La Caisse d’Epargne a accordé un prêt immobilier à M. [W] en juillet 2004, remboursable en 180 mensualités avec un taux d’intérêt fixe de 4,10 %. En mars 2011, un avenant a été signé pour réaménager le remboursement d’un solde restant dû. Le prêt a été intégralement remboursé en décembre 2019. En juin 2022, M. [W] a assigné la Caisse d’Epargne, contestant certaines clauses du contrat et demandant des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté. La Caisse d’Epargne a soulevé des fins de non-recevoir. En mars 2023, le juge a déclaré certaines demandes de M. [W] irrecevables pour cause de prescription, tout en poursuivant l’examen d’autres demandes. M. [W] a interjeté appel de cette décision. Les parties ont ensuite formulé leurs conclusions respectives, M. [W] demandant l’infirmation de l’ordonnance et la Caisse d’Epargne demandant la confirmation de celle-ci. L’affaire a été fixée à l’audience de juin 2024.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Décision du Juge de la mise en état du TJ de LYON
du 28 mars 2023
RG : 22/05770
[W]
C/
S.A. CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE DE RHONE ALPES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
6ème Chambre
ARRET DU 19 Septembre 2024
APPELANT :
M. [R] [W]
né le [Date naissance 3] 1946 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Géraldine DUSSERRE-ALLUIS, avocat au barreau de LYON, toque : 955
assisté de Me Jérémie BOULAIRE de la SELARL BOULAIRE, avocat au barreau de LYON
INTIMEE :
LA CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE DE RHONE ALPES (CERA),
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Frédéric ALLEAUME de la SCP AXIOJURIS LEXIENS, avocat au barreau de LYON, toque : 673
* * * * * *
Date de clôture de l’instruction : 18 Juin 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 25 Juin 2024
Date de mise à disposition : 19 Septembre 2024
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
– Joëlle DOAT, présidente
– Evelyne ALLAIS, conseillère
– Stéphanie ROBIN, conseillère
assistées pendant les débats de Cécile NONIN, greffière
A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Joëlle DOAT, présidente, et par Cécile NONIN, greffière, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE ET DEMANDES DES PARTIES :
Suivant offre préalable du 15 juillet 2004, acceptée le 31 juillet 2004, la Caisse d’Epargne et de Prévoyance de Rhône-Alpes (la Caisse d’Epargne) a consenti à M. [R] [W] un prêt immobilier intitulé ‘PH Primo Report’ d’un montant de 134.332,90 euros en capital, remboursable en 180 mensualités comprenant des intérêts au taux débiteur fixe de 4,10 % l’an.
Suivant offre du 25 février 2011, acceptée le 1er mars 2011, les parties ont conclu un avenant au contrat de prêt susvisé, consistant en un réaménagement des modalités de remboursement de la somme de 85.327,41 euros restant due au titre du prêt. Cette somme était remboursable en 105 mensualités comprenant des intérêts au même taux débiteur fixe que l’offre initiale.
Le prêt a été intégralement remboursé à son terme, soit le 5 décembre 2019.
Par acte d’huissier de justice du 13 juin 2022, M. [W] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Lyon la Caisse d’Epargne aux fins de voir :
– constater que l’offre de prêt émise le 15 juillet 2004 renfermait une clause ayant pour objet et pour effet d’exclure de l’assiette du coût total prévisionnel du crédit le coût du préfinancement,
– constater que la liquidation du coût total prévisionnel du crédit procédait d’une clause abusive et en écarter l’application,
– prononcer l’annulation de la stipulation d’intérêts du contrat de prêt initial,
en tout état de cause,
– prononcer la déchéance totale du droit aux intérêts conventionnels du prêt initial ainsi que de l’avenant au prêt,
– condamner la Caisse d’Epargne à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté contractuelle.
La Caisse d’Epargne a saisi le juge de la mise en état aux fins de voir de
– déclarer irrecevable l’action de M. [W] tendant à la déchéance du droit aux intérêts du contrat de prêt sur le fondement de l’article L.312-33 du code de la consommation et à la responsabilité de la banque au titre de son obligation d’information et de conseil,
– juger que l’instance ne se poursuivrait qu’en ce qui concerne l’existence avancée d’une clause abusive.
M. [W] concluait au rejet des fins de non-recevoir soulevées par la Caisse d’Epargne.
Par ordonnance du 28 mars 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Lyon a :
– déclaré les demandes suivantes irrecevables comme étant prescrites :
écarter l’application de la clause abusive ayant pour objet et pour effet d’exclure de l’assiette du coût total prévisionnel du crédit le coût du préfinancement et dont procédait la liquidation du coût total prévisionnel du crédit,
condamner la Caisse d’Epargne à payer à M. [W] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté contractuelle en tant qu’elle concerne le non-respect des dispositions spécifiques du code de la consommation relatives aux prêts immobiliers,
– dit que l’instance se poursuivait du chef des autres demandes, dont l’action en dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté contractuelle en ce qu’elle concerne l’existence d’une clause abusive,
– réservé les dépens et les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile du chef de l’incident,
– renvoyé l’instance à l’audience de mise en état électronique pour les conclusions au fond de la Caisse d’Epargne qui devraient être adressées par le RPVA au plus tard le 31 août 2023 avant minuit à peine de rejet.
Par déclaration du 10 mai 2023, M. [W] a interjeté appel de la décision, sauf en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’elle a renvoyé l’instance à l’audience de mise en état électronique pour les conclusions au fond de la Caisse d’Epargne.
L’affaire a été fixée d’office à l’audience du 18 juin 2024 par ordonnance du président de la chambre du 14 juin 2023 en application de l’article 905 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 7 juin 2024, M. [W] demande à la Cour de :
– infirmer l’ordonnance en ce que celle-ci a :
déclaré les demandes suivantes irrecevables comme étant prescrites :
~ écarter l’application de la clause abusive ayant pour objet et pour effet d’exclure de l’assiette du coût total prévisionnel du crédit le coût du préfinancement et dont procède la liquidation du coût total prévisionnel du crédit,
~ condamner la Caisse d’Epargne à payer à M. [W] la somme de 10.000 euros à des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté contractuelle en tant qu’elle concerne le non-respect des dispositions spécifiques du code de la consommation relatives aux prêts immobiliers,
dit que l’instance se poursuivait du chef des autres demandes, dont l’action en dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté contractuelle en ce qu’elle concerne l’existence d’une clause abusive,
– déclarer ses demandes recevables,
– débouter la Caisse d’Epargne de l’intégralité de ses prétentions,
– condamner la Caisse d’Epargne à lui payer la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la Caisse d’Epargne aux entiers dépens de l’instance.
Dans ses conclusions notifiées le 19 juillet 2023, la Caisse d’Epargne demande à la Cour de :
– confirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions ,
en tant que de besoin,
– déclarer M. [W] irrecevable en son action tendant à la déchéance du droit aux intérêts du contrat de prêt / nullité de la stipulation de l’intérêt conventionnel, à la responsabilité de la Caisse d’Epargne au titre de son obligation d’information et de conseil fondée sur le non-respect des dispositions spécifiques du code de la consommation relatives au prêt immobilier,
– condamner M. [W] à lui payer une somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 18 juin 2024.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties aux conclusions écrites susvisées.
M. [W] n’a pas conclu au fond devant le tribunal judiciaire de Lyon depuis l’assignation du 13 juin 2022, de telle sorte que ses demandes sont les mêmes que celles mentionnées dans cette assignation.
Les parties sont d’accord pour reconnaître que l’action fondée sur l’existence d’une clause abusive du contrat quant au TEG n’est pas prescrite. Aussi, c’est à tort que le premier juge a déclaré irrecevable la demande de M. [W] afin de voir écarter l’application de la clause abusive ayant pour objet et pour effet d’exclure de l’assiette du coût total prévisionnel du crédit le coût du préfinancement et dont procède la liquidation du coût total prévisionnel du crédit. L’ordonnance sera infirmée sur ce point.
Aux termes de l’article L.110-4 du code de commerce, l’action de M. [W] est soumise à un délai de prescription de cinq ans.
M. [W] fait valoir que ses autres demandes ne sont pas prescrites pour les motifs suivants :
– il ignorait que les modalités du TEG ne respectaient pas les dispositions du code de la consommation jusqu’à ce qu’un sachant attire son attention sur ce point, ce qui l’a conduit à saisir un avocat,
– le prêt litigieux était au jour de la demande en justice toujours en cours d’exécution, de telle sorte que M. [W] ne peut se voir opposer la prescription alors qu’il peut toujours faire l’objet d’une action en justice de la banque en raison du principe de l’égalité des armes.
La Caisse d’Epargne réplique que :
– la simple lecture de la clause contractuelle afférente au TEG permettait à l’emprunteur de constater que les modalités de calcul de celui-ci n’étaient pas conforme à celles fixées par les dispositions des articles L.313-1 et suivants, R.313-1 et suivants du code de la consommation ; aussi, M. [W] était en mesure d’agir dès 2004 quant à l’erreur affectant le TEG,
– l’action en nullité et/ou déchéance du droit aux intérêts contractuels de M. [W] ainsi qu’en responsabilité de la Caisse d’Epargne pour manquement à son obligation de loyauté contractuelle est prescrite,
– si l’exception de nullité est imprescriptible afin de préserver le principe de l’égalité des armes, il n’en est pas de même pour l’action en nullité dont la prescription s’impose à M. [W].
M. [W] sollicite la nullité de la stipulation du taux d’intérêt conventionnel ou la déchéance du droit aux intérêts conventionnels au motif que le TEG n’a pas été calculé conformément aux dispositions du code de la consommation, le coût total du crédit n’intégrant pas le coût du préfinancement.
Le prêt ayant été réglé en totalité, M. [W] n’agit pas en défense à une action en paiement de ce prêt, de telle sorte qu’il ne peut exciper du caractère imprescriptible de ses demandes en nullité de la stipulation d’intérêt ou de la déchéance du droit aux intérêts en raison du principe de l’égalité des armes entre les parties.
Il ressort de la jurisprudence que le point de départ de l’action de l’emprunteur tant en nullité de la stipulation d’intérêts qu’en déchéance du droit aux intérêts contractuels est la date du contrat de prêt si l’examen du contenu du contrat permet de constater l’erreur affectant le taux effectif global. A défaut, le point de départ de cette action est la date de la révélation de l’erreur à l’emprunteur.
Le contrat de prêt du 31 juillet 2004 mentionne en page 2 le taux effectif global et le coût total du crédit sans ou avec assurance/ accessoires, précisant : ‘le coût total du crédit et le taux effectif global ne tiennent pas compte des intérêts intercalaires, de la prime de raccordement d’assurance et le cas échéant des primes d’assurance de la phase de préfinancement’. Dès lors, l’examen du contrat de prêt permettait à M. [W] de savoir que le coût total du crédit n’intégrait pas le coût du préfinancement et par voie de conséquence de déceler l’erreur qu’il invoque quant au TEG. Surabondamment, le rapport d’expertise privée du 17 mai 2021 ne porte pas sur l’incidence de la clause critiquée quant au montant du TEG mais sur les intérêts supplémentaires résultant du calcul du TEG sur une année de 360 jours au lieu de 365 jours.
Plus de cinq ans se sont écoulés entre les dates respectives du contrat de prêt et de son avenant d’une part, soit les 31 juillet 2004 et 1er mars 2011 et l’assignation de M. [W] du 13 juin 2022 d’autre part. Aussi, c’est à juste titre que dans les motifs de sa décision, le premier juge a déclaré l’action en nullité et en déchéance du droit aux intérêts de M. [W] irrecevable comme étant prescrite avec toutes les demandes qui en sont le corollaire. L’ordonnance sera confirmée sur ce point, sauf à réparer l’omission matérielle affectant le dispositif de l’ordonnance quant à l’irrecevabilité des demandes aux fins de nullité de la stipulation des intérêts et de déchéance du droit aux intérêts conventionnels fondées sur le non respect des dispositions spécifiques du code de la consommation relatives au prêt immobilier.
L’ordonnance qui n’est pas critiquée pour le surplus, sera confirmée en ce qu’elle a dit que l’instance se poursuivait du chef des autres demandes, dont l’action en dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté contractuelle en ce qu’elle concerne l’existence d’une clause abusive.
Compte tenu de la solution apportée au litige, il y a lieu de laisser à la charge de chaque partie les dépens d’appel qu’elle a engagés. L’équité ne commande pas d’allouer à l’une ou l’autre des parties une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
La Cour,
statuant dans la limite des dispositions qui lui sont soumises,
Confirme l’ordonnance, sauf en ce qu’elle a déclaré irrecevable comme étant prescrite la demande de M. [W] afin de voir écarter l’application de la clause abusive ayant pour objet et pour effet d’exclure de l’assiette du coût total prévisionnel du crédit le coût du préfinancement et dont procède la liquidation du coût total prévisionnel du crédit ;
L’infirme de ce chef ;
STATUANT A NOUVEAU et Y AJOUTANT pour réparer l’omission matérielle affectant l’ordonnance,
Déclare recevables les demandes de M. [W] aux fins de voir constater que l’offre de prêt acceptée le 31 juillet 2004 renferme une clause abusive ayant pour objet et pour effet d’exclure de l’assiette du coût total prévisionnel du crédit le coût du préfinancement ainsi que de voir écarter l’application de cette clause ;
Déclare irrecevables les demandes de M. [W] aux fins de nullité de la stipulation du taux d’intérêt conventionnel et de déchéance du droit aux intérêts conventionnels fondées sur le non respect des dispositions spécifiques du code de la consommation relatives au prêt immobilier.
Laisse à la charge de chaque partie les dépens qu’elle a engagés en cause d’appel ;
Rejette les demandes respectives sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE