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Si au stade de l’assignation, le juge de la mise en état ne peut imposer la caractérisation de l’originalité d’un logiciel, la partie revendiquant cette protection juridique doit néanmoins fournir des éléments concrets permettant d’apprécier ladite originalité. Le cas opposé, l’assignation est frappée de nullité.
La présentation sommaire « et quasi promotionnelle » d’un logiciel en ses différentes versions ainsi que de ses fonctionnalités, de son interface et de son processus de développement, n’est pas suffisant au stade de l’assignation.
L’identification de l’œuvre logicielle opposée, la détermination et la définition objective des éléments subjectifs qui la caractérise permettent un débat contradictoire à la fois pertinent et loyal.
Ce principe interdit d’ajuster l’assiette des droits que revendique le demandeur aux moyens opposés tant dans le cadre d’une fin de non-recevoir que dans celui d’une défense au fond : expliciter n’est pas prouver mais rendre clair et précis ; l’exigence d’explicitation touche à la détermination de la demande et non à la preuve de sa recevabilité ou de son bien-fondé, l’originalité n’étant pas un fait juridique qui se démontre, le cas échéant par présomption, mais une qualification juridique qui s’apprécie.
En la cause, il incombait à la société Dassault Systemes Solidworks Corporation dès le stade de l’assignation, pour permettre ce débat contradictoire utile au sens des articles 9, 15 et 16 du code de procédure civile ou au tribunal de statuer immédiatement en l’absence de constitution du défendeur conformément à l’article 472 du même code, d’identifier précisément la ou les œuvres opposées et de définir pour chacune d’elles les caractéristiques originales qu’elle entend opposer et qui serviront d’assiette aux droits d’auteur qu’elle revendique.
Or, l’assignation, en admettant qu’elle permette, grâce à son annexe 1, de déterminer clairement les versions du logiciel objet des droits d’auteur revendiqués, ne contient aucun développement permettant d’identifier les caractéristiques dont l’originalité conditionne l’existence de ces droits, les brefs éléments de présentation du logiciel en ses différentes versions se réduisant à l’évocation de sa titularité.
Aussi, à défaut d’explicitation des caractéristiques originales des œuvres en débat par la société Dassault Systemes Solidworks Corporation, son assignation, qui ne définit pas suffisamment son objet, est affectée d’un vice de forme qui cause aux défendeurs un grief évident tenant à l’impossibilité de se défendre utilement faute de détermination préalable du périmètre et de l’assiette des droits opposés.
En conséquence, l’assignation signifiée par la société Dassault Systemes Solidworks Corporation à l’encontre de la SAS Emitech, de la SAS Emitech Finance a été annulée.
En vertu des articles 55 et 56 du code de procédure civile, l’assignation, qui est l’acte d’huissier de justice par lequel le demandeur cite son adversaire à comparaître devant le juge, contient en particulier à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d’huissier de justice et celles énoncées à l’article 54, un exposé des moyens en fait et en droit (2°). Elle vaut conclusions.
Le régime de la nullité prévue par l’article 56 du code de procédure civile qui n’entre pas dans les cas limitativement prévus par l’article 117 du code de procédure civile est celui de la nullité pour vice de forme défini aux articles 112 et suivants du même code.
En vertu des articles 112, 114 et 115 du code de procédure civile, la nullité des actes de procédure pour vice de forme peut être invoquée au fur et à mesure de leur accomplissement mais est couverte si celui qui l’invoque a, postérieurement à l’acte critiqué, fait valoir des défenses au fond ou opposé une fin de non-recevoir sans soulever la nullité.
Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public, la nullité ne pouvant être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public.
La nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l’acte si aucune forclusion n’est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief.
La régularisation d’un acte de procédure au sens de l’article 115 du code de procédure civile ne peut être opérée que par un acte identique, ou assimilé à raison de son objet ou de ses effets, qui est seul à même de faire disparaître la cause de nullité (le texte vise ainsi « la régularisation ultérieure de l’acte » lui-même).
Aussi, la régularisation de l’assignation ne peut être réalisée que par une nouvelle assignation ou, celle-ci valant conclusions au sens de l’article 56 in fine du code de procédure civile, par des conclusions au fond au sens de l’article 768 du code de procédure civile, et non par des conclusions d’incident qui sont par nature distinctes au sens de l’article 791 du code de procédure civile et dont l’objet et les effets sont circonscrits à l’incident.
Cette analyse juridique est confortée par un argument pratique : le tribunal n’étant saisi que par les écritures visées à l’article 768 du code de procédure civile, il ne pourrait statuer sur la contestation relative, par exemple, à l’originalité, question de fond dont dépend l’appréciation de la qualité à agir en contrefaçon, qu’en contemplation de ces dernières et, si le litige restait en l’état de l’incident, dans l’hypothèse d’un rejet de l’exception de nullité, sans tenir compte des développements pourtant essentiels la caractérisant contenus dans des conclusions d’incident qui n’auraient pas été reprises dans des écritures au fond.
En application de l’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial.
Et, en application de l’article L 112-1 du même code, ce droit appartient à l’auteur de toute œuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination, l’article L 112-2 13° faisant figurer les logiciels et le matériel de conception préparatoire dans la liste des œuvres de l’esprit.
Dans ce cadre, si la protection d’une œuvre de l’esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale en ce sens qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur et n’est pas la banale reprise d’un fonds commun non appropriable, il appartient à celui qui se prévaut d’un droit d’auteur dont l’existence est contestée de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue.
En effet, seul l’auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole et le principe de la contradiction posé par l’article 16 du code de procédure civile commande que le défendeur puisse connaître précisément les caractéristiques qui fondent l’atteinte qui lui est imputée et apporter la preuve qui lui incombe de l’absence d’originalité.
A cet égard, si une combinaison d’éléments connus ou naturels n’est pas a priori exclue de la protection du droit d’auteur, encore faut-il que la description qui en est faite soit suffisamment précise pour limiter le monopole demandé à une combinaison déterminée opposable à tous sans l’étendre à un genre insusceptible d’appropriation.
Et, les notions de nouveauté et d’originalité sont distinctes, la seconde présupposant certes objectivement la première mais y ajoutant une dimension subjective résidant dans l’incarnation formelle de choix exprimant une personnalité.
En matière de programmes d’ordinateur, qui sont compris dans la notion française de logiciel, la CJUE a dit pour droit dans son arrêt du 22 décembre 2010 Bezpeènostní softwarová asociace – Svaz softwarové ochrany c. Ministerstvo kultury que, au sens de l’article 1§2 de la directive 91/250/CEE du Conseil du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, l’interface utilisateur graphique, entendue comme une interface d’interaction permettant une communication entre le programme d’ordinateur et l’utilisateur, ne peut bénéficier de la protection par le droit d’auteur sur les programmes d’ordinateur en vertu de la directive mais peut être protégée, si elle est une création intellectuelle propre à son auteur, par le droit d’auteur en tant qu’œuvre en vertu de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.
Et, dans son arrêt du 2 mai 2012 SAS Institute Inc. c. World Programming Ltd, elle a dit pour droit que cette même disposition doit être interprété en ce sens que ni la fonctionnalité d’un programme d’ordinateur ni le langage de programmation et le format de fichiers de données utilisés dans le cadre d’un programme d’ordinateur pour exploiter certaines de ses fonctions ne constituent une forme d’expression de ce programme et ne sont, à ce titre, pas protégés par le droit d’auteur sur les programmes d’ordinateur au sens de cette directive.
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Tribunal judiciaire de Nanterre, 1re chambre, 14 décembre 2022
Imputant à la SAS Emitech, à la SAS Emitech Finance et à monsieur X. président de cette dernière à qui est reprochée une faute détachable de ses fonctions, des actes de contrefaçon de ses droits d’auteur sur son logiciel de CAO « Solidworks » en ses différentes versions sur lesquels ils détenaient des licences d’exploitation en nombre insuffisant, la société de droit étasunien Dassault Systemes Solidworks Corporation a assigné ceux-ci en contrefaçon de droits d’auteur devant le tribunal judiciaire de Nanterre par acte d’huissier du 5 mai 2022.
Dans leurs dernières écritures d’incident notifiées par la voie électronique le 7 décembre 2022, auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de leurs moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la SAS Emitech, la SAS Emitech Finance et monsieur X. demandent au juge de la mise en état, au visa des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, L 112-2 du code de la propriété intellectuelle et 9, 54, 56, 114, 122, 699, 700 et 789 du code de procédure civile :
– de débouter la société Dassault Systemes Solidworks Corporation de ses demandes ;
– d’annuler l’assignation délivrée le 5 mai 2022 par la société Dassault Systemes Solidworks Corporation à l’encontre de la SAS Emitech, de la SAS Emitech Finance et de monsieur X. ;
– à titre subsidiaire, de déclarer la société Dassault Systemes Solidworks Corporation irrecevable à agir en contrefaçon de droit d’auteur faute d’intérêt à agir ;
– très subsidiairement, d’ordonner à la société Dassault Systemes Solidworks Corporation de communiquer tous les justificatifs de la conformité au règlement (UE) 2016/679 du parlement européen et du conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés telle que modifiée par la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles, du « mécanisme de détection d’installation ou d’utilisation illicite des logiciels Solidworks et CST Studio Suite », et ce sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir ;
– en tout état de cause, de :
-> condamner la société Dassault Systemes Solidworks Corporation à payer à la SAS Emitech, à la SAS Emitech Finance et à monsieur Matthieu Cognet la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
-> condamner la société Dassault Systemes Solidworks Corporation aux dépens.
Dans ses dernières écritures d’incident notifiées par la voie électronique le 6 décembre 2022, auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de ses moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la société Dassault Systemes Solidworks Corporation demande au juge de la mise en état, au visa des articles 54, 56, 114, 122, 142, 143, 788 et 789 du code de procédure civile et L 332-1-1 du code de la propriété intellectuelle, de :
• à titre principal :
-> débouter la SAS Emitech, la SAS Emitech Finance et monsieur X. de l’ensemble de leurs demandes ;
-> se déclarer incompétent pour statuer sur la question de l’originalité du logiciel Solidworks, cette question n’étant pas une condition de recevabilité de l’action en contrefaçon mais une question de fond relevant de la seule compétence du tribunal ;
• à titre subsidiaire, dans le cas où le juge de la mise en état estimerait que la question de l’originalité constituerait une fin de non-recevoir relevant de sa compétence, renvoyer l’affaire devant la formation de jugement, sans clore l’instruction, pour qu’elle statue cette fin de non-recevoir ainsi que sur les questions de fond qui lui sont attachées, comme il est indiqué par les dispositions de l’article 789 du code de procédure civile ;
• en tout état de cause, condamner conjointement et solidairement la SAS Emitech, la SAS Emitech Finance et monsieur X. à verser à la société Dassault Systemes Solidworks Corporation la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l’ordonnance sera contradictoire conformément à l’article 467 du code de procédure civile.
DISCUSSION
1°) Sur l’exception de nullité
En application de l’article 789 du code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l’article 47 et sur les incidents mettant fin à l’instance, les parties n’étant plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu’ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge.
Conformément aux articles 73 et 74 du code de procédure civile, les exceptions de procédure, constituées par tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte soit à en suspendre le cours, doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir peu important que les règles invoquées au soutien de l’exception soient d’ordre public.
Conformément à l’article 54 du code civil, la demande initiale est formée par assignation ou par requête remise ou adressée au greffe de la juridiction. La requête peut être formée conjointement par les parties. A peine de nullité, la demande initiale mentionne en particulier l’indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée (1°) et l’objet de la demande (2°).
Et, en vertu des articles 55 et 56 du même code, l’assignation, qui est l’acte d’huissier de justice par lequel le demandeur cite son adversaire à comparaître devant le juge, contient en particulier à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d’huissier de justice et celles énoncées à l’article 54, un exposé des moyens en fait et en droit (2°). Elle vaut conclusions.
Le régime de la nullité prévue par l’article 56 du code de procédure civile qui n’entre pas dans les cas limitativement prévus par l’article 117 du code de procédure civile est celui de la nullité pour vice de forme défini aux articles 112 et suivants du même code.
En vertu des articles 112, 114 et 115 du code de procédure civile, la nullité des actes de procédure pour vice de forme peut être invoquée au fur et à mesure de leur accomplissement mais est couverte si celui qui l’invoque a, postérieurement à l’acte critiqué, fait valoir des défenses au fond ou opposé une fin de non-recevoir sans soulever la nullité. Aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public, la nullité ne pouvant être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public. La nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l’acte si aucune forclusion n’est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief.
La régularisation d’un acte de procédure au sens de l’article 115 du code de procédure civile ne peut être opérée que par un acte identique, ou assimilé à raison de son objet ou de ses effets, qui est seul à même de faire disparaître la cause de nullité (le texte vise ainsi « la régularisation ultérieure de l’acte » lui-même). Aussi, la régularisation de l’assignation ne peut être réalisée que par une nouvelle assignation ou, celle-ci valant conclusions au sens de l’article 56 in fine du code de procédure civile, par des conclusions au fond au sens de l’article 768 du code de procédure civile, et non par des conclusions d’incident qui sont par nature distinctes au sens de l’article 791 du code de procédure civile et dont l’objet et les effets sont circonscrits à l’incident. Cette analyse juridique est confortée par un argument pratique : le tribunal n’étant saisi que par les écritures visées à l’article 768 du code de procédure civile, il ne pourrait statuer sur la contestation relative, par exemple, à l’originalité, question de fond dont dépend l’appréciation de la qualité à agir en contrefaçon, qu’en contemplation de ces dernières et, si le litige restait en l’état de l’incident, dans l’hypothèse d’un rejet de l’exception de nullité, sans tenir compte des développements pourtant essentiels la caractérisant contenus dans des conclusions d’incident qui n’auraient pas été reprises dans des écritures au fond.
Or, la société Dassault Systemes Solidworks Corporation n’a pris aucune écriture au fond depuis l’assignation. Aussi, en l’absence de régularisation, seule celle-ci est pertinente pour apprécier la réalité du vice de forme opposé. Pour ce faire, il incombe au juge de la mise en état d’apprécier la suffisance de l’exposé des moyens à l’aune des demandes qu’ils servent. Cet examen, pour partie prospectif, suppose de déterminer le cadre applicable au fond et la possibilité d’y subsumer clairement les prétentions de la société Dassault Systemes Solidworks Corporation.
En application de l’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. Et, en application de l’article L 112-1 du même code, ce droit appartient à l’auteur de toute œuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination, l’article L 112-2 13° faisant figurer les logiciels et le matériel de conception préparatoire dans la liste des œuvres de l’esprit.
Dans ce cadre, si la protection d’une œuvre de l’esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale en ce sens qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur et n’est pas la banale reprise d’un fonds commun non appropriable, il appartient à celui qui se prévaut d’un droit d’auteur dont l’existence est contestée de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue. En effet, seul l’auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d’identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole et le principe de la contradiction posé par l’article 16 du code de procédure civile commande que le défendeur puisse connaître précisément les caractéristiques qui fondent l’atteinte qui lui est imputée et apporter la preuve qui lui incombe de l’absence d’originalité.
A cet égard, si une combinaison d’éléments connus ou naturels n’est pas a priori exclue de la protection du droit d’auteur, encore faut-il que la description qui en est faite soit suffisamment précise pour limiter le monopole demandé à une combinaison déterminée opposable à tous sans l’étendre à un genre insusceptible d’appropriation. Et, les notions de nouveauté et d’originalité sont distinctes, la seconde présupposant certes objectivement la première mais y ajoutant une dimension subjective résidant dans l’incarnation formelle de choix exprimant une personnalité.
En matière de programmes d’ordinateur, qui sont compris dans la notion française de logiciel, la CJUE a dit pour droit dans son arrêt du 22 décembre 2010 Bezpeènostní softwarová asociace – Svaz softwarové ochrany c. Ministerstvo kultury que, au sens de l’article 1§2 de la directive 91/250/CEE du Conseil du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, l’interface utilisateur graphique, entendue comme une interface d’interaction permettant une communication entre le programme d’ordinateur et l’utilisateur, ne peut bénéficier de la protection par le droit d’auteur sur les programmes d’ordinateur en vertu de la directive mais peut être protégée, si elle est une création intellectuelle propre à son auteur, par le droit d’auteur en tant qu’œuvre en vertu de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. Et, dans son arrêt du 2 mai 2012 SAS Institute Inc. c. World Programming Ltd, elle a dit pour droit que cette même disposition doit être interprété en ce sens que ni la fonctionnalité d’un programme d’ordinateur ni le langage de programmation et le format de fichiers de données utilisés dans le cadre d’un programme d’ordinateur pour exploiter certaines de ses fonctions ne constituent une forme d’expression de ce programme et ne sont, à ce titre, pas protégés par le droit d’auteur sur les programmes d’ordinateur au sens de cette directive.
Ainsi, le logiciel, qui peut se définir comme une séquence d’instructions interprétables par un système d’exploitation en considération du langage de programmation dans lequel est écrit son code source puis de sa retranscription en langage binaire (code objet), n’est protégé par le droit d’auteur que si la forme de son expression est originale en ce sens qu’elle traduit un effort personnalisé du programmeur dépassant la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante qui se matérialise dans une structure individualisée. Seul le code source permet de connaître les choix précis du programmeur qui ont présidé à la mise en forme qui constitue le siège de l’originalité d’un logiciel.
A cet égard, s’il est exact que, au regard de la nature des faits imputés aux défendeurs à qui est reprochée l’utilisation du ou des logiciels copiés servilement ou piratés, une comparaison des codes sources ne sera sans doute pas utile, l’analyse de celui du logiciel Soldiworks est néanmoins indispensable pour définir les éléments et les enchainements logiques qui, en son sein, sont le siège de l’originalité alléguée : les modalités de la contrefaçon dénoncée n’enlèvent rien à la nécessité de présenter et de commenter le code source.
Ce cadre juridique étant posé, il n’est pas ici question d’imposer à la demanderesse la caractérisation prématurée de l’originalité de l’œuvre en débat (question relevant des pouvoirs juridictionnels du tribunal statuant sur la question préalable à la fin de non-recevoir si l’exception était rejetée, la ligne de départage entre ces différents contrôles étant celle qui sépare l’existence de l’explicitation de sa suffisance et de sa pertinence), mais, outre l’identification de l’œuvre opposée, la détermination et la définition objective des éléments subjectifs qui la caractérise pour permettre un débat contradictoire à la fois pertinent et loyal lui interdisant d’ajuster l’assiette des droits qu’elle revendique aux moyens opposés tant dans le cadre d’une fin de non-recevoir que dans celui d’une défense au fond : expliciter n’est pas prouver mais rendre clair et précis ; l’exigence d’explicitation touche à la détermination de la demande et non à la preuve de sa recevabilité ou de son bien-fondé, l’originalité n’étant pas un fait juridique qui se démontre, le cas échéant par présomption, mais une qualification juridique qui s’apprécie.
Ainsi, il incombe à la société Dassault Systemes Solidworks Corporation dès le stade de l’assignation, pour permettre ce débat contradictoire utile au sens des articles 9, 15 et 16 du code de procédure civile ou au tribunal de statuer immédiatement en l’absence de constitution du défendeur conformément à l’article 472 du même code, d’identifier précisément la ou les œuvres opposées et de définir pour chacune d’elles les caractéristiques originales qu’elle entend opposer et qui serviront d’assiette aux droits d’auteur qu’elle revendique.
Or, l’assignation, en admettant qu’elle permette, grâce à son annexe 1, de déterminer clairement les versions du logiciel objet des droits d’auteur revendiqués, ne contient aucun développement permettant d’identifier les caractéristiques dont l’originalité conditionne l’existence de ces droits, les brefs éléments de présentation du logiciel en ses différentes versions se réduisant à l’évocation de sa titularité.
Aussi, à défaut d’explicitation des caractéristiques originales des œuvres en débat par la société Dassault Systemes Solidworks Corporation, son assignation, qui ne définit pas suffisamment son objet, est affectée d’un vice de forme qui cause aux défendeurs un grief évident tenant à l’impossibilité de se défendre utilement faute de détermination préalable du périmètre et de l’assiette des droits opposés.
Et, en admettant que, en ce qu’elle est versée au fond et non seulement pour les besoins de l’incident, la pièce 14 de la société Dassault Systemes Solidworks Corporation soit pertinente, ce qu’elle n’est en réalité pas puisque l’unique acte l’analysant n’est pas apte à opérer régularisation de l’assignation viciée en la forme, son contenu ne comble pas la carence constatée. En effet, après une présentation sommaire et quasi promotionnelle du logiciel en ses différentes versions ainsi que de ses fonctionnalités, de son interface et de son processus de développement, l’expert sollicité écrit :
« Depuis le début de la conception de ce logiciel, en 1995, le code source du logiciel SOLIDWORKS a été enrichi par plus de 30 évolutions majeures (évolutions fonctionnelles et/ou métiers).
A ce jour SOLIDWORKS contient environ 40 millions de lignes de code.
Une analyse préliminaire de ce code source du logiciel SOLIDWORKS permet d’ores et déjà de mettre en exergue les caractéristiques suivantes :
1) une architecture technique résultant d’une combinaison de modules propre au logiciel SOLIDWORKS ;
2) une combinaison singulière de composantes logicielles au regard des choix possibles en la matière ;
3) des choix relatifs aux techniques de modélisation employées non contraints ;
4) des choix de programmation spécifiques dictés par la volonté des développeurs d’offrir dans un même logiciel toutes les fonctions dont les utilisateurs ont besoin pour concevoir leurs produits et réduire le cycle de conception, optimiser la productivité et réduire les coûts de fabrication ;
5) des choix de programmation spécifiques concernant la composition des éléments d’interface et de la combinaison de plusieurs panneaux ».
Si ces cinq items sont effectivement pertinents, encore faut-il en décrire objectivement le contenu, ce que ne fait pas l’expert qui se contente de livrer, sans la motiver et sans permettre le moindre contrôle à ses relecteurs, son analyse personnelle («combinaison singulière » que rien n’étaye ni n’explicite, ou « choix » qui ne sont pas définis, y compris lorsqu’ils sont censés être « spécifiques »). Cette note expertale complique en réalité le débat en évoquant des « évolutions majeures », qualificatif qui induit une altération significative du logiciel entre ses différentes
versions et une possible modification des éléments éventuellement originaux de son code source.
En conséquence, l’assignation signifiée par la société Dassault Systemes Solidworks Corporation à l’encontre de la SAS Emitech, de la SAS Emitech Finance et de monsieur X. sera annulée.
Les autres demandes et moyens des parties, de ce fait privés d’objet et de portée, ne seront pas examinés.
2°) Sur les demandes accessoires
Succombant à l’incident et au litige, la société Dassault Systemes Solidworks Corporation, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à payer à chacun des défendeurs la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les entiers dépens de l’instance.
DECISION
Le juge de la mise en état statuant par ordonnance contradictoire mise à disposition des parties au greffe le jour du délibéré,
Prononce la nullité de l’assignation enrôlée sous le numéro RG 22/04846 délivrée le 5 mai 2022 par la société Dassault Systemes Solidworks Corporation à l’encontre de la SAS Emitech, de la SAS Emitech Finance et de monsieur X. ;
Rejette la demande de la société Dassault Systemes Solidworks Corporation au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la société Dassault Systemes Solidworks Corporation à payer à la SAS Emitech, à la SAS Emitech Finance et à monsieur X. la somme de DEUX MILLE EUROS (2 000 €) chacun en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Dassault Systemes Solidworks Corporation à supporter les entiers dépens de l’instance.