Arrêt de la Cour d’Appel d’Agen du 14 mars 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 22/00853

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Arrêt de la Cour d’Appel d’Agen du 14 mars 2023 Cour d’appel d’Agen RG n° 22/00853
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ARRÊT DU

14 MARS 2023

NE/CO*

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N° RG 22/00853 –

N° Portalis DBVO-V-B7G-DBO3

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UNION LOCALE CGT DE [Localité 4]

C/

SA TELEPERFORMANCE FRANCE

———————–

Grosse délivrée

le :

à

ARRÊT n° 49 /2023

COUR D’APPEL D’AGEN

Chambre Sociale

Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d’appel d’Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le quatorze mars deux mille vingt trois par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président de chambre assistée de Chloé ORRIERE, greffier

La COUR d’APPEL D’AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l’affaire

ENTRE :

L’UNION LOCALE CGT DE [Localité 4] prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège :

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par M. [R] [K], défenseur syndical

APPELANTE d’une ordonnance du Conseil de Prud’hommes – formation paritaire d’AGEN en date du 29 septembre 2022 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. R.22/00030

d’une part,

ET :

LA SA TELEPERFORMANCE FRANCE prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me David LLAMAS, avocat postulant inscrit au barreau d’AGEN et Me Laurent SEYTE, avocat plaidant inscrit au barreau de TOULOUSE

INTIMÉE

d’autre part,

A rendu l’arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 07 février 2023 sans opposition des parties devant Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président de chambre et Pascale FOUQUET, conseiller, assistés de Chloé ORRIERE, greffier. Les magistrats en ont, dans leur délibéré rendu compte à la cour composée, outre eux-mêmes, de Benjamin FAURE, conseiller, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l’arrêt serait rendu.

* *

*

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [U] [W] [L], épouse [X], salariée au sein de la société Teleperformance France, a été élue le 30 octobre 2019 en qualité de suppléante au comité social et économique (ci-après « CSE ») et occupe depuis sa mission de membre. Elle appartient également au syndicat CGT.

Le 16 décembre 2021, M. [J] [E], conseiller client sur le centre de [Localité 5] depuis le 28 novembre 2007, a adressé un courriel à son responsable de plateau en faisant référence à une souffrance sur le lieu de travail. Mme [Z] [O], responsable des ressources humaines pour les sites de [Localité 6] et [Localité 5], a alors convenu de faire un point sur la situation le 3 janvier 2022. M. [J] [E] ne s’est pas présenté au rendez-vous et a été placé en arrêt de travail jusqu’au 28 janvier 2022.

Le 12 janvier 2022, Mme [U] [W] [L], épouse [X], ainsi que l’ensemble de tous les membres du CSE, ont reçu de la part de certain responsables d’équipes des écrits et témoignages relatifs à leurs relations avec M. [J] [E].

Le 17 janvier 2022, Mme [U] [W] [L], épouse [X] a contacté sa directrice des ressources humaines par courriel afin de l’informer de ces pratiques estimées accusatoires, extrêmement graves et à la charge de M. [J] [E].

Le 24 janvier 2022, Mme [S] [M], membre et secrétaire de la commission du comité de santé, sécurité et conditions de travail (ci-après « CSSCT »), et M. [T] [Y], élu CSE, tous deux appartenant au syndicat CGT, ont enclenché une alerte à l’attention de Mme [Z] [O], dans le cadre d’une situation de danger grave et imminent, concernant M. [J] [E] du centre d’appel de [Localité 5]. Ils ont demandé à celle-ci de consigner ce danger grave imminent dans le registre prévu à cet effet et d’entreprendre une enquête conjointe avec eux dans les plus brefs délais.

Le même jour, Mme [Z] [O], a répondu par courriel : « Suite à votre alerte, et bien que nous sommes en désaccord avec certains de vos propos, je vous propose un rendez-vous le mercredi 26 janvier 2022 de 14h00 à 15h00 pour définir ensemble les modalités de l’enquête ». Le rendez-vous a finalement eu lieu le 28 janvier 2022.

Le 24 janvier 2022 également, Mme [U] [W] [L], épouse [X] a exercé son droit d’alerte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale, conformément aux dispositions de l’article L.2312-59 du code du travail. Elle a informé son employeur par courriel de l’exercice de son droit d’alerte et lui a demandé de procéder, sans délai, à une enquête conjointe afin de remédier à cette atteinte envers le salarié, M. [J] [E].

Le 27 janvier 2022, Mme [I] [H], directrice des ressources humaines, a répondu par courriel à Mme [U] [W] [L], épouse [X] en lui confirmant qu’il était urgent « d’enclencher effectivement une enquête conjointe objective transparente pour faire la lumière sur cette situation » et que celle-ci était « déjà enclenchée par Mme [Z] [O] à réception de l’alerte formulée par Mme [M] sur cette situation ».

Par courriel du 8 février 2022, Mme [U] [W] [L], épouse [X], a indiqué à Mme [I] [H] sa carence concernant la mise en place de l’enquête conjointe. Elle a précisé que son action était fondée sur l’article L.2312-59 du code du travail, alors que celle de Mme [S] [M] et M. [T] [Y] était fondée sur l’article L.2312-60 du code du travail.

Mme [I] [H] y a répondu le lendemain en précisant : « Nous avons bien noté la concomitance de 2 alertes réalisées par des membres CSE de votre organisation syndicale sur la situation de Monsieur [E], l’une fondée sur l’article L2312-60 initiée par Madame [M] et Monsieur [Y], l’autre sur l’article L2312-59 initiées par vous-même.

Bien que les fondements soient différents, il n’en demeure pas moins que les faits remontés dans ces alertes sont bien les mêmes et fond l’objet d’une enquête à laquelle il a bien été acté que vous êtes associée.

En effet, Madame [O], à réception de l’alerte initiée par Madame [M] et Monsieur [Y], a immédiatement pris attache avec ces derniers pour organiser les modalités de l’enquête (alerte reçue le 24/01 à 11h27 ‘ réponse de Madame [O], dont vous êtes copie, avec proposition de date de rdv à 13h37).

Au regard des disponibilités des interlocuteurs, un premier entretien avec Madame [M] et Monsieur [Y] s’est tenu le 28 janvier dernier. Il y a été convenu, conformément au mail de synthèse adressé en suivant, dont vous êtes également copie (ci-joint pour rappel), des personnes qui seraient entendues, dont vous-même, des dates de ces entretiens au regard des disponibilités des participants à cette enquête et qu’une nouvelle réunion pour cadrer le contenu de l’enquête se tendrait le 7 février, ce qui a bien été le cas hier.

Il est donc totalement inexact de soulever une quelconque carence de notre part dans la prise en compte des alertes dont nous avons été destinataires, et ce, d’autant plus que vous êtes incluse dans les échanges et que vous êtes donc pleinement informée. ».

Le 10 février 2022, M. [J] [E] a envoyé un courriel à Mme [I] [H] expliquant sa souffrance au travail et le harcèlement moral qu’il estimait subir.

La direction du centre de [Localité 5] a décidé notamment qu’à compter du 14 février 2022, les conseillers clients seraient managés à distance par des responsables d’équipes du centre de [Localité 4], permettant ainsi d’éviter les contacts entre les conseillers clients et les responsables d’équipes du site de [Localité 5].

Un projet de questionnaire a été élaboré et transmis à Mme [S] [M], M. [T] [Y] et Mme [W] [X].

Le 17 février 2022, Mme [I] [H] a écrit à Mme [S] [M] pour lui indiquer : « Comme échangé ensemble hier, nous avons convenu qu’il n’y aurait qu’une seule enquête pour les deux alertes émises étant donné qu’elles portent sur les mêmes faits. C’est pour cela que le nom de [W] n’apparaît pas sur le questionnaire. ».

Le 18 février 2022, Mme [U] [W] [L], épouse [X] a envoyé un nouveau courriel pour rappeler la carence, à son sens, de l’employeur.

Mme [U] [W] [L], épouse [X] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse le 22 février 2022, sollicitant l’application de l’article R.1455-12 du code du travail pour que l’affaire soit portée devant la « formation de procédure accélérée au fond ».

Le 15 mars, M. [J] [E] a été reconnu inapte à son poste de travail, « l’état de santé du salarié faisant obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

Par jugement de procédure accélérée au fond rendu le 8 avril 2022, le conseil de prud’hommes de Toulouse a fait droit à la demande de renvoi des parties devant le conseil de prud’hommes d’Agen.

Le 24 mars 2022, Mme [Z] [O] a transmis le compte rendu de l’enquête conjointe à Mme [S] [M] et M. [T] [Y].

Le 11 mai 2022, Mme [S] [M] a envoyé un courriel à Mme [Z] [O] afin de l’informer de plusieurs anomalies qu’elle aurait détectées sur le compte-rendu reçu et afin d’envoyer un nouveau compte-rendu. Elle précisait que « le compte rendu reprend bien l’ensemble de nos préconisations ».

Une réponse a été apportée, le 23 mai 2022, par la responsable des ressources humaines, qui a émis des réserves concernant le compte-rendu rectifié envoyé par Mme [S] [M] et M. [T] [Y].

Suite au rapport d’enquête établi, la société Téléperformance s’est engagée à mettre en ‘uvre différents mesures pour remédier à la situation.

Par courrier du 5 juillet 2022, la société Téléperformance France a notifié à M. [J] [E] son licenciement pour inaptitude non professionnelle.

En cours de procédure, l’Union locale CGT de [Localité 4] est intervenue volontairement à la procédure pour solliciter une somme de 5000 euros de dommages et intérêts ainsi qu’une somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance de référé du 29 septembre 2022, le conseil de prud’hommes d’Agen, dans sa formation de référé :

– s’est déclaré incompétent,

– a renvoyé les parties sur le fond si tel était le désir des parties,

– débouté Mme [W] [X] de l’intégralité de ses demandes,

– débouté l’Union locale CGT de [Localité 4] de l’intégralité de ses demandes,

– condamné Mme [W] [X] aux entiers dépens,

– condamné l’Union locale CGT de [Localité 4] aux entiers dépens,

– condamné Mme [W] [X] à payer à la société Téléperformance la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné l’Union locale CGT de [Localité 4] à payer à la société Téléperformance la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le conseil de prud’hommes, siégeant en formation de référé, a constaté qu’il existait des contestations réelles et sérieuses dans ce dossier, s’est déclaré incompétent et a renvoyé sur le fond si tel était le souhait des parties.

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 21 octobre 2022, Mme [U] [W] [L], épouse [X] a régulièrement déclaré former appel de l’ordonnance, en désignant la société Téléperformance France en qualité de partie intimée et en indiquant que l’appel porte sur la totalité des chefs de l’ordonnance du 29 septembre 2022.

Le même jour, l’Union locale CGT de [Localité 4] a également interjeté appel de l’ordonnance du 29 septembre 2022 en indiquant que l’appel porte sur l’intégralité des chefs de l’ordonnance.

L’avis de fixation à bref délai a été rendu le 28 octobre 2022 et l’affaire fixée pour plaider à l’audience du 7 février 2023.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

I. Moyens et prétentions de l’Union locale CGT de [Localité 4] appelante principale

Dans ses uniques conclusions, enregistrées au greffe le 12 décembre 2022, expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l’appelant, l’Union locale CGT de [Localité 4] demande à la cour de :

A titre principal :

– la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

– annuler l’ordonnance du conseil de prud’hommes d’Agen.

A titre subsidiaire :

– infirmer l’ordonnance du conseil de prud’hommes d’Agen en ce qu’il s’est déclaré incompétent,

– infirmer l’ordonnance du conseil de prud’hommes d’Agen en ce qu’il a renvoyé sur le fond, si tel était le désir des parties,

– infirmer l’ordonnance du conseil de prud’hommes d’Agen en ce qu’il l’a déboutée de l’intégralité de ses demandes,

– infirmer l’ordonnance du conseil de prud’hommes d’Agen en ce qu’il l’a condamnée aux entiers dépens de l’instance,

– infirmer l’ordonnance du conseil de prud’hommes d’Agen en ce qu’il l’a condamné à payer à la société Téléperformance France la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

En tout état de cause,

Statuant à nouveau, le réformant, en conséquence,

– déclarer que celle-ci a la capacité civile d’ester en justice, pour le bien de la profession,

En conséquence,

– condamner la société Teleformance France à verser les sommes de :

– 5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions des articles L.4121-1 à L.4121-3, R.4121-2, L.2312-27 et L.2312-59 du code du travail applicables à l’ensemble des salariés de la profession,

– 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Téléperformance France aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, l’Union locale CGT de [Localité 4] fait valoir que :

I. Sur l’annulation de l’ordonnance du conseil de prud’hommes d’Agen du 29 septembre 2022

– Les parties ont saisi le conseil de prud’hommes en requérant un « jugement en procédure accélérée au fond » et non pas en bureau de référé. Or le conseil de prud’hommes a rendu son ordonnance selon la formation de référé prévue aux articles R.1455-5 à R.1455-8 du code du travail. Les juges de première instance ont donc commis une violation des textes, ce qui doit entraîner l’annulation et la réformation de la décision. Par son ordonnance, le conseil de prud’hommes d’Agen a modifié l’objet du litige.

– L’ordonnance rendue ne respecte pas non plus les exigences de l’article 455 du code de procédure civile, puisqu’il n’est pas motivé et ne répond pas aux conclusions des parties. De plus, l’arbitraire transparaît clairement dans la forme de la décision prise.

II. Sur les dommages et intérêts

– Elle a la capacité d’ester en justice.

– La société Téléperformance France n’a pas respecté les dispositions suivantes :

– articles L.4121-1 à L.4121-3 du code du travail concernant son obligation de moyen renforcé en santé et sécurité au travail de ses salariés, notamment ceux de l’établissement de [Localité 5],

– articles R.4121-1 à L.4121-2 (sic) et L.2312-27 du code du travail concernant la mise à jour constante du document unique d’évaluation des risques professionnels et la rédaction d’un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail au sein de l’établissement de [Localité 5],

– l’article L.2312-59 du code du travail concernant la mission du membre du CSE usant de son « droit d’alerte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ». Il est demandé à l’employeur de procéder sans délai à l’enquête conjointe sollicitée à plusieurs reprises par Mme [U] [W] [L], épouse [X].

– L’employeur a délibérément porté atteinte au libre exercice des fonctions de Mme [U] [W] [L], épouse [X], élu CSE et suppléante CGT. Il n’a effectué qu’une seule enquête, fondée sur l’article L.2312-60 du code du travail. Ces deux textes renvoient à deux situations différentes vis-à-vis des difficultés rencontrées par les salariés, et ne doivent pas être abordés de la même façon. L’alerte faite au titre du « danger grand et imminent » concernant l’ensemble des salariés du site de [Localité 5], dont M. [J] [E]. Alors que celle lancée par Mme [U] [W] [L], épouse [X] concernait les répercussions psychologiques et le harcèlement moral dont était victime M. [J] [E].

– Le comportement de l’employeur porte directement et indirectement atteinte aux intérêts collectifs de la profession et à la défense des intérêts des salariés de la profession. Elle est donc parfaitement fondée à demander réparation des multiples préjudices, et la condamnation de la société à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts.

III. Sur l’article 700 du code de procédure civile

-Elle a agi en justice afin de faire valoir les droits des salariés et les intérêts collectifs de la profession, il serait alors injuste de laisser à sa charge les frais exposés et non compris dans les dépens. Il est demandé que la société Téléperformance France soit condamnée à lui verser la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

**************

II. Moyens et prétentions de la société Téléperformance France intimée sur appel principal

Dans ses uniques conclusions enregistrées au greffe le 5 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour une parfaite connaissance des moyens et prétentions, la société Téléperformance France demande à la cour de :

A titre principal,

– se déclarer incompétent, et confirmer l’ordonnance du 29 septembre 2022,

Subsidiairement, si la cour devait retenir sa compétence,

– prononcer l’irrecevabilité des demandes de l’Union locale CGT de [Localité 4]

A titre infiniment subsidiaire,

– confirmer l’ordonnance du 29 septembre 2022 en ce qu’elle a débouté l’Union locale CGT de [Localité 4] de l’intégralité de ses prétentions,

– débouter l’Union locale CGT de [Localité 4] de l’intégralité de ses demandes

En tout état de cause,

– débouter l’Union locale CGT de [Localité 4] de l’intégralité de ses demandes,

– condamner l’Union locale CGT de [Localité 4] au paiement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société Téléperformance France fait valoir que :

A titre principal, sur l’incompétence de la juridiction statuant en procédure accélérée et la confirmation de l’ordonnance du 29 septembre 2022

– La compétence du conseil de prud’hommes statuant en procédure accélérée est strictement encadrée par l’article 28 de la loi du 23 mars 2019, et l’ordonnance du 17 juillet 2019. Le nouvel article R.1455-12 du code du travail limite cette compétence à la seule question de la mise en place d’une enquête, à l’initiative du « salarié, ou (du) membre de la délégation du personnel au comité social et économique si le salarié intéressé averti par écrit ne s’y oppose pas ».

– Les textes ne visent pas les demandes de dommages-intérêts comme relevant de la compétence du conseil de prud’hommes statuant en procédure accélérée. Alors que l’Union locale CGT de [Localité 4] ne formule que des demandes indemnitaires. Les textes ne visent pas non plus les syndicats comme étant fondés à saisir le juge en procédure accélérée pour effectuer une demande de dommages-intérêts.

– En l’absence de texte prévoyant spécifiquement sa compétence en matière de procédure accélérée, le conseil de prud’hommes doit se déclarer incompétent.

– En sa composition de bureau de jugement statuant selon la procédure accélérée au fond, le conseil de prud’hommes intervient selon l’ancienne procédure, la « procédure en la forme des référés ». or, le juge des référés n’est pas saisi du principal et ne peut donc se prononcer sur une question de fond telle que la condamnation à des dommages-intérêts.

Subsidiairement, sur l’irrecevabilité des demandes de l’Union locale CGT de [Localité 4]

Sur l’irrecevabilité au regard de la notion d’intérêt collectif :

– Le litige concerne essentiellement l’exercice du droit d’alerte de Mme [W] [X], et la mise en ‘uvre d’une enquête conjointe concernant M. [J] [E] à ce titre. Cela correspond en réalité à l’exercice d’un droit individuel.

– Dans son courriel du 24 janvier 2022, Mme [W] [X] décrit la situation individuelle et personnelle de M. [J] [E] en indiquant l’atteinte faite à « ses » droits, et « sa » santé physique et mentale. Cette prétendue atteinte porte donc sur une situation particulière et un droit individuel. Il n’y a pas d’atteinte à l’intérêt collectif de la profession.

– L’Union locale CGT de [Localité 4] tentent de se justifier en citant les articles relatifs au document unique ou au programme de prévention des risques. En tout état de cause, ces questions ne ressortent pas de la compétence du conseil de prud’hommes statuant en procédure accélérée.

Sur l’irrecevabilité au regard du préjudice :

– L’Union locale CGT de [Localité 4] ne justifie pas de la réalité du préjudice subi par la profession. Elle ne justifie pas que celui-ci soit certain, précis et circonstancié. La seule méconnaissance par l’employeur de la loi ne suffit pas à ce que le syndicat agisse en justice si aucun préjudice ne lui a été causé.

III. A titre infiniment subsidiaire, sur le débouté des demandes et la confirmation de l’ordonnance du 29 septembre 2022

– Elle n’a commis aucune faute ou manquement. Elle a bien mis en place une enquête portant spécifiquement sur la situation de M. [J] [E], ayant abouti à l’élaboration d’un rapport circonstancié.

– Les deux demandes d’enquête formalisées le 24 janvier 2022, l’une par Mme [S] [M] et M. [T] [Y], l’autre part Mme [W] [X], portaient exactement sur les mêmes faits concernant la situation de M. [J] [E]. Contrairement à ce qu’indique l’Union locale CGT de [Localité 4], l’enquête demandée par les deux représentants CGT ne portait pas sur l’ensemble du personnel, mais sur la situation concrète de M. [J] [E].

– Il lui est reproché l’absence d’actualité du document unique et la mise en place du programme d’évaluation des risques, alors qu’elle justifie de son implication et son investissement sur toutes ces questions. Une réunion sur le site de [Localité 5] a d’ailleurs été fixée au 30 septembre prochain pour traiter de la mise à jour du document unique et de l’intégration des éléments liés à l’enquête.

– Il a été démontré que l’Union locale CGT de [Localité 4] ne justifiait pas de l’éventuel préjudice subi, ce qui est pourtant nécessaire pour justifier l’octroi de dommages-intérêts.

MOTIVATION

I. Sur la procédure

Le conseil de prud’hommes d’Agen a rendu son ordonnance de référé le 29 septembre 2022, dans sa formation de référé.

Il convient de rappeler que Mme [U] [W] [L], épouse [X] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse le 22 février 2022, sollicitant l’application de l’article R.1455-12 du code du travail pour que l’affaire soit portée devant la « formation de procédure accélérée au fond ».

Mme [U] [W] [L], épouse [X] a saisi le conseil de prud’hommes en la procédure accélérée au fond, en vue notamment de demander que soit mise en place une enquête conjointe au titre de l’article L.2312-59 du code du travail.

La « procédure accélérée au fond » a remplacé les procédures désignées précédemment sous l’appellation « en la forme des référés ». Cette procédure accélérée au fond ne peut être mise en ‘uvre que dans les hypothèses où un texte le prévoit.

La nouvelle procédure accélérée au fond a été intégrée au code du travail selon les modalités prévues à l’article 15 de l’ordonnance n°2019-738 du 17 juillet 2019, prise en application de la l’article 28 de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019.

L’article L.2312-59 du code du travail a été modifié en conséquence : « Si un membre de la délégation du personnel au comité social et économique constate, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, qu’il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l’employeur. Cette atteinte peut notamment résulter de faits de harcèlement sexuel ou moral ou de toute mesure discriminatoire en matière d’embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de classification, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, de sanction ou de licenciement.

L’employeur procède sans délai à une enquête avec le membre de la délégation du personnel du comité et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation.

En cas de carence de l’employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l’employeur, le salarié, ou le membre de la délégation du personnel au comité social et économique si le salarié intéressé averti par écrit ne s’y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui statue selon la procédure accélérée au fond.

Le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte et assortir sa décision d’une astreinte qui sera liquidée au profit du Trésor. »

Ainsi, la procédure accélérée au fond est spécifiquement prévue en cas de carence de l’employeur à l’égard de l’article L.2312-59 du code du travail. Le juge, saisi d’une telle procédure, peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser l’atteinte aux personnes. Il peut donc ordonner que soit mise en place une enquête conjointe à ce titre, ou non.

En l’espèce, le conseil de prud’hommes était saisi selon la procédure accélérée au fond sur le fondement des dispositions énoncées par l’article L. 2312-59 du code du travail.

En statuant en sa formation de référé par une ordonnance du 29 septembre 2022, rendue au visa des articles R.1455-2 et suivants du code du travail, alors qu’il lui appartenait de statuer selon la procédure accélérée au fond, la juridiction prud’homale a méconnu le cadre juridique de sa saisine. Cette décision n’est pas susceptible d’infirmation ou de confirmation, il convient de l’annuler pour excès de pouvoir.

La cour étant saisie de l’entier litige par l’effet dévolutif de l’appel, la cour statuera au fond sur l’ensemble des demandes des parties.

II. Sur le fond

La société Téléperformance France soutient l’incompétence de la juridiction à l’égard de la demande de dommages-intérêts faite par l’Union locale CGT de [Localité 4].

L’Union locale CGT de [Localité 4] sollicite la somme de 5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour violation des dispositions des articles L.4121-1 à L.4121-3, R.4121-2, L.2312-27 et L.2312-59 du code du travail applicables à l’ensemble des salariés de la profession.

Tel qu’énoncé précédemment, Mme [U] [W] [L], épouse [X] a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse le 22 février 2022, sollicitant l’application de l’article R.1455-12 du code du travail pour que l’affaire soit portée devant la « formation de procédure accélérée au fond ». L’Union locale CGT de [Localité 4], partie intervenante à cette procédure, a fait appel de l’ordonnance rendue.

La procédure accélérée au fond ne peut être mise en ‘uvre que dans les hypothèses où un texte le prévoit.

La cour constate qu’aucune disposition ne prévoit la compétence du conseil des prud’hommes, statuant en procédure accélérée au fond, concernant une demande de dommages et intérêts, alors que les seules demandes de l’Union locale CGT de [Localité 4] sont indemnitaires.

La procédure accélérée au fond n’a pas vocation à s’appliquer pour une telle demande. La cour se déclare donc incompétente pour statuer sur la demande de dommages-intérêts, présentée par l’Union locale CGT de [Localité 4], pour violation des dispositions des articles L.4121-1 à L.4121-3, R.4121-2, L.2312-27 et L.2312-59 du code du travail applicables à l’ensemble des salariés de la profession, en formation de procédure accélérée au fond.

III. Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

L’Union locale CGT de [Localité 4], qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel et à payer à la société Téléperformance France la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle sera également déboutée de sa demande de condamnation de la société Téléperformance à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

ANNULE l’ordonnance rendu par le conseil de prud’hommes d’Agen le 29 septembre 2022,

SE DÉCLARE INCOMPÉTENTE concernant la demande de dommages-intérêts formulée par l’Union locale CGT de [Localité 4] pour violation des dispositions des articles L.4121-1 à L.4121-3, R.4121-2, L.2312-27 et L.2312-59 du code du travail applicables à l’ensemble des salariés de la profession, en formation de procédure accélérée au fond,

DÉBOUTE l’Union locale CGT de [Localité 4] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens,

CONDAMNE l’Union locale CGT de [Localité 4] aux entiers dépens de première instance et d’appel et à payer à la société Téléperformance France la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Nelly EMIN, conseiller faisant fonction de président de chambre et Chloé ORRIERE, greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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