Arrêt de la Cour d’Appel d’Agen du 5 avril 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 21/01057

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Arrêt de la Cour d’Appel d’Agen du 5 avril 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 21/01057
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ARRÊT DU

05 Avril 2023

AB / NC

———————

N° RG 21/01057

N° Portalis DBVO-V-B7F -C6MS

———————

[S] [W]

C/

SARL ETABLISSEMENTS CARRETIER & FILS

——————

GROSSES le

aux avocats

ARRÊT n° 164-23

COUR D’APPEL D’AGEN

Chambre Civile

LA COUR D’APPEL D’AGEN, 1ère chambre dans l’affaire,

ENTRE :

Monsieur [S], [Z] [W]

né le 17 novembre 1959 à [Localité 4]

de nationalité française, agriculteur

domicilié : [Adresse 5]

[Localité 1]

représenté par Me Guy NARRAN, membre de la SELARL GUY NARRAN, avocat postulant au barreau d’AGEN

et Me Nicolas DALMAYRAC, avocat associé de la SCP CAMILLE AVOCATS, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE

APPELANT d’un jugement du tribunal judiciaire de CAHORS en date du 19 novembre 2021, RG 19/00873

D’une part,

ET :

SARL ETABLISSEMENTS CARRETIER & FILS pris en la personne de son représentant légal actuellement en fonctions domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Thierry CHEVALIER, SCP MERCADIER CHEVALIER, avocat au barreau du LOT

INTIMÉE

D’autre part,

COMPOSITION DE LA COUR :

l’affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 1er mars 2023 devant la cour composée de :

Président : André BEAUCLAIR, Président de chambre, qui a fait un rapport oral à l’audience

Assesseurs : Dominique BENON, Conseiller

Jean-Yves SEGONNES, Conseiller

Greffière : Nathalie CAILHETON

ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

‘ ‘

EXPOSÉ DU LITIGE

Vu l’appel interjeté le 6 décembre 2021 par M. [S] [W] à l’encontre d’un jugement du tribunal judiciaire de CAHORS en date du 19 novembre 2021.

Vu les conclusions de M. [S] [W] en date du 24 février 2022.

Vu les conclusions de la SARL ETS CARRETIER ET FILS (la société CARRETIER) en date du 16 mai 2022.

Vu l’ordonnance de clôture du 23 novembre 2022 pour l’audience de plaidoiries fixée au 1er mars 2023.

——————————————

M. [W] a acquis 40 bovins d’élevage auprès de la société CARRETIER suivant factures en date des :

– 10 février 2014 pour un montant de 2. 442,80 euros (4 bêtes)

– 18 février 2014 pour un montant de 4. 415,30 euros TTC (6 bêtes),

– 13 avril 2014 pour un montant de 4.400 euros TTC (5 bêtes),

– 21 octobre 2014 pour un montant de 7.007 euros TTC (7 bêtes),

– 23 avril 2015 pour un montant de 3.764,80 euros (3 bêtes),

– 25 mai 2015 pour un montant de 6.366,06 euros TTC (5 bêtes),

– 8 juin 2015 pour un montant de 3.010,20 euros TTC (3 bêtes),

– 27 janvier 2016 pour un montant de 3.010,20 euros TTC (3 bêtes),

– 13 mars 2016 pour un montant de 4.620 euros TTC (4 bêtes).

M. [D] [T], conseiller auprès de la Chambre de l’Agriculture du LOT a visité l’élevage et dressé un compte-rendu en date du 26 août 2016 décrivant un état des bovins satisfaisant outre quelques animaux maigres avec un poil piqué. M. [T] a préconisé des examens en lien avec une suspicion de para-tuberculose.

Dans une attestation du 4 novembre 2017, le Docteur [G] [N], vétérinaire, a indiqué avoir constaté le décès d’une vingtaine de bêtes, présentant des symptômes similaires d’amaigrissement et de diarrhées. Il a posé le diagnostic de para-tuberculose et explique qu’une confirmation par le “laboratoire 46″ est intervenue.

Par des attestations datées du 11 juillet 2019 au 18 octobre 2019, le Docteur [N] a qualifié certaines vaches de M. [W] de sauvages et d’inaptes à l’élevage.

Par acte d’huissier signifié le 18 octobre 2019, M. [W] a assigné la société CARRETIER sur le fondement des articles 1641 et suivants du code civil en remboursement des sommes versées, outre réparation de son préjudice financier et autres préjudices à parfaire.

En réponse la société CARRETIER soulève l’irrecevabilité de la demande et au fond conclut au débouté.

Par jugement en date du 19 novembre 2021, le tribunal judiciaire de CAHORS a notamment :

– déclaré irrecevables les demandes de M. [W] au titre de la garantie des vices cachés,

– rejeté le surplus des demandes,

– condamné M. [W] à payer à la SARL ETABLISSEMENTS CARRETIER ET FILS la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles et non compris dans les dépens,

– Condamné M. [W] aux entiers dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Thierry CHEVALIER.

Tous les chefs du jugement sont expressément critiqués dans la déclaration d’appel.

M. [S] [W] demande à la cour de :

– infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

– statuant à nouveau ; condamner la société CARRETIER à lui payer les sommes suivantes :

– condamner la société CARRETIER à lui payer la somme de 10.000,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Guy NARRAN.

Il fait valoir que :

– il existe une convention contraire implicite entre les parties : la destination des bovins était l’élevage, et le vendeur ne pouvait ignorer les qualités essentielles attendues de ce bétail qu’il soit exempt de maladie mortelle

– il est éleveur de bovins et non boucher, il perçoit la prime aux bovins allaitants, il a acquis des bovins pour les élever, ce que n’ignorait pas le vendeur

– la garantie des vices cachés de l’article 1641 du code civil doit être appliquée : le point de départ du délai d’action est le jour où le diagnostic de para-tuberculose a été posé soit le 4 novembre 2017, il a agi dans le délai de deux ans, son action est recevable

– la para-tuberculose est une maladie mortelle qui rend l’animal impropre à l’élevage, en outre certaines bêtes livrées sont sauvages et inaptes à l’élevage et deux vaches ne produisent pas de lait et ne peuvent nourrir leurs veaux.

– la para-tuberculose infecte tous les animaux acquis auprès de l’intimée, elle infecte les jeunes animaux et se déclare entre deux et cinq ans plus tard, elle est indécelable avant deux ans. Le vice est antérieur à la vente.

– il réclame le remboursement des factures dont il s’est acquitté, l’indemnisation de son préjudice financier et l’indemnisation de son préjudice moral.

La SARL CARRETIER et FILS demande à la cour de :

– à titre principal, confirmant la décision déférée, déclarer irrecevable M. [W] en toutes ses demandes, fins et prétentions ;

– subsidiairement et au fond, si la cour devait dire et juger lesdites demandes recevables : débouter M. [W] de toutes ses demandes comme infondées ;

– en tout état de cause : le condamner à lui payer les sommes de :

– ainsi qu’en tous les dépens, dont distraction au profit de Maître Thierry CHEVALIER.

Elle fait valoir que :

– il n’existe aucune convention de nature à écarter l’application des articles L 213-1 et suivants du code rural

– l’appelant achète des bovins qu’il engraisse et revend, il n’a aucune activité de production laitière ou de reproduction des animaux

– l’appelant n’a pas agi dans les délais des articles R 213-5 et R 213-6 du code rural, son action est prescrite depuis le 28 mars 2016.

– sur le fondement de la garantie des vices cachés du code civil, la connaissance du vice est antérieure de deux ans à l’assignation, la date du diagnostic du laboratoire 46 n’est pas connue, seules 11 vaches sur 40 vendues sont identifiées dans les pièces et aucune pièce ne permet d’identifier exactement les bêtes infectées.

– aucune expertise n’a été diligentée permettant une action en rédhibition ; aucune pièce émanant du laboratoire 46 n’est produite aux débats justifiant du diagnostic de tuberculose.

– il n’est pas établi qu’au moment de la vente, un seul animal ait été contaminé

– il n’est pas demandé réparation du préjudice mais les frais de fonctionnement sur six années pour les vaches vendues.

Il est fait renvoi aux écritures des parties pour plus ample exposé des éléments de la cause, des prétentions et moyens des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur la recevabilité de la demande :

– Sur l’application des dispositions du code rural

Aux termes de l’article L213-1 du code rural dans sa rédaction applicable à l’espèce, l’action en garantie, dans les ventes ou échanges d’animaux domestiques est régie, à défaut de conventions contraires, par les dispositions de la présente section, sans préjudice des dommages et intérêts qui peuvent être dus, s’il y a dol.

Il n’existe aucune convention expresse contraire.

Les parties peuvent ainsi écarter l’application des dispositions du code rural par une convention implicite et résultant notamment de la destination des animaux vendus et du but poursuivi par les parties et qui constitue la condition essentielle du contrat.

La SARL CARRETIER et FILS considère qu’il existe une convention contraire quand est vendue une vache laitière ou un bovin reproducteur.

En l’espèce ont été vendues des bovins et des veaux dont les parties conviennent qu’ils sont destinés à l’élevage, c’est à dire à la production de viande, les veaux engraissés sont destinés à la boucherie, suivis par les vaches qui sont réformées à l’issue d’un certain nombre de mises bas suivies d’allaitement de leurs veaux. La destination des animaux est donc la production de viande, et le but poursuivi par les parties et la prospérité de cet élevage qui n’est atteint que si les bovins sont en bonne santé, et en particulier exempts de maladie contagieuse dont la tuberculose.

Il convient donc de considérer qu’il existe une convention implicite contraire à l’application des dispositions du code rural, et le droit commun de la garantie des vices cachés dans la vente trouve à s’appliquer au présent litige.

Aux termes de l’article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus.

Aux termes de l’article 1648 alinéa 1 du code civil, l’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.

Il convient donc de rechercher la date à laquelle le vice a été découvert. Le vice allégué est la para-tuberculose dont seraient atteints les bovins visés par les factures ci-dessus rappelées.

La cour relève que M. [W] avance l’existence d’une analyse du ‘Laboratoire 46″ qu’il ne produit pas bien qu’elle lui ait été demandée en première instance et qu’à l’audience devant la cour il reconnaisse l’avoir en sa possession. Au-delà la réalité de l’existence du vice, la date de sa découverte objective n’est pas établie.

M. [W] produit :

– un compte rendu de conseil dressé le 24 août 2016 par M. [T], groupement de défense sanitaire du LOT qui relève : quelques individus maigres poils piqués (suspicion de para-tuberculose) constat sur les dernières introductions d’animaux plus petits on a l’impression d’un arrêt de croissance ; les préconisations sont les suivantes : 3 s’inscrire dans un plan para tuberculose pour la prophylaxie prochaine, surveillance des taureaux ; 5 se débarrasser au plus tôt des animaux plus para tuberculose : contacter les vétérinaires de l’exploitation causes des mortalités précédentes ; aides analyse para tuberculose 40% si engagement en plus. Ce rapport ne mentionne aucun numéro d’identification des bovins objet des ventes litigieuses

– une attestation du dr [N] vétérinaire en date du 4 novembre 2017 qui relate les acquisitions d’animaux en 2014. ‘Par la suite une vingtaine de bêtes sont décédées sur deux années. Ces animaux maigrissaient, présentaient de la diarrhée et mourraient. Le diagnostic de para tuberculose a donc été posé et confirmé par le laboratoire 46”. [suivent des développements sur l’apparition de la para tuberculose].Cette attestation ne mentionne aucun numéro d’identification des bovins objet des ventes litigieuses.

– une deuxième attestation du dr [N] en complément de la précédente, en date du 11 juillet 2019, aux termes de laquelle, il indique que M. [W] a acheté en 2014 – 2016 des vaches à un marchand pour l’élevage, ces animaux se sont révélés malades (para-tuberculose incurable), sauvages (non adaptées à l’élevage) infécondes (vu la baisse des naissances) et donc les problèmes ont continué. Ces animaux provenaient de régions infestées de para tuberculose (en race limousine) et d’élevages qui arrêtaient et liquidaient ces bêtes.

– une série d’attestations en date du 10 octobre 2019 du dr [U] vétérinaire relatant ses visites aux animaux au cours du mois de janvier à septembre 2016 et déclarant que les animaux visités semblaient atteints de para tuberculose. Ces attestations mentionnent le numéro d’identification de 12 bovins dont 11 sont l’objet des ventes litigieuses.

Il en ressort que l’infestation de para-tuberculose est décelée par le vétérinaire dès janvier 2016, et rappelée à chacune de ses visites étalées jusqu’en septembre 2016, qu’elle est soupçonnée par M. [T] dès août 2016 de façon suffisamment claire pour qu’il préconise des mesures radicales de lutte contre cette infestation, en préconisant des analyses que le ‘laboratoire 46’, dont l’identité exacte n’est pas précisée a été saisi et a confirmé le diagnostic.

Le rapport d’analyse du ‘laboratoire 46’ n’est pas produit. M. [W] qui le détient nécessairement, et qui seul est de nature à établir objectivement la date à laquelle M. [W] a eu effectivement connaissance du vice affectant les animaux en litige.

Faute pour M. [W] de produire le compte rendu d’analyse du ‘laboratoire 46’, il convient de rechercher la date à laquelle il a découvert la para tuberculose dont il estime les bovins atteints. Les éléments suivants peuvent être retenus :

– le diagnostic des vétérinaires est réitéré tout au long de l’année 2016, il n’est établi que pour 11 animaux sur les 40 vendus

– des analyses sont préconisées dès le 24 août 2016

– l’attestation du dr [N] du 4 novembre 2017 permet de retenir que le diagnostic posé par le rapport du laboratoire est intervenu après une vingtaine de décès d’animaux.

-M. [W] produit les historiques des enlèvements de cadavres d’animaux par l’équarrisseur pour les années 2015 à 2019 : il est justifié de 17 enlèvements de bovins acquis auprès de la société CARRETIER, dont 15 ont lieu avant le 31 décembre 2016.

Il apparaît donc que M. [W] a été convaincu que ses animaux étaient infestés de la para-tuberculose dès le mois d’août 2016 date à laquelle il a pris les mesures prophylactiques nécessaires qui se sont avérées efficaces au vu de la chute de la mortalité.

L’assignation est en date du 18 octobre 2019. À cette date l’action de M. [W] qui connaissait le vice de para-tuberculose depuis août 2016 était prescrite.

Pour ce qui est du vice de sauvagerie des animaux, ce vice apparaît à la livraison des animaux et celui de la stérilité à l’issue de la première année suivant la livraison. Il apparaît que ces vices étaient connus avant le 18 octobre 2017, au vu des dates des factures d’achat des bovins concernés, l’action sur ce fondement est de même prescrite.

Le jugement est donc confirmé.

2- Sur les mesures accessoires :

M. [W] succombe, il supporte la charge des dépens augmentée d’une somme de 1.500,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et y ajoutant,

Condamne M. [S] [W] à payer à la SARL CARRETIER ET FILS la somme de 1.500,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [S] [W] aux entiers dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par André BEAUCLAIR, président, et par Nathalie CAILHETON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière, Le Président,

 


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