Mme [C] [Y] a assigné la société Banco BPI et sa banque française, BNP Paribas, en raison d’une escroquerie dont elle a été victime, ayant effectué six virements vers un compte au Portugal entre septembre et novembre 2017. Le tribunal judiciaire de Paris a rejeté l’exception d’incompétence et la prescription soulevées par Banco BPI, condamnant cette dernière à verser 1 000 euros à Mme [Y]. Banco BPI a fait appel, arguant que la loi portugaise s’appliquait et que l’action de Mme [Y] était prescrite selon le droit portugais. Mme [Y] a contesté cette position, soutenant que le droit français était applicable et que son action n’était pas prescrite. Le tribunal a finalement infirmé l’ordonnance sur la question de la prescription, déclarant l’action de Mme [Y] irrecevable à l’égard de Banco BPI, tout en renvoyant l’affaire concernant BNP Paribas devant le tribunal judiciaire de Paris. Mme [Y] a été condamnée à verser 1 000 euros à Banco BPI et aux dépens d’appel.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 6
ARRÊT DU 09 OCTOBRE 2024
(n° , 5 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/19488 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CIUEB
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 09 Novembre 2023 – juge de la mise en état du tribanl judiciaire de Paris – 9ème chambre 3ème section – RG n° 22/14725
APPELANTE
Société BANCO BPI SA, société de droit portugais
[Adresse 6]
[Localité 4] (Portugal)
agissant poursuite et diligences par ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119
Ayant pour avocat plaidant Me Mari-carmen GALLARDO ARDOUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1981
INTIMÉES
Madame [C] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0215
S.A. BNP PARIBAS
[Adresse 1]
[Localité 5]
N° SIRET : 662 042 449
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Nicolas BAUCH-LABESSE de l’AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, avocat au barreau de PARIS, toque : E0022, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 01 Juillet 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Marc BAILLY, président de chambre chargé du rapport
M. Vincent BRAUD, président
Mme Laurence CHAINTRON, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
Vu l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 9 novembre 2023 qui, ensuite de l’assignation délivrée le 2 novembre 2022 par Mme [C] [Y] – se plaignant d’une escroquerie dont elle a été victime ensuite de six virements qu’elle a effectués du 26 septembre au 23 novembre 2017à partir de son compte bancaire français vers un compte au Portugal -, à sa banque française, la société Bnp PARIBAS ainsi qu’à la société de droit portugais Banco BPI, réceptionnaire des fonds et de l’exception d’incompétence ainsi que de la prescription de l’action soulevées par cette dernière, a rejeté l’exception d’incompétence et la fin de non-recevoir tirée de la prescription et condamné la société BPI à payer à Mme [Y] la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Vu la déclaration d’appel de la société Banco BPI du 5 décembre 2023 qui indique ne porter que sur le rejet de la fin de non recevoir tirée de la prescription ;
Vu les dernières conclusions en date du 31 mai 2024 de la société Banco BPI qui fait valoir :
– que c’est à tort que l’ordonnance entreprise a appliqué le droit français à la prescription dès lors qu’en vertu des articles 4.1 et 15 du Règlement dit Rome II, lus en cohérence avec les Règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis, c’est la loi portugaise qui s’applique dès lors que le fait dommageable s’est produit au Portugal,
– que la loi portugaise prévoit, à l’article 498.1 du code civil une prescription de trois ans à compter de la date à laquelle la personne lésée a eu connaissance de son droit, qu’en l’espèce, Mme [Y] s’est plainte à l’Administration le 7 juin 2018 puis a déposé une plainte pénale le 13 juin 2018, de sorte que son action, introduite par l’assignation du 2 novembre 2022 est tardive, si bien qu’elle demande à la cour d’infirmer l’ordonnance sur ce point ainsi que sur les mesures accessoires et de :
‘- Déclarer Madame [C] [Y] irrecevable en ses demandes fins et conclusions formulées à l’encontre de BANCO BPI SA au motif de prescription.
– Condamner Madame [C] [Y] à payer à la société BANCO BPI SA une
somme de 2 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux
entiers dépens de première instance et d’appel’.
Vu les dernières conclusions en date du 30 avril 2024 de Mme [C] [Y] qui poursuit la confirmation de l’ordonnance entreprise et la condamnation de la société Banco BPI à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles en faisant valoir :
– des moyens relatifs à la compétence du tribunal judiciaire de Paris pour connaître du litige,
– que l’action n’est pas prescrite en vertu du délai quinquennal en droit français de l’article 2224 du code civil,
– que la loi portugaise n’est pas applicable en vertu de l’article 4 du Règlement du 11 juillet 2007 qui désigne la loi applicable comme celle du pays où le dommage survient, qu’en l’espèce, il s’agit de la France, lieu de départ des fonds et non du Portugal, le lieu du fait générateur ne pouvant être confondu avec le lieu du pays où le dommage survient, que Mme [Y] est française, demeure en France, que l’infraction est commise au moyen d’un site accessible en France, que le contrat a été signé en France, qu’elle a déposé plainte en France et que le compte dans les livres de la banque portugaise n’était qu’un compte ‘de rebond’ ;
Vu les seules conclusions en date du 30 avril 2024 de la société Bnp PARIBAS qui s’en rapporte et sollicite la condamnation de tout succombant à lui payer la somme de 600 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Il est constant que Mme [Y] a ordonné des virements de sommes au débit de son compte français vers un compte détenu dans les livres de la banque portugaise où elle se plaint d’une appropriation indus des fonds, n’ayant pu en obtenir la restitution.
Mme [Y] reproche, au moyen de l’assignation délivrée le 2 novembre 2022 à la société Banco BPI un manquement à son obligation de vigilance et une violation de Directives dites ‘anti blanchiment’, ‘applicables’ au litige.
L’article 4 du Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Règlement Rome II) dispose que :
« 1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s’applique.
3. S’il résulte de l’ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s’applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu’un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question ».
C’est à juste titre que la société Banco BPI fait valoir que conformément au considérant n°7 du règlement Rome II selon lequel « le champ d’application matériel et les dispositions du présent règlement devraient être cohérents par rapport au règlement (CE) no 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I) et les instruments relatifs à la loi applicable aux obligations contractuelles », il convient d’adopter une interprétation de la notion de « pays où le dommage survient » en cohérence avec ces textes.
Or, s’il est de jurisprudence que la CJUE a considéré que la notion de « juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit » devait être interprétée en ce sens qu’elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage, pour l’application du règlement Rome II, le critère du lieu de l’événement causal est expressément écarté par l’article 4.1.
Et il est de jurisprudence que l’expression ‘tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit’, dans son acception de lieu de survenance du dommage, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne vise pas le lieu où la victime prétend avoir subi un préjudice patrimonial consécutif à un dommage initial survenu et subi par elle dans un autre État contractant (CJCE, [E] [F], 19 septembre 1995, C-364/93), ni le lieu du domicile du demandeur où serait localisé le centre de son patrimoine, au seul motif qu’il y aurait subi un préjudice financier résultant de la perte d’éléments de son patrimoine intervenue et subie dans un autre État contractant (CJCE, Rudolf Kronhofer, 10 juin 2004, C-168/02) et ce, sauf s’il existe d’autres points de rattachement avec le tribunal du lieu du domicile de la victime.
Etant observé que la compétence des juridictions françaises en l’espèce a été retenue non pas sur le fondement de l’article 7 du Règlement dit Bruxelles I bis qui désigne la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit mais sur celui de son article 8 consacrant la ‘connexité’ ou prorogation de compétence avec l’action à l’encontre de la banque française, c’est à juste titre que la société Banco BPI fait valoir qu’en l’espèce, le dommage s’est réalisé directement au lieu où l’appropriation des fonds s’est produite soit – en dépit de protestations non fondées de Mme [Y] qui soutient elle-même qu’elle ne peut se les voir restitués – au Portugal puisqu’il est constant que les fonds, non récupérés par elle, y ont été virés.
Or, la circonstance que les fonds ont été virés à partir d’un compte en France par Mme [Y] qui y demeure ou encore sa nationalité française ne constituent pas un lien de rattachement manifestant des liens étroits de nature à concourir à la désignation de la loi française pour apprécier la responsabilité délictuelle d’une banque portugaise dans les livres de laquelle les fonds ont été reçus au regard de ses obligations d’établissement teneur de compte ou réceptionnaire d’une prestation de services de paiement.
En conséquence de ce qui précède, c’est bien la loi portugaise qui est applicable à l’action de Mme [Y] à l’égard de la société Banco BPI, y compris à la fin de non recevoir tirée de la prescription comme elle le fait valoir en vertu de l’article 15 du Règlement dit Rome II qui dispose que ‘la loi applicable à une obligation non contractuelle en vertu du présent règlement régit notamment (…) Le mode d’extinction des obligations ainsi que les règles de prescription et de déchéance fondées sur l’expiration d’un délai, y compris les règles relatives au point de départ, à l’interruption et à la suspension d’un délai de prescription ou de déchéance’.
Selon une traduction non contestée, l’article 489 du code civil portugais relatif à la prescription dispose que :
‘1. Le délai de prescription du droit à réparation est de trois ans à compter de la date à laquelle la personne lésée a eu connaissance de son droit même lorsqu’elle ne sait pas qui est la personne responsable ni l’extension totale des dommages, sans préjudice de la prescription ordinaire si son délai est écoulé depuis le fait dommageable.
2. Le délai de prescription du droit de répétition entre les responsables est également de trois ans à compter de l’exécution.
3. Si le fait dommageable est une infraction pénale pour laquelle la loi prévoit un délai de prescription plus long, ce dernier est applicable.
4. La prescription du droit à réparation n’emporte pas la prescription de l’action en revendication ni de l’action en répétition de l’indu, si l’une ou l’autre est engagée’.
Or, il résulte de la réponse faite à Mme [Y] par un courrier de la direction départementale des populations du Finistère du 11 juin 2018 et de sa plainte pénale en date du 13 juin 2018 qu’elle était informée qu’elle semblait victime d’une escroquerie et que la société Banco Bpi tenait le compte réceptionnaire de certains virements (le deuxième d’un montant de 50 000 euros), de sorte qu’elle était en mesure d’exercer le droit qu’elle invoque de reprocher à la banque portugaise son manque de vigilance et que, par application de la disposition ci-dessus rapportée, son action introduite plus de trois années après est irrecevable comme prescrite.
Il y a lieu de réformer l’ordonnance entreprise en conséquence, de condamner Mme [Y] aux dépens d’appel ainsi qu’à payer à la société Banco BPI la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, l’équité commandant de ne pas prononcer d’autre condamnation de ce chef.
Statuant dans les limites de l’appel,
INFIRME l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription et la CONFIRME pour le surplus, y compris du chef des frais irrépétibles et des dépens ;
Et, statuant à nouveau du chef de l’infirmation ;
DÉCLARE irrecevable comme prescrite l’action de Mme [C] [Y] à l’égard de la société Banco BPI ;
RENVOIE l’examen de l’affaire opposant Mme [C] [Y] et la société Bnp PARIBAS devant le tribunal judiciaire de Paris ;
CONDAMNE Mme [C] [Y] à payer à la société Banco BPI la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et DÉBOUTE la société Bnp Paribas de sa demande de ce chef ;
CONDAMNE Mme [C] [Y] aux dépens d’appel qui seront recouvrés comme il est disposé à l’article 699 du code de procédure civile.
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LE GREFFIER LE PRÉSIDENT