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L’application mobile Yuca est en droit de designer certains produits alimentaires ou cosmétiques comme ‘mauvais’ pour la santé, associés à la note de 0/100, ‘ risque élevé’ pour la santé.
Cette notation ne relève pas d’un dénigrement du fabricant mais de l’évaluation des produits qu’il offre à la vente, en fonction de certains risques et d’une base factuelle suffisante. Les systèmes de notation des produits des entreprises, en ce compris les produits alimentaires, sont en conséquence légaux dès lors qu’ils se basent sur des données vérifiables et objectives.
La société YUCA a conçu et diffuse une application mobile grand public intitulée YUKA destinée aux consommateurs et attribuant, au travers d’un algorithme, une note et des informations sur la composition de produits alimentaires mais également relatives à la santé et à l’hygiène.
L’application YUCA fonctionne sur la base d’un algorithme permettant d’automatiser la notation d’un produit à partir d’une capture de son code-barres et de l’étiquetage de sa composition.
S’agissant des produits alimentaires, cette notation repose sur une pondération des critères suivants:
– la qualité nutritionnelle basée sur le « Nutri-score »,
– la présence d’additifs alimentaires classés sur la base de sources scientifiques en fonction de leur niveau de risque pour la santé ;
– la présence ou non du label « Bio ».
La Fédération des industriels charcutiers et traiteurs (FICT) ainsi qu’un fabricant de charcuterie adhérent ont poursuivi sans succès la société YUCA en lui enjoignant de cesser sa campagne qu’elle qualifiait de dénigrement mensongère.
Le système de pondération de ces critères relève de la décision de la société YUCA qui dispose à cet égard d’un pouvoir quasi discrétionnaire à condition d’en informer l’utilisateur.
Or l’ensemble du système de notation qu’elle utilise est expliquée sur le site de YUCA ainsi que sur l’application dans chaque fiche produit, dans les conditions générales d’utilisation, et dans le contrat de licence utilisateur final. Ainsi chaque utilisateur est en mesure, très facilement, de connaître le détail des caractéristiques des produits évalués ainsi que le choix de la pondération des notes adopté par les auteurs de l’application.
Par ailleurs il n’est pas démontré l’inexactitude objective des informations relatives à l’équilibre nutritionnel, à la présence des additifs à risque et au caractère bio ou non du produit évalué.
Quant aux données sur lesquelles s’appuyait la société YUCA pour évoquer le risque que représentait la consommation de produits nitrés, il a été indiqué qu’il s’agissait de données d’ordre scientifiques, suffisamment nombreuses, émanant d’autorités reconnues.
Il ne peut donc être efficacement reproché à la société YUCA d’avoir commis une pratique commerciale déloyale sur les produits de la charcuterie commercialisés sois la marque Auvernou.
L’assignation délivrée contre Yuca ne visait aucune référence à la loi du 29 juillet 1881, elle était donc régulière.
Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation les abus de la liberté d’expression relèvent de la diffamation et ne peuvent être poursuivis que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, alors qu’en revanche, le dénigrement de produits ou services doit être contesté sur le fondement de l’article 1240 du Code civil. « La liberté d’expression est un droit dont l’exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi. Il s’ensuit que hors restriction légalement prévue, l’exercice du droit à la liberté d’expression ne peut, sauf dénigrement de produits ou services, être sanctionné sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240 du code civil » Civ. 1ère , 25 mars 2020, n° 19-11554
La diffamation a vocation à sanctionner des propos portant atteinte à la réputation d’une personne nommément désignée, alors que le dénigrement est caractérisé en présence de propos portant atteinte à un produit ou service d’une personne, y compris morale.
C’est le propos en cause qui doit être analysé pour déterminer le fondement juridique idoine, non le dommage allégué qui n’a aucune incidence sur le régime juridique applicable.
L’existence d’un préjudice moral pour les sociétés est reconnue par la Cour de cassation, ce qui autorise les entreprises à invoquer l’atteinte à leur image de marque ou à leur réputation pour demander, dans les conditions posées par l’article 1240 du code civil, la réparation de ce préjudice spécifique.
Cependant l’application YUCA ne vise à aucun moment de manière nominative le fabricant ou ses dirigeants mais exclusivement ses produits et ce sont les informations relatives à ceux-ci que la société poursuivante stigmatise en affirmant qu’il s’agit d’allégations déloyales et trompeuses. C’est l’atteinte portée à ses produits qui est invoquée par cette dernière comme lui causant un préjudice qui en découle. Pour qualifier l’action il faut s’en tenir à l’objet des propos en cause qui constitue le critère exclusif à prendre en considération.
La demande de la société visant à « INTERDIRE la diffusion [‘] de toute référence, directe ou indirecte, aux industriels de charcuterie-salaison et de tout contenu les stigmatisant par rapport aux autres acteurs du secteur » est directement rattachée au dénigrement invoqué et à la réparation sollicitée. Elle ne saurait, à elle seule, démontrer que l’action engagée par cette société relève de la diffamation.
La juridiction a considéré que le débat sur la dangerosité des additifs nitrés dans les produits de charcuterie participe d’un débat d’intérêt général majeur de santé publique, faisant intervenir les autorités sanitaires, la communauté scientifique, les journalistes, et les industriels eux-mêmes, ce qui a d’ailleurs eu pour effet le développement de la gamme commerciale des produits sans nitrites.
La liberté d’expression dans ce domaine s’exerce au regard de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mais également de l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.
Tous ces textes font de la liberté d’expression une liberté fondamentale qui ne peut être légitimement entravée que de manière très restrictive, plus particulièrement lorsque est en cause un sujet d’intérêt général, et notamment la protection de l’environnement et de la santé publique (CEDH, Mamère c/ France, 7 novembre 2006, § 20).
Tel est bien le cas des effets de l’utilisation de nitrites par les industriels de l’agroalimentaire dans la charcuterie. De nombreux articles de presse, ouvrages, émissions et rapports scientifiques, ont abordé ce sujet qui dépasse l’aspect purement scientifique. La liberté d’expression de la société YUCA est le corollaire du droit des consommateurs à l’information sur les effets sur leur santé de leur comportement alimentaire.
C’est dans le cadre de cette liberté d’expression et des limites qui peuvent l’encadrer qu’a été examiné l’affaire.
Selon l’article L.121-2 du Code de la consommation, une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l’une des circonstances suivantes : [‘] 2° Lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants : [‘]
b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l’usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ».
Il s’agit d’une pratique commerciale trompeuse dite « par action ».
Quant à l’article L.121-3 du même code, il incrimine une autre pratique commerciale trompeuse dite, ‘par omission’ lorsqu’elle « omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte ».
Le fait de pouvoir consommer un produit alimentaire sans risque pour sa santé est une qualité essentielle de ce produit et la présentation d’une information selon laquelle les produits proposés aux consommateurs contiennent des additifs nitrés associés directement à un risque de maladies mortelles relève bien d’une pratique commerciale susceptible d’être qualifiée de trompeuse au sens de l’article L.121-2 du code de la consommation, et cela, même s’il s’agit de produits fabriqués par un tiers.
Pour retenir qu’une pratique commerciale est trompeuse, les juges du fond ne doivent pas se contenter de relever des faits prohibés par l’article L. 121-1, b) du code de commerce, ils sont également tenus de vérifier si les éléments qu’ils ont retenu altéraient ou étaient de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur (Com 1er mars 2017 n° 15-15.448).
Les premiers juges ont considéré que la société YUCA avait créé une ambiguïté dans l’esprit du consommateur en lui délivrant les messages forts précédemment rappelés et en omettant de faire preuve de mesure dans l’expression des informations qu’elle lui délivrait.
Toutefois cette mesure dans l’expression ne constitue pas un critère à prendre en considération pour apprécier le caractère trompeur de la pratique commerciale. Les critères distinctifs reposent exclusivement sur la fausseté des informations ou leur propension à induire le consommateur en erreur.
La société YUCA informe ses utilisateurs qu’elle milite en faveur d’une meilleure transparence alimentaire, d’une alimentation biologique et naturelle, contenant moins d’additifs. L’application énonce ainsi les « défauts » du produit, qui ne se réduisent pas à la présence d’additifs, mais également à celle de graisses saturées, d’une grande quantité de sel, ou d’un apport calorique trop important, mais elle relève également ses « qualités », telles qu’un apport en protéines important et une faible quantité de sucre.
S’agissant d’un débat sur la nocivité des nitrites, il n’appartient pas aux juges de se substituer aux scientifiques pour consacrer une vérité mais de vérifier si les informations communiquées à cet égard sur l’application relatives aux caractéristiques du produit évalué émanaient de sources scientifiques autorisées, en nombre suffisant et n’étaient pas dénaturées.
A cet égard la société YUCA se fondait sur des sources scientifiques, retenues par son conseil scientifique, présidé par un médecin nutritionniste, et composé d’un nutritionniste, de deux toxicologues, d’un médecin gynécologue obstétricien et d’un ingénieur agronome.
Les sources en question n’émanent que d’institutions ou d’autorités sanitaires reconnues, telles que l’Agence Nationale de Sécurité Alimentaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (ANSES), le Centre international de recherche sur le Cancer (CIRC), l’European Food Safety Authority (l’Autorité européenne de sécurité alimentaire-EFSA), l’Institut national de recherche et de sécurité, le Comité d’experts FAO / OMS.
De nombreuses études scientifiques et communications s’adressant au grand public soulignent depuis de nombreuses années la dangerosité des charcuteries industrielles pour la santé humaine, dès lors qu’elles contiennent des nitrites.
L’existence de ces travaux scientifiques qui existaient lorsque la société YUCA a fourni la présentation incriminée sur les produits Avernou, démontre qu’elle s’était fondée sur des données scientifiques sérieuses et concordantes pour invoquer l’existence de ce risque de cancer.
Il a depuis lors été confirmé par le récent rapport d’information sur les sels nitrés dans l’industrie agro-alimentaire déposé le 13 janvier 2021, par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, après l’audition de plus de quarante personnes, dont trois représentants de la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT), et selon lequel ‘ il est certain que les charcuteries sont cancérogènes et que les nitrites et nitrates ajoutées causent, ou à tout le moins, renforcent cette cancérogénicité.
Or, il est parfaitement possible de produire une charcuterie de qualité sans nitrite, ni nitrates ajoutés et parfaitement sûre d’un point de vue bactériologique … L’enjeu est celui de l’apparition de composés N-nitrosés (NOCs) résultant du traitement de la viande au moyen de nitrites et de nitrates, pendant le processus de fabrication et dans l’organisme au cours de la digestion »
Eu égard à l’ensemble des données scientifiques existantes et sans qu’il y ait lieu de consacrer une vérité scientifique, la juridiction a constaté l’existence de nombreuses et récurrentes mises en garde de nature scientifique, progressivement amplifiées, sur les risques sanitaires de la consommation des produits alimentaires contenant des additifs nitrés.
Les informations sur la présence de ces additifs dans les charcuteries en cause, ne sont pas contestées et autorisaient la société Yuca, qui se présentait comme militant pour une alimentation plus saine, à alerter le consommateur sur les risques pour sa santé que représentait leur consommation, et cela dans les termes utilisés précédemment rappelés.
La pétition lancée par Yuca en association avec la Ligue contre le cancer et l’association Food Watch, demandant l’interdiction des nitrites ajoutés dans l’alimentation, appelant les consommateurs au boycott des nitrites, donc à ses produits qui en contiennent, en poursuivant des objectifs politiques, n’a pas été jugée fautive.
Cette pétition, qui ne vise pas nommément et directement les produits vendus par la société appelante, relève du droit à la liberté d’expression de la société YUCA, qui se présente aux yeux de ses utilisateurs comme un acteur engagé pour le « mieux manger », dans son action visant à faire pression sur les autorités publiques pour qu’elles interdisent des nitrites ajoutés dans l’alimentation, dont elle considère qu’ils représentent un danger sanitaire.
L’existence de cette pétition et l’affichage de son lien dans l’application ne sont pas de nature à caractériser une pratique commerciale trompeuse ou déloyale ni un dénigrement, et ne constituent pas un appel au boycott des produits.
ARRÊT N° 120
N° RG 21/00929 – N° Portalis DBV6-V-B7F-BIIQ3
AFFAIRE :
S.A.S. YUCA prise en la personne de son président en exercice domicilié en cette qualité audit siège
C/
S.A.S.U. LE MONT DE LA COSTE représentée par son Président en exercice domicilié de droit audit siège
PLP/MS
Demande en cessation de concurrence déloyale ou illicite et/ou en dommages et intérêts
Grosse délivrée à Anne DEBERNARD-DAURIAC, Me Philippe CHABAUD, avocats
COUR D’APPEL DE LIMOGES
Chambre sociale
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ARRÊT DU 13 AVRIL 2023
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Le TREIZE AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS la chambre économique et sociale a rendu l’arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe:
ENTRE :
S.A.S. YUCA prise en la personne de son président en exercice domicilié en cette qualité audit siège, dont le siège sociale [Adresse 1]
représentée par Me François DE CAMBIAIRE de la SELARL SEATTLE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS,
Me Anne DEBERNARD-DAURIAC, avocat au barreau de LIMOGES
Ayant pour plaidants Maître François de CAMBIAIRE, Maître François RONGET de la SELARL SEATTLE AVOCATS, Avocats au barreau de Paris
APPELANTE d’une décision rendue le 24 SEPTEMBRE 2021 par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE BRIVE
ET :
S.A.S.U. LE MONT DE LA COSTE représentée par son Président en exercice domicilié de droit audit siège, dont le siège social est sis : [Adresse 2]
représentée par Me Philippe CHABAUD de la SELARL SELARL CHAGNAUD CHABAUD LAGRANGE, avocat au barreau de LIMOGES
Ayant pour plaidants La Selarl Grall & Associés, Maîtres Jean-Christophe Grall et Nadège Pollak, Avocats au Barreau de Paris
INTIMEE
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Suivant avis de fixation du Président de chambre chargé de la mise en état, l’affaire a été fixée à l’audience du 06 Février 2023. L’ordonnance de clôture a été rendue le 25 janvier 2023.
La Cour étant composée de Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, de Madame Géraldine VOISIN, Conseiller, et de Madame Johanne PERRIER, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, assistés de Mme Sophie MAILLANT, Greffier. A cette audience, Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, a été
entendu en son rapport oral, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.
Puis Monsieur Pierre-Louis PUGNET, Président de Chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 23 mars 2023 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.
La mise à disposition de cette décision a été prorogée au 06 avril 2023, puis au 13 avril 2023, avec information des avocats des parties.
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Exposé du litige
LA COUR
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EXPOSE DU LITIGE :
La société LE MONT DE LA COSTE a pour activité la fabrication de charcuteries sèches à base de viande de porc. Elle élabore particulièrement des saucissons commercialisés sous la marque ‘L’Auvernou’ et notamment des saucissons de snacking.
La société YUCA a conçu et diffuse une application mobile grand public intitulée YUKA destinée aux consommateurs et attribuant, au travers d’un algorithme, une note et des informations sur la composition de produits alimentaires mais également relatives à la santé et à l’hygiène.
Le 7 octobre 2020, la Fédération des industriels charcutiers et traiteurs (FICT), à laquelle adhère la société LE MONT DE LA COSTE, a adressé une mise en demeure à la société YUCA en lui enjoignant de cesser sa campagne qu’elle qualifiait de dénigrement mensongère au regard de la réglementation en vigueur, et, dans un délai de 15 jours à compter de la réception de la lettre, de :
indiquer que les industriels de la charcuterie utilisent principalement les sels nitrites pour cette raison ;
Parallèlement, la société LE MONT DE LA COSTE a mis en demeure, en vain, la société YUCA, suivant lettre recommandée du 15 décembre 2020, de cesser ce qu’elle estime être de la concurrence déloyale, des pratiques commerciales déloyales et trompeuses, des actes de dénigrement et des appels au boycott.
Saisi par la société LE MONT DE LA COSTE, le président du tribunal de commerce de Brive a, par une ordonnance du 19 avril 2021, autorisé cette dernière à assigner à bref délai la société YUCA.
Par exploit d’huissier du 20 avril 2021, la société MONT DE LA COSTE a fait assigner à bref délai la société YUCA devant le tribunal de commerce de Brive aux fins notamment d’entendre dire qu’elle a commis une pratique commerciale trompeuse et une pratique commerciale déloyale, ainsi qu’une faute par dénigrement et appel au boycott, à son préjudice et de la voir condamnée au retrait et à l’interdiction de toute diffusion ou publication de tout contenu qu’elle considère trompeur ou dénigrant sur les charcuteries qu’elle fabrique, ainsi qu’au paiement de diverses sommes à titre indemnitaire.
Par jugement du 24 septembre 2022, le tribunal de commerce de Brive, a :
En conséquence, a :
La société YUCA a interjeté appel de la décision le 2 novembre 2022 aux fins d’obtenir l’annulation du jugement ou à tout le moins la réformation des chefs de décision la déboutant de ses demandes ou portant condamnation à son encontre.
Moyens
Aux termes de ses écritures du 17 janvier 2023, la société YUCA demande à la cour :
Et, statuant à nouveau, à titre liminaire, de :
A défaut :
En tout état de cause, de :
Au fond, à titre principal, de :
A titre subsidiaire, de :
A titre infiniment subsidiaire, de :
A titre encore plus subsidiaire, de :
En tout état de cause, de :
La société YUCA soutient :
La société YUCA précise en outre qu’aucun préjudice financier n’existe, les calculs présentés par la société LE MONT DE LA COSTE étant basés sur un volume de vente attendu en moyenne, sans qu’aucun élément probant n’étaye cette prétention ;
Aux termes de ses écritures du 17 janvier 2023, la société LE MONT DE LA COSTE demande à la cour de :
Statuant à nouveau et y ajoutant, de :
‘Erratum : YUCA a été condamnée pour des allégations non justifiées concernant les nitrites. Contrairement à ce que YUCA affirme, les nitrites ne sont pas dangereux pour la santé humaine aux doses actuellement autorisées par la réglementation, comme l’ont confirmé toutes les expertises scientifiques collectives officielles disponibles à ce jour. Les autorités françaises et européennes insistent sur le rôle majeur que jouent les nitrites dans la prévention de toxi-infections graves tels que le botulisme, l’utilisation des nitrites étant recommandée par les agences sanitaires françaises et européennes dans les charcuteries.’;
En tout état de cause, de :
La société LE MONT DE LA COSTE soutient :
Ainsi, elle expose que l’application se veut être un service d’information et non le support d’une activité militante, le dénigrement étant constitué, peu important que l’auteur et la victime ne soient pas concurrents, YUCA ne participant en rien à un débat d’intérêt général comme elle le prétend. Elle précise que l’information délivrée sur la composition des produits Auvernou n’est pas de nature à enrichir le débat d’intérêt général autour de la dangerosité supposée des nitrites ;
L’ordonnance de clôture a été rendue le 25 janvier 2022.
Motivation
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur l’irrecevabilité de l’action engagée par la société Le Mont de la Coste :
Aux termes de l’article 31 du code de procédure civile ; « L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. ».
C’est sur le fondement de ces dispositions que la société YUCA, excipe de l’irrecevabilité de l’action engagée par la société LE MONT DE LA COSTE pour défaut d’intérêt à agir à titre personnel, considérant qu’il ne serait pas distinct de celui de la Fédération professionnelle à laquelle elle a adhéré, la FICT, qui est un syndicat professionnel dont l’objet est notamment « la représentation, l’étude et la défense des droits et intérêts matériels et moraux, tant individuels que collectifs, de ses membres ».
La société YUCA souligne que la FICT est la première à avoir fait assigner la société YUCA pour les mêmes faits que ceux reprochés par la société LE MONT DE LA COSTE (pratiques commerciales déloyales et trompeuses, dénigrement), devant le Tribunal de commerce de Paris le 6 janvier 2021.
Cependant en l’espèce, la société LE MONT DE LA COSTE s’estime victime de l’application YUCA dont elle considère qu’elle stigmatise ses produits Auvernou mini-sticks et mini-snacks au moyen d’allégations qui seraient trompeuses et d’une notation rédhibitoire. Elle invoque l’existence d’un préjudice réputationnel qui lui serait propre et d’un intérêt tout aussi personnel à faire cesser de tels agissements. Ainsi il s’agit bien d’un droit subjectif dont elle se prétend titulaire, soit pour que l’existence du droit soit reconnue à son profit, soit pour que les conséquences soient tirées d’une atteinte qui lui aurait été portée. Or l’action d’une fédération professionnelle ne prive pas ses adhérents du droit d’agir pour la défense de leurs propres intérêts et la réparation de leur préjudice personnel.
L’atteinte à la réputation de la société LE MONT DE LA COSTE est différente de celle subie par la FICT, dont l’action intentée par ce syndicat professionnel devant la juridiction consulaire parisienne visait à réparer le préjudice résultant de l’atteinte à l’image et à la réputation de la profession de la charcuterie-salaison, alors que le préjudice moral subi par LE MONT DE LA COSTE concerne exclusivement l’atteinte portée à la réputation des saucissons secs qu’elle fabrique.
La société LE MONT DE LA COSTE invoque l’existe d’un préjudice économique qui lui aurait été directement causé par les agissements de YUCA et qui se traduirait par une baisse du volume des ventes de ses saucissons secs Auvernou. Ce chef de préjudice ne peut pas être invoqué par la FICT, laquelle ne commercialise elle-même aucun produit, et il constitue à lui seul un droit subjectif et crée un intérêt à agir propre pour ladite société.
La société LE MONT DE LA COSTE dispose d’un intérêt à agir, personnel et distinct de celui de la FICT. Son action est donc recevable.
2- Sur l’annulation du jugement déféré pour avoir statué sur une action en diffamation en violation des dispositions de la loi du 29 Juillet 1881 et de l’article 10 de la CESDH:
la société YUCA demande à la cour d’annuler le jugement critiqué pour avoir statué sur une action en diffamation, en violation des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 et de l’article 10 de la CESDH.
Selon elle il ressort des termes des mises en demeure adressées par la FICT et la société LE MONT DE LA COSTE à la société YUCA, mais également de l’assignation, des conclusions d’intimée de la société LE MONT DE LA COSTE et du jugement critiqué, que les demandes visent à voir reconnaître une atteinte à l’honneur et à la considération de cette dernière qui repose principalement sur l’utilisation par elle d’additifs nitrés à des fins autres que sanitaires et dont l’effet cancérogène est aujourd’hui dénoncé.
Elle souligne que, selon le jugement déféré, elle s’est rendue coupable de pratiques commerciales déloyales et trompeuses et a commis des actes de dénigrement dans la diffusion d’informations sur les additifs nitrés envers la société LE MONT DE LA COSTE, ce qui démontrerait que les imputations poursuivies par cette dernière, aux termes de son assignation introductive d’instance ne portent pas sur ses produits mais bien sur la dangerosité dénoncée par des études scientifiques des additifs nitrés, mettant ainsi en cause la responsabilité des industriels.
Elle fait valoir que de telles allégations et imputations correspondent à la définition de l’article 29 de la Loi sur la presse : « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. »
La société YUCA invoque la jurisprudence constante de la Cour de cassation, depuis un arrêt de principe du 12 juillet 2000 rendu par son assemblée plénière, selon laquelle les abus de la liberté d’expression qui se rapportent à une atteinte à la réputation ne peuvent être réparés que sur le fondement exclusif de la loi du 29 juillet 1881, dont les dispositions n’ont pas été respectées par la société Le Mont de La Coste, ce qui n’est pas contesté.
La loi du 29 juillet 1881 trouverait ainsi à s’appliquer dès lors que l’action n’a pas pour seul fondement la qualité des produits mais tend aussi à réparer l’atteinte à l’honneur et à la considération d’une société.
Ainsi, lorsque l’objet de l’action vise à réparer une atteinte à la réputation d’une personne morale et/ou de ses dirigeants, même si elle est susceptible de rejaillir sur ses produits, le régime de la diffamation deviendrait le seul fondement juridique recevable.
Toutefois en statuant sur l’action engagée par la société Le Mont de la Coste à l’encontre de la société YUCA sur le fondement du droit des pratiques commerciales trompeuses et déloyales ainsi que sur le dénigrement, tels que ces fondements étaient expressément invoqués par la demanderesse, à l’exclusion de toute référence à la loi du 29 juillet 1881, le tribunal a respecté son office qui lui incombait d’apprécier sa recevabilité puis son bien-fondé sur ces fondements juridiques, tels que le litige lui était soumis.
La société LE MONT DE LA COSTE doit être déboutée de sa demande d’annulation du jugement déféré, présentée de ce chef.
3- Sur la demande d’annulation du jugement déféré après requalification de l’action engagée par la société Le Mont de la Coste en une action en diffamation :
A titre subsidiaire la société YUCA fonde sa demande d’annulation du jugement déféré en sollicitant au préalable de la cour la requalification de l’action exercée par la société Le Mont de la Coste en une action en diffamation relevant de la loi du 29 juillet 1881 dont les dispositions auraient été méconnues. Les moyens soulevés à l’appui de cette demande sont identiques à ceux relatifs à la demande d’annulation directe du jugement précédemment exposés et il y est expressément renvoyé.
Il incombe effectivement au juge de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et pour cela il lui appartient de ‘ restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties auraient proposée.’ (Article 12 alinéa 2 du code de procédure civile).
Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation les abus de la liberté d’expression relèvent de la diffamation et ne peuvent être poursuivis que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, alors qu’en revanche, le dénigrement de produits ou services doit être contesté sur le fondement de l’article 1240 du Code civil. « La liberté d’expression est un droit dont l’exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi. Il s’ensuit que hors restriction légalement prévue, l’exercice du droit à la liberté d’expression ne peut, sauf dénigrement de produits ou services, être sanctionné sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240 du code civil » Civ. 1ère , 25 mars 2020, n° 19-11554.
La diffamation a vocation à sanctionner des propos portant atteinte à la réputation d’une personne nommément désignée, alors que le dénigrement est caractérisé en présence de propos portant atteinte à un produit ou service d’une personne, y compris morale.
C’est le propos en cause qui doit être analysé pour déterminer le fondement juridique idoine, non le dommage allégué qui n’a aucune incidence sur le régime juridique applicable. L’existence d’un préjudice moral pour les sociétés est reconnue par la Cour de cassation, ce qui autorise les entreprises à invoquer l’atteinte à leur image de marque ou à leur réputation pour demander, dans les conditions posées par l’article 1240 du code civil, la réparation de ce préjudice spécifique.
En l’espèce la société YUCA prétend que sous couvert d’une atteinte à l’image de ses produits de charcuterie nitrés, l’action initiée par la société LE MONT DE LA COSTE consiste à lui reprocher en réalité une atteinte portée à son honneur et à sa considération, c’est-à-dire une diffamation.
Cependant il doit être constaté que l’application YUCA ne vise à aucun moment de manière nominative la société LE MONT DE LA COSTE ou ses dirigeants mais exclusivement ses produits et ce sont les informations relatives à ceux-ci que la société LE MONT DE LA COSTE stigmatise en affirmant qu’il s’agit d’allégations déloyales et trompeuses. C’est l’atteinte portée à ses produits qui est invoquée par cette dernière comme lui causant un préjudice qui en découle. Pour qualifier l’action il faut s’en tenir à l’objet des propos en cause qui constitue le critère exclusif à prendre en considération.
La demande de la société LE MONT DE LA COSTE visant à « INTERDIRE la diffusion [‘] de toute référence, directe ou indirecte, aux industriels de charcuterie-salaison et de tout contenu les stigmatisant par rapport aux autres acteurs du secteur » est directement rattachée au dénigrement invoqué et à la réparation sollicitée. Elle ne saurait, à elle seule, démontrer que l’action engagée par cette société relève de la diffamation.
Toute qualification de diffamation est en définitive exclue et il n’y a pas lieu à requalification de l’action et à l’annulation du jugement de première instance.
4- Sur les caractéristiques de l’application YUCA au regard de la liberté d’expression
La société YUCA gère une application pour smartphones, de notation (score) de produits alimentaires et cosmétiques et revendique aujourd’hui près de 35 millions d’utilisateurs, dont près de la moitié en France.
Elle édite également un blog en ligne, prodiguant des conseils pour une alimentation plus saine.
L’application YUCA fonctionne sur la base d’un algorithme permettant d’automatiser la notation d’un produit à partir d’une capture de son code-barres et de l’étiquetage de sa composition.
S’agissant des produits alimentaires, cette notation repose sur une pondération des critères suivants:
Le financement de la société YUCA, détaillé sur son site, repose sur quatre sources de revenus:
utilisateurs,
équilibré,
d’affaires réalisé par cette vente à des associations de protection de la planète,
Sur son exercice 2020, YUCA a dégagé un résultat net de 18.034 €. En 2021, le résultat comptable affichait une perte de 579.430 €.
En développant son application mobile la société YUCA a pour objectif d’informer le consommateur sur la composition et la sanité des produits alimentaires. Mais elle précise également, dans la page relative à leur notation, qu’elle émet des opinions sur les produits recensés : « La notation établie par l’application constitue une opinion de YUCA sur la base de plusieurs critères déterminés. Les adjectifs « Excellent », « Bon », « Médiocre » et « Mauvais » se réfèrent à ce score, et non pas au produit directement » .
Il est donc inexact d’affirmer, comme le fait la société LE MONT DE LA COSTE, que YUCA est une application d’information qui ne peut diffuser que des informations fondées sur une réalité objective. La société YUCA revendique certes une mission d’information du consommateur mais également un engagement militant en faveur de l’alimentation biologique, saine, et naturelle, notamment avec moins d’additifs ajoutés.
Il ne s’agit pas d’un ajustement d’argumentaire pour les besoins de la cause en vue d’échapper à toute condamnation, mais d’une mission qu’elle revendique sans équivoque, comme l’atteste son site internet où on peut lire : « L’objectif de YUCA est d’aider les consommateurs à faire de meilleurs choix pour leur santé et représenter un levier d’action pour conduire les industriels à proposer de meilleurs produits. ».
Or le débat sur la dangerosité des additifs nitrés dans les produits de charcuterie participe d’un débat d’intérêt général majeur de santé publique, faisant intervenir les autorités sanitaires, la communauté scientifique, les journalistes, et les industriels eux-mêmes, ce qui a d’ailleurs eu pour effet le développement de la gamme commerciale des produits sans nitrites.
La liberté d’expression dans ce domaine s’exerce au regard de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mais également de l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.
Tous ces textes font de la liberté d’expression une liberté fondamentale qui ne peut être légitimement entravée que de manière très restrictive, plus particulièrement lorsque est en cause un sujet d’intérêt général, et notamment la protection de l’environnement et de la santé publique (CEDH, Mamère c/ France, 7 novembre 2006, § 20). Tel est bien le cas des effets de l’utilisation de nitrites par les industriels de l’agroalimentaire dans la charcuterie. Dès le 13 septembre 2016 une émission de de la chaîne TV Franceinfo intitulée ‘Cash Investigations’ diffusait une enquête selon laquelle elle était suspectée de favoriser la cancer colorectal. De nombreux articles de presse, ouvrages, émissions et rapports scientifiques, ont depuis lors abordé ce sujet qui dépasse l’aspect purement scientifique. La liberté d’expression de la société YUCA est le corollaire du droit des consommateurs à l’information sur les effets sur leur santé de leur comportement alimentaire.
C’est dans le cadre de cette liberté d’expression et des limites qui peuvent l’encadrer que doivent être examinés les moyens d’y porter atteinte tels qu’ils sont soulevés par la société LE MONT DE LA COSTE.
5- Sur les pratiques commerciales trompeuses reprochées à la société Yuca
Selon l’article L.121-2 du Code de la consommation (dans sa version en vigueur à l’époque des faits) « une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l’une des circonstances suivantes : [‘]
2° Lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants : [‘]
b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l’usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ».
Il s’agit d’une pratique commerciale trompeuse dite « par action ».
Quant à l’article L.121-3 du même code, il incrimine une autre pratique commerciale trompeuse dite, ‘par omission’ lorsqu’elle « omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte ».
5-1 Sur la pratique commerciale trompeuse ‘par action’
La société LE MONT DE LA COSTE soutient que la société YUCA se livre à des pratiques commerciales trompeuses par action en communiquant aux consommateurs des présentations fausses et de nature à les induire en erreur quant aux caractéristiques essentielles du saucisson Auvernou.
Elle lui reproche de tromper le consommateur en indiquant que les nitrites ajoutés dans l’alimentation sont :
o dans l’encart de présentation de la pétition apparaissant en première position sur
la fiche produit,
o dans la section intitulée « Pourquoi interdire les nitrites ajoutés ‘ » de la page de
signature de la pétition,
o sur les fiches techniques des additifs accessibles depuis les fiches produits de
chacun des produits Auvernou,
o dans la rubrique « En savoir plus » de cette fiche technique, en faisant apparaître la mention « augmentent le risque d’apparition de maladies du sang », ou toutes mentions équivalentes également à de multiples reprises et à des emplacements différents.
Et qu’ils présentent :
Le fait de pouvoir consommer un produit alimentaire sans risque pour sa santé est une qualité essentielle de ce produit et la présentation d’une information selon laquelle les produits proposés aux consommateurs contiennent des additifs nitrés associés directement à un risque de maladies mortelles relève bien d’une pratique commerciale susceptible d’être qualifiée de trompeuse au sens de l’article L.121-2 du code de la consommation, et cela, même s’il s’agit de produits fabriqués par un tiers.
Pour retenir qu’une pratique commerciale est trompeuse, les juges du fond ne doivent pas se contenter de relever des faits prohibés par l’article L. 121-1, b) du code de commerce, ils sont également tenus de vérifier si les éléments qu’ils ont retenu altéraient ou étaient de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur (Com 1er mars 2017 n° 15-15.448).
Les premiers juges ont considéré que la société YUCA avait créé une ambiguïté dans l’esprit du consommateur en lui délivrant les messages forts précédemment rappelés et en omettant de faire preuve de mesure dans l’expression des informations qu’elle lui délivrait.
Toutefois cette mesure dans l’expression ne constitue pas un critère à prendre en considération pour apprécier le caractère trompeur de la pratique commerciale. Les critères distinctifs reposent exclusivement sur la fausseté des informations ou leur propension à induire le consommateur en erreur.
Il sera par ailleurs rappelé que la société YUCA informe ses utilisateurs qu’elle milite en faveur d’une meilleure transparence alimentaire, d’une alimentation biologique et naturelle, contenant moins d’additifs. L’application énonce ainsi les « défauts » du produit, qui ne se réduisent pas à la présence d’additifs, mais également à celle de graisses saturées, d’une grande quantité de sel, ou d’un apport calorique trop important, mais elle relève également ses « qualités », telles qu’un apport en protéines important et une faible quantité de sucre.
S’agissant d’un débat sur la nocivité des nitrites, il n’appartient pas aux juges de se substituer aux scientifiques pour consacrer une vérité mais de vérifier si les informations communiquées à cet égard sur l’application relatives aux caractéristiques du produit évalué émanaient de sources scientifiques autorisées, en nombre suffisant et n’étaient pas dénaturées.
A cet égard la société YUCA se fondait sur des sources scientifiques, retenues par son conseil scientifique, présidé par un médecin nutritionniste, et composé d’un nutritionniste, de deux toxicologues, d’un médecin gynécologue obstétricien et d’un ingénieur agronome.
Les sources en question n’émanent que d’institutions ou d’autorités sanitaires reconnues, telles que l’Agence Nationale de Sécurité Alimentaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (ANSES), le Centre international de recherche sur le Cancer (CIRC), l’European Food Safety Authority (l’Autorité européenne de sécurité alimentaire-EFSA), l’Institut national de recherche et de sécurité, le Comité d’experts FAO / OMS.
De nombreuses études scientifiques et communications s’adressant au grand public soulignent depuis de nombreuses années la dangerosité des charcuteries industrielles pour la santé humaine, dès lors qu’elles contiennent des nitrites.
Ainsi ,notamment, dès 2007, le World Cancer Research Fund (WCRF), association consacrée à la lutte contre le cancer, confirmait, dans un rapport établi conjointement avec le American Institute for Cancer Research, le lien entre la consommation de charcuterie et le risque de cancer et conseillait d’« éviter la viande transformée » (recommandation 5).
Dans une étude publiée en 2010, le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC),
agence de l’OMS, classait les nitrates et nitrites ingérés comme « cancérogènes probables » et affirmait qu’ « Il existe une corrélation entre la présence de nitrites dans les aliments et une incidence accrue du cancer de l’estomac. » « Certains des composés N-nitroso qui pourraient se former chez l’homme dans ces conditions sont des cancérogènes
connus ».
En mai 2011, l’ANSES a publié un rapport intitulé « Nutrition et cancer » qui soulignait la relation entre la consommation de charcuterie et la survenance de cancer. Elle précisait que ce lien s’expliquait notamment par les apports de sels nitrités par certaines charcuteries. Les nitrates et nitrites ingérés étaient qualifiés de ‘probablement cancérigènes pour l’homme’.
Dans deux avis scientifiques publiés le 5 avril 2017 l’EFSA conclut qu’ « il a été prouvé que la consommation de NDMA préformée était associée à un risque accru de cancer colorectal
(CCR) ou de ses sous-types, et il existe des preuves permettant de relier la combinaison nitrate plus nitrite de la viande transformée au cancer du côlon, et le nitrite au cancer de l’estomac. Ceci est conforme à la conclusion de la Monographie 114 du CIRC sur la viande rouge et la viande transformée en 2015, où il a été conclu qu’« il existe des preuves suffisantes chez les êtres humains de la cancérogénicité de la consommation de viande transformée »
La note jointe à ces deux études confirmait que « Les nitrites ‘ y compris sous forme d’additifs alimentaires ‘ contribuent à la formation d’un groupe de composés appelés nitrosamines, dont certains sont cancérigènes ».
Dans une étude publiée en 2018, le CIRC affirme qu’il existe des preuves suffisantes chez l’homme concernant la dangerosité de la consommation de viande transformée qui est une cause connue du cancer colorectal, ajoutant que des associations positives avaient été observées entre la consommation de viande transformée et le cancer de l’estomac.
Le site internet de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’institution spécialisée de l’Organisation des Nations unies pour la santé publique, précise que si la consommation de viande transformée a été classée comme cancérogène pour l’homme cette classification se fonde sur des indications suffisantes provenant d’études épidémiologiques de ce que la consommation de viande transformée provoque le cancer colorectal chez l’homme.
L’addition de sel nitrés dans la viande transformée est identifiée dans cette étude comme un des facteurs pouvant être à l’origine de sa cancérogénicité en entraînant la formation de composés nitrosés (NOCs) génotoxiques et cancérogènes.
De nombreuses autres études, qu’il est inutile de citer, confirment le risque de cancer lié à la consommation de charcuteries à additifs nitrés.
L’existence de ces travaux scientifiques qui existaient lorsque la société YUCA a fourni la présentation incriminée sur les produits Avernou, démontre qu’elle s’était fondée sur des données scientifiques sérieuses et concordantes pour invoquer l’existence de ce risque de cancer. Il a depuis lors été confirmé par le récent rapport d’information sur les sels nitrés dans l’industrie agro-alimentaire déposé le 13 janvier 2021, par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, après l’audition de plus de quarante personnes, dont trois représentants de la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT), et selon lequel ‘ il est certain que les charcuteries sont cancérogènes et que les nitrites et nitrates ajoutées causent, ou à tout le moins, renforcent cette cancérogénicité.
Or, il est parfaitement possible de produire une charcuterie de qualité sans nitrite, ni
nitrates ajoutés et parfaitement sûre d’un point de vue bactériologique … L’enjeu est celui de l’apparition de composés N-nitrosés (NOCs) résultant du traitement de la viande au moyen
de nitrites et de nitrates, pendant le processus de fabrication et dans l’organisme au cours de la digestion »
A l’issue de ce rapport, des parlementaires ont déposé une proposition de loi visant à l’interdiction progressive des additifs nitrés dans les produits de charcuterie.
Le 3 février 2022, l’Assemblée nationale a voté l’adoption d’un projet de loi relatif à la consommation de produits contenant des additifs nitrés, entérinant une trajectoire progressive de baisse des quantités maximales autorisées.
Le 12 juillet 2022, l’ANSES a publié son rapport sur l’évaluation des risques liés à la consommation de nitrates et de nitrites. Il confirme l’existence d’un lien entre additifs nitrés et cancer colorectal : « le groupe de travail conclut à (‘) l’existence d’une association positive entre l’exposition aux nitrates et/ou aux nitrites via la viande transformée et le risque de cancer colorectal. ».
Ainsi, eu égard à l’ensemble de ces éléments, sans qu’il y ait lieu de consacrer une vérité scientifique, il doit être constaté l’existence de nombreuses et récurrentes mises en garde de nature scientifique, progressivement amplifiées, sur les risques sanitaires de la consommation des produits alimentaires contenant des additifs nitrés. Les informations sur la présence de ces additifs dans les charcuteries en cause, ne sont pas contestées et autorisaient la société Yuca, qui se présentait comme militant pour une alimentation plus saine, à alerter le consommateur sur les risques pour sa santé que représentait leur consommation, et cela dans les termes utilisés précédemment rappelés.
Il y a lieu de considérer que la société YUCA n’a pas présenté des informations relatives aux produits Auvernou de manière fausse ou de nature à induire en erreur les consommateurs sur certaines de ses caractéristiques essentielles.
5-2 Sur la pratique commerciale trompeuse ‘par omission’
La société MONT DE LA COSTE soutient également que la société YUCA se livre à des pratiques commerciales trompeuses par omission en dissimulant et fournissant de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps plusieurs informations substantielles relatives aux additifs nitrés et aux risques qu’ils feraient encourir pour la santé des consommateurs. Elle cite à cet égard le fait d’omettre de citer les conclusions tirées par l’EFSA dans ses avis de juin 2017 qui confirmeraient que les additifs nitrés offrent une protection suffisante et sont peu préoccupants pour la santé, le fait d’omettre d’indiquer que l’utilisation des nitrites est recommandée par l’ANSES et de s’abstenir de faire référence à son avis du 20 décembre 2019, qui a recommandé aux opérateurs de la filière l’utilisation des nitrites dans la
charcuterie à la dose d’incorporation maximum de 150 mg/kg déterminée par la
réglementation, compte tenu du danger mortel et immédiat que constitue le botulisme pour
la santé des consommateurs, le fait d’omettre d’indiquer qu’un additif, pour pouvoir être autorisé et utilisé, doit faire la preuve de son innocuité conformément au Règlement.
Il sera rappelé que la pratique commerciale trompeuse par omission suppose la démonstration du caractère substantiel de l’information omise ou présentée de façon peu claire ou inintelligible et il appartient au juge de tenir compte des limites d’espace ou de temps imposées par le moyen de communication et des circonstances qui l’entourent.
Or la société YUCA n’a jamais affirmé ni laissé croire à ses utilisateurs que les additifs incriminés n’étaient pas autorisés. Elle mettait d’ailleurs en ligne une pétition proposant leur interdiction. Elle n’était pas tenue de mentionner la conformité des doses utilisées au regard des normes réglementaires ou des avis scientifiques, ces points n’étant pas par elle niés dans sa présentation du produit.
Le caractère de « conservateur », et donc son utilisation dans l’objectif de permettre
une conservation plus longue, était précisé au sein de l’application YUCA à propos des propriétés d’utilisation principale des additifs nitrés E250 et E251.
L’avis en question de l’EFSA figurait dès l’origine sur les fiches de notation des produits de charcuteries nitrées, en particulier pour les produits Auvernou de la société Le Mont de la Coste. L’application YUCA indiquait que ‘ Si L’EFSA reconnaît, dans son avis de 2017, que les nitrites peuvent contribuer à la formation de composés cancérigènes, elle estime cependant que les niveaux d’utilisation autorisés pour les nitrites et les nitrates (ces additifs ont été évalués conjointement) sont suffisamment protecteurs.’.
Il sera également relevé que l’ANSES, dans son rapport du 12 juillet 2022, a confirmé la possibilité de réduire voire de supprimer les additifs nitrés moyennant des mesures compensatrices telles que des mesures d’hygiène stricte à l’abattoir et l’allongement de la durée de séchage, ce que font déjà plusieurs producteurs de saucissons secs sans nitrite.
Les informations étaient délivrées par YUCA, dans un premier temps, de manière synthétique sur la page d’accueil d’un produit scanné, et détaillées dans les différentes pages sur lesquelles l’utilisateur pouvait facilement accéder en cliquant sur le lien.
Ainsi, en fonction des caractéristiques de l’application YUCA et eu égard aux contraintes imposées qui la contraignaient à limiter les informations détaillées pour conserver un minimum de lisibilité, le système des renvois immédiats qu’elle proposait à l’utilisateur, vers l’ensemble des sources scientifiques et des avis rendus par les autorités sanitaires, y compris ceux de l’EFSA et L’ANSES, démontre qu’elle ne lui dissimulait pas des informations substantielles.
En l’absence de pratiques commerciales trompeuses par action et par omission le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a retenu leur existence.
6- Sur les pratiques commerciales déloyales reprochées à la société Yuca
Aux termes de l’art. L. 121-1 du code de la consommation ‘ Les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service.’
Ces dispositions doivent être interprétées à la lumière des articles 5 et 6, paragraphe 2, sous a), de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE et le règlement (CE) n° 2006/2004.
Cette directive (article 2. d) définit la « pratique commerciale » comme « toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs ».
Le droit des pratiques commerciales déloyales s’applique même en dehors de toute relation contractuelle entre l’auteur et le destinataire de la pratique. Il a pour objectif premier de protéger les consommateurs et vise à sanctionner toute pratique portant directement atteinte aux intérêts économiques des consommateurs.
Les pratiques ainsi visées doivent être, [‘], de nature commerciale, c’est-à-dire émaner de professionnels » (CJUE 17 oct. 2013, RLvS Verlagsgesellschaft mbH, aff. C-391/12 , pt 37, D. 2013. 2465 ).
L’article liminaire du code de la consommation définit le professionnel comme « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole.’
En l’occurrence, selon l’article 2 de ses statuts, l’objet social de la société YUCA consiste en:
« la conception, le développement, la fabrication, l’exploitation et la commercialisation de
sites internet, d’applications mobiles et d’objets connectés à internet, ayant pour objectif de contribuer à réduire les exclusions et les inégalités en matière de santé et d’éducation, ainsi que les logiciels, bases de données et réseaux y afférents ;
plus généralement toutes opérations économiques, juridiques, industrielles, commerciales,
civiles, financières, mobilières ou immobilières se rapportant directement ou indirectement à ce qui précède (y compris toute activité de conseil se rapportant directement ou indirectement à ce qui précède), ou tous objets similaires, connexes ou complémentaires ou susceptibles d’en favoriser l’extension ou le développement.’
La société YUCA commercialise ses services via son application Yuka qui en propose une version payante, laquelle constitue une source de ses revenus, associée à de la vente de calendriers et d’un programme ‘nutrition’. Elle doit être considérée comme un professionnel au sens du code de la consommation et à ce titre soumis au respect des dispositions précitées de l’art. L. 121-1 du code de la consommation.
C’est à tort que la société YUCA prétend que le régime juridique des pratiques commerciales trompeuses et déloyales ne lui serait pas applicable dans la mesure où les messages qu’elle diffuse visent à exprimer une opinion ou une position en faveur d’un changement de réglementation.
Dès lors que son activité, consiste, par le biais de son application, à informer ses utilisateurs sur la composition des produits alimentaires en décryptant les étiquettes. Il s’agit d’éléments d’information sur des produits mis en vente, en relation directe avec leur acquisition.
En agissant ainsi la société YUCA se comporte comme n’importe quelle entreprise commerciale qui vend des informations aux consommateurs, pour la promotion de son application. Elle est donc soumise à la prohibition des pratiques commerciales déloyales dont elle ne saurait s’exonérer en excipant d’une philosophie, d’un objectif, ou d’un quelconque militantisme. Elle est responsable des pratiques commerciales qu’elle met en oeuvre.
Elle sera déclarée déloyale s’il est démontrée qu’elle est contraire à la diligence professionnelle d’une part, et qu’elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur.
La notion de diligence professionnelle est décrite par la Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 précitée, comme suit : « le niveau de compétence spécialisée et de soins dont le professionnel est raisonnablement censé faire preuve vis-à-vis du consommateur, conformément aux pratiques de marché honnêtes et/ou au principe général de bonne foi dans son domaine d’activité ».
L’article 2 de la Directive définit la notion d’altération substantielle du comportement économique du consommateur comme « l’utilisation d’une pratique commerciale compromettant sensiblement l’aptitude du consommateur à prendre une décision en connaissance de cause et l’amenant par conséquent à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement ».
La seule potentialité d’altération est suffisante pour rendre la pratique commerciale déloyale.
La société Le Mont de La Coste considère que la SAS YUCA, dans le contenu accessible de son application, a divulgué des informations ne reposant pas sur une base d’observations objectives suffisantes et soutient qu’elle a fourni une information partisane ou incomplète, sans en informer le consommateur, alors qu’elle lui promettait« une information claire sur l’impact du produit sur la santé », et qu’elle a ainsi manqué à sa diligence professionnelle. Elle lui reproche une posture partisane à l’égard des sels nitrités, qui n’est pas fondée sur des sources scientifiques, en relevant qu’elle attribue une mauvaise note à l’égard des charcuteries contenant des additifs nitrés, telles que les saucissons secs qu’elle fabrique, seulement parce qu’ils contiennent des additifs nitrés, alors même que ces substances sont expressément autorisées par les autorités européennes et françaises.
Comme cela a été précédemment exposé, l’application YUCA note les produits alimentaires, et dans le cas des saucissons Auvernou c’est celle de 0 qui est affichée. Sa décomposition est justifiée sur les critères objectifs suivants :
Si en présence d’un additif évalué « à risque », le score maximal du produit est fixé à 49/100 ce qui peut conduire a conférer à ce seul critère une prépondérance considérable ce cas de figure ne se présente pas pour les produits de charcuterie dont l’équilibre nutritionnel est trop gras et/ou trop salé, ce qui est le cas des produits en cause.
Le système de pondération de ces critères relève de la décision de la société YUCA qui dispose à cet égard d’un pouvoir quasi discrétionnaire à condition d’en informer l’utilisateur. Or l’ensemble du système de notation qu’elle utilise est expliquée sur le site de YUCA ainsi que sur l’application dans chaque fiche produit, dans les conditions générales d’utilisation, et dans le contrat de licence utilisateur final. Ainsi chaque utilisateur est en mesure, très facilement, de connaître le détail des caractéristiques des produits évalués ainsi que le choix de la pondération des notes adopté par les auteurs de l’application.
Par ailleurs il n’est pas démontré l’inexactitude objective des informations relatives à l’équilibre nutritionnel, à la présence des additifs à risque et au caractère bio ou non du produit évalué.
Quant aux données sur lesquelles s’appuyait la société YUCA pour évoquer le risque que représentait la consommation de produits nitrés, il a été précédemment indiqué qu’il s’agissait de données d’ordre scientifiques, suffisamment nombreuses, émanant d’autorités reconnues.
Il ne peut donc être efficacement reproché à la société YUCA d’avoir commis une pratique commerciale déloyale et le jugement déféré sera infirmé de ce chef également.
7- Sur le dénigrement
La société LE MONT DE LA COSTE considère que la SAS YUCA a commis des actes réitérés de dénigrement à son égard ainsi qu’un appel illicite au boycott de ses produits.
Le dénigrement est le fait de jeter publiquement le discrédit sur les produits, l’entreprise ou la personnalité d’un concurrent, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général, repose sur une base factuelle suffisante et qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure.
Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, ce dénigrement est constitué même en l’absence d’une situation directe et effective de concurrence entre les parties concernées, et relève des règles générales de la responsabilité extracontractuelle prévue par les articles 1240 et suivants du code civil, de sorte que la société LE MONT DE LA COSTE est en droit d’invoquer ce grief de dénigrement à l’encontre de la SAS YUCA.
Par ailleurs l’appréciation de ce dénigrement doit s’effectuer dans le respect de la liberté d’expression et d’opinion, qui constitue un droit fondamental n’admettant des restrictions en
matière commerciale que pour répondre à un « besoin social impérieux » lorsqu’est en cause un débat d’intérêt général.
La réalité des risques entourant l’utilisation des additifs nitrés pour le consommateur peut être considérée comme avérée dans l’absolu, en l’état des connaissance actuelles de la science, comme cela a été précédemment évoqué. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le législateur limite leur quantité dans les produits. C’est le niveau de ces risques qui fait l’objet de controverses scientifiques ainsi que le seuil de la dose journalière consommée.
Il n’est pas contestable que les questionnements relatifs à la sécurité des aliments et notamment le débat sur les additifs nitrés dans les produits de charcuterie, est un sujet d’intérêt général qui touche à la santé publique, ce qui restreint les limites qui peuvent être apportées à la liberté d’expression. Par son évaluation, YUCA alerte l’utilisateur sur les risques associés à la consommation de ce produit et participe donc au débat de santé publique.
Les articles scientifiques précédemment évoqués, reproduits par la société YUCA sur son site, sont issus d’un travail de recherches sérieuses, nombreuses, et constituent une base factuelle suffisante pour diffuser une évaluation de la présence des additifs nitrés dans la composition des produits alimentaires. Procéder à leur notation en fonction de trois critères dont l’un seul se rapporte à ces nitrites, et selon une pondération portée à la connaissance de l’utilisateur, cela dans le cadre d’une action présentée comme militante pour une meilleure alimentation, relève d’une liberté d’expression sur un sujet d’intérêt général, exempt de tout excès qui justifierait sa restriction.
Pour les même motifs l’utilisation du terme ‘mauvais’ associé à la note de 0/100, ‘ risque élevé’ ne relève pas d’un dénigrement de la société LE MONT DE LA COSTE mais de l’évaluation de l’un des produits qu’elle offre à la vente, en fonction de certains risques et d’une base factuelle suffisante.
8- Sur la pétition et l’appel au boycott
La société LE MONT DE LA COSTE soutient que la société YUCA, en dénigrant ses produits sur son application et en proposant la signature d’une pétition, en association avec la Ligue contre le cancer et l’association Food Watch, demandant l’interdiction des nitrites ajoutés dans l’alimentation, appelle les consommateurs au boycott des nitrites, donc à ses produits qui en contiennent, en poursuivant des objectifs politiques.
Cette pétition, qui ne vise pas nommément et directement les produits vendus par la société LE MONT DE LA COSTE, relève du droit à la liberté d’expression de la société YUCA, qui se présente aux yeux de ses utilisateurs comme un acteur engagé pour le « mieux manger », dans son action visant à faire pression sur les autorités publiques pour qu’elles interdisent des nitrites ajoutés dans l’alimentation, dont elle considère qu’ils représentent un danger sanitaire.
L’existence de cette pétition et l’affichage de son lien dans l’application ne sont pas de nature à caractériser une pratique commerciale trompeuse ou déloyale ni un dénigrement, et ne constituent pas un appel au boycott des produits vendus par la société LE MONT DE LA COSTE.
9- Sur les demandes accessoires
La société LE MONT DE LA COSTE n’obtient pas gain de cause et sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à verser à la société YUCA une indemnité de 20 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
—==oO§Oo==—
Dispositif
PAR CES MOTIFS
—==oO§Oo==—
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
INFIRME le jugement déféré rendu par le tribunal de commerce de Brive le 24 septembre 2021, en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau ;
DÉCLARE recevable l’action engagée par la société LE MONT DE LA COSTE ;
DÉBOUTE la société YUCA de sa demande d’annulation dudit jugement ;
DIT n’y avoir lieu à requalification des faits en actes de diffamation relevant des dispositions de la loi du 29 Juillet 1881 ;
DÉBOUTE la société LE MONT DE LA COSTE de l’intégralité de ses demandes ;
CONDAMNE la société LE MONT DE LA COSTE aux dépens de première instance et d’appel;
Vu l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société LE MONT DE LA COSTE à verser à la société YUCA une indemnité de 20 000 € ;
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,