Arrêt de la Cour d’Appel d’Agen du 4 avril 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 21/01056

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Arrêt de la Cour d’Appel d’Agen du 4 avril 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 21/01056
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ARRÊT DU

04 AVRIL 2023

PF/CO*

———————–

N° RG 21/01056 –

N° Portalis DBVO-V-B7F-C6MO

———————–

[M] [T]

C/

SARL COPROMETAL

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Grosse délivrée

le :

à

ARRÊT n° 62 /2023

COUR D’APPEL D’AGEN

Chambre Sociale

Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d’appel d’Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le quatre avril deux mille vingt trois par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président de chambre assistée de Danièle CAUSSE, greffier

La COUR d’APPEL D’AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l’affaire

ENTRE :

[M] [T]

demeurant [Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Yann DELBREL, avocat inscrit au barreau d’AGEN

APPELANT d’un jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation de départage d’AGEN en date du 09 novembre 2021 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. F 19/00171

d’une part,

ET :

La SARL COPROMETAL prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Valérie LACOMBE, avocat postulant inscrit au barreau d’AGEN et par Me Philippe TREHOREL, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS

INTIMÉE

d’autre part,

A rendu l’arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 07 février 2023 devant Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président de chambre, Pascale FOUQUET et Benjamin FAURE, conseillers, assistés de Chloé ORRIERE, greffier, et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l’arrêt serait rendu.

* *

*

FAITS ET PROCÉDURE :

M. [M] [T] a été recruté par la société Coprometal, dont le siège social est situé à [Localité 1] (47), suivant un premier contrat de travail à durée déterminée du 26 mars au 25 avril 2007 en qualité de chauffeur livreur manutentionnaire, puis par contrat à durée déterminée du 26 avril au 25 octobre 2007 en qualité de chauffeur livreur manutentionnaire pour une durée de travail de 169 heures par semaine et une rémunération mensuelle brute de 1 663,98 euros.

Un nouveau contrat à durée déterminée à plein temps du 26 octobre 2007 au 28 avril 2008 a été signé aux mêmes conditions.

Le 26 avril 2008, un contrat de travail à durée indéterminée a été conclu entre les parties.

La société comptait deux établissements, tous deux situés à [Localité 1], lieu-dit « Mau », Le Lédat, dont l’activité était l’emballage et le conditionnement destinés aux professionnels et à « Campagnac Finelle », Le Lédat, dont l’activité était la fabrication et la pose de menuiseries aluminium.

Pendant toute la durée de la relation contractuelle, M. [T] a exercé son activité sur le site de « Mau ».

Par lettre du 20 novembre 2015, le salarié était convoqué à un entretien préalable à son licenciement fixé au 30 novembre 2015. Il lui était remis un contrat de sécurisation professionnelle (CSP).

Le 9 décembre 2015, son employeur lui notifiait son licenciement pour motif économique.

Le 8 décembre 2016, M. [M] [T] a saisi le conseil de prud’hommes d’Agen afin de contester son licenciement.

Après radiation, l’affaire a été réinscrite au rôle puis renvoyée à l’audience de départage.

Par jugement du 9 novembre 2021, le conseil de prud’hommes présidé par le juge départiteur a jugé que le licenciement de M. [M] [T] reposait sur une cause réelle et sérieuse, a débouté le salarié de sa demande en dommages et intérêts et en heures supplémentaires, l’a condamné à verser à la société Coprometal la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamné aux dépens.

Par déclaration du 7 décembre 2021, M. [M] [T] a régulièrement déclaré former appel du jugement en visant les chefs de jugement critiqué qu’il cite dans sa déclaration d’appel.

La procédure de mise en état a été clôturée par ordonnance du 1er décembre 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

I. Moyens et prétentions de M. [M] [T] appelant principal

Selon dernières conclusions enregistrées au greffe de la cour le 4 mars 2022 expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l’appelant, M. [M] [T] demande à la cour, rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées, de :

– Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes d’Agen du 9 novembre 2021

– Juger son licenciement comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse

En conséquence,

– Condamner la société Coprometal au paiement à son profit de la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts

– Condamner la société Coprometal à lui verser la somme de 6 483,60 euros au titre des heures supplémentaires outre une somme de 648,36 euros nets au titre des congés payés sur heures supplémentaires

– Condamner la société Coprometal à lui verser la somme de 13 113,48 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé

– Condamner la société Coprometal à lui remettre :

– Un bulletin de paie rectificatif,

– Une attestation Pôle emploi rectifiée,

dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l’arrêt, ou passé ce délai, sous astreinte provisoire de 50,00 € par jour de retard et par document

– Condamner la société Coprometal à lui verser la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

A l’appui de ses prétentions, M. [M] [T] fait valoir :

I- Sur le bien fondé du licenciement

Il reconnaît que la société justifie des difficultés économiques.

Cependant, il soutient que l’employeur ne justifie pas avoir respecté l’ordre des licenciements ni son obligation de reclassement

– sur l’ordre des licenciements :

– les dispositions de l’article L.1233-5 du code du travail dans sa version en vigueur du 8 août 2015 au 24 septembre 2017 n’ont pas été respectées

– son poste n’était pas seulement celui de chaufeur livreur mais de chauffeur livreur manutentionnaire

– le critère d’ancienneté n’a pas été respecté : plusieurs manutentionnaires recrutés après lui sont demeurés dans la société comme le démontre le registre du personnel produit par l’employeur

– le critère tenant à la situation personnelle n’a pas été respecté : il est chargé de famille

– sur le non respect de l’obligation de reclassement :

– l’employeur n’a formulé aucune proposition, se justifiant par la taille de l’entreprise

– l’employeur n’a pas tenté de le reclasser comme ‘manutentionnaire’ sur les deux sites mais a raisonné comme s’il était seulement ‘chauffeur livreur’

– le procès-verbal de réunion du 19 novembre 2015 avec le délégué du personnel ne différencie pas les deux sites

– le contrat d’assistant technique de M. [W] a pris fin le 21 septembre 2015 sans remplacement immédiat et sans qu’il ne lui soit proposé

– l’employeur ne démontre pas en quoi il n’avait pas les compétences requises ni en quoi il aurait pu les détenir ou les affiner

– l’employeur a recruté Mme [Y], ancienne salariée, comme manutentionnaire le 1er septembre 2016 laquelle apparait avoir été engagée à durée indéterminée alors qu’elle ne bénéficiait d’aucune priorité de réembauche alors qu’il était signataire d’un contrat de sécurisation professionnelle et aurait dû bénéficier d’une priorité de réembauche en application de l’article L.1233-45

– il était aisé pour l’employeur de remplir son obligation d’information car il travaillait sur le site lorsqu’elle a été engagée

– il est âgé de 56 ans et n’a pas retrouvé d’emploi

II- Sur les heures supplémentaires :

1)- Sur la réalité des heures supplémentaires effectuées

– il produit la copie de ses disques chronotachygraphes pour les années 2014, 2015, 2016

– il existe des irrégularités : deux disques ont été utilisés la même journée pour dissimuler un dépassement de la durée légale de travail

– les attestations de Mme [J] et de M. [X] ont déjà été produites en première instance mais il verse en appel celles de Mme [C], sa compagne et celle de M. [O], ancien collège dans la société

– la badgeuse était débranchée comme en attestent Mme [J], M.[X] et M. [O] et il joint la photographie

– ce dysfonctionnement est attesté par M. [R] qui l’impute à la gérante, Mme [B], de façon volontaire

– l’employeur opérait une compensation partielle du paiement des heures supplémentaires en réglant des indemnités repas, de nuitées ou de panier

– certains de ses bulletins de salaire portent des post-it indiquant la correspondance entre les sommes versées au titre de ces indemnités et le nombre d’heures réglées au taux normal

– l’analyse des disques produite par l’employeur est non contradictoire

– sa méthodologie n’est pas précisée

– il ignore s’il existe des liens éventuels entre la société employeur et la société STR qui a effectué l’analyse

– le nombre d’heures travaillées, supérieur à celui figurant sur les disques, tient au fait qu’il travaillait aussi à l’usine de cartons comme manutentionnaire tel qu’en atteste M. [R]

– le décompte d’heures travaillées qu’il produit n’est pas contesté par l’employeur

– il était embauché pour une durée de 169 heures. Or, ses bulletins de salaire à compter du 1er janvier 2012 portent la mention de 151,67 heures et ne portent mention ni du taux normal ni du taux majoré ce qui le place en difficulté pour calculer les heures effectivement dues ni ne précisent de journées de récupération

– au regard de son tableau, il a effectué au minima 360 heures non payées qui doivent être majorées à 25%

2)- Sur le travail dissimulé :

– l’employeur ne pouvait ignorer le dépassement du temps de travail puisqu’il a laissé des post it sur les bulletins de salaire indiquant le nombre d’heures ‘réglées’ par différentes indemnités de repas, nuitées, panier ce qui démontre l’élément intentionnel.

II. Moyens et prétentions de la société Coprométal intimée sur appel principal

Selon dernières conclusions enregistrées au greffe de la cour le 13 mai 2022 expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l’intimé, la société Coprometal demande à la cour de :

Avant toute défense au fond,

– Ecarter la demande de Monsieur [M] [T] d’un montant de 13.113,48 € à titre d’indemnité pour travail dissimulé, irrecevable car constituant une demande nouvelle présentée pour la première fois en cause d’appel

Subsidiairement,

– Débouter Monsieur [M] [T] de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé,

Sur le fond,

– Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes d’Agen du 9 novembre 2021 en ce qu’il a :

– Dit que le licenciement de Monsieur [M] [T] reposait sur une cause réelle et sérieuse,

– Débouté Monsieur [M] [T] de sa demande de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– Débouté Monsieur [M] [T] de sa demande au titre des heures supplémentaires,

– Condamné Monsieur [M] [T] à lui verser la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamné Monsieur [M] [T] aux entiers dépens,

A l’appui de ses prétentions, la société Coprometal relève que le salarié a engagé son action un an après son licenciement et à titre préliminaire que la demande en travail dissimulé est irrecevable comme étant une demande nouvelle au sens de l’article 564 du code de procédure civile

I- Sur le licenciement économique : L.1233-3

1) – le poste de chauffeur livreur manutentionnaire du salarié a été supprimé à la suite de la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité : l’activité de livraison en interne a été totalement supprimée

– par « manutentionnaire », il faut entendre les travaux annexes de manutention directement liés aux fonctions de chauffeur livreur

– le salarié a reconnu devant le conseil de prud’hommes d’Agen la réalité des difficultés économiques de la société

– elle justifie du motif économique en versant des éléments comptables qui démontrent une baisse croissante de son chiffre d’affaires et de ses résultats ainsi que la note remise à la déléguée du personnel

– le conseil de prud’hommes en a tenu compte dans sa décision

2) – elle a supprimé les deux postes de chauffeur livreur manutentionnaire

– il n’y a eu aucune embauche sur ce type de poste depuis le 21 décembre 2015 comme en atteste le registre du personnel

– elle a ensuite fait appel à des prestataires externes et en justifie en versant les factures et ses courriels

– elle a cédé l’un de ses véhicules lourds en 2016 et en justifie

– le salarié a été embauché en 2016 pour la période estivale ce qui était possible car il existait un accroissement ponctuel de l’activité. Aucun contrat à durée indéterminée n’a été ensuite conclu pour ce poste

3) – son reclassement était impossible :

– elle employait 18 salariés à la date du licenciement dans ses deux établissements

– à la fin de l’année 2015, aucun poste ni même de simple manutentionnaire n’était disponible

– le salarié n’avait pas les compétences pour prétendre au poste de M. [W], assistant technique (suivi des dossiers et réalisation de dessins)

– ce poste n’a pas été remplacé à la fin de son contrat, fin septembre 2015

– le salarié n’a pas demandé à bénéficier de la priorité de réembauchage

– la recherche de reclassement doit être « préalable » au licenciement tandis que la demande de réembauchage doit être faite « postérieurement » au licenciement

– la priorité de réembauchage ne doit pas être confondue avec l’obligation de reclassement

4) – sur le critère d’ordre :

– il soulève ce moyen pour la première fois en cause d’appel

– ce moyen est inopérant car son non respect donne lieu à une indemnisation spécifique sans rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse

– le poste du salarié n’a jamais été un poste de « manutentionnaire » mais de chauffeur livreur manutentionnaire

– il démontre le motif économique du licenciement qui repose sur une cause réelle et sérieuse :

– sa situation financière était obérée et lui imposait de prendre des mesures de réorganisation pour assurer sa compétitivité

– le poste de M. [T] a été supprimé

– elle a été dans l’impossibilité de lui proposer un poste de reclassement

– sur les dommages et intérêts sollicités par le salarié :

– en première instance, il n’a fourni aucun justificatif

– le CSP dont il a bénéficié présentait des avantages car il lui permettait de réaliser des périodes d’activités rémunérées en entreprise, en contrat à durée déterminée ou en contrat de travail temporaire qui prolongeaient le dispositif ; il n’avait aucun intérêt à faire prévaloir sa priorité de réembauche

– le salarié verse une attestation Pôle emploi du 17 février 2021 qui justifie son inscription à l’allocation de retour à l’emploi à compter 8 février 2021 et qu’il est inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi catégorie 3 depuis le 1ER décembre 2020 soit 5 ans après son licenciement

– il ne justifie donc pas de sa situation entre son licenciement et le 1er décembre 2020 car il a certainement retrouvé une activité professionnelle

II- Sur les heures supplémentaires :

– pendant son activité, le salarié n’a formulé aucune demande

– il demandait un an après l’équivalent de 1500 heures sur deux ans lors de la saisine, ramené à 360 heures à minima

– le salarié était en possession des disques originaux qu’il lui a restitués par l’intermédiaire de son conseil

– il produit en appel la copie des disques 2016

– l’attestation de M. [A] [P] est mensongère car il n’a jamais fait partie des effectifs comme le démontre le registre du personnel qu’il produit. Depuis, le salarié a retiré cette pièce des débats

– les décomptes manuscrits du salarié sont incohérents avec les disques qu’il verse lui-même aux débats

– M. [G], gérant de la société STR47 spécialisée dans l’analyse des disques, a procédé, dans un premier temps, à une analyse visuelle des copies de disques de 2014 et 2015

– il a relevé des incohérences entre le décompte du salarié et les temps de service analysés. Ainsi : le 30 janvier 2014 ; au mois de février 2014 ; au mois d’août et septembre 2014

– dans tous les cas, la durée du travail du salarié ne dépasse pas les 169 heures mensuelles

– dans un second temps, une fois restitués, elle a fait procéder par la même société à l’analyse des disques en originaux, dans leur intégralité.

– des incohérences ont de nouveau été relevées : le temps de travail effectif est inférieur au temps de travail que le salarié invoque comme il a été jugé en première instance

– le salarié verse en appel ses mêmes relevés d’heures qualifiés de « confus et incompréhensibles » par les premiers juges

– le salarié fonde sa demande en rappel de salaire sur des attestations auxquelles le juge départiteur a dénué toute force probante

– le salarié ne justifie d’aucun calcul et leur montant a fluctué au cours de la procédure

– les post-it dont fait état le salarié n’établissent pas l’élément intentionnel du travail dissimulé ni ne démontrent que l’employeur en serait l’auteur. De plus, il n’est pas prouvé qu’ils ont le sens donné par le salarié

MOTIFS :

I- Sur la recevabilité de la demande en travail dissimulé :

L’article 565 dispose que : « La prétention n’est pas nouvelle dès lors qu’elle tend aux mêmes fins que celle soumise aux premiers juges même si son fondement juridique est différent » et l’article 566, que : « Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ».

En l’espèce, il existe un lien de dépendance nécessaire entre la demande en rappel d’heures supplémentaires et la demande indemnitaire en travail dissimulé car le salarié soutient que celles-ci démontrent au regard des bulletins de salaire l’existence d’un travail dissimulé.

Par conséquent, la cour déclare la demande recevable.

II- Sur le licenciement économique :

L’article L.1233-3 du code du travail dispose que :

« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lorsque la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d’activité de l’entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L.233-1, aux I et II de l’article L.233-3 et à l’article L.233-16 du code de commerce.

Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l’une des causes énoncées au présent article, à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L.1237-11 et suivants et de la rupture d’un commun accord dans le cadre d’un accord collectif visée aux articles L.1237-17 et suivants. »

La lettre de licenciement est ainsi motivée :

« (‘) Face à cette situation, nous avons l’impérieuse nécessité pour tenter de sauvegarder notre compétitivité, de nous adapter à l’évolution du marché et de restructurer l’entreprise particulièrement en réduisant nos charges et en mettant en place une nouvelle organisation pérenne et efficace.

Nous avons donc pris la décision de supprimer totalement notre activité livraison en interne.

Dans un tel contexte, les deux postes de chauffeurs-livreurs, dont celui que vous occupez, seront supprimés.

Compte tenu de la petite taille de notre entreprise, nous ne sommes pas actuellement en mesure de vous faire une proposition de reclassement. Lors de notre réunion avec les délégués du personnel, cette question a également été abordée mais aucune solution de reclassement n’a pu être trouvée. »

La cour rappelle que M. [T] ne conteste pas les difficultés économiques invoquées par la société pour justifier son licenciement afin de sauvegarder sa compétitivité.

Cependant, il soutient que l’ordre des licenciements et l’obligation de reclassement n’ont pas été respectés.

A) Sur l’ordre des licenciements :

Aux termes des articles L.1233-5 du code du travail, dans sa version en vigueur du 8 août 2015 au 24 septembre 2017, lorsque l’employeur procède à un licenciement individuel ou collectif pour motif économique, et en l’absence de convention ou d’accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique, ou à défaut des délégués du personnel.

Ces critères prennent en compte :

1° Les charges de famille, en particulier celle des parents isolés ;

2° L’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise ;

3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;

4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie,

L’employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l’ensemble des autres critères prévus au présent article.

Pour les entreprises soumises à l’obligation d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi mentionné aux articles L.1233-61 à L.1233-63, le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements peut être fixé par l’accord collectif mentionné à l’article L.1233-24-1 ou par le document unilatéral mentionné à l’article L.1233-24-4.

Les conditions d’application de l’avant-dernier alinéa du présent article sont définies par décret. »

La cour considère ce moyen comme étant inopérant dans la mesure où il est soulevé à l’appui de la demande en dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alors que l’inobservation de l’ordre des licenciements ne rend pas le licenciement sans cause réelle et sérieuse mais peut seulement donner lieu à une indemnisation spécifique distincte qui n’est pas sollicitée.

B) Sur l’obligation de reclassement :

S’agissant du manquement à l’obligation de reclassement et d’adaptation invoqué par M. [T] selon l’article L.1233-4 du code du travail, le licenciement pour motif économique du salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient, sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent correspondant l’un et l’autre à la capacité et à l’expérience du salarié, ou, à défaut, et sous réserve de l’accord expresse de celui-ci, sur un emploi d’une catégorie inférieure.

Le manquement par l’employeur à son obligation de reclassement préalable au licenciement prive celui-ci de cause réelle et sérieuse et ouvre droit au profit du salarié au paiement de dommages et intérêts.

Les possibilités de reclassement doivent être recherchées au sein de l’entreprise et, le cas échéant, du groupe auquel elle appartient parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. S’agissant d’établissements situés hors territoires national, l’employeur demande au salarié s’il accepte de recevoir des offres hors de ce territoire et sous quelles restrictions.

Les offres de reclassement doivent être écrites, précises, concrètes et personnalisées et il appartient à l’employeur, le cas échéant, de dispenser une formation permettant l’adaptation au nouvel emploi.

Il revient à l’employeur de démontrer qu’il s’est acquitté loyalement de son obligation de reclassement, laquelle est de moyens.

Le licenciement économique du salarié ne pouvant intervenir que si le reclassement de l’intéressé dans l’entreprise ou dans le groupe dont elle relève est impossible, il appartient à l’employeur de justifier qu’il a recherché toutes les possibilités de reclassement existantes ou qu’un reclassement est impossible.

Sauf dispositions conventionnelles étendant le périmètre du reclassement, l’employeur n’est pas tenu de rechercher des reclassements extérieurs à l’entreprise lorsque celle-ci ne relève pas d’un groupe dans lequel les permutations d’emplois sont possibles.

L’employeur doit rechercher et proposer au salarié les postes disponibles avant tout licenciement économique et le reclassement doit être tenté avant la notification du licenciement.

Pour confirmer le jugement entrepris en ce ce qu’il a débouté le salarié de sa demande en dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, il suffira de :

– constater que les premiers juges ont fait une exacte analyse de la situation et que le salarié n’apporte en appel aucun élément supplémentaire,

– rappeler que :

– l’employeur a justifié par production du registre du personnel qu’aucun poste de manutentionnaire n’était disponible à la date de son licenciement en fin d’année 2015

– le salarié a bénéficié d’une formation de transport public en marchandises du 18 mai au 22 mai 2015 assurée par la société

– la priorité de réembauchage, qu’il n’a jamais fait valoir après son licenciement, est distincte de l’obligation de reclassement

et d’ajouter que :

– le fait pour l’employeur d’avoir conservé dans la société des salariés aux postes de manutentionnaires alors qu’ils avaient été recrutés après lui concerne l’ordre des licenciements précédemment examiné et non l’obligation de reclassement et qu’en outre, ses recherches doivent porter sur les seuls postes non occupés

– il s’agit de la même société basée sur deux sites distincts et non d’un groupe. Elle emploie en totalité 18 salariés. Il ressort du compte-rendu de réunion du 19 novembre 2015 que l’ordre du jour était ‘information et consultation des délégués du personnel de la société Coprométal sur un projet de compression des effectifs de la société et de licenciement collectif pour motif économique en résultant’ et que l’impossibilité de reclasser en interne portait sur les deux sites sans qu’il y ait lieu de distinguer compte tenu de sa dimension.

III- Sur les heures supplémentaires :

Aux termes de l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d”heures de travail effectuées, l”employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles et , dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, en évalue le nombre et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Si la preuve des horaires de travail effectués n’incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l’employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de présenter, préalablement, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies pour permettre à l’employeur, qui doit assurer le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en fournissant ses propres éléments.

Pour confirmer le jugement entrepris, dont la cour adopte les motifs, en ce qu’il a débouté M. [T] de sa demande en rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, la cour observe en premier lieu que :

– le salarié ne tire aucune conséquence juridique du caractère non contradictoire de l’analyse des disques chronotachygraphes et ne demande pas davantage une expertise qui reste, au demeurant, à l’appréciation de la cour en application de l’article 232 du code de procédure civile

– hormis les attestations de Mme [C] et M. [O] et la photographie de la badgeuse débranchée, le salarié n’apporte aucun élément nouveau en appel. En raison des liens familiaux unissant Mme [C] et M. [T], la cour écarte son attestation. L’attestation de M. [O] est sans effet car celui-ci n’indique pas la date des faits pour lesquels il atteste. En outre, la simple photographie de l’appareil de pointage débranché ne constitue pas en soi une preuve étant donné sa manipulation possible par toute personne de la société et à tout moment.

IV- Sur le travail dissimulé :

L’article L.8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé, défini par l’article L.8221-3 du même code relatif à la dissimulation d’activité ou exercé dans les conditions de l’article L.8221-5 du même code.

L’article L.8221-5, 2 du code du travail dispose notamment qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Toutefois, la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.

L’apposition de simples post it sur les bulletins de salaire indiquant sur certains : « 70 heures réglées », « 12 h à nous devoir », « 9h50 à récupérer » n’est pas de nature à prouver qu’ils avaient comme destination la rémunération d’heures supplémentaires ni ne permet d’identifier leur auteur.

L’élément intentionnel n’étant pas démontré, la cour déboute M. [T] de sa demande indemnitaire et en remise d’un bulletin de salaire et d’une attestation Pôle emploi rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour de retard. en remise d’un bulletin de salaire et d’une attestation Pôle emploi rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

V- Sur les demandes annexes :

M.[T], qui succombe, sera condamné aux dépens d’appel. La condamnation prononcée en première instance à ce titre sera confirmée.

M. [T] sera condamné à payer en cause d’appel à la société Coprométal la somme de 700 euros au titre de l’article 700 du code de produre civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour après en avoir délibéré conformément à la loi, publiquement, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

DÉCLARE recevable la demande en travail dissimulé formée par M. [T],

CONFIRME le jugement du 9 novembre 2021 en ce qu’il a :

– dit que le licenciement de M. [M] [T] reposait sur une cause réelle et sérieuse

– débouté M. [M] [T] de sa demande en dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse

– débouté M. [M] [T] de sa demande au titre des heures supplémentaires

– a condamné M. [M] [T] à payer à la société Coprométal la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– a condamné M. [M] [T] aux dépens

Y ajoutant,

DÉBOUTE M. [M] [T] de sa demande indemnitaire pour travail dissimulé et en remise d’un bulletin de salaire et d’une attestation Pôle emploi rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour de retard,

CONDAMNE M. [M] [T] aux dépens d’appel,

CONDAMNE M. [M] [T] à payer à la société Coprométal la somme de 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président de chambre et Danièle CAUSSE, greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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