Arrêt de la Cour d’Appel d’Agen du 29 mars 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 21/01106

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Arrêt de la Cour d’Appel d’Agen du 29 mars 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 21/01106
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ARRÊT DU

29 Mars 2023

DB / NC

———————

N° RG 21/01106

N° Portalis DBVO-V-B7F -C6RG

———————

[J] [G]

[F] [I] épouse [G]

C/

[D] [A]

——————

GROSSES le

aux avocats

ARRÊT n° 139-23

COUR D’APPEL D’AGEN

Chambre Civile

LA COUR D’APPEL D’AGEN, 1ère chambre dans l’affaire,

ENTRE :

Monsieur [J] [G]

né le 13 août 1941 à [Localité 10] (Italie)

de nationalité italienne, retraité

Madame [F] [I] épouse [G]

née le 08 avril 1946 à [Localité 13]

de nationalité française, retraitée

domiciliés ensemble : [Adresse 3]

[Localité 12]

représentés par Me Philippe BELLANDI, substitué à l’audience par Me Sophie RIGAL, avocat postulant au barreau d’AGEN

et Me Max BARDET, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX

APPELANTS d’un jugement du tribunal judiciaire d’Agen en date du 22 juillet 2021, RG 18/00324

D’une part,

ET :

Madame [D] [A]

née le 15 avril 1939 à [Localité 11]

de nationalité française

domiciliée : [Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par Me Marie-Hélène THIZY, membre de la SELARL AD-LEX, avocate au barreau d’AGEN

INTIMÉE

D’autre part,

COMPOSITION DE LA COUR :

l’affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 04 janvier 2023 devant la cour composée de :

Président : André BEAUCLAIR, Président de chambre

Assesseurs : Dominique BENON, Conseiller qui a fait un rapport oral à l’audience

Jean-Yves SEGONNES, Conseiller

Greffière : Lors des débats : Charlotte ROSA , adjointe administrative faisant fonction

Lors de la mise à disposition : Nathalie CAILHETON

ARRÊT : prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

‘ ‘

FAITS :

[D] [A] a été propriétaire, à [Localité 12] (47) d’une maison d’habitation située [Adresse 4], cadastrée section AA n° [Cadastre 9], et d’un jardin attenant cadastré n° [Cadastre 8] d’une surface de 222 m².

La parcelle n° [Cadastre 8] est contiguë à la parcelle n° [Cadastre 7] qui appartient à [J] [G] et [F] [I] son épouse (les époux [G]), également propriétaires de la parcelle n° [Cadastre 6] sur laquelle est édifiée leur maison à l’adresse suivante : [Adresse 2].

En 1986, sur la parcelle n° [Cadastre 7] sur laquelle ils ont également une piscine, côté de la propriété [A], les époux [G] ont fait édifier un mur de parpaings d’une hauteur de 2,10 m.

En 2004, Mme [A] a fait réaliser par la société Waterair une piscine enterrée sur la parcelle n° [Cadastre 8].

En 2013, alors qu’elle faisait réaliser par [S] [Y], maçon, une plage carrelée autour de la piscine jusqu’au mur de la parcelle n° [Cadastre 7], M. [G] s’est plaint d’une surélevation du sol par apport de terres et a mis en cause une fissuration de son mur de clôture, des infiltrations et la création d’une vue au-dessus de son mur.

Après avoir fait réaliser un rapport par le cabinet Cunningham Lindsey, par acte délivré le 23 décembre 2014, les époux [G] ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance d’Agen à l’encontre de Mme [A].

Par ordonnance du 20 janvier 2015, le juge des référés a ordonné une expertise des travaux et des lieux confiée à [C] [E].

Par ordonnance du 7 août 2015, l’expertise a été déclarée commune à M. [Y].

M. [E] a déposé son rapport le 3 novembre 2015.

Il a conclu à l’existence, sur la parcelle n° [Cadastre 8] de Mme [A], d’une surélévation du sol côté piscine générant une vue directe sur la propriété des époux [G], et à l’amplification d’infiltrations en pied du mur de clôture de M. [G].

Au vu de l’expertise, par acte du 25 janvier 2016, les époux [G] ont fait assigner Mme [A] devant le juge des référés afin de voir cesser un trouble qualifié de manifestement illicite.

Par ordonnance du 22 mars 2016, le juge des référés a déclaré l’action tendant à voir constater le trouble manifestement illicite constitué par la vue sur la propriété prescrite.

Sur appel des époux [G], par arrêt rendu le 8 février 2017, cette Cour a infirmé l’ordonnance, et dit le juge des référés incompétent pour connaître du litige.

Par acte délivré le 7 février 2018, les époux [G] ont fait assigner Mme [A] devant le tribunal de grande instance d’Agen afin de voir supprimer la vue créée sur leur fond, de la voir astreindre à réaliser des travaux préconisés par M. [E], et de se voir indemnisés d’un trouble de jouissance et d’un préjudice moral.

Mme [A] a vendu sa propriété le 28 février 2019.

Elle a soulevé une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en suppression de vue et opposé l’irrecevabilité de la demande de réalisation de travaux, n’étant plus propriétaire des lieux.

Par jugement rendu le 22 juillet 2021, le tribunal judiciaire d’Agen a :

– déclaré l’action des époux [G] en indemnisation des travaux à entreprendre pour supprimer la vue illégale depuis le fonds voisin irrecevable,

– condamné Mme [D] [A] à payer à M. [J] [G] et Mme [F] [I] épouse [G] la somme de 2 750 Euros en réparation de leur préjudice lié aux désordres affectant leur mur,

– débouté M. [J] [G] et Mme [F] [I] épouse [G] de leur demande de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance,

– débouté M. [J] [G] et Mme [F] [I] épouse [G] de leur demande de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,

– débouté Mme [D] [A] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

– dit que chacune des parties conservera la charge des dépens qu’elle aura exposés dans le cadre de la procédure,

– débouté les parties de leurs demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties de leurs plus amples demandes,

– ordonné l’exécution provisoire du jugement.

Le tribunal a estimé que l’action en dommages et intérêts intentée par les époux [G] pour la vue prétendument illicite était soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil, laquelle était acquise du fait que la vue avait été créée dès la mise en oeuvre de la piscine en fin d’année 2004 et non en 2013 ; que par contre, les travaux effectués en 2013 avaient aggravé les infiltrations ; que les devis produits par les époux [G] n’étant pas satisfaisants, c’est une somme limitée à 2 750 Euros TTC qui devait être retenue au titre des travaux nécessaires pour mettre fin aux infiltrations ; et que les autres préjudices invoqués n’étaient pas justifiés.

Par acte du 21 décembre 2021, [J] [G] et [F] [I] épouse [G] ont déclaré former appel du jugement en indiquant que l’appel porte sur les dispositions du jugement qui ont :

– déclaré l’action des époux [G] en indemnisation des travaux à entreprendre pour supprimer la vue illégale depuis le fonds voisin irrecevable,

– condamné Mme [D] [A] à payer à M. [J] [G] et Mme [F] [I] épouse [G] la somme de 2 750 Euros en réparation de leur préjudice lié aux désordres affectant leur mur,

– débouté M. [J] [G] et Mme [F] [I] épouse [G] de leur demande de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance,

– débouté M. [J] [G] et Mme [F] [I] épouse [G] de leur demande de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,

– dit que chacune des parties conservera la charge des dépens qu’elle aura exposés dans le cadre de la procédure,

– débouté les parties de leurs demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté les parties de leurs plus amples demandes.

La clôture a été prononcée le 23 novembre 2022 et l’affaire fixée à l’audience de la Cour du 4 janvier 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS :

Par conclusions d’appelants notifiées le 18 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, [J] [G] et [F] [I] épouse [G] présentent l’argumentation suivante :

– Il existe une vue illégale sur leur fonds contraire à l’article 678 du code civil :

* la jurisprudence décide que les terrasses, plate-formes et exhaussement doivent être assimilés à des fenêtres et balcons.

* en matière de suppression de vue, la prescription extinctive est de trente ans.

* Mme [A] n’apporte pas la preuve de la date précise à laquelle elle a fait construire sa piscine ni surtout à quelle période elle a terminé la terrasse qui a créé la servitude.

* la vue n’a été effective qu’en 2013.

* l’expert judiciaire a constaté l’existence de cette vue et, compte tenu qu’elle donne sur leur propre piscine, l’a qualifiée de gênante.

– Leur mur a subi des dégradations constitutives d’un trouble anormal de voisinage :

* ces dégradations sont apparues en 2013 après création de la terrasse.

* la prescription ne peut courir qu’à compter de l’apparition du trouble.

* la poussée des terres entassées sous la terrasse de leur voisine génère des fissurations et des infiltrations.

* Mme [A] a même dégradé le mur.

– Mme [A] a fait des travaux non satisfaisants :

* désormais, compte tenu qu’elle a vendu sa propriété, ils ne peuvent plus lui demander de réaliser les travaux préconisés par l’expert : revenir au mur originel en réalisant une tranchée d’une largeur de 60 cm minimum.

* leur ancienne voisine a reconnu dans le compromis de vente qu’elle n’a fait que partiellement réaliser ces travaux en 2017.

* les vues droites sur les fonds voisins ne sont autorisées par l’article 678 du code civil qu’à une distance de 1,90 m de la ligne divisoire.

* il est néanmoins nécessaire de poser 11 mètres de ‘claustra’ sur leur mur.

* n’ayant rien à reprocher à leurs nouveaux voisins, ils n’entendent pas intenter d’action à leur encontre et privilégient un accord hors procédure.

– L’attitude de leur voisine leur a préjudicié :

* ils ont été gênés lors des déjeuners, dîners et après-midi autour de leur piscine depuis 2013.

* Mme [A] n’a jamais accepté de reconnaître la situation et les a contraints à intenter une procédure.

Au terme de leurs conclusions, ils demandent à la Cour de :

– réformer le jugement sur les points de leur appel,

– juger qu’il y a création de vue du fonds qui appartenait à Mme [A] par Mme [A] sur leur fonds,

– condamner Mme [A] à leur payer :

* 40 000 Euros pour financer les travaux,

* 15 000 Euros au titre du préjudice moral et de jouissance,

* 5 000 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

– rejeter les demandes présentées par Mme [A],

– la condamner aux dépens incluant les frais liés à la procédure de référé-expertise et les frais d’expertise.

*

* *

Par conclusions d’intimée notifiées le 7 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour le détail de l’argumentation, [D] [A] présente l’argumentation suivante :

– Elle a quitté les lieux :

* le 3 juillet 2018, M. [G] a tiré un coup de feu à blanc et ensuite été condamné pour ces faits.

* elle a informé ses acquéreurs de l’existence de la procédure en cours et s’est engagée à en faire son affaire.

– L’action intentée au titre de la vue est prescrite :

* les époux [G] ont eux-mêmes reconnu initialement que la vue a été créée lors des travaux de construction de la piscine, suite à l’excavation de terre étalée autour, c’est à dire en 2004.

* la société Waterair a établi sa facture le 21 octobre 2004 et la réception des travaux a été prononcée le 13 juillet 2005.

* le carrelage réalisé par M. [Y] en 2013 n’a pas modifié le niveau du sol, et le terrain a même été décaissé de 20 cm, pour réalisation de la dalle, la chape et le carrelage pour ne pas que la terrasse se situe à un niveau supérieur aux margelles, ce qu’a retenu le tribunal.

* en vertu des articles 2222 et 2224 du code civil, l’action en responsabilité civile extra-contractuelle devait être intentée au plus tard le 19 juin 2013.

– L’action intentée au titre des désordres subis par le mur est également prescrite :

* selon l’expert judiciaire, les infiltrations, qui doivent être relativisées, trouvent une cause partielle dans le creusement de la piscine et l’apport de terre contre le mur des époux [G], ce qu’ont admis ses anciens voisins dans une lettre du 7 mars 2013.

* cette lettre est antérieure à la création de la terrasse comme en atteste le devis [Y] et les factures d’achat du carrelage.

– Les demandes présentées à son encontre ne sont pas fondées :

* le niveau de la propriété des époux [G] a toujours été en contrebas de la sienne.

* les travaux de 2013 n’ont engendré aucun rehaussement du sol.

* les époux [G] ont eux-mêmes pu décaisser leur terrain lors de la construction de leur piscine.

* les fissurations les plus importantes concernent un autre mur et sont causées par la nature argileuse du sol et l’utilisation de parpaings d’une largeur insuffisante.

* selon l’expert, les apports de terre lors de la construction de la piscine n’ont pas de lien avec les infiltrations d’eau qui ont un caractère naturel ni avec ses travaux, y compris avec l’absence de joint entre la bordure du carrelage et le mur.

* le sol de la propriété [G] étant en contrebas, il subit nécessairement des infiltrations naturelles.

* la vue dégagée sur la propriété [G] était pré-existante et les travaux de création de la piscine n’y ont rien changé.

* cette vue n’existe désormais qu’en s’appuyant sur le mur de sorte qu’elle ne répond pas à la définition de l’article 678 du code civil.

– Le montant des demandes présentées n’est pas justifié :

* la somme de 40 000 Euros réclamée ne correspond pas au devis Batiplus d’un montant limité à 11 446,60 Euros.

* dès avant l’assignation au fond, elle a fait désolidariser la terrasse de sa piscine du mur extérieur avec récupération des eaux de terrasse, comme en atteste la facture Roumegoux du 16 novembre 2017.

* les époux [G] ne peuvent réclamer des sommes destinées à financer des travaux sur la propriété d’un tiers et en tout état de cause, la simple pose de pare-vue sur une hauteur de 180 cm à compter de la terrasse suffit, voire la pose de 11 mètres de claustra d’un coût limité à 762,30 Euros.

* les époux [G] n’ont procédé à aucun des travaux préconisés par l’expert pour conforter leurs murs.

* les préjudices de jouissance et moral allégués font double emploi et sont dépourvus de justification.

– Elle subit l’acharnement de ses anciens voisins.

Au terme de ses conclusions, elle demande à la Cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable l’action des époux [G] en indemnisation des travaux à entreprendre pour supprimer la vue illégale depuis le fonds voisin,

– le réformant pour le surplus, déclarer irrecevables l’ensemble de leurs demandes comme étant prescrites,

– confirmer le jugement en ce qu’il les a déboutés de leur demande d’indemnisation d’un préjudice de jouissance et d’un préjudice moral,

– l’infirmer sur la somme de 2 750 Euros, sur la demande portant sur son préjudice moral, les dépens et l’article 700 du code de procédure civile,

– les condamner à lui payer la somme de 8 000 Euros en indemnisation de son préjudice de jouissance et de son préjudice moral,

– les condamner à lui payer la somme de 5 000 Euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en ceux compris les instances de référés, de 1ère instance et d’appel et les frais d’expertise judiciaire.

——————-

MOTIFS :

1) Sur la vue sur le fonds des époux [G] :

Aux termes de l’article 678 du code civil, on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d’aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l’héritage clos ou non clos de son voisin s’il n’y a dix neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s’exerce la vue ne soit déjà grevée, au profit du fonds qui en bénéficie, d’une servitude de passage faisant obstacle à l’édification de constructions.

a : prescription de l’action :

Selon l’article 690 du code civil, l’action en suppression des vues irrégulières s’éteint par la prescription trentenaire.

En l’espèce, la vue dont se plaignent les époux [G] a été créée, au plus tôt, au cours de l’année 2004.

Par conséquent, l’assignation au fond qu’ils ont délivrée à Mme [A] le 7 février 2018 qui visait alors, notamment, à faire supprimer la vue créée, et à obtenir paiement de dommages et intérêts, a été intentée dans le délai trentenaire qui a couru à compter de l’année 2004.

Le fait qu’ensuite, compte tenu de la vente de la propriété [A], en vertu de laquelle celle-ci a néanmoins conservé la qualité de défenderesse à l’action en suppression de vue, les époux [G] ont abandonné leur demande de suppression de la vue et seulement maintenu leur demande de paiement de dommages et intérêts, n’a pas eu d’effet sur l’interruption de la prescription intervenue de par l’assignation du 7 février 2018, ni transformé, rétroactivement, la prescription trentenaire initiale en prescription quinquennale.

L’action intentée par les époux [G] n’est pas atteinte par la prescription et doit être déclarée recevable.

Le jugement doit être infirmé sur ce point.

b : au fond :

En premier lieu, lorsque le cabinet d’expertise Cunningham Lindsey s’est déplacé sur les lieux pour la première fois, en novembre 2013, les époux [G] ont, essentiellement, mis en cause les infiltrations d’eaux qu’ils imputaient aux travaux de remblaiement effectués par Mme [A], mais Mme [G] a néanmoins mis en cause auprès de cet expert le fait que ‘les gens regardent par-dessus le mur chez elle et l’empêchent de vivre librement, elle se sent constamment épiée’.

L’expert judiciaire a ensuite constaté l’existence de cette vue dans les termes suivants : ‘la vue des époux [A] sur le fonds [G] est effective, comme je l’ai constaté moi-même’et ‘cette vue directe possible depuis la surélévation du terrain, est de nature à créer une gêne pour les époux [G]’ et ‘concernant la surélévation du sol côté parcelle [A], cette surélévation est incontestable’.

Les photographies produites aux débats par les appelants permettent effectivement de constater que la terrasse de Mme [A] située sur sa parcelle n° [Cadastre 7] dispose d’une vue directe sur la terrasse piscine des époux [G].

Cette vue directe contrevient aux dispositions de l’article 678 du code civil.

En deuxième lieu, l’expert judiciaire a expliqué ainsi la genèse de cette vue :

– en 2004, Mme [A] a installé sur sa parcelle une piscine en kit.

– pour ce faire, elle a creusé un trou pour y installer un fond de forme en béton et des panneaux d’ossature périphériques boulonnés entre eux.

– la terre a été étalée autour de la piscine, et ‘le sol a été surélevé de manière conséquente sur la parcelle [A] autour de la piscine aux abords du mur de clôture [G].’

– un liner a ensuite été mis en place ainsi que des margelles en pierre reconstituée et une plage périphérique en béton armé.

– dans un deuxième temps, en 2013, un dallage en béton armé a été étendu jusqu’au mur de clôture Ouest et un carrelage de finition mis en oeuvre.

Il en résulte que cette vue ne découle pas de la situation naturelle des lieux, mais trouve sa cause dans le remblaiement intervenu lors de la construction de la piscine de Mme [A], même si la propriété des époux [G] était en léger contrebas.

Indépendamment des travaux qui devraient être réalisés dans l’ancienne propriété [A], les époux [G] doivent par conséquent être admis à réclamer le coût d’un ‘claustra bois occultant’ à installer sur la largeur de leur mur afin de mettre un terme à cette vue illicite, soit un prix de 1 455,30 Euros TTC selon le devis Bâtiplus.

Toutefois, en troisième lieu, ce n’est que par lettre du 7 mars 2013 que M. [G] s’est plaint auprès de sa voisine de la vue créée depuis la parcelle n° [Cadastre 8] sur la terrasse piscine en contrebas.

M. [G] a réitéré sa plainte par lettre du 28 juin 2013.

Selon l’expert judiciaire, la vue illicite concerne surtout les personnes qui circulent directement contre le mur, comme il l’a indiqué lorsqu’il a étudié la création d’une tranchée sur la parcelle n° 60 en expliquant ‘la largeur de 60 cm empêchera de s’approcher et de se pencher au-dessus du mur de clôture afin d’observer la piscine en contrebas’ et ‘lorsqu’on se place devant le mur depuis la terrasse de la piscine [A], on voit directement la parcelle [G] et une bonne partie de leur piscine, sa hauteur ne dépassant pas les 1,50 m’.

D’ailleurs, selon les explications respectives, avant 2013, il existait des jardinières sur le mur qui créaient un obstacle relatif à la vue.

Il s’ensuit que c’est à compter du printemps 2013 que les époux [G] ont subi un trouble de jouissance effectif dans l’utilisation de leur terrasse piscine de par l’existence de cette vue illicite, ce qui représente 6 saisons compte tenu que Mme [A] a vendu sa propriété en février 2019, étant précisé que la gêne ne concerne que la période du printemps à l’automne, c’est à dire la période d’utilisation de la terrasse piscine.

En quatrième lieu, Mme [A] est mal fondée à se plaindre de la demande formée à son encontre alors qu’elle n’a donné aucune suite aux demandes amiables présentées par ses voisins, et qu’elle pouvait, par exemple, facilement installer, au-dessus du mur (avec l’accord de ses voisins) ou à défaut sur son carrelage contre ce mur, un brise-vue en matière translucide, qui n’aurait entraîné, pour elle, aucune gêne dans l’utilisation de sa parcelle n° [Cadastre 7] ou de sa piscine et ne l’aurait pas privée d’ensoleillement, et qui aurait été de nature à atténuer la vue et à permettre d’éviter une procédure judiciaire.

Le jugement qui a rejeté la demande de dommages et intérêts présentée par Mme [A] doit être confirmé et elle sera condamnée à payer la somme de 400 Euros par année de 2013 à 2018 en indemnisation du trouble de jouissance qu’elle a créé, soit 2 400 Euros.

Par contre, il n’y a pas lieu d’indemniser un prétendu préjudice moral alors que la vue illicite n’a causé aux appelants qu’un trouble de jouissance, étant ajouté d’une part, qu’un tel préjudice n’est pas en lui-même impliqué par les soucis inhérents à l’existence d’une procédure en indemnisation et, d’autre part, que c’est M. [G] qui a fait peur à sa voisine en tirant un coup de feu.

Le jugement doit être confirmé sur le rejet de ce poste de demande.

2) Sur les désordres subis par le mur appartenant aux époux [G] :

a : prescription de l’action en dommages et intérêts :

Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

En l’espèce, les infiltrations dans le mur des époux [G] ont commencé après les travaux effectués par leur voisine en 2013.

C’est le rapport établi en 2013 par le cabinet Cunningham Lindsey qui a informé les époux [G] que ces infiltrations trouvaient vraisemblablement leur cause dans les travaux effectués la même année par leur voisine.

Par conséquent, en l’assignant devant le juge des référés par acte du 24 décembre 2014, les époux [G] ont interrompu la prescription quinquennale qui a ensuite été suspendue par l’ordonnance du 20 janvier 2015 désignant M. [E] en qualité d’expert jusqu’au 3 mai 2016, soit 6 mois après le dépôt du rapport d’expertise en application de l’article 2239 du code civil.

Dès lors, leur action au fond intentée par l’assignation du 7 février 2018 pour obtenir indemnisation du fait des infiltrations n’est pas atteinte par la prescription.

Le jugement doit être confirmé sur ce point.

b : au fond :

Vu le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage,

En premier lieu, l’expert judiciaire a constaté l’existence de fissurations dans les murs de clôture de la propriété [G], et a précisé que les plus importantes sont localisées dans le mur Sud, qui n’est pas celui en litige.

Il a indiqué que ‘la typologie des fissurations constatées est caractéristique des phénomènes de retrait/gonflement de sol argileux très actifs sur cette zone comme en témoignent les reprises de fissures effectuées sur les façades de la maison [A] suite à des dégâts sécheresse pris en compte par son assurance’.

Il a confirmé qu’il existe des traces d’infiltrations en pied du mur Est, en litige.

Il a toutefois également indiqué que les normes de construction du mur Est n’ont pas été respectées : l’utilisation de parpaings de 10 cm d’épaisseur est inappropriée pour un mur de cette hauteur.

Il a également ajouté que la mise en place de jardinières non étanches, par les époux [G], participe aux infiltrations ainsi que les couvertines sans débords qu’ils ont mis en oeuvre.

L’expert a enfin expliqué que ces défauts étaient (après correction d’une erreur purement matérielle de syntaxe) ‘sans commune mesure avec l’incidence de la surélévation du sol côté [A] en termes d’infiltrations en pied de mur côté [G]’, avec aggravation par ‘l’absence de joints entre la bordure du carrelage et le mur’.

Il a en effet indiqué dans ses conclusions que ‘la surélévation du sol côté piscine [A] est avérée. Elle implique des infiltrations en pied de mur Est amplifiant les phénomènes de fissurations générées par les retraits de sol argileux.’

Il en résulte que c’est l’apport de terres contre le mur de ses voisins, sans autres précautions, par Mme [A] lors de la construction de la piscine, et surtout lors des travaux de 2013, qui constitue la cause principale des infiltrations dans ce mur, constitutive d’un trouble anormal de voisinage.

En deuxième lieu, Mme [A] ne peut plus être astreinte à réaliser des travaux dans une propriété qu’elle a vendue, comme les appelants le reconnaissent.

Elle ne peut voir mettre à sa charge que le coût des travaux que les époux [G] doivent exposer pour réparer leur mur, soit 3 326 Euros TTC selon le devis de l’entreprise Bâtiplus (poste : travaux de maçonnerie côté piscine).

Le jugement sera réformé sur le montant alloué.

En troisième lieu, les infiltrations, très mineures, n’ayant causé aucun trouble de jouissance objectif aux époux [G], aucune somme ne peut leur être allouée à ce titre ni a fortiori au titre d’un préjudice moral.

Cette demande doit être rejetée.

Enfin, l’équité permet d’allouer aux appelants, en cause d’appel, la somme de 2 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

– la Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

– INFIRME le jugement SAUF en ce qu’il a :

– débouté M. [J] [G] et Mme [F] [I] épouse [G] de leur demande de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,

– débouté Mme [D] [A] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

– rejeté implicitement la fin de non-recevoir opposée par [D] [A] pour l’action en indemnisation des désordres du mur,

– STATUANT A NOUVEAU sur les points infirmés,

– DÉCLARE l’action en indemnisation pour création de vue illicite présentée par [J] [G] et [F] [I] épouse [G] recevable ;

– CONDAMNE [D] [A] à payer à [J] [G] et [F] [I] épouse [G] :

1) 1 455,30 Euros au titre de la mise en place d’éléments occultant la vue illicite,

2) 2 400 Euros en indemnisation du trouble de jouissance causé par cette vue,

3) 3 326 Euros en indemnisation du coût de réfection de leur mur suite au trouble anormal de voisinage subi,

4) 2 000 Euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– REJETTE la demande d’indemnisation d’un trouble de jouissance et d’un préjudice moral présentée au titre du trouble anormal de voisinage ;

– CONDAMNE [D] [A] aux dépens de 1ère instance et d’appel qui comprendront le montant des dépens de la procédure de référé expertise et le coût de l’expertise réalisée par M. [E].

– Le présent arrêt a été signé par André Beauclair, président, et par Nathalie Cailheton, greffière, à laquelle la minute a été remise.

La Greffière, Le Président,

 


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