Arrêt de la Cour d’Appel d’Aix en Provence du 23 janvier 2024 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/10291

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Arrêt de la Cour d’Appel d’Aix en Provence du 23 janvier 2024 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/10291
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8b

ARRÊT AU FOND

DU 23 JANVIER 2024

N°2024/

Rôle N° RG 22/10291 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BJYPS

[M] [O]

C/

MDPH DES BOUCHES DU RHONE

CAF DES BOUCHES DU RHONE

Copie exécutoire délivrée

le : 23/01/2024

à :

– Mme [M] [O]

– MDPH DES BOUCHES DU RHONE

– CAF DES BOUCHES DU RHONE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Pole social du Tribunal judiciaire de MARSEILLE en date du 25 Mai 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 21/1475.

APPELANTE

Madame [M] [O], demeurant [Adresse 5]

comparante en personne et assistée de Mme [C] [X], sa soeur

INTIMEES

MDPH DES BOUCHES DU RHONE, demeurant [Adresse 2]

non comparante, non représentée

CAF DES BOUCHES DU RHONE, demeurant [Adresse 1]

non comparante, non représentée

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Décembre 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller, chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente

Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller

Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Aurore COMBERTON.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Janvier 2024.

ARRÊT

par décision réputée contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Janvier 2024

Signé par Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Aurore COMBERTON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le 24 avril 2020, Mme [O] a sollicité auprès de la Maison Départementale des Personnes Handicapées des Bouches-du-Rhône le renouvellement de l’allocation aux adultes handicapésqui lui avait été attribuée pendant trois ans à compter du 1er mai 2017.

Dans sa séance du 9 juillet 2020, la Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées des Bouches-du-Rhône a reconnu qu’elle présentait un taux d’incapacité au moins égal à 50% et inférieur à 80%, mais a considéré qu’elle ne présentait pas de restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi.

Mme [O] a formé un recours gracieux qui a été rejeté et par courrier expédié le 3 juin 2021, elle a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille.

Par jugement rendu le 25 mai 2022, le tribunal, après consultation du docteur [J] le 25 avril 2022, dont le rapport est joint au jugement, a :

– débouté Mme [O] de son recours,

– dit qu’elle présentait un taux d’incapacité égal ou supérieur à 50% et inférieur à 80%, sans restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi de sorte qu’elle ne peut prétendre au bénéfice de l’allocation aux adultes handicapés à la date du 1er mai 2020,

– confirmé la décision de la Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées en date du 12 janvier 2021,

– débouté Mme [O] de sa demande en frais irrépétibles,

– condamné Mme [O] aux dépens à l’exclusion des frais de consultation médicale incombant à la caisse nationale d’assurance maladie.

Par courrier expédié le 15 juillet 2022, Mme [O] a formé appel du jugement.

A l’audience du 7 décembre 2023, l’appelante, assistée par sa soeur Mme [C], demande l’infirmation du jugement et le renouvellement du bénéfice de l’allocation aux adultes handicapés.

Au soutien de sa prétention, elle explique qu’elle est née avec les pieds bots, et a subi sept interventions chirurgicales, la dernière datant de 2008, mais que ses deux chevilles demeurent bloquées, ce qui l’empêche de marcher sur une longue distance et de conserver la station debout un long moment. Elle indique qu’elle fait régulièrement des crises consistant dans le gonflement de ses pieds qui l’empèchent de les poser au sol, lorsqu’elle les sollicite trop. Elle dit prendre un traitement antalgique, notamment de la codéïne.

Elle ajoute qu’elle présente également un syndrome dépressif depuis 10 ans, lorsqu’elle a commencé à fonder une famille. Elle indique avoir un suivi psychologique depuis 2019 et que l’arrivée de son second enfant a renforcé la dépression. Elle explique que sa soeur fait toutes les démarches administratives à sa place car tout lui parait insurmontable.

Elle explique avoir un Baccalauréat d’agent d’accueil, mais qu’aujourd’hui, elle n’a pas un niveau de diplôme suffisant pour obtenir un poste dans le domaine. Elle explique qu’une formation en BTS à [Localité 4] pour valider un niveau de diplôme Bac+2 est trop compliquée pour elle dans la mesure où son handicap l’empèche de conduire et que l’organisation personnelle avec un bébé l’empèche de prendre les transports en commun. Elle explique qu’elle a déjà travaillé en intérim pendant trois mois en tant qu’agent de conditionnement, que son employeur acceptait d’adapter son poste et qu’elle pouvait s’assoir en cas de crise mais que ‘ce n’était pas possible de continuer’.

Bien que régulièrement convoquées par courrier recommandés avec accusés de réception retournés signés les 12 et 13 juin 2023, la Maison Départementale des Personnes Handicapées et la caisse d’allocations familiales des Bouches-du-Rhône n’ont pas comparu.

MOTIFS DE LA DECISION

L’article L.821-1 du code de la sécurité sociale prévoit que toute personne dont l’incapacité permanente est au moins égale à un pourcentage fixé à 80 % perçoit, dans les conditions prévues au titre II du Livre VIII, une allocation aux adultes handicapés.

L’article L.821-2 poursuit en prévoyant que l’allocation au adultes handicapés est également versée à toute personne qui remplit les conditions suivantes :

– une incapacité permanente qui, sans atteindre le pourcentage fixé par le décret prévu au premier alinéa de l’article L.821-1, est supérieure ou égale à 50 % conformément aux dispositions de l’article D.821-1 du code de la sécurité sociale,

– et une restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi, compte tenu de son handicap.

Le guide-barème pour l’évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées en annexe 2-4 du code de l’action sociale et des familles précise, en introduction, qu’un taux de 50% correspond à des troubles importants entraînant une gêne notable dans la vie sociale de la personne. L’entrave peut soit être concrètement repérée dans la vie de la personne, soit compensée afin que cette vie sociale soit préservée, mais au prix d’efforts importants ou de la mobilisation d’une compensation spécifique. Toutefois, l’autonomie est conservée pour les actesélémentaires de la vie quotidienne.

Un taux d’au moins 80 % correspond à des troubles graves entraînant une entrave majeure dans la vie quotidienne de la personne avecune atteinte de son autonomie individuelle. Cette autonomie individuelle est définie comme l’ensemble des actions que doit mettre en oeuvre une personne, vis-à-vis d’elle-même, dans la vie quotidienne. Dès lors qu’elle doit être aidée totalement ou partiellement, ou surveillée dans leur accomplissement, ou ne les assure qu’avec les plus grandes difficultés, le taux de 80 % est atteint. C’est également le cas lorsqu’il y a déficience sévère avec abolition d’une fonction.

Les actes de la vie quotidienne, parfois qualifiés d’élémentaires ou d’essentiels,sont mentionnés dans les différents chapitres et portent notamment sur les activités suivantes :

-se comporter de façon logique et sensée ;

-se repérer dans le temps et les lieux ;

-assurer son hygiène corporelle ;

-s’habiller et se déshabiller de façon adaptée ;

-manger des aliments préparés ;

-assumer l’hygiène de l’élimination urinaire et fécale ;

-effectuer les mouvements (se lever, s’asseoir, se coucher) et les déplacements (au moins à l’intérieur d’un logement).

En l’espèce, il résulte du rapport du docteur [J] consulté en première instance qu’il a pris en compte :

– l’âge de la patiente (33 ans) et sa situation familiale (mariée une fille de 5 ans)

– le fait qu’elle se déplace en fauteuil roulant depuis 3 mois,

– sous anxiodépressif et suivi psychologique depuis 2018,

– a subi sept interventions au niveau des deux pieds, les deux chevilles sont bloquées, appui accentué au niveau du 1er rayon sur le pied gauche, griffes irréductibles des orteils et attente d’une intervention proposée, risque d’amputation,

– suivi psychiatrique mais absence d’ordonnance,

– atteinte psychologique importante non prise en charge dans la demande présentée à la MDPH

pour conclure au maintien d’un taux d’incapacité égal ou supérieur à 50% et inférieur à 80%.

Cette appréciation du taux, conforme au guide-barème, n’est pas contestée par l’appelante qui n’invoque, ni ne justifie d’aucun élément susceptible de retenir une perte d’autonomie pour les actes élémentaires de la vie quotidienne correspondant à un taux égal ou supérieur à 80% au jour de sa demande en renouvellement du bénéfice de l’allocation le 1er mai 2020. Il convient donc de l’entériner.

Il a été rappelé plus haut qu’il résulte des articles L.821-2 et D.821-1, que l’allocation aux adultes handicapés est accordée à la personne dont le taux d’incapacité permanente est égal ou supérieur à 50% et inférieur à 80% sous réserve que, compte tenu de son handicap, une restriction substantielle et durable pour l’accés à l’emploi lui soit reconnue.

Il convient donc de vérifier si la requérante présente une telle restriction.

L’article D.821-1-2 du Code de la sécurité sociale précise que :

‘ (…)1° La restriction est substantielle lorsque le demandeur rencontre, du fait de son handicap même, des difficultés importantes d’accès à l’emploi. A cet effet, sont à prendre en considération:

a) Les déficiences à l’origine du handicap ;

b) Les limitations d’activités résultant directement de ces mêmes déficiences ;

c) Les contraintes liées aux traitements et prises en charge thérapeutiques induits par le handicap ;

d) Les troubles qui peuvent aggraver ces déficiences et ces limitations d’activités.

Pour apprécier si les difficultés importantes d’accès à l’emploi sont liées au handicap, elles sont comparées à la situation d’une personne sans handicap qui présente par ailleurs les mêmes caractéristiques en matière d’accès à l’emploi.

2° La restriction pour l’accès à l’emploi est dépourvue d’un caractère substantiel lorsqu’elle peut être surmontée par le demandeur au regard :

a) Soit des réponses apportées aux besoins de compensation mentionnés à l’article L.114-1du code de l’action sociale et des familles qui permettent de faciliter l’accès à l’emploi sans constituer des charges disproportionnées pour la personne handicapée ;

b) Soit des réponses susceptibles d’être apportées aux besoins d’aménagement du poste de travail de la personne handicapée par tout employeur au titre des obligations d’emploi des handicapés sans constituer pour lui des charges disproportionnées ;

c) Soit des potentialités d’adaptation dans le cadre d’une situation de travail.

3° La restriction est durable dès lors qu’elle est d’une durée prévisible d’au moins un an à compter du dépôt de la demande d’allocation aux adultes handicapés, même si la situation médicale du demandeur n’est pas stabilisée. La restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi est reconnue pour une durée de un à cinq ans.

4° Pour l’application du présent article, l’emploi auquel la personne handicapée pourrait accéder s’entend d’une activité professionnelle lui conférant les avantages reconnus aux travailleurs par la législation du travail et de la sécurité sociale.

5° Sont compatibles avec la reconnaissance d’une restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi :

a) L’activité à caractère professionnel exercée en milieu protégé par un demandeur admis au bénéfice de la rémunération garantie mentionnée à l’article L.243-4du code de l’action sociale et des familles ;

b) L’activité professionnelle en milieu ordinaire de travail pour une durée de travail inférieure à un mi-temps, dès lors que cette limitation du temps de travail résulte exclusivement des effets hdu handicap du demandeur ;

c) Le suivi d’une formation professionnelle spécifique ou de droit commun, y compris rémunérée, résultant ou non d’une décision d’orientation prise par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées mentionnée à l’article L.241-5 du code de l’action sociale et des familles.’

Les premiers juges ont conclu à l’absence de restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi au motif que les éléments liés à son handicap n’interdisaient pas l’accès à l’emploi ou le maintien dans l’emploi pour une durée de travail égale ou supérieure à un mi-temps.

La cour n’a pas la même appréciation des pièces qui leur ont été communiquées.

En effet, d’abord, compte tenu du handicap lié à la difficulté de se déplacer et à tenir la station debout qui existe depuis la naissance de la requérante et de celui lié au repli sur soi dû au syndrome dépressif nécessitant un suivi psychologique depuis 2018, les conséquences du handicap sur le plan professionnel sont susceptibles de durer pendant plus d’un an à la date de la demande de renouvellement du bénéfice de l’allocation le 1er mai 2020.

Ensuite, il ressort du courrier de l’organisme de formation Re-Travailler le 25 février 2010, du courrier du Centre hospitalier de [Localité 6], daté du 2 mai 2019, du courrier de la société [3] en date du 10 mai 2019, du courrier de pôle emploi en date du 25 juin 2019, tous adressés à Mme [T], nom de naissance de Mme [O], ainsi que des attestations de fin de formation des 9 décembre 2019 et 27 mars 2020 intitulées ‘Construire et valider son projet professionnel’, et d’autres courriers de pôle emploi courant 2021 faisant état de la candidature de Mme [O] aux postes d’hotesse d’accueil, d’agente d’accueil, de secrétaire , d’agent administratif , d’auxiliaire de vie à domicile, de secrétaire médicale, que la requérante en multiplié les recherches d’emploi et en se formant démontre être dans une démarche avérée d’insertion professionnelle au jour de la demande.

Surtout, il ressort du courrier de Cap emploi à Mme [T], nom de naissance de Mme [O], en date du 26 novembre 2020 que, depuis 2010, l’institution a mis en place avec la requérante les étapes de son parcours pour envisager son insertion professionnelle (permis, formations, immersions, travail du projet, bilan des fonctions motrices), que la requérante a validé le permis et des formations dans la difficulté malgré les aménagements mis en place, qu’il lui a été nécessaire de s’adapter en permanence (changer de projet, mettre plus de temps pour valider une formation, reporter des formations en raison de la santé…), de sorte qu’elle présente un handicap moteur qui a une forte incidence sur son insertion professionnelle. Cap emploi y indique encore qu’ ‘au regard de son parcours et des conclusions que nous pouvons faire suite aux démarches effectuées depuis 2010, Cap emploi 13 se questionne sur sa capacité à tenir un emploi même sédentaire et à temps partiel.’

Il résulte de ces éléments d’informations que Mme [O] a bien un projet d’insertion professionnelle qui n’a pas abouti en raison des seules incidences de son handicap, au jour de la demande le 1er mai 2020.

Elle présente donc une restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi qui, compte tenu du taux d’incapacité qu’elle présente, lui ouvre droit à l’allocation aux adultes handicapés.

Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.

La Maison Départementale des Personnes Handicapées succombant à l’instance sera condamnée aux dépens de la première instance et de l’appel, étant précisé que les frais de consultation médicale de première instance incombent à la caisse nationale d’assurance maladie .

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par décision réputée contradictoire,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Dit que Mme [O] présente, au jour de sa demande en renouvellement du bénéfice de l’allocation aux adultes handicapés au 1er mai 2020, un taux d’incapacité égal ou supérieur à 50% et inférieur à 80% avec restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi qui lui ouvre droit à l’ allocation aux adultes handicapés pendant cinq ans à compter du 1er mai 2020,

Condamne la Maison Départementale des Personnes Handicapées au paiement des dépens de la première instance et de l’appel, étant précisé que les frais de consultation médicale de première instance incombent à la caisse nationale d’assurance maladie.

La greffière La présidente

 


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