vestiaire C1258
Copie certifiée conforme délivrée à :
– Maître Amzallag, vestiaire C195

3ème chambre
4ème section

N° RG 24/07819 –
N° Portalis 352J-W-B7I-C5FMS

N° MINUTE :

Assignation du :
17 juin 2024

jour fixe

JUGEMENT
rendu le 11 septembre 2024
DEMANDERESSE

Madame [I] [M]
[Adresse 2]
[Localité 7] (CHINE)

représentée par Maître Eliott AMZALLAG, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0195

DÉFENDERESSES

Madame [S] [W]
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Sarah MADI de la SELEURL SARAH MADI AVOCAT, avocats au barreau de PARIS,vestiaire #C909

L’ETABLISSEMENT PUBLIC DU MUSÉE DES [6]
[Adresse 3]
[Localité 5]

représenté par Maître Xavier PRES de la SELARL VARET PRES KILLY, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C1258
Décision du 11 septembre 2024
3ème chambre 4ème section
N° RG 24/07819 – N° Portalis 352J-W-B7I-C5FMS

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Anne-Claire LE BRAS, 1ère vice-présidente adjointe
Elodie GUENNEC, vice-présidente
Linda BOUDOUR, juge

assistées de Lorine MILLE, greffière

DEBATS

A l’audience du 10 juillet 2024, tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 11 septembre 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [I] [M] se présente comme une artiste et poétesse chinoise. Elle dit mettre en oeuvre un système d’écriture chinois exclusivement utilisé par les femmes ou  » Nüshu  » qui est constitué de 700 graphèmes environ, certains librement inspirés des caractères chinois habituels, d’autres inventés.

Mme [M] revendique des oeuvres qui ont pour particularité de faire apparaître des caractères Nüshu élancés et étirés de couleur noire, soit suspendus, soit associés à des grillages métalliques.

L’Etablissement public du Musée des [6] (le Musée [6]) accueille depuis le 27 avril 2024 l’exposition  » Gardien du Temps  » au sein de laquelle figure l’oeuvre  » Sa voix – La Bravoure « , accessible au public depuis le 28 mai 2024.

Soutenant que cette oeuvre est exactement identique à celle qu’elle a imaginée et créée, Mme [M] demande à être créditée en qualité de co-auteur aux côtés de Mme [W] [S], laquelle, par l’intermédiaire de son conseil, lui a notifié un refus, confirmé par le Musée [6] par lettre recommandée avec avis de réception du 23 mai 2024.

Par acte d’huissier du 17 juin 2024 Mme [M] a, dûment autorisée par ordonnance du 13 juin 2024, assigné Mme [S] [W] et le Musée devant le présent tribunal, selon la procédure à jour fixe pour l’audience du 10 juillet 2024, aux fins, au visa des articles L. 113-3, L. 121-1 et L. 121-2 du code de la propriété intellectuelle, de :
– Juger que Mme [M] est co-auteur de l’œuvre intitulée  » Sa voix – La Bravoure  » ;
– Ordonner à Mme [W] [S] et au Musée [6], sous astreinte de 1000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, de reconnaître et créditer sur tous supports Mme [M] comme co-auteur de l’Œuvre.
– Interdire l’exposition de l’œuvre  » Sa voix – La Bravoure  » sans les mentions appropriées reconnaissant Mme [M] en tant que co-auteur.
– Condamner in solidum Mme [W] [S] et le Musée [6] à lui verser la somme de 30 000 au titre de la réparation du préjudice résultant de la violation de ses droits moraux d’auteurs ;
– Condamner in solidum Mme [W] [S] et le Musée [6] à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner in solidum Mme [W] [S] et le Musée [6] aux entiers dépens.

Aux termes de son assignation valant dernières conclusions et reprise oralement à l’audience, Mme [M] soutient en effet que l’œuvre  » Sa voix – La Bravoure  » est une œuvre de collaboration, réalisée avec Mme [S] [W], et qu’elle a eu un rôle créatif original en intégrant des caractères stylisés provenant de l’écriture  » Nüshu « . Elle prétend avoir subi une violation de ses droits moraux en ce que l’œuvre arguée de contrefaçon qui est une copie servile, est exposée sans son consentement, ni mention de son nom, le Musée [6] n’ayant indiqué pour seul auteur que Mme [S] [W]. Cette omission constitue une violation du droit de paternité de Mme [M] qui avait tenté, par l’envoi de messages SMS et courriers à destination de Mme [S] [W] et du Musée [6], de résoudre amiablement ce différend.

A l’audience du 10 juillet 2024, elle n’entend pas faire d’observation sur les nullités de l’assignation soulevées par les défendeurs et indique s’en rapporter à l’appréciation du tribunal. Toutefois, elle estime souhaitable qu’une comparaison soit faite entre les assignations placées et celles fournies au dossier aux motifs que le fichier PDF omettrait des mentions.

En réponse, aux termes de ses conclusions n°1 notifiées par voie électronique le 8 juillet 2024, et soutenues oralement à l’audience du 10 juillet 2024, le Musée [6] demande au tribunal, au visa des articles 32, 54, 56, 114, 122 et suivants, 648, 699, 700, 752, 841 et 842 du code de procédure civile, L. 212-5-1 du code de l’organisation judiciaire, L. 112-1 et L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle, 1103, 1231-1, 1240, 1719, 1725, 1626 et suivants du code civil, de la convention de partenariat du 11 mars 2024, de :
In limine litis
– Juger que l’assignation qui lui a été délivrée est nulle pour vice de forme, en raison du défaut d’indication de sa date ;
– Juger que l’assignation qui lui a été délivrée est nulle pour vice de forme, en raison du défaut d’indication des modalités de comparution du défendeur ;
– Juger que l’assignation qui lui a été délivrée est nulle pour vice de forme, en raison du défaut d’indication de la nationalité de Mme [M] ;
– Juger que l’assignation qui lui a été délivrée est nulle pour vice de forme, en raison du défaut d’indication de la profession de Mme [I] [M] ;
– Juger que l’assignation qui lui a été délivrée est nulle pour vice de forme, en raison de l’absence de copie de la requête jointe à cette assignation ;
– Juger que l’assignation qui lui a été délivrée est nulle pour vice de forme, en raison du défaut d’identification de l’œuvre revendiquée, d’une part, et des agissements argués de contrefaçon, d’autre part,
– Débouter de l’intégralité de ses demandes, moyens, fins et prétentions;
A titre subsidiaire
– Juger que les pièces n°1, 2, 3, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 13 et 16 versées par Mme [M] sont irrecevables faute de caractère probant ;
– Juger que les demandes de Mme [M] relatives à une prétendue contrefaçon sont irrecevables faute d’établir l’originalité des travaux prétendument contrefaits ;
– Débouter Mme [M] de l’intégralité de ses demandes, moyens, fins et prétentions ;
A titre très subsidiaire et dans le cas où le Tribunal considèrerait que l’originalité constitue un moyen de défense au fond
– Débouter Mme [M] de l’intégralité de ses demandes, moyens, fins et prétentions, faute d’établir l’originalité des travaux prétendument contrefaits ;
A titre encore plus subsidiaire
– Juger que Mme [M] le préjudice allégué n’est fondé ni en droit, ni en fait, de sorte qu’elle ne peut prétendre en obtenir réparation ;
– Débouter Mme [M] de sa demande de dommages et intérêts ;
En tout état de cause,
– Ecarter des débats les pièces adverses n°1, n°2, n°3, n°5, n°9, n°10, n°11, n°13 et n°16, faute
d’être pourvues d’une force probante suffisante ;
– Condamner Mme [S] [W] à le relever indemne et le garantir de toute éventuelle condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre, y inclus au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et des dépens, en application des articles 1103 et 1231-1 du code civil et, à titre subsidiaire, en application des articles 1719 et 1725 et suivants du code civil et, à titre plus subsidiaire, en application des articles 1626 et suivants du code civil ;
– Juger que Mme [M] a assigné le Musée [6] de manière abusive ;
– Condamner Mme [M] à payer au Musée [6] la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
– Condamner Mme [M] à payer au Musée [6] une somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner Mme [M] aux entiers dépens.

Le Musée [6] soutient en effet, in limine litis, que l’assignation délivrée est nulle pour vice de forme en raison, tout d’abord, d’un défaut d’indication de la date de l’assignation. Il se trouve dans l’impossibilité de savoir si la demanderesse a respecté les délais prévus dans l’ordonnance du 13 juin 2024 du Président du tribunal judiciaire de Paris (saisi sur requête de la demanderesse) de délivrer l’assignation avant le 18 juin 2024.

Le Musée [6] soutient également que l’assignation est nulle pour défaut d’indication des modalités de comparution du défendeur devant le tribunal. Il est indiqué dans l’assignation délivrée :  » Dans un délai de QUINZE JOURS, à compter de la date du présent acte, ou avant l’audience si la date fixée est antérieure au délai de quinze jours précité, vous êtes tenus de constituer avocat pour être représentés devant ce tribunal « . Or, en procédure à jour fixe, les défendeurs sont tenus de constituer avocat avant l’audience sans délai imposé. Le grief causé résulte de l’impossibilité pour le Musée [6] de déterminer avec précision les modalités suivant lesquelles il est tenu de comparaître.

L’assignation est également nulle pour défaut d’indication de la nationalité et de la profession de Mme [M]. Il expose que cela lui cause un grief puisqu’il se trouve dans l’impossibilité d’identifier précisément Mme [M] qui est une personne physique. En outre, aucune vérification de la titularité des droits invoqués par cette dernière ne peut être réalisée.

En outre, l’assignation est nulle en raison de l’absence de communication de la requête ayant autorisé à assigner à jour fixe. Le Musée [6] est en effet dans l’impossibilité de connaître les éléments qui ont été présentés par la demanderesse au Président du Tribunal, dans le cadre de cette procédure non-contradictoire. Cette omission contrevient au principe du contradictoire.

Enfin le Musée [6] relève une absence de description de l’objet de la demande dans l’assignation délivrée. D’une part, la demanderesse précise simplement qu’elle a réalisé  » plusieurs œuvres  » qui  » mettent en avant le Nüshu « , affirme qu’elle aurait participé en tant que co-auteur à la réalisation de l’œuvre  » Sa voix – La Bravoure  » et qu’elle aurait réalisé des  » photographies « . Les pièces fournies au soutien des prétentions, captures d’écran et photographies, n’ont, selon lui, pas de valeur probante. D’autre part, les agissements incriminés par la demanderesse, qui se borne à faire état de l’installation  » Sa voix – La Bravoure « , ne sont suffisamment décrits et l’œuvre de Mme [S] [W], prétendument contrefaisante, n’est pas précisément identifiable dans l’assignation.

Le Musée [6] soutient que ces différents manquements lui causent un grief le plaçant dans l’impossibilité d’organiser correctement sa défense.

Le Musée [6] soutient, à titre subsidiaire, qu’il ne peut y avoir de contrefaçon de droits d’auteur, notamment du droit moral à la paternité, faute pour la demanderesse d’établir l’originalité de son travail. En principe le demandeur doit décrire les caractéristiques de sa contribution originale sur une œuvre déterminée, ainsi qu’identifier les violations de ses droits. Or la demanderesse n’explique pas véritablement les choix précis, libres et créatifs qui conduiraient à considérer que sa contribution constitue une création de forme originale.

Le Musée [6] soutient également que la demanderesse ne démontre pas en quoi la prétendue violation de son droit moral lui aurait causé un préjudice ouvrant droit à réparation. Aucun lien de causalité n’est, selon lui,établi.

Enfin, le Musée [6] soutient que la procédure entreprise par Mme [M] est abusive. Cette dernière a agi avec une légèreté blâmable du fait que l’assignation est incomplète ou erronée, aucune urgence n’est établie, le nom de la demanderesse apparait bien dans la brochure de présentation de l’exposition et les sommes réclamées sont injustifiées. Il estime qu’il existe une volonté de nuire à l’artiste renommée défenderesse par une procédure judiciaire que la demanderesse sait perdue d’avance. Ainsi, la démarche de la demanderesse constitue un abus de droit d’ester en justice.

En réponse, dans ses conclusions en réponse notifiées par voie électronique 8 juillet 2024, et soutenues oralement à l’audience du 10 juillet 2024, Mme [S] [W] demande au tribunal, au visa des articles 54, 56, 114, 648 et 841 du code de procédure civile, L.111-1 et L.113-2 du code de la propriété intellectuelle, de :
In limine litis
– La juger recevable en l’ensemble de ses demandes, fins, moyens et prétentions;
– Prononcer la nullité de l’assignation délivrée le 17 juin 2024 à son encontre ;
Sur le fond
– Juger que les pièces n°1, 3, 5, 8, 10, 13, 14 et 14bis, 19 et 21 versées par Mme [M] sont irrecevables car produites en langue étrangère sans traduction en français ;
– Juger que Mme [I] [M] ne démontre pas sa qualité de co-auteur de l’œuvre  » Sa Voix-La Bravoure  » ;
– Débouter Mme [M] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l’encontre de Mme [S] [W] [W] ;
En toute hypothèse
– Condamner Mme [M] à lui verser la somme de 30.000 euros à titre d’indemnité pour procédure abusive ;
– Condamner Mme [M] à lui verser la somme de 10.800 euros, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Mme [S] [W] soutient en effet, in limine litis, que l’assignation délivrée le 17 juin 2024 est nulle pour vices de forme. En effet, il s’agit d’un modèle d’assignation sans adaptation spécifique à l’assignation à jour fixe. Elle ajoute que la requête ayant autorisé à assigner à jour fixe n’a pas été jointe à l’assignation, ce qui ne permet pas à la défenderesse de connaître les raisons de fait ou de droit ayant conduit le Président à autoriser à assigner à jour fixe ; que l’assignation ne comprend pas les éventuelles diligences entreprises en vue d’une résolution amiable du litige ; que la profession et la nationalité de la demanderesse ne sont pas indiquées ; que le délai pour constituer avocat est erroné ; que ces irrégularités contreviennent au principe du contradictoire, notamment au vu du délai court qui lui a été laissé pour préparer sa défense. Elle fait valoir qu’en tout état de cause, l’assignation délivrée n’identifie pas l’œuvre créée par la demanderesse, alors que s’agissant de la violation du droit moral d’un co-auteur, le demandeur doit identifier et décrire les caractéristiques de sa contribution originale sur une œuvre déterminée, ainsi qu’identifier les violations de ses droits ; que la demanderesse affirme simplement avoir  » travaillé conjointement sur l’œuvre  » dans une  » intimité artistique  » ; que sans identification claire, la défenderesse ne se trouve pas en mesure de préparer sa défense utilement.

Sur le fond du litige, elle estime que la demanderesse ne démontre pas son apport créatif personnel et original à l’élaboration de l’œuvre ; que Mme [M] parle simplement d’  » intimité artistique  » avec Mme [S] [W] et évoque une collaboration passée ; que les idées échangées entre ces dernières restent de libre parcours et sont donc insusceptibles de faire l’objet de droits d’auteur au bénéfice de la demanderesse ; qu’en outre, la présentation du 15 septembre 2023 à destination du Musée [6] ne démontre là encore aucun apport créatif personnel, d’autant que ce qui a été présenté ne correspondant en rien à la forme finale de l’œuvre arguée de contrefaçon. Elle expose son apport exclusif à l’œuvre arguée de contrefaçon : les broderies, réalisées par une société française sur ses instructions composant l’œuvre ont été sélectionnées par la défenderesse qui a également choisi les caractères de  » Nushü  » présents sur l’œuvre qui ont ensuite étaient réinventés et modernisés. Le choix de l’emplacement de l’œuvre, sur la terrasse du Musée [6], a également été décidé par elle. En tout état de cause, aucun préjudice allégué par la demanderesse n’est justifié par une pièce du dossier puisqu’aucun apport créatif n’est relevé. Elle ajoute que que Mme [M] a omis de préciser dans l’assignation que son nom figurait dans les remerciements de l’ouvrage et de la brochure de l’exposition, qu’elle n’a pas pris soin de traduire en français les différentes pièces du dossier et en déduit une volonté de nuire aux intérêts de Mme [S] [W] ainsi qu’à ceux du Musée [6], constitutif d’un comportement pour procédure abusive.

L’affaire a été mise en délibéré au 11 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la nullité de l’assignation

L’article 54 de ce code dispose que  » La demande initiale est formée par assignation (…).
A peine de nullité, la demande initiale mentionne : (…)
2° L’objet de la demande ;
3° a) Pour les personnes physiques, les nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance de chacun des demandeurs ; (…) « .

Aux termes de l’article 56 du même code,  » l’assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes de commissaire de justice et celles énoncées à l’article 54 : (…)
2° Un exposé des moyens en fait et en droit ; […]
4° L’indication des modalités de comparution devant la juridiction et la précision que, faute pour le défendeur de comparaître, il s’expose à ce qu’un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire  »

Selon l’article 114 du code de procédure civile,  » aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public « .

Par ailleurs, aux termes de l’article 648 alinéa 1 du Code de procédure civile,  » Tout acte de commissaire de justice indique, indépendamment des mentions prescrites par ailleurs :
1. Sa date ;
2. a) Si le requérant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ;
(…)
Ces mentions sont prescrites à peine de nullité « .

L’article 752 du même code dispose que  » lorsque la représentation par avocat est obligatoire, outre les mentions prescrites aux articles 54 et 56, l’assignation contient à peine de nullité (…) 2o Le délai dans lequel le défendeur est tenu de constituer avocat « .

L’article 841 du code de procédure civile dispose que  » l’assignation indique à peine de nullité les jour et heure fixés par le président auxquels l’affaire sera appelée ainsi que la chambre à laquelle elle est distribuée. Copie de la requête est jointe à l’assignation.
L’assignation informe le défendeur qu’il peut prendre connaissance au greffe de la copie des pièces visées dans la requête et lui fait sommation de communiquer avant la date de l’audience celles dont il entend faire état  » et l’article 842 de ce code précise que le défendeur est tenu de constituer avocat avant la date de l’audience.

En l’espèce, le tribunal ne peut que constater que Mme [I] [M] n’a pas joint à l’assignation signifiée aux défendeurs une copie de la requête déposée aux fins d’être autorisée à les assigner à jour fixe, ni même ne l’a communiquée par l’intermédiaire de son conseil, seule l’ordonnance du magistrat qui a délivré l’autorisation d’assigner ayant été jointe à l’assignation. Cette irrégularité a mis les défendeurs dans l’impossibilité de connaître les raisons de fait ou de droit ayant conduit le président du tribunal à autoriser d’assigner à jour fixe et est de nature à désorganiser les droits de la défense.

En outre, les assignations délivrées à chacun des défendeurs ne comportent aucune date, alors qu’une telle omission sur l’assignation, qui constitue un acte de commissaire de justice, place la défense dans l’impossibilité de vérifier si Mme [I] [M] a respecté l’ordonnance du Président du tribunal lui enjoignant de délivrer l’assignation avant le 18 juin 2024 ou si, au contraire, elle a agi postérieurement à ce délai et donc, sans autorisation. Il s’en infère que les défendeurs ne peuvent s’assurer de la recevabilité de la demande de Mme [I] [M].

De même, l’assignation telle que signifiée aux défendeurs comporte des modalités de comparution qui sont erronées en ce qu’il y est mentionné le délai de quinze jours pour constituer avocat, alors qu’en matière de procédure à jour fixe, et par dérogation au droit commun, la seule exigence de délai requise est celle de constituer avocat avant la date de l’audience. En indiquant des modalités de comparution erronées, l’assignation a empêché les défendeurs de déterminer avec certitude les modalités de leur comparution devant le tribunal ce qui est d’autant plus préjudiciable que le délai imparti pour prendre connaissance du dossier et organiser la défense de Mme [W] [S] et du Musée [6] était d’une vingtaine de jours.

Au surplus, l’assignation ne comportant aucune mention de la nationalité de la demanderesse, ni de sa profession, les défendeurs se sont trouvés alors dans l’impossibilité d’identifier de manière précise la demanderesse afin de s’assurer qu’elle est titulaire de droits invoqués et, partant, qu’elle a qualité à agir.

Enfin, il incombe à celui qui agit sur le fondement de droits d’auteur qu’il revendique, d’identifier les caractéristiques de l’œuvre dont il est sollicité la protection et d’indiquer en conséquence clairement et précisément dans l’assignation les éléments sur lesquels des droits d’auteur sont revendiqués.
Or, en l’espèce, l’assignation délivrée aux défendeurs se borne à indiquer que la demanderesse aurait réalisé  » plusieurs œuvres  » qui  » mettent en avant le Nüshu  » et qu’elle aurait participé en tant que co-auteur à la réalisation de l’œuvre  » Sa voix – La Bravoure « , sans plus de précisions permettant d’identifier lesdites œuvres et la contribution de Mme [M] à cette œuvre, et les photographies et captures d’écrans jointes à l’assignation ne permettent pas de les identifier. Aussi, les défendeurs ne sont-ils pas en mesure se défendre utilement aux prétentions formées à leur encontre.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’assignation délivrée aux défendeurs est entachée de nombreuses irrégularités de forme qui les ont privés de plusieurs éléments d’information pourtant requis par la loi, indispensables leur défense et qui ont méconnu le principe de la contradiction, ce qui est de nature à causer un grief à chacun des défendeurs.

Il y a donc lieu d’annuler l’assignation à jour fixe délivrée le 17 juin 2024 au Musée [6] et à Mme [S] [W].

Sur les autres demandes

En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé le réparer, chacun étant responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

L’exercice d’une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance une dette de dommages-intérêts que dans les cas de malice, de mauvaise foi, d’erreur grossière équipollente au dol ou de légèreté blâmable.

En l’espèce, les diverses irrégularités affectant l’acte d’assignation, par ailleurs lacunaire dans ses éléments d’identification des œuvres et contribution sur lesquelles la demanderesse revendique des droits d’auteur, traduisent une légèreté blâmable de la part de Mme [M] ayant causé un préjudice aux défendeurs qu’il convient de réparer en allouant à chacun la somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts.

La demanderesse, qui succombe, sera condamnée aux dépens et à verser à chacun des deux défendeurs la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal rappelle que l’exécution provisoire est de droit.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Déclare nulle l’assignation délivrée par Mme [I] [M] le 17 juin 2024 à l’Etablissement public du Musée des [6] et à Mme [S] [W] ;

Condamne Mme [I] [M] à payer la somme de 2.000 euros chacun à l’Etablissement public du Musée des [6] et à Mme [S] [W] à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive;

Condamne Mme [I] [M] aux dépens ;

Condamne Mme [I] [M] à payer la somme de 5.000 euros chacun à l’Etablissement public du Musée des [6] et à Mme [S] [W] au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Rappelle que l’exécution provisoire est de droit.

Fait à Paris le 11 septembre 2024

La greffière La présidente
Lorine Mille Anne-Claire Le Bras


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